René Bousquet > Une carrière exceptionnelle | |
![]() |
|
De la sous-préfecture
de Vitry-le-François Les origines de René Bousquet et ses débuts dans la « préfectorale » Paris et les cabinets ministériels De la sous-préfecture de Vitry-le-François à la préfecture régionale de Châlons Vichy et le Secrétariat général à la Police _________________________________________________________________________________________________________ Les origines de René Bousquet et ses débuts dans la « préfectorale » (2) Les
rapports qui se sont établis au début de l'occupation
entre le régime du maréchal
PÉTAIN et les Marnais, ont été profondément
marqués par la forte personnalité
du préfet René BOUSQUET. René
Bousquet appartenait au corps préfectoral
de la Troisième République, dont il était en
quelque sorte l'archétype par ses origines géographiques, sociales, culturelles, par sa sensibilité
radicale-socialiste cultivée sur le terreau languedocien
puis marnais, par ses amitiés franc-maçonnes (3),
par sa formation universitaire et par son profil de carrière. René
BOUSQUET est né le 11 mai
1909 dans le Tarn-et-Garonne d'où sont issus neuf préfets de la Troisième
République, à Montauban où son père Émile,
militant radical-socialiste, exerçait la profession de notaire (5). Après des études secondaires au lycée
de cette ville, il s'est inscrit à la Faculté
de droit de Toulouse, d'où il est sorti licencié
en droit et titulaire d'un certificat de sciences pénales (6). En août 1929,
alors qu'il avait tout juste vingt ans et n'avait pas encore effectué
son service militaire, BOUSQUET est devenu chef de cabinet du préfet
du Tarn-et-Garonne, à une époque où
les préfets choisissaient librement leur chef de cabinet, et
dans une région où le parrainage
politique était de règle. Sa carrière a donc débuté sous
le signe de la précocité, de la jeunesse, puisqu'il
a exercé les fonctions de directeur de cabinet d'un préfet,
alors qu'il n'avait pas encore atteint l'âge de la majorité,
et sous le parrainage de Maurice
SARRAUT (7),
un des fondateurs du parti radical, directeur de La
Dépêche de Toulouse et frère d'Albert SARRAUT (8) qui venait d'occuper le poste de ministre de l'Intérieur
dans le Cabinet POINCARÉ de 1926 à 1928. Lors
des inondations
qui ont ravagé le Sud-Ouest en mars 1930, le jeune chef de
cabinet du préfet du Tarn-et-Garonne a
sauvé plusieurs personnes de la noyade (10). Le courage dont il a fait preuve à cette
occasion a été signalé au président de
la République Gaston DOUMERGUE ainsi
qu'au président du Conseil et ministre de l'Intérieur André TARDIEU venus constater
l'ampleur des dégâts. René BOUSQUET a été décoré et a été nommé chef du secrétariat
particulier de Marcel HÉRAUD,
alors sous-secrétaire d'État à la Présidence
du Conseil et à l'Intérieur, avec mission d'organiser
la reconstruction du Midi sinistré. Et à nouveau, quelques jours plus tard, en apportant les précisions suivantes : « Fait
rarissime, à vingt ans, il était fait chevalier de
la Légion d'honneur en même temps qu'il recevait la
Médaille d'Or des Belles actions. Paris et les cabinets ministériels Dans ce Cabinet TARDIEU où il a fait ses premières armes, BOUSQUET a vite été remarqué par Pierre CATHALA qui était un ami des frères SARRAUT mais aussi le « conseiller ministériel » et l'« ami politique le plus écouté et le plus fidèle » (13) du ministre du Travail Pierre LAVAL. En
décembre 1930, Paul MARCHANDEAU,
député-maire radical de Reims et originaire comme BOUSQUET du Sud-Ouest, qui succédait à HÉRAUD dans le Cabinet STEEG, a maintenu BOUSQUET à ce poste. Ce fut le début d'une longue et solide amitié entre les deux hommes qui allaient bientôt se retrouver dans
la Marne. De la sous-préfecture de Vitry-le-François à la préfecture régionale de Châlons Le 20 avril 1938, un décret signé par le président de la République Albert LEBRUN a nommé BOUSQUET sous-préfet de Vitry-le-François, sur proposition du ministre de l'Intérieur Albert SARRAUT (22). Le 13 décembre 1938, un autre décret d'Albert LEBRUN a rectifié, toujours sur proposition d'Albert SARRAUT, la situation administrative de René BOUSQUET juridiquement très embrouillée en raison des arrêts du Conseil d'État. À défaut de première classe, il a été promu sous-préfet de deuxième classe à titre personnel, avec effet rétroactif, à compter du 17 novembre 1936, et au titre de la territoriale à compter du 20 avril 1938. Ainsi, la nomination de BOUSQUET à la tête de la sous-préfecture de Vitry-le-François pouvait débloquer sa situation administrative en termes de promotion et de carrière au sein de la préfectorale. Elle ne l'éloignait pas trop des cabinets ministériels parisiens. Elle lui permettait de prendre pied dans une des régions les plus solidement acquises au radicalisme au nord de la Loire, où il pouvait à terme envisager de faire une carrière politique, dans une ville dont le maire, Lucien PRUD'HOMME, était un socialiste modéré, dans une circonscription tenue par un député radical-socialiste Alfred MARGAINE, enfin dans un département où le préfet JOZON était sur le point de faire valoir ses droits à la retraite et où existaient sans doute pour le protégé de Maurice SARRAUT, frère du ministre de l'Intérieur, de réelles perspectives de promotion sur place. Mais il y aurait eu, selon les déclarations que m'a faites BOUSQUET, une autre raison à sa nomination à la tête de la sous-préfecture de Vitry-le-François : « Après Munich, le gouvernement a voulu construire une route qui évite Vitry-le-François pour améliorer la liaison routière en direction de Strasbourg et de la frontière de l'Est. Un arrêté d'Albert Sarraut ministre de l'Intérieur avait ordonné la destruction de la Porte du Pont ce qui avait suscité la révolte de la population de Vitry » (23). BOUSQUET a été
chargé de régler ce problème. Il
a fait démonter le monument pierre par pierre et en
a fait déposer tous les éléments soigneusement répertoriés
et numérotés dans un hangar où elles sont restées
pendant plus de quarante ans (24). Ayant mené à bien cette entreprise
délicate, BOUSQUET espérait
sans doute accéder plus facilement à cette première
classe que le Conseil d'État lui contestait depuis
1936. Le 6 juin 1939,
un décret d'Albert LEBRUN,
sur proposition d'Albert SARRAUT toujours ministre de l'Intérieur, a nommé BOUSQUET secrétaire général de
la Marne (25). BOUSQUET accédait
enfin à la première classe et s'installait
dans le chef-lieu du département, aux côtés d'un
préfet effacé et en fin de carrière. « M.
Bousquet a mis sur pied une organisation complète de ravitaillement
et d'alimentation pour la population civile, rendant impossible une
hausse des prix par spéculation sur la pénurie des marchandises. La réponse du ministre de l'Intérieur, fut un refus poli rédigé en des termes qui laissaient entendre que c'était le secrétaire général de la Marne lui-même qui avait demandé au député MARGAINE d'intervenir en sa faveur : « Vous
avez bien voulu appeler mon attention sur M. René Bousquet
Secrétaire général de la préfecture de
la Marne, désirant être maintenu à son poste pendant
une durée de 3 mois. [En juillet 1940 à Vichy, Alfred Margaine a fait partie des 80 parlementaires qui, sur les 649 votants, ont refusé de participer à la mise à mort de la IIIe République et de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Le 9 juillet, alors que, conformément à l'article 10 de la Constitution, les deux chambres s'étaient réunies séparément afin de décider chacune de leur côté s'il y avait lieu de procéder à une révision constitutionnelle, il a été l'un des trois députés qui ont voté contre le principe de la révision constitutionnelle. Le 10 juillet, premier sur la liste des dix parlementaires inscrits appelé à la tribune par le président Jeanneney, il a expliqué son vote en ces termes : « On nous demande de nous suicider, je ne me suicide pas ». Il a été aussi le seul à pouvoir le faire sous les cris hostiles d'une assemblée qui a réclamé la clôture du débat et un vote immédiat. En septembre 1944, Alfred Margaine a été coopté pour siéger au Comité départemental de libération nationale de la Marne élargi]. BOUSQUET a cependant été maintenu à son poste dans la Marne. Au moment de l'évacuation puis lors du retour de l'exode, le préfet JOZON, pour le moins dépassé par les événements, a laissé son secrétaire général BOUSQUET prendre toutes les initiatives qu'il estimait nécessaires. C'est peu après le passage de BOUSQUET à Vichy, le 10 juillet 1940, qu'une note manuscrite, rédigée par INGRAND (28) ou qui lui était destinée, le classait parmi les hauts fonctionnaires « capables de présenter une volonté nouvelle » et donc susceptibles d'être promus au rang de préfet (29). Le 17 septembre 1940, le maréchal PÉTAIN, chef de l'État français, a signé le décret qui, sur proposition du ministre de l'Intérieur PEYROUTON, a nommé René BOUSQUET préfet de troisième classe à la tête du département de la Marne, en remplacement du préfet JOZON admis à faire valoir ses droits à la retraite (30). Cette promotion sur place a été annoncée aux Marnais par L'Éclaireur de l'Est en termes chaleureux : « Nous
avons appris avec plaisir la nomination comme préfet de la
Marne de M. Bousquet qui remplissait avec une compétence
éclairée, un dévouement sans borne et un sens très net des besoins
de notre population marnaise, les fonctions de secrétaire
général de la préfecture de la Marne. À 31 ans, BOUSQUET devenait à la faveur du mouvement préfectoral le plus important que la France ait connu depuis 1870, le plus jeune préfet de France à une époque où l'âge moyen d'entrée dans la fonction dépassait 45 ans (32). Parmi les 170 préfets promus sous et par Vichy, il faisait partie de la centaine de préfets qui, appartenant au cadre des secrétaires généraux et des sous-préfets de la Troisième République, ont accepté de se mettre au service de la Révolution nationale (33). Le 2 novembre 1940, une circulaire adressée aux préfets par PEYROUTON pour préciser ce que le régime de Vichy attendait de ces hauts fonctionnaires, éclairait bien dans quel contexte est intervenue la nomination de BOUSQUET : « Maintenant,
par la difficulté des communications – surtout pour ceux qui
sont en zone occupée – vous devez être des hommes d'initiative. Le 28 août 1941, René BOUSQUET a reçu les pouvoirs de préfet régional avec juridiction sur les départements de la Marne, de la Haute-Marne et de l'Aube constituant la région de Châlons-sur-Marne. En publiant l'information, L'Éclaireur de l'Est ne cachait pas sa satisfaction « de voir notre jeune et intelligent préfet appelé à exercer son intarissable activité sur trois départements » (35). Ces promotions rapprochées,
dans le même département, par des gouvernements successifs,
d'abord sous la Troisième République, puis sous le régime
de Vichy, d'un poste de sous-préfet à celui de préfet
régional, révélaient une étonnante
continuité que n'expliquaient pas à elles
seules les qualités personnelles et la compétence de René BOUSQUET. Les liens que ce dernier avait tissés avant-guerre avec des personnalités
politiques que l'on retrouvait à Vichy dès
l'été 1940 à des postes de responsabilité
importants, mais aussi la capacité qu'avait eu BOUSQUET à s'imposer rapidement aux notables marnais comme l'homme
providentiel, y ont sans doute aussi été
pour beaucoup. Le caractère exceptionnel de cette irrésistible ascension au sein de la préfectorale
dans le département de la Marne, se trouvait renforcé
par les promotions sur place de
deux de ses collaborateurs les plus immédiats, Jean
LEGUAY et Richard POUZET,
qui se sont succédés dans les fonctions de sous-préfet de Vitry-le-François, puis de secrétaire
général de la préfecture de la Marne, postes occupés avant eux
par BOUSQUET lui-même. [Secrétaire général de la Marne, Richard Pouzet était en contact avec la résistance marnaise, et couvrait la fabrication à la préfecture de faux papiers d'identité destinés aux prisonniers évadés et aux réfractaires du STO, qu'il aidait à échapper aux réquisitions de main d'œuvre. Il a encouragé le préfet Bousquet, dont il était un des principaux collaborateurs à la préfecture, à protéger les élus républicains, les francs-maçons et les juifs. Mis en disponibilité par le gouvernement de Vichy en février 1944, il a été pressenti pour exercer les fonctions de préfet de la Libération dans la Marne. Arrêté le 4 août 1944 par la Gestapo pour son activité de résistant, il a fait partie d’un transport qui est parti de Pantin le 15 août 1944 et qui est resté bloqué dans un tunnel bombardé par l’aviation alliée. Les déportés ont été transférés dans un autre train que la résistance a essayé en vain de stopper le 17 août 1944 près de Dormans. Richard Pouzet a décrit dans le détail et avec émotion la traversée du département de la Marne. Arrivé le 20 août à Buchenwald, où il a reçut le matricule 77 061, il a ensuite été transféré à Dora, et a été affecté à des travaux de terrassement au kommando d’Ellrich. Au début d'avril 1945, il est évacué lors d'une marche de la mort à Ravensbrück, puis le 28 avril dans une baraque de l'usine d’explosifs chimiques de Malchow, où il a été libéré le 2 mai 1945. Rapatrié en France dans un état d'extrême faiblesse, il a été soumis à une longue convalescence avant de poursuivre sa carrière dans la préfectorale. En août 1945, alors qu'il se reposait chez lui à Rochefort-sur-Mer, il a été entendu comme témoin à la demande de René Bousquet inculpé devant la Haute Cour de Justice. Sa déposition, très favorable à l'ancien préfet de la Marne, dressait un tableau élogieux de l'action de Bousquet dans la Marne de 1940 à 1942. Après la guerre, il a repris du service, comme préfet de la Mayenne, préfet de la Sarthe, puis comme secrétaire général de la Seine, et il est devenu vice-président de l'assemblée du Corps préfectoral. Son témoignage, publié dès 1946 sous le titre Dora-Propos d'un bagnard à ses enfants, a reçu le prix Louis Paul Miller de l’Académie française en 1950]. [Nommé préfet de l'Orne après le limogeage de Bousquet en décembre 1943, Jean Leguay a été suspendu à la Libération, puis révoqué en 1945, et finalement réintégré dans le corps préfectoral en 1955. Inculpé de crimes contre l'humanité en 1979, il est décédé en 1989 avant d'avoir été jugé, mais l'ordonnance du juge d'instruction constatant l'extinction de l'action publique précise clairement dans un de ses attendus : « L'information a permis d'établir à l'encontre de Leguay Jean sa participation à des crimes contre l'humanité commis en juillet, août et septembre 1942 ».] Le
moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a dans la carrière
de ces trois hauts fonctionnaires des convergences et des solidarités qui ne
relèvent pas de pures coïncidences. Tout semble indiquer que BOUSQUET disposait depuis son passage dans les cabinets ministériels
d'avant-guerre, de solides appuis et protections
au ministère de l'Intérieur (37),
et qu'il pouvait faire promouvoir tout en
les conservant auprès de lui, des fonctionnaires
dont il appréciait la compétence et dont il avait
fait de fidèles collaborateurs. En
1990, René BOUSQUET m'a déclaré qu'il ne voyait rien d'exceptionnel à ces promotions et les expliquait
par le fait qu'il faisait l'affaire,
qu'il faisait bien son travail là où il était,
qu'il était efficace, avec une compétence qui lui a
toujours été reconnue : « J'avais
la réputation d'être quelqu'un qui était efficace.
Toute ma vie, on a passé son temps à me mettre la barre
de plus en plus haut [...] » (38). Vichy et le Secrétariat général à le Police D'ailleurs, malgré les liens très forts qu'il avait noués avec la Marne et avec les Marnais, et quelles qu'aient pu être alors ses hésitations (41), BOUSQUET a accepté de rejoindre LAVAL à Vichy en avril 1942 au poste de secrétaire général à la Police, un poste de responsabilité hautement sensible considéré à l'époque comme l'équivalent d'un poste ministériel (42) et qui représentait incontestablement pour ce jeune préfet de 32 ans, une promotion exceptionnelle. En 1945, dans une note rédigée à la prison de Fresnes à l'intention de Pierre LAVAL dont le procès avait commencé, BOUSQUET a écrit à l'ancien chef du gouvernement de Vichy de ne pas manquer de rappeler devant la Haute Cour de Justice dans quelles conditions ce dernier l'avait appelé auprès de lui en 1942. Selon BOUSQUET qui semblait considérer que cette évocation pourrait servir la défense de LAVAL, mais aussi et peut-être surtout sa propre défense, la confiance que ce dernier lui avait alors accordée en le nommant à la tête du secrétariat général à la Police ne s'expliquait pas uniquement par les sentiments personnels qui liaient les deux hommes depuis son passage avant-guerre dans les cabinets ministériels. Elle pouvait se justifier aussi, écrivait BOUSQUET, « pour des raisons politiques » et « pour des raisons administratives » : « Vous
connaissiez mes sentiments républicains [...] En 1987, BOUSQUET expliquait sa nomination par LAVAL au poste de secrétaire général à la Police, en me déclarant qu'il avait été impressionné par l'activisme et les menaces de DORIOT (44) – lequel, de passage à Reims le 9 avril, avait annoncé à ses militants qu'il allait être nommé ministre de l'Intérieur et liquider tous les ténors du Front populaire – et qu'il s'était laissé finalement convaincre par LAVAL à la suite d'un entretien téléphonique et d'une rencontre avec lui à Paris, parce que ce dernier lui aurait expliqué qu'il avait besoin de lui pour contrer la Révolution nationale (sic) : « Laval
était resté de sensibilité de gauche, socialisante. C'est donc bien en avril 1942 qu'a basculé le destin de René BOUSQUET lorsqu'il a accepté de quitter la préfecture de la Marne pour rejoindre LAVAL et CATHALA à Vichy, sans doute autant par fidélité à des liens noués avec eux avant-guerre, que par ambition personnelle, soif de pouvoir, et avec une foi sans mesure dans ses capacités. |