René Bousquet ou le grand arrangement
À propos du film René Bousquet ou le grand arrangement

Mes premiers contacts avec Pierre Beuchot et Antoine Desrosières en 2005

Mes réponse à leurs questions concernant mon entretien avec Bousquet en 1987 et les liens qu'il avait tissés dans la Marne

Mes rapports avec la production du film

La présentation du film au FIPA en janvier 2007

La présentation du film au Centre national du du cinéma en avril 2007

La diffusion du film sur les chaînes de télévision

La DVD-vidéo édité par Art

La présentation du film au 12e Festival international du film sur la Résistance à Nice

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Mes premiers contacts avec les coscénaristes
Pierre Beuchot et Antoine Desrosières en 2005

   À la suite d'un coup de téléphone de Pierre BEUCHOT, réalisateur en 1992 de L'Hôtel du Parc, m'informant qu'il travaillait à l'écriture d'un projet de téléfilm de fiction pour Arte sur René BOUSQUET, et qu'il souhaitait recueillir mon témoignage, son coscénariste, Antoine DESROSIÈRES m'a envoyé un mél le 25 mai 2005 dans lequel il me disait qu'ayant déjà eu « l'occasion de dialoguer sur ce projet avec Pascale Froment et Éric Conan », il me demandait de bien vouloir répondre à un long questionnaire.
   Cette requête m' a amené à rassembler et à trier tout ce que j'avais pu accumuler au cours de mes recherches sur l'ancien préfet de la Marne, ainsi que les notes que j'avais prises pendant et tout de suite après mes entretiens avec BOUSQUET chez lui, à son domicile parisien en 1987, puis au téléphone en 1990.
    J'en ai fait une compilation que l'on retrouve presqu'in extenso dans mes réponses aux questions posées par Antoine DESROSIÈRES dans une lettre que j'ai fait parvenir le 27 mai 2005 aux deux scénaristes.

Mes réponses à leurs questions concernant mon entretien avec Bousquet en 1987
et les liens qu'il avait tissés dans la Marne

En vert : questions d'Antoine Desrosières
En brun : réponses de Jean-Pierre Husson
Entre crochets et en noir : précisions et mises au point ajoutées ultérieurement à ce dossier par Jean-Pierre Husson
Les liens en bleu renvoient à des extraits de ma thèse de doctorat
actualisés et complétés en 2022 à l'occasion de la publication chez Fayard du Procès Bousquet, ouvrage préfacé par Robert BADINTER.

Antoine DESROSIÈRES

       Cher Monsieur,

   Vous avez parlé récemment au téléphone avec Pierre Beuchot qui vous a dit qu'il travaillait actuellement à l'écriture d'une projet de téléfilm de fiction pour Arte sur René Bousquet.
   Je suis son coscénariste.
   Nous avons déjà eu l'occasion de dialoguer sur ce projet avec Pascale Froment et Eric Conan.

Jean-Pierre HUSSON
   J'ai rencontré Éric Conan, puis Pascale Froment, lorsque l'un et l'autre travaillaient sur des projets de biographie de René Bousquet, dont j'ai compris après coup qu'ils étaient concurrents. Éric Conan m'a contacté par téléphone le 27 juin 1990. Je l'ai reçu à mon domicile de Reims, le 29 juin. Il avait en projet de réaliser une biographie de René Bousquet, et il m'a demandé si éventuellement j'étais disposé à collaborer à ce projet pour la partie marnaise de l'itinéraire de Bousquet. Je me rappelle qu'à l'époque je n'avais pas encore soutenu ma thèse de doctorat sur laquelle je travaillais tout en continuant d'enseigner dans mon lycée [le lycée Clemenceau de Reims], et que je lui ai dit que je n'avais pas assez de disponibilité pour me lancer dans ce travail.
   Il a déjeuné à la maison et nous avons pu échanger assez longuement des informations sur Bousquet.
   En 1991, il m'a fait parvenir un exemplaire dédicacé de son ouvrage publié chez Grasset Sans oublier les enfants, et m'a relancé au téléphone pour me demander de travailler avec lui à une biographie de Bousquet, mais j'ai refusé de m'engager parce que j'étais le dos au mur, compte tenu des délais qui m'étaient imposés pour la soutenance de ma thèse. Celle-ci ne constituait pas un enjeu de carrière, puisque je n'envisageais pas de quitter mon lycée, mais je voulais voir aboutir ma très longue immersion dans les archives marnaises de la Seconde Guerre mondiale (archives du préfet, archives policières, archives judiciaires en particulier) auxquelles j'avais eu accès par dérogation, grâce à mon statut de correspondant départemental du Comité d'histoire de la 2e guerre mondiale, puis de l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP).

  Éric CONAN,
   " La vraie vie de René Bousquet ", L'Express, 28 septembre 1990 ; 
   - " Que faire de Vichy ? " ( avec Daniel LINDENBERG ), Esprit, n° 181, mai 1992
 ;
   - Sans oublier les enfants. Les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande 19 juillet
   - 16 septembre 1942
, Paris, Grasset, 1991 ; Livre de poche, Paris, LGF, 2006
.

   Quant à la biographe de Bousquet, Pascale Froment, je crois qu'elle a été mise sur ma piste par Claude Durand, PDG de Fayard et de Stock, qui lui-même était en relation avec les journalistes du service " Enquêtes " du Nouvel Observateur.  Elle avait signé chez Stock pour une biographie de René Bousquet.  Or, de son côté, Éric Conan avait signé chez Fayard, mais, m'a-t-elle dit, sans préciser que c'était aussi pour une biographie de René Bousquet.
   Début juin 1990, Serge Raffy et Marie-France Etchegoin avaient été alertés par Jean-Noël Jeanneney, qui devait présider une séance du colloque Le régime de Vichy et les Français  à Paris les 11, 12 et 13 juin, qu'une communication sur Bousquet figurait sur le programme du colloque. Dès le 8 juin 1990, une journaliste pigiste du Nouvel Observateur, Sabine Guez, était venue me voir à mon domicile de Reims pour parler de Bousquet et m'avait demandé si j'acceptais de venir en parler au siège de l'hebdomadaire à Paris. Cette rencontre avait eu lieu le 13 juin 1990, et d'emblée je leur avais appris que René Bousquet était un vieil abonné et un fidèle lecteur du Nouvel Observateur, ce qui les avait ébranlés, mais qu'ils ont pu immédiatement vérifier.
   C'est seulement en 1993 que Pascale Froment a pris contact avec moi par téléphone. Nous avons convenu de nous rencontrer à Reims le 8 juin 1993, le jour même où Bousquet a été assassiné à son domicile parisien. Elle a appris l'assassinat de Bousquet en gare de l'Est, alors qu'elle s'apprêtait à prendre le train pour Reims. Elle m'a téléphoné pour me dire qu'elle devait remettre son voyage à Reims, alors que moi-même je venais d'être informé du décès de Bousquet par un coup de téléphone de la télévision régionale qui m'invitait à venir commenter l'événement à leur journal de 12 heures 30.
   Le 16 juin Pascale Froment est venue à Reims et m'a posé beaucoup de questions sur l'itinéraire de Bousquet Bousquet dans la Marne, auxquelles j'ai répondu de mon mieux.  Elle m'a écrit et m'a téléphoné à plusieurs reprises jusqu'en décembre 1993 pour me poser quelques questions complémentaires. Elle m'a tenu au courant de l'avancement de son travail jusqu'à la publication de René Bousquet chez Stock en 1994 et m'a fait parvenir un exemplaire dédicacé :
   « Pour Jean-Pierre Husson, en espérant avoir rendu hommage à ses travaux si précieux. Bien amicalement. »

   L'ouvrage de Pascale FROMENT, reconnu comme un ouvrage de référence, a fait l'objet d'une nouvelle édition revue et augmentée, publiée dans la collection " Pour une histoire du XXe siècle" chez Fayard en 2001.

 

   J'ai également rencontré peu de temps après Pierre Péan venu présenter au Cercle Colbert à Reims, son livre Une jeunesse française. François Mitterrand 1934-1947 publié chez Fayard en 1994.   Il m'a signé cette dédicace : « Pour Jean-Pierre Husson, Une jeunesse française qui a croisé peut-être " son " personnage ... [allusion à Bousquet] Il reste à comprendre pourquoi les deux personnages ont poursuivi leurs relations après 81. En respectueuse sympathie  ».

   La même année, Fayard éditait Vichy, un passé qui ne passe pas d'Éric Conan et Henry Rousso, qui me faisaient parvenir un exemplaire dédicacé :
   -  « Pour Jean-Pierre Husson qui sait ce qu'il en est des rapports entre la mémoire et l'histoire. En souvenir de ce que nous aurions pu faire ensemble. Bien amicalement. Éric Conan ».
   - « Avec mon meilleur souvenir et dans l'attente d'une... collaboration prochaine sur d'autres sujets qui ne " passent " pas. Amicalement. Henry Rousso ».

Antoine DESROSIÈRES
    La période que nous avons choisie de suivre est celle qui va de 1978 à 1993.
   C'est donc la période où vous l'avez rencontré.
   Nous avons lu vos travaux. Cependant, quelques questions plus conjoncturelles demeurent que nous aimerions vous poser.
   Accepteriez vous d'y répondre par mail ?
   Comment l'avez vous approché ? Par lettre, par téléphone... ?

Jean-Pierre HUSSON
   En mars 1987, mon directeur de thèse, Maurice Vaïsse m'avait demandé de présenter une communication sur la mise en place en Champagne par Bousquet de la politique régionale de Vichy, au colloque " La Champagne et ses administrations à travers le temps ». À cette occasion, il m'a incité à recueillir le témoignage de René Bousquet et m'a donné l'adresse à Neuilly d'un assistant d'histoire contemporaine à Paris IV, Pierre Bousquet, qui était, selon lui, le fils de René Bousquet. J'ai écrit le 3 mars 1987 à Pierre Bousquet pour lui demander si son père accepterait de me recevoir. Par retour du courrier, il m'a répondu qu'il s'agissait d'une « tragique méprise » et que ma lettre venait de raviver « un très douloureux souvenir ». Son père n'était pas René Bousquet, mais Charles Bousquet, un homonyme, victime six ans auparavant par confusion avec René Bousquet d'une agression qui l'avait laissé infirme. Je suis alors reparti par moi-même sur les traces de René Bousquet, que j'ai retrouvées dans l'édition 1973-1974 du Who's Who. L'adresse indiquée dans le Who's Who correspondait bien dans l'annuaire consulté par minitel à celle d'un René Bousquet résidant à Paris 34, rue Raphaël dans le 16e arrondissement.   Il n'était donc pas sur liste rouge.

Antoine DESROSIÈRES
   Que lui aviez vous dit pour le convaincre de vous recevoir ?
   Quels étaient vos arguments ?

Jean-Pierre HUSSON
   Le 4 avril 1987, je lui ai envoyé une lettre à cette adresse dans laquelle je flattais il est vrai un peu son ego, en faisant allusion à son brillant et exceptionnel itinéraire  (Légion d'honneur à 20 ans, chef de cabinet d'un préfet à 21 ans, le plus jeune préfet de France à 31 ans, qui avait été successivement dans le département de la Marne, sous-préfet de Vitry-le-François, secrétaire général puis préfet de la Marne, enfin préfet de la région de Champagne), et je lui ai demandé s'il acceptait de me rencontrer pour parler de cet itinéraire marnais et champenois sur lequel je travaillais depuis une dizaine d'années, et de mon projet de communication au colloque La Champagne et ses administrations dont l'intitulé était « René Bousquet : une préfet de la région de Champagne à l'époque de Vichy ( 1941-1942 ) ».
   Pas de réponse à cette lettre.

Antoine DESROSIÈRES   
    Comment vous a-t-il répondu ?
    Vous a-t-il répondu spontanément ou avez-vous dû revenir vers lui ?
    A-t-il posé des conditions pour vous rencontrer ?
    Vous a-t-il demandé vos questions au préalable ?

Jean-Pierre HUSSON
   Le 4 mai 1987 au matin, René Bousquet m'a téléphoné chez moi à Reims pour me dire que, venant de subir une intervention chirurgicale aux yeux, il n'avait pas pu prendre immédiatement connaissance de ma lettre et encore moins y répondre.
   Il m'a dit qu'il refusait tout entretien avec les journalistes et les historiens, mais que s'agissant de son action dans la Marne et des liens qu'il y avait tissés, il accepterait peut-être de me recevoir.
   Il m'a demandé des informations complémentaires au sujet du colloque dans lequel je devais intervenir.
   Je lui ai précisé que ce colloque se tiendrait à Reims les 4 et 5 juin 1987, et le 6 juin à Châlons-sur-Marne, capitale régionale, où je devais présenter son action à la tête de la préfecture régionale en 1941-1942.
   Il m'a fait bien entendre qu'il ne s'agissait en aucune façon d'évoquer le rôle qu'il avait pu jouer comme secrétaire général à la Police à partir d'avril 1942.
   Il m'a déclaré qu'il me rappellerait le 15 mai, et que si l'évolution de sa santé le permettait, il me fixerait alors un rendez-vous chez lui à Paris.
   Le 15 mai, René Bousquet m'a rappelé pour me dire qu'il acceptait de me recevoir dans son appartement parisien, le samedi 30 mai à 16 heures, que son immeuble 34, avenue Raphaël jouxtait l'ambassade d'Afghanistan, que je trouverais sans difficulté.
   Je n'aurais qu'à appuyer sur la sonnette correspondant aux initiales RB. Il m'ouvrirait.

Antoine DESROSIÈRES
   Vous a t il reçu seul ?

Jean-Pierre HUSSON
   Il était seul.
   René Bousquet m'attendait.
   Lorsque j'ai sonné chez lui, il m'a immédiatement dit à l'interphone  : « Montez. Prenez l'ascenseur. C'est au 6e étage ».
   Il m'attendait à la sortie de l'ascenseur, devant la porte de son appartement [à l'endroit où il a été assassiné par Didier en 1993], un appartement récent, cossu, spacieux [salon double, bureau et terrasse-loggia large et verdoyante, donnant sur le Bois de Boulogne], appartement richement meublé avec des meubles de style.
   Madame Bousquet aurait été plus ou moins  antiquaire, ou en tout cas s'intéressait aux meubles de style.

Antoine DESROSIÈRES
    Combien de temps vous a t il accordé ?

Jean-Pierre HUSSON
   Notre entretien a duré de 16 heures à 20 heures 45.
   Par deux fois son fils Guy l'a appelé au téléphone : « Tout va bien… Je suis occupé… Au revoir mon petit… ».

Antoine DESROSIÈRES
   Quelle impression vous a t il fait humainement ?
   Dans quel état était il ?

Jean-Pierre HUSSON
   Il vivait seul, m'a-t-il dit, dans cet appartement depuis le décès de son épouse, avec son chien berger-allemand.
   Il était âgé de 78 ans.
   Il portait un costume gris à lignes au-dessus d'une chemise ouverte sans cravate.
   ll fumait.
   Il m'a conduit dans une pièce  et m'a fait asseoir devant son bureau derrière lequel il s'est installé.
   Son chien est venu s'allonger à mes pieds et s'est assoupi.
   Autour de nous des piles de Nouvel Observateur et du Matin de Paris qui ne semblaient pas avoir été amenées là dans une mise en scène.
   Je lui ai demandé si je pouvais enregistrer notre entretien.
   Il me l'a formellement interdit.

Antoine DESROSIÈRES   
   Quelles étaient, d'après vous, ses préoccupations à cette époque ?
   Votre conversation s'est-elle étendue au delà du sujet ?
   Avez-vous senti une faille dans le personnage ? Des doutes ? Si oui, lesquels ?

Jean-Pierre HUSSON
   Au début de notre entretien, il semblait décontracté.
   Il m'a parlé longuement de ses problèmes de santé, de son opération aux yeux.
   Il ne voyait plus tout ce qui était proche.
   Il utilisait une énorme loupe pour lire, ce qui le fatiguait beaucoup.
   Il se montrait sûr de lui, persuadé encore qu'il était intouchable, et affichant une grande sérénité. [L'instruction concernant il est vrai Jean Leguay s'enlisait et celle qui visait Maurice Papon venait d'être annulée pour vice de forme  par la Cour de cassation].

   Bousquet avait devant lui, posé ostensiblement sur son bureau, la photocopie du jugement de la Haute Cour de Justice qui l'avait blanchi en 1949, « un jugement sans appel, sur lequel on ne peut revenir », insista-t-il.
   Il m'avait pourtant dit au téléphone qu'il refuserait d'en parler.
   Il m'a déclaré que c'était la seule pièce qu'il conservait chez lui, mais qu'il avait constitué un dossier important sur lequel il travaillait, qu'il avait de quoi publier un ouvrage de 300 pages, mais plus tard, dans quelques années.
   Il pouvait en outre compter sur de solides amitiés dans tous les milieux y compris « à l'Élysée et au niveau le plus élevé », sans toutefois citer le nom de  François Mitterrand.
   Il ne s'inquiétait pas de l'action menée contre lui par Serge Klarsfeld, qu'il considérait comme celle d'« un agité, manipulé par le lobby juif américain » (sic).

Antoine DESROSIÈRES
   L'avez-vous déstabilisé par vos questions ?
   Comment réagissait-il dans ce cas là ?
   Esquivait-il ? Argumentait-il ? Se justifiait-il ? Était-il convaincant ?

Jean-Pierre HUSSON
   J'ai eu beaucoup de difficultés à lui poser les questions précises que j'avais préparées, parce qu'il reprenait constamment l'initiative de l'entretien et se lançait dans d'interminables digressions.
   Tantôt, il prenait un ton bienveillant de confident, tantôt il se faisait menaçant, laissant entendre qu'il pourrait faire des révélations susceptibles de mettre en difficulté un certain nombre de personnes, y compris dans la Marne.
   « Je vais vous faire une confidence. Je refuse systématiquement de recevoir journalistes et historiens, mais votre lettre m'a plu et j'ai décidé de faire pour vous une exception ».
   L'évocation par moi de certains aspects de son itinéraire, comme par exemple ses mérites personnels tant vantés par les Marnais, le mettait en colère : « Vous n'allez pas écrire cela », « Cela ne présente aucun intérêt », ou encore son implication dans la répression anticommuniste qu'il récusait avec véhémence.
   Il m'engueulait alors, puis redevenait aussitôt amical : « mon  cher ami… mon cher…».
   Il m'a parlé longuement de sa famille, de ses grands-parents d'origine aveyronnaise et modeste, de son père notaire, militant radical-socialiste, épuré par Vichy, arrêté par les Allemands en 1944, en même temps que Monseigneur Théas, Max Bonnafous, et Albert Sarraut.
   Il a à plusieurs reprises évoqué sa sensibilité radicale-socialiste et son attachement à la République, son refus du sectarisme, son aptitude à admettre, à reconnaître, à écouter tous les points de vue de la droite aux communistes, à l'exclusion de l'extrême droite. il a rappelé son engagement contre La Gagoule.
   Il n'a pas nié ses liens avec les francs-maçons tout en affirmant qu'il ne l'était pas lui-même, et en justifiant la présence de nombreux francs-maçons parmi ses amis et collaborateurs qu'il a protégés, par le fait qu'il les choisissait non pas parce qu'ils étaient francs-maçons, mais parce qu'ils étaient les meilleurs.
   Plusieurs fois il a perdu le fil de son discours ; « Qu'est-ce que je vous disais… Qu'est-ce que je voulais vous dire… Je ne sais plus ».
   À la fin de notre entretien, il semblait épuisé. Son visage avait changé.

Antoine DESROSIÈRES
   En quels termes êtes-vous restés par la suite ?

Jean-Pierre HUSSON
    Le 15 juin 1987, j'ai écrit à René Bousquet pour le remercier d'avoir accepté de me recevoir et en joignant à cette lettre le texte de la communication que j'avais présentée le 6 juin lors de la séance de clôture du colloque La Champagne et ses administrations, en lui précisant que cette séance s'était déroulée dans la salle du conseil général située dans les bâtiments de la préfecture qu'il connaissait bien.
   Je lui disais que j'aimerais recueillir ses impressions avant de donner mon manuscrit à l'éditeur, et que je lui ferais parvenir un exemplaire des actes du colloque dès leur publication.
   Pas de réponse.

   Antoine DESROSIÈRES
   Avez-vous eu des contacts avec lui entre 1987 et 1990 ?
   Lesquels ?

Jean-Pierre HUSSON
    Non, aucun.

Antoine DESROSIÈRES
   A-t-il eu l'occasion de lire des étapes de vos travaux ?
   
Comment a-t-il réagi ?

Jean-Pierre HUSSON
   Oui, mais plus tard, au cours d'entretiens téléphoniques en 1990.

   Antoine DESROSIÈRES
   En 1990, quand il a refusé de vous recevoir, comment l'a-t il-justifié ?
   Vous a-t-il spontanément accordé du temps au téléphone ou êtes-vous juste parvenu à prolonger une conversation téléphonique qu'il ne souhaitait pas ?

Jean-Pierre HUSSON
   Le 19 mars 1990, j'ai écrit à nouveau à René Bousquet pour l'informer que la publication des actes du colloque de 1987 avait pris beaucoup de retard, mais que dès leur publication aux éditions de La Manufacture prévue en avril 1990, je lui en ferai parvenir un exemplaire.
   Dans cette même lettre, je l'ai informé que je venais d'être sollicité par l'Institut d'histoire du temps présent pour présenter une communication au colloque international  Le régime de Vichy et les Français organisé à Paris par ce laboratoire du CNRS, sous le titre " Itinéraire d'un haut fonctionnaire : René Bousquet ", et que j'aurais aimé pouvoir le rencontrer à nouveau avant ce colloque.
   Le 3 avril 1990, vers 20 heures, René Bousquet m'a téléphoné.
   Bonne voix.
   Je mets l'écoute amplifiée pour prendre plus facilement des notes avec l'aide de mon épouse.
   Il a bien reçu ma lettre datée du 19 mars 1990 et aussi celle du 15 juin 1987.
   Il n'y a pas répondu à l'époque à cause de ses problèmes de santé.
   Menace de cancer décelée en 1988, suivie de nombreux examens de contrôle.
   Opération réussie en 1989 ; menace de cancer écartée, mais nombreuses obligations de vérifications constantes et traitement contraignant.
   Il ne reçoit plus personne, à l'exception de son fils et de son frère.
   Il a bien lu ma communication de 1987.
   Il a constaté qu'un certain nombre de points m'avaient échappé.
   Il ne m'en fait pas grief : « Vous êtes jeune… Vous n'avez pas connu cette période… Vous ne pouvez pas savoir... ».
   Il affirme qu'il n'a pas adhéré à la Révolution nationale, qu'il a conservé jusqu'au bout un buste de Marianne dans son bureau de la préfecture de Châlons-sur-Marne, et qu'il n'a laissé que des bons souvenirs dans la Marne.
   Précipitamment, il abrège la communication.
   « Allô. Je vous entends mal…. Vous essayez de m'enregistrer… Vous êtes sur écoute… Je ne vois pas ce que je viens faire dans ce colloque sur le régime de Vichy et les Français… Je suis fatigué… Je vous quitte… Je vais aller me coucher… ».
   J'ai tout juste le temps de lui dire que je vais lui écrire en lui laissant la liberté de me répondre ou de me rappeler au téléphone.
   Il raccroche.

Antoine DESROSIÈRES  
    Quels étaient les éléments nouveaux que vous souhaitiez obtenir par cette nouvelle conversation ?

Jean-Pierre HUSSON    
   Je souhaitais recueillir ses réactions au texte de ma communication de 1987, et lui soumettre en même temps mon projet de communication au colloque Vichy et les Français que je lui ai fait parvenir par courrier le 17 avril 1990.
   En même temps, j'étais curieux de constater dans quel état d'esprit il se trouvait après la mort en 1989 de Jean Leguay, qui avait conduit Serge Klarsfeld et plusieurs associations à réclamer son inculpation pour crime contre l'humanité, au moment où on commençait à envisager l'hypothèse d'un second procès, éventualité que Bousquet avait toujours récusée, en se réfugiant derrière le jugement, selon lui, sans appel possible, de la Haute Cour de Justice.

Antoine DESROSIÈRESE
    Qu'avez-vous de fait obtenu de plus qu'en 1987 ?

Jean-Pierre HUSSON
   Rien de plus, d'autant qu'au cours de l'appel téléphonique qui a suivi, il ne m'a pas autorisé à lui poser des questions. Il voulait seulement me faire part d'un certain nombre de remarques qui, pour la plupart, reprenaient l'argumentaire de sa défense devant la Haute Cour de Justice en 1949.
   Le 22 avril 1990, René Bousquet m'a appelé au téléphone et m'a longuement parlé pendant une heure, de 17 heures 45 à 18 heures 45. Au début de cet entretien, il avait une voix bien assurée, mais il a vite fatigué, perdant le fil de ce qu'il voulait dire, passant d'un sujet à l'autre, revenant en arrière. Au fur et à mesure que l'entretien s'est poursuivi à son initiative [je n'ai pratiquement pas pu en placer une], je l'ai senti de plus en plus fatigué. Sa respiration devenait difficile, haletante.
   Il m'a déclaré à plusieurs reprises qu'il était fatigué, qu'il allait se coucher, qu'il devait mettre fin à notre entretien, mais il continuait à parler, à parler encore, et c'est moi qui lui demandai, sur un signe de mon épouse, Jocelyne, qui l'écoutait avec moi, de s'arrêter, de souffler un peu.   J'avais mis l'écoute amplifiée, et j'ai pris des notes.
   Dès le début de la communication téléphonique, René Bousquet s'est étonné du fait que j'aborde l'étude de son itinéraire de haut-fonctionnaire dans le cadre d'un colloque sur Le régime de Vichy et les Français, comme si, bien qu'ayant exercé les fonctions de préfet puis de secrétaire général de la Police de 1940 à fin 1943, il ne voulait pas être assimilé à ce régime qu'il avait cependant servi.
   Voici, réorganisées et retranscrites aussitôt après cet entretien téléphonique à partir de mes notes, les déclarations de René Bousquet :

1/ René Bousquet et les frères Sarraut, Maurice et Albert
   Il récusait les propos de l'historien Fred Kupferman, faisant état dans son ouvrage sur Laval de liens de parenté entre son père et les Sarraut.
   « Mon père n'a jamais rencontré Maurice Sarraut. Il le connaissait comme étant un responsable du parti radical-socialiste dans le Sud-Ouest, mais sans l'avoir approché. Moi-même, je ne connaissais pas Albert Sarraut. Je l'ai rencontré pour la première fois aux obsèques de son frère Maurice, assassiné par la Milice en décembre 1943. Je l'ai rencontré à nouveau après la guerre, à Saïgon, lors d'une réception, à l'époque où De Lattre était gouverneur de l'Indochine. J'avais fait connaissance de Maurice Sarraut après les inondations de 1930 ».

2/ René Bousquet, chef de cabinet du préfet du Tarn et Garonne
   Il récusait pour ce qui le concernait le fait d'avoir été nommé par parrainage.
   « À la vérité, en 1929, je faisais l'affaire du préfet du Tarn-et-Garonne, parce que nous avions eu une conversation avec le président des anciens élèves du lycée de Montauban. Je pensais y aller pour deux ou trois ans, pour voir comment cela se passait dans les administrations ».


Les débuts de Bousquet dans la préfectorale

3/ Le passage de René Bousquet dans les ministères avant-guerre
  « Ce qui est important… J'ai été à Paris au cabinet de Marcel Héraut pendant 5 mois… Monsieur Marchandeau a succédé à Héraut, a hérité du service, y retrouvant avec moi quelqu'un du Sud-Ouest comme lui, pendant 2 mois à 2 mois et demi. Je l'ai retrouvé plus tard dans la Marne où je l'ai soutenu… Je n'étais pas au cabinet de Chautemps ».
   En ce qui concerne les propos de Fred Kupferman rapportant que Bousquet et Cathala auraient été envoyés en 1935 dans le Puy- de-Dôme pour y faire campagne au nom de Laval, René Bousquet m'a dit que c'était « une ânerie ».
   « Monsieur Laval était candidat dans la Seine et le Puy-de-Dôme. Il a été élu dans les deux départements. Il a fait seul sa campagne dans la Seine. Il n'avait pas besoin de faire campagne dans le Puy-de-Dôme. Il s'agissait donc de simples réunions de travail en rapport avec la situation locale… ».
   En ce qui concerne la période du Front populaire, il m'a déclaré qu'à cette époque, il était sous-chef de bureau affecté au directeur général de la Sûreté. « Je n'ai jamais fait de police » (sic).


L'action de Bousquet dans les cabinets ministériels avant-guerre

4/ René Bousquet, sous-préfet de Vitry-le-François
   « En 1938, après Munich, le gouvernement a voulu construire une route pour éviter Vitry-le-François, pour améliorer la liaison routière en direction de Strasbourg. Un arrêté d'Albert Sarraut, ministre de l'Intérieur, a ordonné la destruction de la Porte de Paris [sorte d'arc de triomphe], ce qui a suscité la révolte de la population de Vitry ».
   Il m'a expliqué qu'il a réglé le problème en faisant démonter le monument pierre par pierre.

5/ René Bousquet, secrétaire général de la Marne pendant la drôle de guerre
   Il affirme qu'il a reçu la Croix de guerre pendant l'évacuation, mais qu'en fait, il avait été proposé pour cette décoration avant l'exode, par le général commandant la 6e région militaire, pour son action dans la Marne pendant la « drôle de guerre » et l'aide apportée aux militaires durant cette période.


De la sous-préfecture de Vitry-le-François à la préfecture de la Marne

6/ René Bousquet, préfet de la Marne
   En ce qui concerne ses promotions successives dans la Marne, sur place, il m'a déclaré n'y voir rien de vraiment exceptionnel, et les expliquait par le fait qu'il faisait l'affaire, qu'il était efficace, compétent, une compétence qui lui a toujours été reconnue, y compris après la Seconde Guerre mondiale lorsqu'il a exercé des responsabilités à la Banque d'Indochine, un secteur pourtant dans lequel il n'avait pas été préparé à assumer des responsabilités.
   « J'avais la réputation d'être quelqu'un qui était efficace… Toute ma vie, on a passé son temps à me mettre la barre de plus en plus haut…».
    Il expliquait cette continuité par le hasard, par les circonstances de la guerre et aussi par le fait que les parlementaires et les élus de la Marne appréciaient son action et ont voulu en quelque sorte le garder le plus longtemps possible.


Un préfet zélé de Vichy à la tête du département de la Marne et de la région de Champagne

7/ René Bousquet et la Troisième République
   « C'est vrai, j'ai conservé le buste de la République dans mon bureau de la préfecture de la Marne… La Troisième République est morte à Vichy de la défaite… Moi, j'ai gardé mes convictions, mes tendances, mon attachement à la démocratie républicaine…. Mais le problème de la Troisième République était dépassé… ».

8/ René Bousquet et les francs-maçons
   Il relève que dans ma communication, les francs-maçons reviennent sans cesse.
   « Je traitais les francs-maçons comme les autres. Je ne voulais pas que des gens valables aient des ennuis. J'étais aussi bien avec les catholiques, avec les juifs. Moi je ne faisais pas de clan ».
   « Les Allemands avaient une haine contre la franc-maçonnerie… Poittevin, Muls étaient menacés. Je les ai protégés…. ».

[Vénérable de la Loge maçonnique de Châlons-sur-Marne, Gaston Poittevin avait été avant la guerre secrétaire général puis président du syndicat général des vignerons, ancien conseiller général du canton de Châtillon-sur-Marne et député radical-socialiste de la Marne depuis 1919, battu en 1936. Il a été arrêté par la Gestapo en octobre 1943 et déporté en janvier 1944 à Buchenwald, où il est décédé en mars.
Secrétaire de l'Union locale CGT confédérée (réformiste) et de la Bourse du travail d'Épernay, et aussi conseiller général socialiste de la Marne avant-guerre, Fernand Muls s'est rallié à la Révolution nationale et a adhéré au Rassemblement national populaire, un parti collaborationniste créé par Marcel Déat, ancien député socialiste de la Marne. Il a été nommé conseiller municipal d'Épernay et membre de la Commission administrative, puis du Conseil départemental  de la Marne par le préfet de Vichy, René Bousquet. Dès l'automne 1940, secrétaire de l'Union locale des syndicats ouvriers d'Épernay, il a été l'initiateur, avec le comte Robert de Vogüé, président du Groupement interprofessionnel patronal d'Épernay et de la région, de la première Maison du travail qui regroupait organisations patronales et ouvrières. Ensemble ils ont mis ensuite en place le Centre interprofessionnel et social d'Épernay, qui devint le laboratoire de la mise en œuvre de la Charte du travail. Traduit devant la Chambre civique de la Marne, il a été jugé tardivement en juin 1945, et a été relevé d'indignité nationale « pour participation active à la résistance », selon la formule consacrée pour blanchir les collaborateurs. Ce verdict de clémence pourrait s'expliquer par le fait que Muls aurait protégé et même caché à son domicile, un ou plusieurs résistants qui avaient été ses anciens camarades à la CGT et au Parti socialiste].

   « J'ai nommé Monsieur Sourin, franc-maçon, chef de bureau à la préfecture, non parce qu'il était franc-maçon, mais parce qu'il était le meilleur pour occuper ce poste ».

   [Chef de division à la préfecture de Châlons-sur-Marne, Raoul Sourin a été arrêté en juin 1944 et déporté à Neuengamme comme personnalité-otage. Entendu par le juge d'instruction de la Haute Cour de Justice à son retour de déportation, il a confirmé que Bousquet avait bien protégé les francs-maçons marnais].

   « J'ai maintenu le maire franc-maçon de Châlons-sur-Marne à la tête de sa mairie parce que c'était lui qui était le plus près de la population. »

    [Après le retour de l'exode à l'automne de 1940, Bousquet a maintenu à la tête de la mairie de Châlons-sur-Marne Cléophas Champion qui, malade, a été remplacé ultérieurement par un autre franc-maçon, Georges Bruyère, chef de division à la préfecture, et il a rétabli à la tête de sa mairie de Reims, Paul Marchandeau, qui en avait été chassé par les Allemands. Il a également rétabli à la tête de leurs mairies Lucien Prud'homme, maire de Vitry-le-François, et Gaston Loiselet, maire de Châtelraould, démissionnés d'office par Vichy après la publication au Journal officiel de leurs noms sur une liste de dignitaires francs-maçons. Deux autres maires francs-maçons ont été démissionnés d'office dans la Marne, que Bousquet n'est pas parvenu à rétablir à la tête de leur mairie : Edmond Lesourd, maire de Neuvy, et Henri Martin, maire d'Hautvillers.  Député socialiste de la Marne avant-guerre, Henri Martin était le gendre de Gaston Poittevin, lui aussi dignitaire franc-maçon, démissionné d'office de son poste de conseiller municipal de Cumières, qui tutoyait Bousquet et l'appelait René, et que Bousquet a continué de recevoir à la préfecture en ami].

  «  Lorsque j'étais à Vichy, j'ai dit à Laval que j'étais suivi et surveillé par les hommes de l'amiral Platon. La seule personne que j'ai fait personnellement arrêter et interner, c'est le responsable du Service de surveillance des sociétés secrètes dans la Marne ».

   [Il s'agit de Louis Brassart, délégué départemental du Service des sociétés secrètes, ancien séminariste, surveillant au Collège Saint-Joseph de Reims, qui avait constitué un dossier sur les amitiés francs-maçonnes de Bousquet dans la Marne, et que Bousquet a fait interner au camp de Rouillé en mars 1943].

9/ L'action de René Bousquet dans la Marne :
   - Le Comité interprofessionnel des vins de Champagne :
    « Le CIVC  n'a pas été créé pour faire du dirigisme façon Vichy. C'est dès 1935 que son organisation a été envisagée ».
   René Bousquet m'a déclaré qu'il était parvenu à soustraire aux réquisitions allemandes des quantités importantes de champagne qui, camouflées pendant l'Occupation, ont constitué pour la France, après la Libération, une source importante de devises.

   [J'ai exposé le rôle joué par Bousquet lors de la mise en place du CIVC dans une communication présentée au Colloque international Le vin de Champagne : histoire d'une politique économique des origines à nos jours organisé par l'Institut historique allemand, l'IRCOM et le Centre Roland Mousnier (Université de Paris Sorbonne) à Paris le 24 septembre 2005 ].


Le vin de Champagne à l'épreuve de l'occupation allemande 1940-194
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      - Le camp de prisonniers de Châlons-sur-Marne : 
   « Les prisonniers du camp de Châlons ont presque tous été libérés grâce à des fiches de santé fabriquées, s'appuyant sur de fausses radiographies, pour des raisons de santé, la tuberculose, ou ont pu s'évader… Je travaillais avec Sœur Marie ».

   [Andrée Gasnier, en religion Sœur Marie, supérieure des Filles de la Charité et assistante départementale de la Croix-Rouge, entendue comme témoin à la demande de Bousquet par le juge d'instruction de la Haute Cour de Justice en 1945, a confirmé qu'elle avait pu organiser, avec l'aide de Bousquet et de son épouse, un Centre d'accueil pour les prisonniers de guerre rapatriés.
   644 correspondances adressées par des prisonniers de guerre à Bousquet pour le remercier des cartes et des colis que le préfet de la Marne leur a fait parvenir en septembre-octobre 1941 sont conservées aux Archives départementales de la Marne].

      - L'administration des communes de la Marne : 
   « En 1940, dans la Marne, des maires, des conseillers municipaux étaient prisonniers en Allemagne. Il a fallu compléter les conseils. Je prenais les résultats des élections municipales d'avant-guerre et je rétablissais les maires en fonction, et je complétais en tenant compte des chiffres des élections de 1935 ».

      - L'administration de la Marne : 
   « J'ai essayé de réaliser l'union la plus large possible… sans les communistes… à cause du pacte germano-soviétique.
   Dans la Marne, j'étais l'homme de tout le monde sauf des collaborateurs.
   En 1941, Vichy a attribué une dotation au département pour donner aux œuvres religieuses. La somme reçue à cet effet, je suis allé voir l'évêque pour lui demander de partager avec les laïques ».


Bousquet et les notables marnais

      - René Bousquet et les communistes : 
   « J'étais contre les lois rétroactives. Je n'ai pas inquiété les communistes marnais. Je n'ai pas fait interner de communistes. Des ordonnances allemandes obligeaient certes la justice française à fournir des renseignements à la gendarmerie allemande ».
   Il m'a précisé que la Gestapo était arrivée dans la Marne après son départ et que la répression anti-communiste prenait le plus souvent la forme de représailles après des attentats comme celui de Dijon. « Dans la Marne, nous avons eu le minimum de difficultés »

   [J'ai montré dans ma thèse de doctorat que René Bousquet avait été en réalité un préfet zélé dans la répression anti-communiste, et cela dès le début de l'Occupation].


Bousquet et la politique vichyste d'exclusion et de répression dans la Marne

      - René Bousquet et les résistants : 
   « Quand j'étais dans la Marne, j'avais auprès de moi des gens qui étaient pour la Résistance. De mon point de vue, j'étais du côté de la Résistance…  J'étais surveillé… Tous les gens qui étaient autour de moi dans la Marne ont été déportés… On m'aurait pris avec eux…   Faire de moi le préfet de la Libération, certains l'ont dit à l'instruction… C'est une idée qu'ils avaient quand j'étais dans la Marne ».

   [Plusieurs personnalités de la résistance marnaise ont témoigné en faveur de Bousquet devant la Haute Cour de Justice. Citons Pierre Bouchez, président du Groupement interprofessionnel des syndicats patronaux de Reims, devenu en 1943 le chef départemental des Forces françaises de l'intérieur (FFI), et surtout deux proches de Bousquet, Lucien Paul, directeur des établissements Miele de Châlons-sur-Marne et organisateur du mouvement Ceux de la Libération (CDLL) dans la Marne, et le docteur Paul Lagey, adjoint du chef du mouvement Ceux de la Résistance (CDLR) à Châlons].


Les Marnais témoignent

      - René Bousquet et les socialistes : 
    « Le député socialiste de la Marne à la Libération [Lucien Draveny] qui réside aujourd'hui à Paris me téléphone environ tous les six mois. ».

10/ René Bousquet à Vichy
   « Monsieur Cathala n'a été pour rien dans ma venue à Vichy. Il savait que je voulais rester dans la Marne. C'est Monsieur Laval qui m'a fait venir à Vichy à la suite d'un entretien téléphonique et d'une rencontre avec lui à Paris. Je l'ai expliqué à la Haute Cour… Je ne pensais pas que ce serait aussi terrible… Les ordres venaient d'Hitler... Je ne pouvais pas maîtriser la situation… Pour ne pas échouer, il aurait fallu ramener l'armée allemande à la frontière… ».


Le départ de Bousquet pour Vichy

11/ René Bousquet et la Haute Cour de Justice
   « La Haute Cour a reconnu que j'ai rendu beaucoup de services…. »

[Bousquet avait quitté la Marne en y laissant l’image d’un préfet qui, dans les conditions difficiles de la défaite puis de l’Occupation, avait bien servi les Marnais, et qui était parvenu à les protéger. Il s’est donc attaché à faire de son action dans ce département un élément essentiel de sa défense. Il y a suscité soixante-quinze témoignages ou attestations, signés par des personnalités qualifiées, de toute obédience, maires, anciens élus, prisonniers de guerre, responsables d’organisations patronales, professionnelles, syndicales, dirigeants de maisons de champagne, membres du clergé, y compris le chef départemental des FFI, des responsables de mouvements de résistance, des résistants-déportés, et même quelques juifs marnais. Presque tous tendaient à accréditer l'idée que dans la Marne, et pourquoi pas aussi après son départ, Bousquet n'avait jamais au fond de lui-même adhéré au régime de Vichy, qu'il était resté un républicain convaincu et qu'il avait habilement joué le double jeu, comme beaucoup de vichysto-résistants marnais. Ces témoignages ont été reçus avec bienveillance par la Haute Cour de Justice. La déposition de Richard Pouzet à son retour de déportation, largement évoquée lors du procès de 1949 et dans laquelle il dressait un tableau très élogieux de l'action de Bousquet dans la Marne en insistant sur l'aide qu'il avait apportée aux élus républicains, aux francs-maçons et aux juifs, a particulièrement impressionné les jurés de la Haute Cour de Justice. Sous-préfet de Vitry-le-François, puis secrétaire général de la Marne, Bousquet l'avait maintenu à son poste malgré sa déclaration d'appartenance à la Franc-maçonnerie. Finalement révoqué par Vichy, puis arrêté par la Gestapo en février 1944 pour son appartenace à la Résistance, et déporté à Dora, il avait été pressenti pour occuper le poste de préfet de la Marne à la Libération. Il n’y eut que deux ou trois témoignages discordants, défavorables à Bousquet qui n’ont pas été retenus]


La Marne et les Marnais au procès Bousquet de 1949 devant la Haute Cour de Justice

   « Les communistes faisaient partie de la commission d'instruction permanente qui contrôlait le juge d'instruction… Ils ont voté ma mise en liberté provisoire ».
   [En réalité les jurés communistes ayant démissionné en mai 1948 ne siégeaient plus au sein de la Haute Cour qui a blanchi Bousquet en 1949]

Antoine DESROSIÈRES
   Y a-t-il eu des évolutions dans son discours ou dans ce qui vous a semblé être ses préoccupations ?

Jean-Pierre HUSSON
   Au cours de cette ultime conversation téléphonique avec René Bousquet, j'ai senti un homme beaucoup moins sûr de lui, inquiet, préoccupé de conforter l'image positive qu'il avait laissée comme préfet de la Marne et qui avait largement contribué à le blanchir en 1949, pour tenter de gommer celle de secrétaire général à la Police, qui avait été éludée en 1949 dans ses aspects les plus répréhensibles et rédhibitoires, en particulier la complicité de l'État français dans la mise en œuvre en France par les nazis du génocide, et dont il pressentait qu'il allait sans doute devoir rendre compte un jour ou l'autre.
  En tout cas désormais, il ne faisait plus aucune allusion, comme il l'avait fait à mots couverts lors de notre entretien de 1987, à la protection du président de la République, François Mitterrand.

Antoine DESROSIÈRES
   A-t-il fait référence à d'autres journalistes ou historiens qu'il aurait rencontrés durant cette période ?

Jean-Pierre HUSSON
   Jamais, sauf pour réfuter plusieurs propos de Fred Kupferman [voir plus haut] cités dans ma communication.

Antoine DESROSIÈRES
   Avez-vous eu d'autres contacts avec lui au delà de 1990 ? Ou essayé ?

Jean-Pierre HUSSON
   Non. J'ai coupé tout contact avec Bousquet. En effet ma communication au colloque de juin 1990, limitée à dix pages dactylographiées de 1 500 signes, notes comprises, a posé problème et m'a amené à prendre du recul. Il avait été convenu, compte tenu du nombre très important de communications présentées à ce colloque, que certaines d'entre elles, dont la mienne, ne seraient pas présentées intégralement par leur auteur, et feraient seulement l'objet d'un rapport. Le texte de ma communication devait parvenir à l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP) le 20 avril, dernier délai. Correspondant départemental de l'IHTP dans la Marne, je me suis strictement soumis à ces consignes.
   Le 16 mai, le directeur de l'IHTP, François Bédarida, m'a téléphoné :
   « Votre communication sur Bousquet a suscité beaucoup d'intérêt à l'IHTP. Il s'agit d'un sujet délicat. On doit s'entourer de toutes les précautions. J'ai lu et relu attentivement votre communication avec Jean-Pierre Azéma [professeur à Sciences-Po, il assumait avec François Bédarida la codirection du colloque]. Nous en avons discuté. Je vous propose quelques modifications. Ce qui est lumineux et accablant, c'est la remarquable continuité qu'elle révèle entre la Troisième République et Vichy à travers le Lavalisme.
   Elle ne doit cependant pas prêter le flanc aux accusations de révisionnisme. Elle pourrait être mal interprétée, comme faisant la part trop belle à Bousquet dont les témoignages doivent être soumis à critique ».

   Le 19 mai, je recevais par la Poste une enveloppe contenant ma communication corrigée par François Bédarida, avec une carte de Gabrielle Drigeard, sa secrétaire, où il était écrit : 

      « Cher Monsieur,
   Veuillez trouver ci-jointe votre communication au colloque Vichy et les Français avec les quelques modifications proposées par François Bédarida. Pouvez-vous nous joindre par téléphone au cas où il y aurait des problèmes.
Merci.
   Cordialement ».

   J'acceptais volontiers les quelques corrections proposées par François Bédarida auxquelles j'adhérais sans problème, et qui étaient des corrections de clarification et de précaution. Je croyais l'affaire réglée.
   Le 11 juin 1990 à Paris, au cours de la séance de l'après-midi, dans un rapport général présentant l'État français de Vichy et ses instruments, en présence de représentants de la communauté juive très sensibilisés à la perspective d'une prochaine inculpation de René Bousquet pour crime contre l'humanité, suite à la plainte déposée par Les Fils et Filles de déportés juifs de France, la FNDIRP et la Ligue des droits de l'homme en septembre 1989, Jean-Pierre Azéma a descendu en flèche ma communication, considérant qu'elle faisait la part trop belle à Bousquet, à son témoignage, et laissant entendre que j'avais été instrumentalisé par Bousquet.
   J'ai rédigé en hâte un texte que j'ai exposé rapidement :
   « Je voudrais en quelques mots préciser le sens de ma communication qui, enfermée dans les contraintes d'un texte très court limité à quelques pages, peut avoir été mal reçue, mal comprise, mal interprétée. Il ne faut en aucun cas, voir dans ma démarche une tentative visant à masquer les responsabilités de René Bousquet, en particulier dans la mise en œuvre d'une politique qui a conduit à la déportation de 75 000 juifs étrangers et français. Le travail de recherches conduit par le Centre de documentation juive contemporaine est bien nécessaire et utile. Les documents rassemblés par Serge Klarsfeld, et qui sont accablants pour Vichy et Bousquet, doivent être étudiés avec attention et pris en compte par les historiens. Mais en même temps, il me semble que la démarche qui consisterait à faire aujourd'hui de René Bousquet le principal bouc émissaire de toutes les turpitudes de Vichy est réductrice. L'action de René Bousquet comme secrétaire général à la Police ne doit pas, selon moi, être isolée de l'ensemble du parcours effectué par ce haut-fonctionnaire sorti du giron, de la matrice de la Troisième République, un parcours vécu par l'intéressé dans la continuité, en dépit des vicissitudes de l'époque, un parcours cependant, où on peut distinguer plusieurs étapes, différents moments marqués par des contraintes également différentes comme j'ai tenté de le montrer dans ma communication :

   1/ L'avant-Seconde Guerre mondiale, marquée par son passage dans les ministères de la Troisième République, puis sa nomination dans le département de la Marne comme sous-préfet de Vitry-le-François.
   2/ Le début de l'Occupation dans la Marne où, comme secrétaire général, puis comme préfet, il a exercé une sorte de proconsulat en s'abritant derrière l'autorité renforcée que lui conférait le régime de Vichy, et en s'appuyant sur les notables locaux et les élites d'avant-guerre.
   3/ Son passage à Vichy comme secrétaire général à la Police, placé tout récemment sous les feux de l'actualité judiciaire [allusion à l'action menée par Serge Klarsfeld].
   4/ L'après-Vichy : son limogeage, son arrestation par les Allemands et son transfert en Allemagne.
   5/ Le retour en France, son internement à Fresnes, son inculpation et son jugement devant la Haute Cour de Justice en 1949.

   Tout au long de ce parcours, se dégage de la personnalité très forte, très controversée, très complexe, très ambiguë de René Bousquet, la préoccupation constante envers et contre tout, et quoiqu'il puisse en coûter, d'affirmer et d'assumer la continuité de l'administration française, de défendre face à l'occupant la moindre parcelle de souveraineté française, la moindre parcelle d'autonomie de l'administration et de la Police françaises, de protéger la population et de sauvegarder ce qu'il croyait être les intérêts français, au service de Laval, y compris en sacrifiant délibérément les uns pour tenter de sauver les autres, tout en conservant jusqu'au bout la conviction illusoire qu'il était possible de retarder certaines échéances et d'éviter le pire.
   S'agissant de René Bousquet, je ne suis pas sûr qu'on puisse récuser totalement la thèse du double-jeu en ce qui concerne son action dans la Marne, thèse illusoire mais accréditée par ses amis marnais dont les témoignages et attestations ont
pesé lourd dans le verdict de clémence dont il a bénéficié en 1949.
   Ce qui m'interpelle quant à moi aujourd'hui, c'est la distance énorme qui existe entre le contexte allant au pire de l'indifférence manifestée par les uns, jusqu'à la bienveillance, la cordialité voire la sympathie exprimées par les autres, qui a caractérisé le procès de René Bousquet de 1949, et la gravité que revêt à juste titre aujourd'hui, ce qu'on a appelé ce matin la centralité retrouvée ou révélée de la politique d'exclusion et répressive du régime de Vichy, et au premier chef la répression antijuive dans laquelle se trouve mis en cause René Bousquet ».   
   Je n'ai pas eu l'impression d'être entendu. Je suis rentré à Reims un peu déprimé et j'ai décidé de me recentrer sur la rédaction de ma thèse, dans laquelle Bousquet ne pouvait être absent, bien sûr. Je n'en avais cependant pas fini avec le colloque.
   Le 5 mai 1991, je fus convoqué à Sciences-Po par François Bédarida et Jean-Pierre Azéma chargés d'assurer la publication des actes du colloque. La publication de ma communication, pourtant corrigée par François Bédarida, posait encore problème, un double problème. Au niveau scientifique, celui de l'analyse historique et de la confrontation des sources écrites et des témoignages oraux, il leur semblait nécessaire de prendre un maximum de précautions s'agissant des témoignages recueillis auprès de Bousquet. Dans le contexte du procès prévisible de Touvier, arrêté en 1989, et d'un possible second procès Bousquet faisant suite à son inculpation en mars 1991, ma communication risquait de passer du registre scientifique à celui des médias, avec une portée nationale. Il convenait donc d'être extrêmement rigoureux et prudent. Juges d'instruction, procureurs, avocats de la défense allaient se servir des travaux des historiens. Il ne fallait surtout pas fournir d'armes aux défenseurs de Touvier et de Bousquet. Cela engageait le CNRS. Beaucoup de choses avaient été corrigées dans ma communication. Il en restait encore beaucoup. Ils me listèrent tous les passages qui posaient encore problème. Pour faciliter mon travail, ils acceptaient d'assouplir un peu la contrainte des 1 500 signes, pour me permettre en particulier de développer les notes explicatives et de référence.

   Le 3 juin 1991, je leur ai adressé le texte corrigé de ma communication, accompagné de ce petit mot :

       « Chers amis,
   Je vous prie de trouver ci-joints le texte et une disquette de ma communication retravaillée.
   Libérée des contraintes éditoriales initiales, guidé par vos précieux conseils et conscient de l'enjeu, compte tenu du contexte particulier relatif à un éventuel procès Bousquet, je suis arrivé à une version sensiblement augmentée, renforcée, qui j'espère répondra mieux que la première à votre attente. Téléphonez-moi dès que vous en aurez pris connaissance.
   Bien cordialement ».
   Ce texte après avoir reçu quelques ultimes corrections consécutives à une conversation téléphonique avec François Bédarida, a été publié dans Vichy et les Français, Pour une histoire du XXe siècle, Paris, Fayard, pp. 287-301.

   Quant à Bousquet, j'espérais néanmoins pouvoir lui soumettre le texte achevé de ma thèse, et recueillir à nouveau ses réactions.
   Cela n'a pu se réaliser, puisqu'il a été assassiné quelques mois avant la soutenance.

Antoine DESROSIÈRES
   Que pourriez-vous ajouter que nous ne penserions pas à vous demander dans ce mail et qui pourrait nous intéresser ?

Jean-Pierre HUSSON
   J'ai finalement soutenu ma thèse La Marne et les Marnais à l'épreuve de la Seconde Guerre mondiale, le 16 décembre 1993, avec la mention très honorable et les félicitations du jury composé de Maurice Vaïsse, Robert Frank, Yves Durand et Georges Clause.
   Quelques jours avant la soutenance, France 3 a consacré le 7 décembre1993 dans le cadre du magazine " Les Brûlures de l'Histoire ", une émission consacrée au Cas Bousquet.  À la suite de cette émission, j'ai écrit aux producteurs  Patrick Rotman et à Laure Adler :

      « Madame, Monsieur,
   Auteur d'une communication L'itinéraire d'un haut fonctionnaire : René Bousquet, présentée en juin 1990 au colloque de Paris sur Le régime de Vichy et les Français, j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt votre magazine " Les brûlures de l'Histoire ", consacré au Cas Bousquet, qui a été programmé le mardi 7 décembre sur France 3, avec la participation toujours efficace et pertinente de Henry Rousso, chercheur à l'Institut d'histoire du temps présent, laboratoire de recherches du CNRS dont je suis moi-même le correspondant dans le département de la Marne.
   Le montage documentaire qui illustrait le parcours de l'ancien préfet de la Marne devenu ensuite secrétaire général à la Police à Vichy était bien construit, et il a réussi à compenser la rareté des archives cinématographiques disponibles sur Bousquet, par un commentaire qui s'inspirait largement, parfois mot à mot, de ma communication au colloque de 1990.
   Permettez-moi de regretter que vous n'ayez pas cru bon de citer l'auteur de cette contribution, dans le générique de fin qui présentait l'ouvrage dirigé par Jean-Pierre Azéma et François Bédarida Vichy et les Français, publié chez Fayard en 1992.
   Il me semble que le travail modeste et obscur des petits profs de province mérite lui aussi d'être de temps en temps signalé.
   Longue vie aux " Brûlures de l'Histoire " dont je suis un fidèle téléspectateur, et bien cordialement à vous ».

   C'est Patrick Rotman qui m'a répondu sur une carte à entête des éditions du Seuil :

      « Monsieur,
   Vous avez mille fois raison.
   J'aurais dû citer votre contribution au colloque Vichy et les Français, puisque votre texte, comme vous l'avez remarqué, a été fort utile dans la préparation de l'émission.
   Il n'y a dans cette omission aucun ostracisme à l'égard des " petits profs de province ", mais un malencontreux oubli dû à l'extrême précipitation que nous impose le rythme hebdomadaire.
   Avec toutes mes excuses.
   Bien cordialement ».

   Aussitôt après la soutenance de ma thèse, à l'incitation de mon directeur de thèse, Maurice Vaïsse, à qui j'avais montré cette carte signée de Patrick Rotman, je lui ai fait parvenir un exemplaire de ma thèse aux éditions du Seuil, pour le sonder sur les perspectives d'une éventuelle publication.

   Réponse de Patrick Rotman :

   « J'ai lu votre projet sur La Marne dans la 2e guerre mondiale.
   L'ombre de Bousquet rend cette étude naturellement plus attractive qu'une simple monographie régionale.
   Toutefois, je redoute qu'un travail aussi délimité ne fasse peur aux éditeurs !
   Au Seuil, le grand responsable de l'Histoire est Michel Winock.
   Je crois que c'est à lui qu'il faut soumettre votre livre.
   Bien cordialement ».

   Je n'ai pas cherché à contacter Michel Winock, ni aucun autre éditeur parisien.
   Je suis entré en pourparler avec les Presses universitaires de Nancy qui semblaient disposer d'un réseau de diffusion, mais cette maison d'édition, confrontée à des difficultés financières, a mis au moins provisoirement fin à ses activités.
  Ma thèse a été finalement publiée en 1995 aux Presses universitaires de Reims qui ne disposent d'aucun réseau de diffusion, avec en couverture la photographie de René Bousquet prêtant serment de fidélité au maréchal Pétain à Vichy le 19 février 1942.

   La première édition, tirée à 1 500 exemplaires a été rapidement épuisée.
   Je n'ai touché aucun droit d'auteur, et c'est grâce au prix du Conseil général de la Marne qui m'a été attribué en 1997, que j'ai pu financer une seconde édition en 1998, elle aussi rapidement épuisée.
   En 1995, un ami de René Bousquet, l'ancien préfet Yves Cazaux, a publié chez Jean Picollec, un ouvrage prenant la défense de Bousquet, René Bousquet face à l'acharnement, ouvrage qui s'appuyait vraisemblablement sur le dossier dont m'avait parlé Bousquet lorsqu'il m'avait reçu chez lui en 1987.  Yves Cazaux n'a pas cherché à me rencontrer, mais il m'a fait parvenir, plus tard, un exemplaire de cet ouvrage, dédicacé en ces termes : 
   « Pour Jean-Pierre Husson historien de la Marne. Cordialement ».
   C'est vraisemblablement à la demande du fils de René Bousquet, qu'il m'a dédicacé son ouvrage. En effet, Guy Bousquet avait pris connaissance de ma thèse depuis sa publication et l'avait épluchée. Il m'a téléphoné et a demandé à me rencontrer dans son bureau parisien près des Champs-Élysées. Il avait en projet un ouvrage mettant en valeur l'action de René Bousquet dans la Marne, dont il avait bien compris qu'elle constituait la face la plus défendable de l'itinéraire de son père. Il était en particulier préoccupé par l'implication de son père concernant la répression anticommuniste, que j'exposais dans ma thèse, et sa responsabilité dans la déportation des juifs, un sujet évoqué dans ma thèse et développé par mon épouse, Jocelyne Husson, dans son mémoire de DEA consacré à La déportation des Juifs de la Marne, soutenu également en 1993, et dont il avait demandé qu'on lui fasse parvenir un exemplaire dactylographié. Ce travail a été ultérieurement édité en 1999 aux Presses universitaires de Reims avec le soutien de la section de Châlons-sur-Marne de la LICRA.

   Guy Bousquet est venu aux Archives départementales de la Marne pour tenter de vérifier les points de nos travaux qui mettaient en cause l'image totalement positive qu'il avait de son père. Il a demandé à pouvoir consulter les archives auxquelles j'avais eu accès, ce qui lui a été en partie refusé et a entraîné une lettre de protestation adressée au ministre de l'Intérieur de l'époque, Jean-Pierre Chevènement. Il a publié finalement son ouvrage en 1998, chez le même éditeur que Cazaux, Jean Picollec, sous le titre Un homme de devoir. René Bousquet, préfet de la Marne 1940-1942, et nous l'a fait parvenir avec la dédicace : 
   « Pour Monsieur le professeur et Madame Jean-Pierre Husson, ce livre sur et en souvenir de René Bousquet. En hommage très cordial ».

   Le 19 octobre 1996, Marcel Le Floch, président de l'Association marnaise des médaillés de l'ordre des palmes académiques (AMOPA), un ancien collègue du lycée Clemenceau, professeur de Maths Spé à la retraite et qui s'intéressait à mes travaux, m'a demandé de venir faire une conférence devant l'assemblée générale de cette association, au cours de laquelle le préfet de la Marne appelé à de nouvelles fonctions, Jacques Fournet (ancien directeur des Renseignements généraux sous la présidence de François Mitterrand), a été fait officier des Palmes académiques. À l'issue de cette conférence, intitulée Bousquet, la Marne et les Marnais, le préfet Fournet a pris la parole pour raconter, en demandant aux journalistes présents de ne pas en faire état, comment François Mitterrand lui avait demandé d'explorer dans les archives de la Marne ce qui concernait Bousquet.

   En 2001, j'ai été en correspondance avec Henri Raczymow qui venait de publier L'homme qui tua René Bousquet chez Stock, pour quelques remarques de détail.
   Depuis, et jusqu'au coup de téléphone de Pierre Beuchot, je pensais en avoir définitivement terminé avec René Bousquet.

   Le 30 mai 2005, Pierre BEUCHOT et Antoine DESROSIÈRES ont accusé réception de ma réponse à leur questionnaire :

      Cher Monsieur Husson,
   Nous avons bien reçu votre longue réponse à notre questionnaire. Nous vous remercions chaleureusement pour sa précision et sa richesse ainsi que pour l'effort que vous avez accepté de faire en replongeant une fois encore dans vos dossiers Bousquet.
   Nous trouvons dans votre texte beaucoup de détails de nature à nous éclairer quant à la personnalité de René Bousquet et à sa manière d'être lorsque vous avez été en relation avec lui.
   Nous vous tiendrons informé de l'avancée de nos travaux.
   Bien cordialement.

  Antoine DESROSIÈRES m'a renouvelé au téléphone leurs remerciements appuyés et m'a assuré qu'à chaque étape de la production, ils insisteraient pour que mon nom apparaisse au générique pour un remerciement particulier. Mais ils ne m'ont pas tenu informé du contenu de leur scénario, ni de mon implication directe ou indirecte dans ce scénario, comme ils me l'avaient laissé entendre. [Ils s'en sont expliqués ultérieurement dans une mise au point qu'ils m'ont adressée en mars 2007 et dont je fais état plus bas].

#haut


Mes rapports avec la production

   En mai-juin 2006, Dominique COSTE, qui travaillait au département décoration de la production m'a contacté par mél et par téléphone en me disant que le film était en cours de réalisation sous la direction de Laurent HEYNEMANN, que le rôle de BOUSQUET était joué par Daniel PRÉVOST, que ma collaboration était recherchée dans la mesure où les scénaristes avaient transposé à partir de mon témoignage ma rencontre avec BOUSQUET en me remplaçant par une jeune femme juive, professeur d'histoire. En outre, il souhaitait obtenir des renseignements supplémentaires et des documents ou fac-similés de documents. J'ai tout d'abord accepté, puis lorsque j'ai demandé que ma collaboration soit « officialisée » et reconnue d'une façon ou d'une autre par la production, il a rompu tout contact.
    Le 21 juillet 2006, la secrétaire de la productrice du film, Nelly KAFSKY, me faisait parvenir le mél ci-dessous :

      Cher Monsieur,
   J’ai su avec beaucoup de plaisir que vous avez eu l’extrême gentillesse d’aider nos auteurs, Pierre BEUCHOT et Antoine DESROSIÈRES dans l’écriture du scénario « René BOUSQUET ou le grand arrangement », en leur communiquant vos entretiens avec René BOUSQUET. C’est vraiment très gentil de votre part.
   Pour nous ce projet est très important, il n’a jamais été fait ni à la télévision ni au cinéma.
   J’espère que le film sera réussi ; en tout les cas tout le monde y a mis du sien pour y arriver.
   Merci encore de votre aide, et je serai ravie de vous inviter à la projection du film si vous le souhaitez.
   D’ici là, je vous prie de recevoir, Cher Monsieur, l’expression de mes salutations les plus cordiales.

   Nelly KAFSKY
   Présidente de Nelka Films



La présentation du film au FIPA en janvier 2007  

  En janvier 2007, le film René Bousquet ou le grand arrangement, réalisé en 2006, a été présenté à Biarritz au 20e Festival international de programmes audiovisuels (FIPA), présentation qui a fait l'objet de papiers élogieux dans la presse.  
   Si dans son numéro
du 29 janvier 2007, Le Figaro se contentait de relever « une certaine déception dans le camp français », puisque le film n'y a reçu aucune récompense, Claude COLOMBO-LEE saluait dans La Croix du 2 février 2007 la prestation de Daniel PRÉVOST :

   « Débat il y aura, c’est également certain, avec la diffusion de René Bousquet ou le grand arrangement, de Laurent Heynemann. Autant affirmer que cette œuvre est remarquable à plus d’un titre ! L’interprétation d’abord, avec la prestation étonnante de Daniel Prévost dans le rôle de René Bousquet – « C’est presque le rôle de ma vie », précise le comédien – ; et celle, troublante et émouvante, de Ludmila Mikaël.
   Toute la distribution est d’ailleurs superbe, et la mise en scène relève vaillamment le défi du didactisme distancié, nécessaire à un tel sujet. Cette double réussite donne au film une clarté appréciable tant le traitement de ce genre de thème, au cinéma comme à la télévision, peut être délicat. Laurent Heynemann tenait à réaliser une fiction « mêlant figures réelles et personnages inventés ».
   Contrairement aux films évoqués plus haut, René Bousquet ou le grand arrangement ne se déroule pas pendant la guerre. Il prend racine en elle pour mieux mettre en évidence et en perspective les quinze années que le responsable de la police de Vichy (et principal organisateur de la rafle du Vél’ d’Hiv) dut consacrer à répondre aux accusations : de la révélation en 1978 du passé terrible de René Bousquet jusqu’au jour de son assassinat.
   Le traitement de l’histoire immédiate n’est jamais une mince affaire. Laurent Heynemann évite ici les écueils du pamphlet ou de la caricature militante. Il montre simplement, mais fermement, toute l’ambiguïté des compromis et des « arrangements » que la quasi-totalité des forces politiques ont passés à la Libération, au nom de la réconciliation nationale. »

    Pierre ASSOULINE dans Le Monde 2 du 3 février 2007, sous le titre " La confusion des genres "  n'était pas moins louangeur :

   « Le film laisse le spectateur stupéfait tant le réalisateur Laurent Heynemann y a déployé de finesse, d'intelligence et d'audace. Daniel Prévost est impérial dans le rôle-titre, les autres impeccables. Tous les protagonistes de l'affaire Bousquet qui défraya la chronique dans les années 1980 portent leur vrai nom.
   Le film est écrit sans complaisance mais sans manichéisme. Il donne à méditer sur les limites du devoir d'obéissance, la responsabilité d'un haut-fonctionnaire, la conscience d'un citoyen.
   Les derniers mots restent longtemps au creux de l'oreille : les plus grands crimes dont les hommes sont capables, accomplis derrière des bureaux, sont souvent l'œuvre d'hommes ordinaires, normaux, effroyablement normaux.
   Dans le générique de fin, on découvre cette précaution juridique en forme de manifeste : « Ce film est une œuvre de fiction inspirée de faits réels. Nous revendiquons l'exercice de la liberté de création chaque fois que cela a été nécessaire dans le respect du droit des tiers. »
   N'empêche : signe de la confusion des genres, la brochure d'Arte présentait le film comme un documentaire alors qu'il était en compétition dans la catégorie Fiction... » 

   En mars 2007, la revue L'Histoire dans sa rubrique Guide Médias réalisée par Laurent NEUMAN, annonçait la sortie du film sur Arte et France 2, sans donner de dates précises, et rendait compte du tournage sous le titre quelque peu réducteur de " Bousquet, un salaud ordinaire ? ". Et que dire de l'interview de la productrice du film attribuant à l'ancien préfet de Vichy devenu secrétaire général à la Police, le sauvetage de 25 juifs de la noyade ?

   Pascale FROMENT, la biographe de René BOUSQUET, elle aussi approchée par les scénaristes du téléfilm René Bousquet ou le grand arrangement, que j'ai interrogée au sujet de cet article, m'a répondu le 12 mars 2007 :

  « Pour ce qui est du téléfilm à venir, je suis logée à la même enseigne que vous : je n'ai pas eu l'heur de le voir, et je ne peux donc rien en dire.
   Mais les propos tenus par sa productrice dans la revue Histoire me laissent songeuse. Mme Kafsky se livre à des commentaires personnels : René Bousquet, selon elle, ne serait pas un " monstre ", comme Maurice Papon, mais un " salaud ". Face à un constat si fracassant, énoncé en toute bonne foi, il paraît vain d'argumenter.
   Le risque de passer pour bas-bleu interdit d'invoquer, par exemple, les mânes d'Edgar Faure, procureur adjoint à Nuremberg, stigmatisant la bureaucratie criminelle (en visant celle de l'appareil nazi, il énonçait des vérités universelles qui furent abondamment rappelées au cours du procès de Bordeaux, en 1998). Ou d'appeler à la rescousse les nombreux historiens, philosophes, juristes qui se sont penchés sur la question du crime contre l'humanité.
   En revanche, lorsque la même productrice évoque le sauvetage de « 25 Juifs de la noyade » par René Bousquet, et comme il s'agit cette fois de faits et non d'appréciations, je peux rappeler que, dans ma biographie de l'ancien secrétaire général à la Police de Vichy, je me suis attardée sur cet épisode de mars 1930 qui lui valut les honneurs et fut, selon ses propres termes, à l'origine de toute sa carrière. Voici exactement soixante-sept ans, René Bousquet, alors jeune chef de cabinet du préfet du Tarn-et-Garonne, plongea au sens propre dans le Tarn en crue pour tenter de sauver des concitoyens emportés par les inondations. À Montauban, un monument a été érigé à la mémoire d'Adolphe Poult - celui-ci s'était, le premier, porté au secours des habitants, et en mourut, noyé à son tour. Sur le monument, il est question du sauvetage de 317 personnes. Nulle part il n'est fait mention des « 25 Juifs » cités plus haut. Un amalgame de cet acabit, relayé par une revue d'histoire, relativise l'importance que nous avons tendance à donner à notre travail !
»

   Dans le même temps j'ai été contacté par André ANNOSSE, qui m'a annoncé son intention de venir recueillir mon témoignage à Reims, pour figurer dans un film-documentaire de 52 minutes produit par France 3 : L'Affaire Bousquet. En février 2007, n'ayant pu obtenir de garantie sur le traitement historique et scientifique du sujet, j'ai été amené à refuser ma collaboration à ce projet.

La présentation du film au Centre national du cinéma en avril 2007

    Le 20 mars 2007, j'ai reçu un message amical de Pierre BEUCHOT et d'Antoine DESROSIÈRES, les deux scénaristes du film René Bousquet ou le grand arrangement, qui m'ont renouvelé leurs remerciements pour l'aide que je leur avais apportée, aide qui leur a permis de s'inspirer de certaines informations que je leur avais communiquées. Ils m'ont expliqué leur silence par le fait qu'ils étaient tenus par l'obligation de discrétion à l'égard de la production, et qu'ils n'étaient pas autorisés à divulguer le scénario avant que le film ne soit tourné.
    Ils m'ont assuré aussi qu'il allaient rappeler à la production l'engagement qu'elle a pris de m'inviter à voir le film achevé.
   Le même jour, un mél d'Iris STRAUSS, assistante de production de Nelka Films, m'a annoncé qu'après le succès obtenu par le film René Bousquet ou le grand arrangement lors de sa présentation au dernier FIPA, Véronique CAYLA, directrice du Centre national du cinéma, avait décidé d'organiser une projection au CNC le 2 avril 2007 et me demandait de lui communiquer mon adresse pour m'envoyer un carton d'invitation.
   Le 2 avril 2007, j'ai assisté à la présentation en avant-première du film René Bousquet ou le grand arrangement qui devrait être programmé cet automne sur Arte en première diffusion, puis sur France 2 en deuxième diffusion. Véronique CAYLA a souligné l'accueil enthousiaste qui a été fait au film lors du dernier FIPANelly KAFSKY a déclaré qu'elle portait ce projet depuis six ans et qu'elle n'a pu le mener à bien qu'avec le soutien de Jérôme CLÉMENT, président d'Arte, et de Patrice DUHAMEL, président de France 2, tous les deux présents dans la salle, et qu'elle avait travaillé main dans la main avec les scénaristes Pierre BEUCHOT et Antoine DESROSIÈRES, et le réalisateur Laurent HEYNEMANN qui a quant à lui salué la prestation de Daniel PRÉVOST dans le rôle de René BOUSQUET.
    J'ai pu constater la qualité et le sérieux de la démarche, qui s'appuie sur le travail d'investigation de Pascale FROMENT et d'Éric CONAN, ainsi que sur mon témoignage.
   J'ai exprimé à l'issue de la projection en présence de la productrice et des scénaristes le souhait que ce film, après sa diffusion à la télévision, puisse être présenté aux Marnais.
   Le film René Bousquet ou le grand arrangement a été présenté en avant-première à Paris le lundi 22 octobre 2007 au Cinéma Élysées Biarritz, présentation à laquelle j'ai été invité, mais à laquelle je n'ai pu assister.


La diffusion du film sur les chaînes de télévision

   Le film René Bousquet ou le grand arrangement a été diffusé sur Arte le 16 novembre 2007, et a enregistré la troisième meilleure audience de la case sur cette chaîne en 2007.
    Le 9 novembre 2007, a été mis en ligne sur le site de « Télédoc-Le petit guide télé pour la classe » (réseau Scérén-CNDP de l'Éducation nationale), un dossier consacré au téléfilm René Bousquet ou le grand arrangement, et annonçant sa diffusion programmée le vendredi 16 novembre à 20 heures 40 sur Arte, pour lequel les auteurs Patrick THIÉBAUT et Hélène POUYFAUCON m'ont demandé une contribution
   
Sous le titre « Révoqué en 1944, blanchi en 1949 », ils y faisaientt figurer les réponses aux questions qu'ils m'ont posées sur l'action de BOUSQUET dans la Marne et les liens très forts qu'il y avait noués de 1938 à 1942 et qu'il a habilement utilisés lors du procès de 1949.
   Dans le numéro 3017 de Télérama du 10-16 novembre 2007, François EKCHAJZER a signé un article intitulé " Bousquet débusqué ", dans lequel il relevait que le réalisateur Laurent HEYNEMANN était parvenu « dans un téléfilm rigoureux » à « cerner le cas Bousquet sans diabolisation », et que Ludmila MIKAËL, « personnage sans nom » de la fiction, « inspirée en partie de l'historien Jean-Pierre Husson, injecte dans le récit une dose d'émotion, en donnant un visage à l'exhumation d'un passé négligé ».
  Une note annonçait la sortie chez Arte Vidéo le 21 novembre de la version DVD du téléfilm accompagné d'un livret comportant mon témoignage, et où j'étais présenté comme le « seul historien à avoir pu interviewer Bousquet ».
   Dans le numéro 6519 du Pélerin, daté du 12 novembre 2007, Philippe ROYER sous le titre " Daniel Prévost dans la peau de René Bousquet ", a mis en lumière le choix de cet acteur « spécialiste ès loufoqueries » qui surprend dans sa « nouvelle peau d'acteur dramatique » :
   « Daniel Prévost ? Un choix de casting !
   On voulait un acteur qui joue, tout simplement, sans ajouter quoi que ce soit de psychologique », affirme, avec une sécheresse feinte, Laurent Heynemann, réalisateur de René Bousquet ou le grand arrangement.
    Un film qui a fait parler de lui dans les festivals, avant sa diffusion sur Arte, en première partie de soirée.
    En octobre, à l'issue d'une avant-première, l'acteur renchérissait : « L'ambiguïté de René Bousquet m'a interpellé. De toute façon, on ne construit pas un personnage, on l'incarne. On ne réfléchit pas, on y va. Le reste, c'est bidon ! » [...] »
        

    Le jeudi 15 novembre, Patrice GÉLINET s'adressant à Pascale FROMENT invitée sur France Inter dans l'émission de 2000 ans d'histoire consacrée à " René Bousquet ", émission à l'issue de laquelle a été annoncée la diffusion sur Arte le lendemain de ce téléfilm, a déclaré :

   « Rien ne prédisposait René Bousquet à être l’instrument d’un crime contre l’humanité. Élevé dans le sérail du parti radical socialiste, cet homme de centre gauche qui n’était ni fasciste, ni nazi, ni antisémite, ni même un admirateur du maréchal Pétain, faisait partie de ces hauts-fonctionnaires qui pendant l’Occupation collaboraient avec l’Allemagne sans se poser de questions. Préfet de la Marne en 1940 puis chef de toute la police de Vichy à l’âge de 33 ans, René Bousquet allait la mettre au service de l’occupant en organisant les grandes rafles de juifs de 1942 et 1943. Condamné à une peine symbolique après la libération, on n’a plus entendu parler de lui pendant plus de quarante ans. Jusqu’à ce que son passé le rattrape. »

   Le réalisateur Laurent HEYNEMANN et la productrice du film, Nelly KAFSKY, ont été les invités de Colombe SCHNECK sur France Inter vendredi 16 novembre 2007 à 9 heures 35 dans son émission « J'ai mes sources ».
   
Vendedi 16 novembre 2007, après la diffusion à 20 heures 40 sur Arte du téléfilm de Laurent HEYNEMANN René Bousquet ou le grand arrangement, a été présenté sur France 3 à 23 heures 25 dans le cadre de l'émission " Passé sous silence ", L'Énigme René Bousquet, un documentaire de 60 minutes réalisé par Patrick CABOUAT, à partir d'une enquête menée par Gérard CARREYROU et André ANNOSSE, qui m'avait contacté en février 2007 pour réaliser une interview et à qui je n'avais pas donné suite (voir plus haut). Hasard du calendrier ou concurrence des chaînes de télévision du service public ?  Dans Le Monde TV et Radio daté du 12 novembre 2007, sous le titre " René Bousquet : un téléfilm et un documentaire-Les raisons d'une quasi impunité ", Francis CORNU a relevé le caractère inhabituel de cette double diffusion en ces termes :

   « Le vrai procès de René Bousquet pour crimes contre l'humanité n'a jamais eu lieu, mais la télévision l'aura au moins fait comparaître de façon assez spectaculaire. Le même soir, vendredi 16 novembre, les téléspectateurs auront l'occasion de voir René Bousquet ou le grand arrangement, une fiction, à 20 h 40, sur Arte, puis L'Énigme René Bousquet, un documentaire, à 23 h 25, sur France 3. Les deux émissions sont très complémentaires, éclairant de manières différentes le personnage et l'histoire du responsable de la vague d'arrestations des juifs, en juillet 1942, notamment de la rafle du Vél' d'Hiv [...] »

   Le film René Bousquet ou le grand arrangement a reçu le Globe de cristal du meilleur téléfilm décerné par la presse française pour l'année 2007.
   Il a éré rediffusé sur France 2 le 18 septembre 2009 et sur Arte le 12 août 2011.

Le DVD-vidéo édité par Arte

   En décembre 2007, Arte-vidéo a édité René Bousquet ou le grand arrangement, le film de Laurent HEYNEMANN, avec en compléments, le journal télévisé du 8 juin 1993, jour de l'assassinat de René Bousquet, et un livret de 24 pages présenté comme « un récit de Jean-Pierre Husson, seul historien à avoir rencontré René Bousquet », qui reprend de très larges extraits du dossier ci-dessus et dont voici l'introduction :

   « À propos du film René Bousquet ou le grand arrangement
   Comment René Bousquet, secrétaire général à la Police de Vichy, organisateur avec les Allemands de la rafle du Vel'd'Hiv, en 1942, a-t-il pu se reconvertir si aisément après-guerre dans la finance et rester influent dans les plus hautes sphères politico-financières ? Comment a-t-il pu bénéficier des soutiens de hiérarques de tous bords de la classe politique ?
    Pour répondre à ces questions, les auteurs du téléfilm ont choisi de raconter, à partir de faits authentiques et d'autres, imaginaires, mais s'appuyant sur des témoignages concordants, les quinze années qui vont de la révélation du rôle de Bousquet à la tête de la police de Vichy, jusqu'à son assassinat en juin 1993.
   Parmi ces témoignages, celui de jean-Pierre Husson, seul historien que René Bousquet a accepté de rencontrer et avec lequel il s'est entretenu à plusieurs reprises. Personnage repris par les auteurs et intégré à la fiction à travers le rôle de l'historienne interprété par Ludmila Mikaël.
   Jean-Pierre Husson nous livre ici le détail de son « enquête » auprès de Bousquet et nous fait mesurer la précision des informations qui ont nourri le scénario.
»



La présentation du film au 12e Festival international du film sur la Résistance

    Le 16 novembre 2009, au 12e Festival international du film sur la Résistance organisé à Nice par l'Association azuréenne des Amis du Musée de la Résistance nationale et dont un des thèmes retenus était " La France sous l'Occupation ", le film René Bousquet ou le grand arrangement a été projeté au CEDAC de Cimiez.

 

   La projection a été suivi d'un débat animé par Jean-Lousi PANICACCI et Jean-Pierre HUSSON.


Le débat avec Jean-Louis Panicacci et Jean-Pierre Husson

   « Le film réalisé en 2006 par Laurent Heynemann sur un scénario de Pierre Beuchot et d’Antoine Desrosières, qui s'appuie sur la biographie de Bousquet établie par Pascale Froment ainsi que sur mon témoignage, continue de susciter à la fois intérêt, débat, malaise.
On s’interroge sur le statut du film qui mêle rigueur historique, personnages réels et personnage de fiction. Toutes les personnes qui gravitent autour de l’ancien secrétaire général à la Police de Vichy ont bien existé, à l’exception de la jeune femme sans nom, mémoire juive et conscience de l’humanité, qui vient interpeller sur les arrangements qui ont jalonné sa vie, un Bousquet vieux et malade, rattrapé par son passé.
   Les pauses au cours desquelles les protagonistes se tournent vers les spectateurs pour leur fournir un certain nombre d’informations destinées à les éclairer ont suscité la critique de plusieurs cinéphiles, mais ont été cependant appréciées pour leur utilité pédagogique.
   La complexité, l’ambiguïté, le cynisme de l’habile et ambitieux Bousquet, enfermé dans ses certitudes, qu’interprète avec talent, sans diabolisation, un surprenant Daniel Prévost, n’en finissent pas d’interpeller : ses origines familiales ancrées sur le terreau républicain ; le parrainage de personnalités radical-socialistes et francs-maçonnes dont, très jeune, il a bénéficié ; son passage dans les cabinets ministériels d’avant-guerre où il a tissé de solides et durables réseaux et son ascension fulgurante au sein de la préfectorale ; l’image du « grand préfet », ami de tous à l’exception des communistes et des ultras de la collaboration, qu’il a su imposer dans la Marne occupée ; son entrée en 1942 au sein du second gouvernement formé par Laval à qui il a manifesté jusqu’au bout une fidélité sans faille ; la facilité avec laquelle il est parvenu devant la Haute Cour de Justice qui l’a blanchi en 1949, à gommer sa responsabilité personnelle à la tête de la Police française dans la mise en œuvre en France de la « solution finale » par les nazis ; sa reconversion et la brillante carrière dans la banque qu’il a poursuivie après la guerre ; ses liens d’amitié avec François Mitterrand qui n’a cessé de lui accorder sa protection ; son inculpation pour crimes contre l’humanité en 1992 ; les circonstances de sa disparition sous les balles d’un déséquilibré en 1993, au moment où allait s’ouvrir un second procès, « procès volé » faisant de Bousquet un « acquitté à perpétuité ».
   Bousquet a-t-il été une « brute fasciste », un « monstre antisémite », un « salaud intégral » comme cela a été dit ou écrit, ou, comme il est dit à la fin du film, fait-il partie des « hommes ordinaires, normaux, effroyablement normaux », capables d’accomplir les plus grands crimes ? Parvenu à 33 ans à la tête de toutes les polices, il a appliqué froidement, cyniquement, une collaboration d’État avec l’Allemagne nazie que Vichy a tenté de masquer derrière un prétendu et illusoire double-jeu permettant d’éviter le pire. Sous le prétexte de sauvegarder la moindre parcelle d’autonomie de l’administration française, il a cédé toujours plus aux nazis, jusqu’à aller au devant de leurs exigences, à cautionner et accepter l’inacceptable. Il est ainsi devenu l’archétype de ces hauts-fonctionnaires de Vichy qui, sans état d’âme, sont devenus, selon l’expression de Robert Badinter, des « criminels de bureau. »


Jean-Pierre Husson
Revue de presse du 12e FIFR