René Bousquet > Politique régionale
Menu

La politique régionale de Vichy en Champagne

Deux voies contradictoires : décentralisation et concentration

Un préfet zélé de Vichy à la tête de la région de Champagne

_______________________

 

  Deux voies contradictoires : décentralisation et concentration

   En matière de politique régionale, le régime de Vichy s'est engagé, dès l'été 1940, dans deux voies parallèles et à bien des égards contradictoires.

   Une première voie patronnée par PÉTAIN a conduit à élaborer un projet provincial d'inspiration maurrassienne, ayant peut-être l'ambition de réduire l'emprise de l'État et de réaliser une véritable décentralisation de nos institutions, mais qui n'a jamais été mis en oeuvre et qui est donc resté une ébauche de l'idéal antiétatique et régionaliste de certains membres de l'entourage du maréchal.
   Une deuxième voie, imposée par les dures réalités de la défaite et de l'occupation, a obligé les gouvernements successifs à entreprendre de façon progressive et empirique, une réorganisation territoriale allant au contraire dans le sens d'un renforcement bureaucratique des pouvoirs de l'État, concentrés entre les mains de préfets régionaux, et qui a été assortie d'une réforme autoritaire des assemblées locales.
   La première voie entendait rompre résolument avec la tradition jacobine, républicaine, et tentait de renouer avec un passé plus lointain.
   La seconde au contraire semblait s'inscrire dans une longue évolution qui avait abouti à l'ébauche sous la Troisième République de régions économiques, évolution caractérisée par le réalisme, la recherche de l'efficacité et le souci d'adapter les structures de la France aux grandes mutations du XXe siècle.
   Dans le département de la Marne et dans la région qui n'était pas encore la Champagne-Ardenne, c'est donc René BOUSQUET qui a eu la responsabilité de mettre en œuvre la politique régionale de Vichy, au moment où précisément ces deux voies parallèles étaient tracées dans la plus grande ambiguïté.
   En juillet 1940, PÉTAIN avait annoncé au sujet de la réorganisation territoriale de la France : « Des gouverneurs seront placés à la tête des grandes provinces françaises, et ainsi l'administration sera concentrée et décentralisée » (1). La réforme envisagée par Vichy s'appuyait ainsi sur deux termes contradictoires, concentration et décentralisation, dont on voyait mal comment ils pourraient être conciliés dans la pratique. Néanmoins, dans l'immédiat, l'annonce d'une possible restauration des anciennes provinces d'avant 1789, donnait incontestablement à cette réforme une tonalité traditionaliste et maurrassienne (2).
   En septembre 1940, le ministre de la Justice ALIBERT (3) avait présenté un projet prévoyant la suppression des conseils généraux et la création de 26 régions, mais ce n'est qu'au printemps 1941, qu'une commission du Conseil national (4) a été chargée de faire des propositions au sujet de ce projet de « réorganisation administrative ». Cette commission dite « des provinces » (5), purement consultative, réunie du 6 au 20 mai 1941, a élaboré non sans difficulté et après bien des marchandages et des compromis, un découpage de la France en 20 provinces constituées à partir du regroupement des départements dont les limites avaient été parfois modifiées. C'est ainsi que dans ce projet de découpage, les départements de la Marne, de l'Aube et de la Haute-Marne, se trouvaient réunis dans la province de Champagne-Lorraine dont la capitale aurait dû être Nancy (6), et qui comprenait aussi les Ardennes, la Meuse, la Meurthe-et-Moselle et les Vosges situés en zone interdite, ainsi que la Moselle qui avait été annexée au Reich dès l'été 1940 et rattachée au Gau du Palatinat.

   Mais les délibérations de la commission restaient secrètes et, en attendant la mise en oeuvre de cette hypothétique restauration provinciale, il fallut improviser sur le terrain une réorganisation administrative, qui en raison de la situation issue de la défaite de mai-juin 1940, prit la direction opposée aux promesses régionalistes de décentralisation exprimées par l'idéologie officielle.
   L'une des premières préoccupations du régime de Vichy était d'assurer et d'incarner la continuité de l'État et d'opérer une réorganisation de tous les échelons de l'administration territoriale qui, compte tenu des contraintes de l'occupation allemande, de l'urgence des problèmes posés par les réfugiés, le ravitaillement, la reconstruction, et du fait des tendances autoritaires et dirigistes du régime, s'est orientée vers un renforcement des pouvoirs des représentants de l'État à l'échelon local. Les conseils généraux ont été supprimés et remplacés par des commissions administratives départementales constituées de sept à neuf membres nommés par le pouvoir central. L'institution préfectorale a été maintenue dans son cadre départemental, mais avec un corps préfectoral épuré, interdit aux juifs et aux francs-maçons. Les maires et les membres des délégations spéciales mis en place dans les communes de plus de 2 000 habitants ont été nommés par le pouvoir central, tandis que les préfets pouvaient, dans les autres communes, dissoudre le conseil municipal.
 D'une façon générale, les pouvoirs des préfets ont été renforcés dans tous les domaines, et la suppression des assemblées élues leur donnait toute liberté d'action, sous le contrôle bien sûr du gouvernement de Vichy qui pouvait à tout moment les muter ou les limoger, et sous la surveillance vigilante, en zone occupée, des autorités allemandes.
   C'est ainsi que six communes du département de l'Aisne ont été placées provisoirement sous la juridiction du sous-préfet de Reims et intégrées dans le département de la Marne (7). Parmi les trente sous-préfectures supprimées en 1926 et qui ont été rétablies en 1940, figurent celle de Wassy dans la Haute-Marne et celle de Sainte-Ménehould dans la Marne. En 1987, René BOUSQUET m'a déclaré que c'était lui qui avait demandé en 1940 le rétablissement de la sous-préfecture de Sainte-Menehould afin de mieux affirmer la présence française dans cette partie du département appartenant à la zone rattachée, qui était menacée d'annexion (8). Quant aux conseils municipaux d'avant-guerre, Richard POUZET a déclaré en 1945 dans une déposition adressée au juge d'instruction de la Haute Cour de Justice qui instruisait le procès Bousquet, que ce dernier n'avait formulé « aucune proposition de destitution » et qu'il s'était employé « à les maintenir tous en place » (9). Contrairement à ce que pourrait laisser croire cette déposition, il y a bien eu dans la Marne à l'époque où BOUSQUET était préfet, au moins deux dissolutions de conseils municipaux :
      - celui de Dommartin-La-Planchette, par arrêté du ministre secrétaire d'État à l'Intérieur en date du 19 octobre 1941 (10),
      - 
et celui de Cauroy remplacé par une délégation spéciale par l'arrêté du 18 janvier 1942 (11).
   Dans les communes de plus de 2 000 habitants dont les conseils municipaux ont été allégés, 149 conseillers n'ont pas été confirmés par le gouvernement de Vichy qui n'a pas toujours suivi les propositions de BOUSQUET (12). En outre, 4 maires et 7 conseillers municipaux ont été démissionnés d'office pour raisons politiques ou en raison des lois portant dissolution des sociétés secrètes (13et du statut des Juifs (14).

Un préfet zélé de Vichy à la tête de la région de Champagne

   Par la loi du 19 avril 1941, Vichy a mis en place, à titre provisoire, un échelon intermédiaire entre le gouvernement et les départements, avec la création de préfets régionaux. Assistés de deux intendants, ils étaient chargés de coordonner l'action du gouvernement à l'échelle de plusieurs départements dans deux domaines essentiels, la police et les affaires économiques.  Ils ont reçu ultérieurement le pouvoir de suspendre les fonctionnaires à l'exception de ceux de la Justice et de l'Armée.
   La mise en place de préfets régionaux, qui intervenait au moment où la commission des provinces tenait sa première session, apparaissait en dépit des démentis officiels insistant sur son caractère provisoire, lié aux nécessités du moment, comme une sorte de contre-feu allumé par le ministère de l'Intérieur, gardien de la tradition étatique et centralisatrice, face aux velléités régionalistes de l'entourage du maréchal PÉTAIN (15).

   Le 28 août 1941, le préfet de la Marne, René BOUSQUET, a reçu les pouvoirs de préfet régional avec juridiction sur la Marne, l'Aube et la Haute-Marne, la nouvelle délimitation prenant le nom de région de Châlons-sur-Marne, appellation officielle à laquelle les Champenois ont substitué celle de région de Champagne. Avec ses trois départements seulement, comprenant 9 arrondissements, 87 cantons et 1 657 communes, la région de Châlons était la moins peuplée des régions créées par Vichy : 837 272 habitants au dernier recensement d'avant-guerre effectué en 1936 (16). Elle regroupait les départements champenois de la région économique de Nancy, à l'exception du département des Ardennes dont la plus grande partie du territoire se trouvait en zone interdite et qui fut intégré à la région de Laon avec l'Aisne, la Somme et l'Oise. Bien que située dans la zone occupée et au contact de la zone interdite, elle ne constituait pas une région très sensible, car elle était éloignée de la ligne de démarcation et n'était ni une région frontalière, ni une région littorale, ni une région d'implantation de camps d'internement de déportés. Néanmoins, elle avait pour Vichy une certaine importance, parce que située à proximité des départements de l'Est chers au vainqueur de Verdun, et qu'elle se trouvait sur le lieu de passage le plus fréquenté entre la France occupée et l'Allemagne. Ainsi définie, la région de Châlons-sur-Marne apparaissait comme mutilée, inachevée par rapport à ce qu'aurait pu être une province de Champagne se rapprochant des limites de l'ancienne généralité de Châlons ou mieux encore de l'ancien « gouvernement général de Champagne, circonscription militaire née de la guerre de Cent ans qui s'identifiait le moins mal avec notre espace champenois » (17).    
   Elle ne permettait pas non plus d'harmoniser en son sein les services supra-départementaux déjà existants sur le plan militaire, économique, judiciaire et scolaire :
         - les trois départements de la Champagne appartenaient à la 6e Région militaire, dont le siège se trouvait à Metz, et à la région économique de Nancy ;
         - la Marne et l'Aube dépendaient de la Cour d'Appel de Paris, tandis que la Haute-Marne dépendait de celle de Dijon ;
         - la Marne était rattachée à l'Académie de Paris, tandis que l'Aube et la Haute-Marne étaient rattachées à celle de Dijon.

   Le 29 août 1941, L'Éclaireur de l'Est regrettait que la formation de la région de Châlons-sur-Marne ne répondît pas aux voeux des Champenois qui auraient souhaité que la future province de Champagne englobât aussi le département des Ardennes et la plus grande partie de celui de l'Aisne.
   Le 5 septembre 1941, René BOUSQUET reçu par le conseil municipal de Reims s'est efforcé d'être à la fois rassurant et prudent :

   « En ce qui concerne la région de Champagne, des considérations provisoires n'ont pas permis au gouvernement de lui donner la délimitation territoriale qu'il avait primitivement envisagée.
   Cette décision n'engage en rien l'avenir, qui permettra de replacer notre province dans le cadre qu'ont créé son histoire et les nécessités de son activité économique.
   Dans le provisoire, je ferai tous mes efforts pour préparer l'avenir.
   J'apporterai à la tâche nouvelle qui m'a été confiée toute mon activité et toute ma foi patriotique dans les destinées nationales »
.

   Quelques jours plus tard, La Tribune de l'Aube et de la Haute-Marne datée du 18-19 septembre 1941 a publié la longue circulaire que BOUSQUET adressait aux préfets de la région, afin de leur faire connaître dans quel esprit, selon quelles modalités seraient organisés et fonctionneraient les services de la préfecture régionale, et avec quelles autorité et fermeté il entendait exercer sa nouvelle fonction.
   BOUSQUET ne manquait pas de rappeler dans cette circulaire qu'il n'avait pas attendu les directives de Vichy pour jeter les bases d'une « coordination » et poser les principes d'une « solidarité régionale » en Champagne, puisque dès la fin de l'année 1940, alors qu'il n'était encore que préfet de la Marne, il avait pris l'initiative de réunir à Châlons les préfets des départements limitrophes, dont ceux de l'Aube et de la Haute-Marne, pour examiner en commun les problèmes qui se posaient dans leurs départements respectifs (18).

   La mise en œuvre en Champagne par Vichy de la loi du 19 avril 1941 a été progressive et assez lente, puisque ce n'est guère avant le printemps 1942 que fut vraiment officialisée à la préfecture de Châlons, l'installation d'un cabinet du préfet régional dirigé par Joseph LÉGER, ancien sous-préfet de Sainte-Menehould, d'une Intendance régionale de police confiée à Henri de LA PÉROUSE, officier de marine au nom illustre puis, après l'arrestation de ce dernier par les Allemands en février 1944, à Jean SPACH, et d'une intendance régionale aux affaires économiques confiée à Charles CÉLIER, auditeur au Conseil d'État.
   En octobre 1941, BOUSQUET a décidé de créer une Commission départementale de ravitaillement dans chacun des trois départements de la région de Champagne (19)En décembre 1941, il a présidé à Châlons une assemblée regroupant les dirigeants des organisations professionnelles agricoles et des administrations intéressées de ces mêmes départements (20). C'est aussi à partir de décembre 1941, qu'il a participé aux conférences qui réunissaient les préfets régionaux de la zone occupée à Paris le premier mercredi de chaque mois
   En novembre 1941, un préfet délégué, M. JUST ( 21 ), a été nommé dans la Marne pour y seconder René BOUSQUET, mais il est décédé avant d'avoir pu être installé. Il a été remplacé par M. BARRAUD qui lui non plus n'a pas installé et a été appelé à d'autres fonctions. Là encore s'agissait-il d'un hasard, ou bien René BOUSQUET, peu pressé de déléguer une partie de ses pouvoirs dans la Marne, avait-il manœuvré jusqu'à ce que Vichy finisse par nommer un préfet délégué qui lui convenait ? Finalement ce fut Raymond COURARIE-DELAGE (22) qui occupa les fonctions de préfet délégué de la Marne de février 1942 à février 1944, époque où il a été nommé préfet de la Haute-Marne et remplacé par le sous-préfet de Thiers, Frantz ROBERT (23).

   En 1987 et en 1990, René BOUSQUET m'a déclaré que, fidèle à ses convictions républicaines, il n'avait pas adhéré à la Révolution nationale, qu'il avait conservé jusqu'au bout dans son bureau le buste de Marianne, qu'il ne se souvenait pas avoir prêté serment au maréchal PÉTAIN, et qu'il ne s'était rendu à Vichy qu'une seule fois (24). Pourtant, à la préfecture de la Marne, il appliquait scrupuleusement les directives de Vichy, comme l'atteste par exemple « la correspondance relative aux portraits du Maréchal » (25).
 On y trouve les consignes données le 19 décembre 1940 par BOUSQUET à ses services pour récapituler le nombre de portraits officiels de PÉTAIN, symbole du nouveau régime destiné à remplacer le buste de la République : 113 photographies au format 30/65 et 847 photographies au format 24/30. Et aussi cette requête adressée le 31 juillet 1941 par BOUSQUET à Paul MARCHANDEAU, maire de Reims :

   « Le portrait du Maréchal de France, Chef de l'État, figure à l'heure actuelle dans tous les établissements publics.
   Il orne en particulier, dans votre mairie, la salle où se réunit le conseil municipal.
   Cet hommage rendu au chef de l'État m'apparaît insuffisant.
   Il serait souhaitable en effet, que l'effigie du Maréchal, figure également, et en bonne place, dans tous les locaux de la mairie où le public a habituellement accès
 » (26)
.

   Le 29 janvier 1941, BOUSQUET avait assisté à la réunion du conseil municipal de Sainte-Ménehould. Le maire Gaston VATIER avait fait l'éloge de PÉTAIN en ces termes : « Hommage au soldat de Verdun. Hommage au maréchal, qui en juin dernier a sacrifié son repos pour sauvegarder la France et sa population meurtrie et errante tel un troupeau affamé » (27). BOUSQUET lui avait demandé alors de donner le nom du maréchal à une place de sa ville. Le maire de Sainte-Ménehould lui avait répondu que son conseil municipal allait « répondre avec ferveur » à cette suggestion.

   En se limitant aux seuls communiqués de L'Éclaireur de l'Est, on constate également que les rapports directs qu'a pu avoir BOUSQUET avec le maréchal PÉTAIN et les membres du gouvernement de Vichy, ont été bien plus fréquents que l'intéressé a bien voulu me le dire en 1987 et en 1990.
   Le préfet BOUSQUET a reçu personnellement dans la Marne plusieurs membres du gouvernement de Vichy, les y a accueillis chaleureusement, s'est plu à leur montrer l'œuvre qu'il y accomplissait et dont il n'était pas peu fier.
   Le 22 avril 1941, il a reçu SCAPINI (28) venu visiter le centre d'hébergement ouvert à Châlons-sur-Marne pour accueillir les prisonniers libérés en vertu des accords intervenus entre les gouvernements français et allemands.
   Le 30 mai 1941, il a accompagné DARLAN et INGRAND (29) tout au long de leur visite à travers le département de la Marne, et en particulier à Reims où l'amiral avait combattu au cours de la première guerre mondiale, et où on lui présenta deux industriels rémois frères de l'amiral ESTÉVA, alors résident général de France en Tunisie, « une des gloires locales » (30).
   Le 11 juin 1941, il a piloté le secrétaire d'État aux communications, Jean BERTHELOT, au cours de sa visite dans les départements de la Marne et de l'Aube.
   Le 23 juin 1941, il a inauguré près d'Épernay avec RORBACH, représentant de Georges LAMIRAND, secrétaire d'État à la Jeunesse, le pont de Bisseul reconstruit par les Jeunes travailleurs de France.
   Les 21 et 22 juillet 1941, au stade municipal de Reims, en présence de LAMIRAND lui-même, il a fait acclamer les consignes du Maréchal « Travail, Union, Don de soi  » par des milliers de jeunes rémois, puis par les jeunes de plusieurs villes du département, avant d'aller inaugurer avec lui à Soulanges deux ponts reconstruits par des jeunes travailleurs.
   Au chef-lieu du département, LAMIRAND s'est adressé aux jeunes Châlonnais, en leur disant : 
« J'ai été accueilli dans votre département par un vrai jeune, le plus jeune préfet de France » (31).
   Le 10 décembre 1941, BOUSQUET s'est rendu à La Gentillerie aux confins Nord du département de la Marne, pour y accueillir PUCHEU, ministre secrétaire d'État à l'Intérieur, qui venait de visiter le département des Ardennes, et il l'a reçu à la sous-préfecture de Reims.

   Après son passage à Vichy en juillet 1940, au moment du vote des pleins pouvoirs au maréchal PÉTAIN, BOUSQUET s'est rendu au moins quatre fois à Vichy. Il a été reçu par le chef de l'État, le 27 juin et le 7 juillet 1941 (32)Le 20 février 1942, L'Éclaireur de l'Est en rendant compte de la cérémonie au cours de laquelle 130 préfets avaient la veille prêté serment devant le chef de l'État à l'Hôtel de ville de Vichy, ne mentionnait pas la présence de René BOUSQUET, mais en 1992 L'Événement du Jeudi et Libération ont publié la photographie de sa prestation de serment (33).

La prestation de serment du préfet Bousquet au maréchal Pétain le 19 février 1942 à Vichy

   Le 25 mars 1942, René BOUSQUET a été à nouveau reçu longuement par le maréchal ainsi que par DARLAN et plusieurs membres du gouvernement (34).
   En mars 1942, que l'intendant régional des Affaires économiques Charles CÉLIER, invité à Reims par Pierre BOUCHEZ, président du groupement interprofessionnel des syndicats patronaux, a précisé au cours d'une conférence les objectifs économiques de la politique régionale de Vichy (35). Il s'est exprimé en des termes qui, tout en flattant le corporatisme des notables présents, traduisaient l'influence des planificateurs de la Délégation générale à l'économie nationale placée sous la direction de François LEHIDEUX, soucieux de reconstruire, de réorganiser et de rationaliser la production, d'intégrer l'économie française à l'Europe continentale, de réduire le déséquilibre entre Paris et la province. Il a eu la prudence de préciser que cette réforme ne pourrait pas être rapide. En effet, la plupart des projets économiques de Vichy allaient échouer, mais un certain nombre d'entre eux allaient être repris et mis en oeuvre par la Quatrième République.
   Quelques jours plus tard,à l'occasion de la prise de fonction de l'intendant régional de police Henri de LA PÉROUSE, BOUSQUET a annoncé qu'après l'étatisation en cours des polices des agglomérations urbaines – à Reims sous la responsabilité du commissaire CHAUVET (36), un policier franc-maçon qu'il fera venir plus tard à Vichy pour prendre la direction du service de protection de LAVAL – l'ensemble de la police de la région de Champagne allait être étatisée à son tour pour aboutir à une meilleure organisation et à une coordination efficace.

   Il en a défini la mission en ces termes :

   « À la police réorganisée, voici les ordres que je donne [...]
   Assurer l'ordre, protéger les faibles et défendre la justice.
   Elle est au service des honnêtes gens et doit aller au secours de tous ceux qui ont besoin d'aide [...] elle doit être compréhensive et humaine
   [...] La sévérité et la rigueur de son action doivent avoir une valeur exemplaire.
   La police aura à collaborer avec les services qui déjà exercent une surveillance et un contrôle en matière économique.
   J'entends que cette surveillance soit souple et sans tracasserie ni vexations inutiles [...]
   Je proscris de façon formelle la provocation [...]
   Sur le plan général, la police doit assurer l'ordre.
   Assurer l'ordre ce n'est pas nécessairement réprimer le désordre, c'est avant tout empêcher que le désordre se produise.
   C'est donc s'efforcer d'en écarter les causes [...]
   Pour accomplir son devoir et faire face à ses obligations si lourdes, la police a besoin de l'appui de la population.
   Je suis certain que celle-ci par sa compréhension et sa discipline viendra faciliter la tâche d'une administration publique qui est à la fois à son service et au service du pays
 » (37)
.

   Le moins que l'on puisse dire, c'est que les propos tenus publiquement par BOUSQUET à cette occasion ne correspondaient pas à ceux qu'il avait tenus dès 1940 dans les instructions concernant la répression anticommuniste adressées à la police française. En outre ce beau discours ne pouvait guère être suivi d'effet, dès lors que les Allemands avaient décidé de dessaisir l'administration française. Collaborer avec la police allemande en essayant de préserver l'autonomie de la police française et de protéger la population, c'était obligatoirement prendre le risque de sacrifier les uns pour tenter de sauver les autres.

   En quittant la Marne et la Champagne en avril 1942 pour aller occuper à Vichy le poste de secrétaire général à la Police, René BOUSQUET allait être confronté directement et au niveau le plus élevé à ce dilemme. Son successeur à la préfecture régionale de Châlons-sur-Marne, Louis PERETTI DELLA ROCCA, n'a pas fait preuve de la même fougue, ni du même dynamisme. Un note du ministère de l'Intérieur, datée du 19 mai 1943, le présentait en ces termes :

   « Est avant tout un Corse, et honnête homme, dévoué à sa tâche, au Gouvernement, à ses collaborateurs, à ses administrés, à sa famille, à lui-même.
   Ayant plus de bonne volonté que de volonté, de bonhomie que d'énergie, de bon sens que d'intelligence.
   Il est loin d'imprimer à l'action régionale l'impulsion vigoureuse et brillante de son prédéces-seur.
   Arrive néanmoins à " s'en tirer " par de solides qualités de fond et des contacts sympathiques.
   Devrait être épaulé par un Préfet délégué énergique et de valeur »
 (38).

[Louis Peretti della Rocca est né en 1885 à Sartène (Corse). Préfet du Puy-de-Dôme en 1940, puis trésorier-payeur général de la Drôme, mis en disponibilité en avril 1941, Louis Peretti della Rocca a succédé à la tête de la préfecture de la Marne et de la région de Champagne à René Bousquet promu secrétaire général à la Police dans le second gouvernement Laval en avril 1942. Il a pris sa fonction à la préfecture de Châlons-sur-Marne en juillet 1942 et a prêté serment de fidélité au maréchal Pétain le 15 janvier 1943.
Il a été un préfet sans doute moins habile que René Bousquet mais non moins zélé, tout en s’efforçant de louvoyer entre les ultras de la collaboration qui, le trouvant trop mou, réclamaient son remplacement, et les résistants qui attendaient de lui une bienveillante protection. En février 1944, il a sollicité la hors-classe en récompense de ses bons et loyaux services, en se fondant sur un rapport selon lequel « sa région », la région de Champagne, était « la seule à avoir fourni les 100 % de la main d’œuvre » qui lui avait été demandée, et « une de celles qui avaient donné le moins de soucis au chef du gouvernement, Pierre Laval, et « la seule aussi à avoir fourni non seulement toutes les impositions agricoles, mais 105 % de ce qui était attendu ». La hors-classe lui a été immédiatement accordée.À la Libération, Peretti della Rocca a été suspendu. Comme René Bousquet, il a rédigé un mémoire en défense dans lequel il déclarait avoir été reçu à la table de Pierre Bouchez, chef départemental des FFI, et être venu en aide à des résistants, des francs-maçons, des juifs. Ce mémoire en défense s’appuyait sur de nombreux témoignages de notables marnais y compris de résistants. La commission d’épuration, reconnaissant que Louis Peretti della Rocca « a appliqué sans trop de rigueur, semble-t-il, les instructions de Vichy » et « qu’il a fait preuve d’une passivité bienveillante à l’égard de la Résistance », a proposé au ministre de l’Intérieur Tixier de le mettre à la retraite d’office. L’arrêté daté du 10 janvier 1945 le mettant à la retraite d’office considèrait cependant « que M. de Peretti della Rocca a exécuté servilement les consignes de fait de Vichy ». L’ex-préfet a été maintenu dans la hors-classe et a continué d’être rémunéré par la préfecture de Châlons. Cet arrêté de mise à la retraite d’office a été abrogé par un nouvel arrêté daté du 29 juin 1945 qui le mettait à la retraite « à sa demande » et le déclarait préfet hors-classe honoraire. Dans la mesure où il permettait à de Peretti della Rocca de jouir d’une confortable retraite et de conserver son honorariat – ce qui revenait à le blanchir – cet arrêté a suscité quelques réprobations. Il a été finalement abrogé par un décret du général de Gaulle daté du 12 septembre 1945].

   Entravée par la pression allemande, sabotée par l'action de la résistance infiltrée à différents échelons, l'administration régionale allait fonctionner dans des conditions de plus en plus difficiles jusqu'en août 1944.

Suite