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René Bousquet devant la Haute Cour de Justice

De Vichy à Fresnes

La Haute Cour de Justice

L'instruction : les Marnais témoignent

La Marne au procès Bousquet

Débats et polémiques d'aujourd'hui

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De Vichy à Fresnes

   En quittant la Marne en avril 1942, pour rejoindre LAVAL à Vichy au poste de secrétaire général à la Police de Vichy, René BOUSQUET avait cru qu'il pourrait continuer de sauver ce qui pouvait l'être, comme il avait le sentiment d'avoir réussi à le faire dans ce département.
   Mais les enjeux n'étaient pas les mêmes et ne se situaient plus à la même échelle.
   En négociant directement avec les plus hauts dignitaires nazis, OBERG, le chef des SS et de la police allemande en France, HEYDRICH, le chef de l'Office central de sûreté du Reich ( RSHA ) rencontré à Paris en mai 1942, le Reichsführer SS HIMMLER lui-même, en avril 1943, il a été pris dans un engrenage qui l'a amené à toujours céder un peu plus aux Allemands.
   Bien qu'ayant été renvoyé en décembre 1943, arrêté par les Allemands en 1944 et placé en résidence surveillée en Allemagne à la fin de la guerre, BOUSQUET n'a pas échappé aux poursuites à son retour en France en mai 1945, et a reçu à cette occasion l'appui de nombreux amis marnais qui ont accepté de témoigner en sa faveur.
   Il a été traduit, tardivement il est vrai, devant la Haute Cour de Justice qui a rendu hommage à l'ancien préfet la Marne avant d'acquitter l'ancien secrétaire général à la Police.

   Les Allemands s'étaient d'abord bien entendus avec lui, au moins jusqu'au printemps 1943, époque où SCHLEIER, collaborateur de l'ambassadeur d'Allemagne Otto ABETZ, rendait compte de l'entrevue de BOUSQUET avec HIMMLER en ces termes :

   « Le Reichsführer a été impressionné par la personnalité de Bousquet. Il partage désormais manifestement la conception représentée jusqu'ici par Oberg, à savoir que Bousquet est un collaborateur précieux dans le cadre de la collaboration policière, et qu'il serait un adversaire dangereux s'il était poussé dans un autre camp » (1).

   Le consul général Krug VON NIDDA notait quant à lui :

   « Bousquet s'est déclaré très satisfait de la compréhension qu'a témoignée à l'égard de la France le Reichsführer SS, compréhension qui dépasse encore celle manifestée par Heydrich. Himmler s'est exprimé d'une façon positive sur l'activité de Bousquet et lui a demandé de continuer comme il l'avait fait jusque-là » (2).

   Mais, à partir de la fin du mois de mai 1943, les Allemands ont commencé à s'interroger sur l'opportunité de remplacer BOUSQUET, tout en constatant qu'ils ne pouvaient pas l'éliminer immédiatement, parce qu'il aurait fallu plusieurs mois pour que son successeur devînt aussi précieux que BOUSQUET l'avait été pour eux avec toute son expérience.
   En décembre 1943, ils ont finalement exigé que BOUSQUET soit limogé et remplacé par le chef de la Milice, Joseph DARNAND, lui reprochant, entre autres griefs, d'avoir laissé se développer le maquis.
   En réalité, il a été simplement placé en position de disponibilité et a continué de recevoir un traitement (3).
   En avril 1944, plusieurs journaux collaborationnistes, à la suite de l'arrestation d'un dénommé Bousquet dans la région de Clermont-Ferrand, croyant qu'il s'agissait de l'ex-secrétaire général à la Police, ont annoncé par erreur son arrestation et son incarcération à Fresnes (4).
    De passage à Châlons-sur-Marne le 1er mai 1944, alors qu'il rentrait à Paris venant de sa « gentilhommière » d'Heiltz-le-Hutier, René BOUSQUET, questionné par un pompiste sur sa prétendue incarcération, répondit en souriant : « On m'a accordé une permission de quelques heures », propos immédiatement transmis à Vichy par les Renseignements généraux de la Marne (5).
   Le 9 juin 1944, au lendemain du débarquement allié de Normandie, il a été arrêté par la Gestapo à Paris et mis au secret à Neuilly (6).
   Le National Populaire du 24 juin 1944, sous le titre « Une situation régularisée », a affiché sa satisfaction de constater que BOUSQUET était « maintenant considéré et traité en définitive pour ce qu'il était, c'est-à-dire pour l'organisateur du maquis en France ».
   Il a été transféré en Allemagne dans des conditions honorables, puisque le voyage s'est fait dans une voiture conduite par un des chauffeurs particuliers d'OBERG (7) et qu'il a été placé en résidence surveillée à Ober-Allmannshausen en Bavière, dans une villa où avait été relégué avant lui le comte CIANO, gendre de MUSSOLINI. Sa femme et son fils Guy, accueillis dans une famille marnaise amie après son arrestation, ont été invités à l'accompagner. Son frère Louis, travailleur en Allemagne, a été muté dans une ferme voisine et autorisé à le rencontrer (8).

   BOUSQUET a été révoqué sans pension le 6 décembre 1944 par le Gouvernement provisoire, sur la proposition de la Commission d'épuration du ministère de l'Intérieur (9). Le 22 janvier 1945, le Procureur général MORNET a signé contre lui un réquisitoire aux fins d'information. Par une ordonnance du 6 mars 1945, le président du Tribunal de la Seine a placé ses biens sous séquestre, y compris sa résidence secondaire d'Heiltz-le-Hutier, située dans un petit village proche de Vitry-le-François où il avait été sous-préfet (10). Dès son retour d'Allemagne où il a été libéré par les Américains, BOUSQUET a été mis sous mandat de dépôt et écroué à Fresnes le 18 mai 1945. Bien que les premières procédures contre lui aient commencé dès octobre 1944 à Marseille où il était impliqué dans la destruction du Vieux Port, l'instruction de son procès a traîné en longueur, tant et si bien que l'ancien secrétaire général à la Police a été une des dernières personnalités du régime de Vichy à être traduite devant la Cour de Justice (11).

La Haute Cour de Justice

   La Haute Cour de Justice a été créée, conformément à l'Ordonnance du 18 novembre 1944, pour juger PÉTAIN, LAVAL et les cent huit ministres, secrétaires d'État, secrétaires généraux, délégués généraux, gouverneurs généraux de l'Empire qui ont accepté de servir l'État français instauré par « le vainqueur de Verdun » à Vichy en juillet 1940. BOUSQUET en faisait partie.
   Elle était initialement composée de vingt-sept membres et elle était présidée par trois juges (un président et deux vice-présidents) nommés par le ministère de la Justice, assistés de vingt-quatre jurés tirés au sort sur deux listes établies par l'Assemblée consultative provisoire : la première au sein même de cette assemblée issue de la Résistance ; la seconde parmi les députés et les sénateurs qui avaient voté contre les pleins pouvoirs à PÉTAIN en juillet 1940 (12).
   Conformément à la loi du 19 avril 1948 (13), la Haute Cour de Justice qui a jugé BOUSQUET en 1949 ne comptait plus que quinze membres. Son président et les deux vice-présidents étaient désormais élus par l'Assemblée nationale à la majorité absolue et au scrutin secret. Pour chaque affaire, le président procédait au tirage au sort de douze jurés titulaires et de douze jurés suppléants, parmi une liste de parlementaires désignés en leur sein par les différents groupes selon la règle de la proportionnelle. Selon la nouvelle procédure, non seulement les listes de jurés, mais aussi les jurys eux-mêmes étaient proportionnels au nombre de parlementaires dont disposait chaque parti politique à l'Assemblée (14). Les délibérations étaient secrètes. Si l'ensemble des jurés d'un même groupe venaient à être défaillants, ils étaient remplacés par des jurés des autres groupes (15).

   Le 1er mai 1948, à l'issue de l'élection des deux vice-présidents, Jacques DUCLOS, au nom du groupe communiste, dénonça violemment les modifications apportées à l'organisation de la Haute Cour, protesta contre « l'ostracisme et la partialité » manifestés selon lui par l'Assemblée nationale à l'encontre du candidat communiste à la vice-présidence, KRIEGEL-VALRIMONT, à qui elle avait préféré Edgar FAURE, et annonça la démission collective des jurés communistes, motivée en ces termes :

   « La majorité de l'Assemblée a écarté un élu communiste de la vice-présidence de la Haute Cour, donnant ainsi la fâcheuse impression d'obéir aux injonctions du traître Xavier Vallat [...]
   Le groupe communiste, refusant de s'associer à une oeuvre caractérisée par la mise en liberté des collaborateurs et par les poursuites contre les Résistants, a décidé de ne désigner aucun membre pour figurer sur la liste des jurés de la Haute Cour.
   En conséquence, les jurés membres du groupe communiste vous adressent une lettre de démission collective [...]
   Le groupe communiste a conscience [...] de respecter la volonté profonde de l'immense majorité des Français patriotes qui ne se considéreront pas comme engagés par les jugements scandaleux qui pourront intervenir à la suite des modifications apportées à la composition et au fonctionnement de la Haute Cour »
(16).

   Après l'exclusion en mai 1947 des ministres communistes du gouvernement présidé par le socialiste RAMADIER, le PCF certes encore puissant s'est trouvé à nouveau isolé. L'anticommunisme reprenant le dessus, d'anciennes solidarités se sont renouées autour de BOUSQUET qui a été remis en liberté provisoire le 1er juillet 1948.

   Le 21 juin 1949, BOUSQUET a été enfin traduit devant la Haute Cour de Justice dont la composition reflétait bien les changements intervenus depuis la Libération (17). Elle était présidée par le socialiste Louis NOGUÈRES, assisté d'un membre du Parti républicain de la liberté (PRL), nouvelle appellation de la droite parlementaire, et d'un membre de l'Union démocratique et socialiste de la résistance (UDSR).
   Le jury était composé exclusivement de représentants des partis soutenant les gouvernements de Troisième force qui tentaient depuis 1947 de gouverner au centre en rejetant dans l'opposition communistes et gaullistes : quatre MRP (Mouvement républicain populaire), quatre socialistes, un UDSR, un républicain indépendant, un membre du Centre Républicain d'Action Paysanne et Sociale, et un radical-socialiste Jean BAYLET, un ami de BOUSQUET qui appartenait à la mouvance de La Dépêche de Toulouse devenue La Dépêche du Midi, mouvance dont BOUSQUET lui-même était issu.

   L'acte d'accusation de 25 pages, dressé par le procureur général FRETTE-DAMICOURT le 8 février 1949, s'ouvrait sur un véritable panégyrique de l'action de BOUSQUET dans la Marne, brossé en quelques lignes définitives :

   « Sous-Préfet de Vitry-le-François en avril 1938, il était au début de la guerre Secrétaire général de la Préfecture de la Marne, où il fut maintenu affecté spécial ; il n'en partit que le 15 juin 1940, après l'occupation allemande, et fut alors décoré de la Croix de Guerre (18). Il y reprit ses fonctions au début de juillet, fut nommé Préfet de la Marne le 17 septembre 1940, et Préfet Régional un an plus tard.   Dans ces deux postes, il se révéla un excellent administrateur, habile et ferme, qui négocia avec l'occupant au mieux des intérêts français. Fidèle à ses opinions républicaines, il maintint ou fit rétablir dans leurs fonctions les Assemblées et les élus du département. Il intervint en faveur des Israélites, des francs-maçons, des syndicalistes et des communistes, évita des sanctions à la population et parvint, par des fausses statistiques, à limiter les impositions de l'occupant. Il favorisa les évasions de prisonniers du Camp de Châlons, enfin, il créa toute une organisation agricole qui permit de faire échec à l'arbitraire des réquisitions des occupants, et aux tentatives d'exploitation collective des fermes par les Allemands. Il apparaît donc que, pendant toute cette période de sa vie administrative, rien ne puisse être reproché à Bousquet » (19).

   Il était bien clair que BOUSQUET n'était pas poursuivi en tant qu'ancien préfet régional de Châlons-sur-Marne, comme l'attestait d'ailleurs la conclusion de l'acte d'accusation :

   « En conséquence, le sus nommé est accusé d'avoir, en France, en 1942-1943, en tout cas depuis un temps non prescrit :
        1/ - en tant que secrétaire général à la Police du Gouvernement de fait, postérieurement au 16 juin 1940, sciemment apporté une aide directe ou indirecte à l'Allemagne et à ses Alliés et porté ainsi atteinte à l'Unité de la Nation, à la Liberté des Français, et à l'égalité entre ces derniers.
        2/ - Sciemment accompli, en temps de guerre, des actes de nature à nuire à la Défense Nationale.
   Infractions prévues et punies par les articles 1er et suivants de l'Ordonnance du 26 décembre 1944, paragraphe 4 du Code Pénal.


                                                                                                                           Fait au Parquet Général de la Haute Cour de Justice
                                                                                                                                                                         À Paris le 8 février 1949
                                                                                                                                                                   Le Procureur Général »
(20)

   Le ton généralement modéré du procureur général FRETTE-DAMICOURT, parfois même complaisant à l'égard de l'inculpé, qui se dégageait de la lecture d'un acte d'accusation retenant finalement beaucoup d'éléments à mettre à son crédit, encouragea BOUSQUET qui assura lui-même sa défense, tout au long des trois jours que dura son procès, avec l'aide de Maurice RIBET. Ce dernier avait été l'avocat d'Édouard HERRIOT au procès de Riom au cours duquel le régime de Vichy avait mis en accusation les dirigeants de la Troisième République.
   Les lauriers que lui avait tressés le procureur général dans l'acte d'accusation, pour son action dans la Marne, confortaient BOUSQUET dans sa conviction qu'il fallait jouer la carte marnaise. Celle-ci constituait assurément son meilleur atout face au jury de la Haute Cour qu'il a réussi à leurrer. Il reste qu'on ne peut s'empêcher de s'interroger sur la bienveillance à l'égard de BOUSQUET qu'a manifestée tout au long du procès le procureur général FRETTE-DAMICOURT. Certes ce dernier avait été relevé de ses fonctions de procureur au tribunal de la Seine par le régime de Vichy dès novembre 1940, sans doute parce qu'il était franc-maçon et admis à la retraite en 1941, mais il avait été avant-guerre conseiller technique du garde des Sceaux sous le Front populaire, époque où BOUSQUET lui-même s'était vu confier la direction du fichier central de la Sûreté. On peut légitimement se demander s'il n'a pas, plus ou moins consciemment, fait preuve d'« une sorte de solidarité de corps » envers un haut fonctionnaire pour lequel, en dépit des circonstances, il conservait de l'estime (21).

L'instruction : les Marnais témoignent

   Lorsqu'à son retour d'Allemagne, BOUSQUET a commencé d'organiser sa défense, il a bien compris d'emblée tout l'avantage qu'il pourrait tirer de l'image de grand préfet que bon nombre de ses amis marnais étaient prêts à cautionner par leurs témoignages.
   Le 11 juin 1945, il a remis à la Commission d'instruction de la Haute Cour une note rédigée de sa main et intitulée « Mon action de juin 1940 au mois d'avril 1942 ». Il y exposait quelle était la situation de la Marne en juin 1940, quels avaient été ses projets au moment du retour de l'exode, ce qu'avait été son action comme secrétaire général, préfet puis préfet régional, et il concluait en ces termes :

   « Je peux donc affirmer sans crainte d'être contredit, qu'au moment où je quittais le département de la Marne :
    - l'économie et les finances départementales étaient restaurées,
    - le ravitaillement assuré,
    - le cheptel reconstitué,
    - les stocks de champagne sauvegardés ( 120 millions de bouteilles environ ),
    - l'Administration française respectée et aussi indépendante que possible, les sanctions collectives évitées,
    - les intérêts individuels ou particuliers défendus,
    - l'unité française maintenue ou renforcée,
    - les plans de reconstruction approuvés,
    - les sinistrés abrités.
   Les regrets que manifestait la population à l'annonce de mon départ paraissaient égaux à ceux que j'éprouvais moi-même en abandonnant une région où, du fait de mes administrés, je n'avais connu que des satisfactions.
   Je tiens à la disposition de l'Instruction les preuves de cette affirmation.

               Le 11 juin 1945.       
René BOUSQUET »
 (22)

 
   Tout au long de l'été 1945, BOUSQUET a mobilisé ses amis marnais, suscité des témoignages et des attestations favorables. C'est ainsi que son dossier s'est rempli de soixante-dix témoignages de personnalités marnaises qualifiées, de toutes obédiences, y compris de chefs de la résistance, parmi lesquelles ont été recensées vingt-sept attestations favorables adressées directement et spontanément au juge d'instruction (23), et vingt-sept auditions de témoins entendus à la demande de l'inculpé, mais hors de sa présence, en vertu d'une Commission rogatoire du président de la commission d'Instruction près la Haute Cour de Justice (24).

   Les témoins entendus sur commission rogatoire à la demande de BOUSQUET, parmi lesquels se trouvaient plusieurs résistants en vue dont certains venaient de rentrer de déportation, ont tous fait des déclarations qui corroboraient largement le mémoire en défense déposé par BOUSQUET en juin 1945, et qui faisaient son éloge en utilisant souvent les mêmes termes : « vrai Français comme il en aurait fallu beaucoup en ces temps difficiles », « patriote », « républicain sincère », « grand préfet », « excellent administrateur », « intelligent », « énergique », « digne », « habile défenseur des intérêts français et marnais qui a roulé les Allemands », « protecteur », « homme dévoué qui avait rendu beaucoup de services », « un ami sûr pour les Marnais ».
   Tous tendaient à accréditer l'idée qu'au moins dans la Marne et pourquoi pas après son passage dans ce département, BOUSQUET n'avait jamais au fond de lui-même adhéré au régime de Vichy, qu'il était resté un républicain convaincu et qu'il avait habilement joué le double jeu.
   La plupart des auditions effectuées dans la Marne à la demande de la Commission d'instruction de la Haute Cour, auprès de « membres du personnel de la préfecture, d'interprètes, de personnes qui, par leur action dans la résistance, devaient être à même de pouvoir citer les faits qui pouvaient constituer des charges contre l'inculpé » n'ont guère contribué à infirmer les propos des témoins entendus à la demande de BOUSQUET ; beaucoup allaient dans le même sens (25).

   Quelques résistants ont émis certaines réserves et ont souligé le caractère « ambitieux et arriviste » de BOUSQUET. Un seul, Pierre DECLEY, ancien adhérent du Parti social français avant-guerre, qui avait rejoint le Front national de lutte pour la libération et l'indépendance de la France, mouvement de résistance créé par les communistes, et qui présidait de la Commission du NAP (Noyautage des administrations publiques) du Comité départemental de libération nationale (CDLN) de la Marne, a pris clairement position contre BOUSQUET, affirmant catégoriquement :

   « Après la libération, en tant que président de la Commission du NAP, j'ai eu en main, divers documents (dépositions ou rapports) qui permettent de dire que M. Bousquet a eu une politique franchement collaboratrice pendant le temps où il a exercé des fonctions administratives dans le département de la Marne. Les documents que j'ai eu en mains, ont été envoyés au Ministère de l'Intérieur à Paris » (26).

   Ces propos n'ont pas été pas retenus, ni même évoqués lors du procès, tant étaient nombreux, concordants et impressionnants les témoignages de résistants favorables à René BOUSQUET.

[Pierre Decley est né le 7 mars 1905 à Paris. Courtier remisier domicilié à Reims, il a participé fin 1940 à des évasions de prisonniers français vers la zone non occupée. À partir de juillet 1941, il a servi d'agent de liaison à un réseau SOE Buckmaster implanté à Lyon jusqu’au démantèlement de ce réseau en janvier 1943. De retour à Reims, il a adhéré en juin 1943 au Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France, mouvement créé par les communistes, mais ouvert à toutes les sensibilités de la Résistance. Il y a retrouvé plusieurs de ses anciens camarades du Parti social français (PSF) où il avait milité avant-guerre, et s'est mis aux ordres de l’un d’entre eux, Georges Dompmartin, un des responsables marnais de ce mouvement. Il a participé à l’hébergement et à l’évacuation d’aviateurs alliés. En juin 1944, après l’arrestation de Dompmartin, il a siégé au Comité départemental de la libération nationale (CDLN) de la Marne. Il a servi de boîte aux lettres et a mis son appartement à la disposition de l'état major FFI de la Région C. Il a recruté pour la 1ère Compagnie FTPF, a participé à son armement, et a facilité son intégration au sein des FFI. Il a établi les premiers contacts de la résistance rémoise avec Marcel Grégoire-Guiselin, nommé commissaire régional de la République fin juin 1944. Après la Libération, il a présidé la commission du NAP (Noyautage des administrations publiques) créée au sein du CDLN, ainsi que la Commission départementale d’épuration. C’est à ce titre qu’il a adressé au juge d’instruction de la Haute Cour de Justice une attestation dans laquelle il déclarait « avoir eu en main divers documents qui permettent de dire que René Bousquet a eu une politique franchement collaboratrice pendant le temps où il a exercé des fonctions administratives dans le département de la Marne », et avoir adressé ces documents restés sans suite au ministère de l’Intérieur à Paris. Cette déposition ne sera même pas évoquée devant la Haute Cour de Justice en 1949, lors du procès de l’ancien préfet de la Marne, au cours duquel par contre seront signalés les très nombreux témoignages en faveur de Bousquet, émanant de notables marnais de toutes sensibilités, y compris des responsables de la résistance. Pierre Decley a été homologué FFI et a reçu le titre de Combattant volontaire de la Résistance avec la mention mention RIF (Résistance intérieure française). À l’époque de la guerre froide, Pierre Decley a rompu avec ses camarades du Front national et a rejoint le mouvement gaulliste Ceux de la Résistance (CDLR) dont il est devenu le vice président départemental en 1950. Président des Combattants volontaires de la Résistance de la Marne en 1963, il s’est investi dans la promotion du Concours national de la Résistance et de la Déportation dans la Marne].

   Deux gaullistes, le lieutenant Jean CHABOT (27) de Reims et le chef de bataillon Lucien SITTEWELLE (28) de Vitry-le-François, ont attesté qu'arrêtés par les Allemands pendant l'occupation, le premier en 1941, le second en 1943, ils avaient été libérés à la suite d'une intervention de BOUSQUET.
   Lucien PAUL, fondateur et chef départemental du mouvement de résistance Ceux de la Libération (CDLL), qui rentrait de déportation, a déclaré tout net :
« Pour moi M. Bousquet était un patriote indiscutable ; il fallait un homme comme lui pour tenir tête aux Allemands comme il l'a fait. Il les a roulés chaque fois qu'il a pu ». Cette déclaration formulée lors de son audition comme témoin, a été ultérieurement complétée, sans doute à la demande de BOUSQUET, par une lettre dactylographiée dans laquelle Lucien PAUL écrivait :

   « Je tiens à vous renouveler ma foi profonde dans le patriotisme sans tache de René Bousquet, et je ne mets pas en doute qu'après plus d'un an d'instruction, son innocence apparaisse clairement et qu'il soit possible à la Haute Cour de prendre la décision que ses nombreux amis marnais et moi-même attendons avec confiance et impatience » (29).

   Le docteur Paul LAGEY, en relation amicale avec BOUSQUET depuis son arrivée à Châlons en 1939, prisonnier de guerre libéré en vertu des accords Scapini, responsable du mouvement de résistance Ceux de la Résistance (CDLR) arrêté en septembre 1943 par la Gestapo alors que BOUSQUET était encore secrétaire général à la police de Vichy, déporté à Buchenwald en janvier 1944, a affirmé tout aussi catégoriquement qu'il n'y avait rien à reprocher à BOUSQUET :

   « À mon retour de captivité en février ou mars 1941, M. Bousquet qui était devenu préfet de la Marne, alors que je lui exposais que tout ne me semblait pas perdu, me dit que la victoire de l'Allemagne ne faisait aucun doute et qu'en conséquence il fallait chercher à sauver le maximum de ce qu'on pouvait sauver et que les Français étant plus intelligents que les Allemands, nous arriverions bien à les rouler d'une façon et d'une autre.
   En tant qu'adjoint du chef du groupe Ceux de la Résistance, secteur de Châlons-sur-Marne, j'aurais eu connaissance d'actes antinationaux de M. Bousquet s'il en avait commis dans l'exercice de ses fonctions.
   Tant que M. Bousquet a été préfet puis préfet régional, jamais nous n'avons eu connaissance de faits à lui reprocher »
(30).

   Pierre BOUCHEZ (31), chef départemental des Forces françaises de l'intérieur (FFI) et président du Groupement interprofessionnel des syndicats patronaux, estimait que l'activité du préfet de la Marne, au point de vue économique, avait été « profitable » et qu'il avait « reçu le meilleur accueil » auprès du secrétaire général à la Police, lorsqu'il était intervenu auprès de lui en octobre 1942 à la suite de la condamnation à mort d'un gendarme (32).

[Pierre Bouchez est né le 29 octobre 1899 à Reims. Fils d’un industriel rémois du textile, il a fait ses études au lycée de Reims puis à Jeanson de Sailly à Paris. En 1917, il s’est engagé dans le 8e Régiment d’artillerie et a participé aux combats de Champagne. Sous-lieutenant en 1918, il a été chargé après l’armistice de l’identification des soldats morts. Devenu à son tour industriel à la tête de l’entreprise familiale, il a présidé le Groupement des syndicats patronaux de Reims et de la région. Ce syndicat patronal avait été créé en 1936, à l’époque du Front populaire, à l'initiative du président de la Chambre de commerce de Reims, Bertrand de Mun – ancien député de l'Alliance républicaine et proche des Jeunesses Patriotes de Pierre Taittinger dans les années 1920 –, pour négocier pied à pied des conventions collectives avec les syndicats ouvriers. Officier de réserve, Pierre Bouchez a rejoint en 1939 le 24e Régiment d’artillerie à Châlons-sur-Marne et son action lui a valu une citation à l’ordre de l’armée et la Croix de guerre avec palmes. En 1940, Pierre Bouchez a été confirmé par les autorités de Vichy à la tête de l’organisation patronale rémoise rebaptisée Groupement interprofessionnel des syndicats patronaux de Reims et de la région. Il a entretenu des rapports cordiaux avec les représentants du gouvernement de Vichy dans la Marne : l'intendant régional des Affaires économiques, Charles Célier, qu'il a invité à Reims en mars 1942, pour y présenter les objectifs économiques de la politique régionale de Vichy ; le préfet René Bousquet, futur secrétaire général à la Police, en faveur duquel il a accepté après la guerre de témoigner devant la Haute Cour de justice ; le préfet Louis Peretti della Rocca, successeur de Bousquet dans la Marne, qu'il a reçu à sa table. Dans le même temps, il a participé à la Résistance : de 1940 à 1942, il appartenaitt au service de renseignement SR Kléber, puis il a rejoint en novembre 1942 le groupement rémois de Ceux de la Résistance (CDLR), lié au groupement châlonnais de Ceux de la Libération (CDLL). Au cours de l'été 1943, Pierre Bouchez a été pressenti pour figurer sur une liste des personnalités à mettre en place dans la Marne en vue de la Libération et proposé pour le poste de commissaire de la République. Le 28 décembre 1943, lorsque la Gestapo est venue l’arrêter, il est parvenu à s’échapper et il est passé à la clandestinité, tandis que son adjoint, Jacques Détré, a été incarcéré et torturé à mort à la prison de Reims. Après le départ pour Londres du chef départemental de CDLR, Henri Bertin, et l’arrestation de membres de l’organisation fin 1943-début 1944, sur les conseils d'André Schneiter, responsable BOA-CDLR du secteur de Reims, Pierre Bouchez a été pressenti par André Schock, délégué militaire de la Région C, pour prendre le commandement des FFI de la Marne. Cette nomination a été confirmée en mai-juin 1944 par le colonel Grandval, chef de la Région C. À partir de février 1944, Pierre Bouchez a siégé au sein du Comité départemental de libération nationale (CDLN) de la Marne au titre de CDLR. Le 2 septembre 1944, au lendemain de la libération de la ville, il a été nommé commandant militaire de la place de Reims, fonction qu’il a exercée jusqu’au 30 décembre 1945. Pierre Bouchez, dans le rapport consigné dans son journal de marche à la date du 25 septembre 1944, est pour le moins laconique et en même temps très satisfait de son action à la tête des FFI de la Marne, tandis que le colonel Grandval a formulé après la guerre sur cette action un certain nombre de réserves. Le commandant Pierre Bouchez a été un chef départemental des FFI contesté au sein de la Résistance marnaise, mis en cause dans la disparition de pièces d’or parachutées, la rétention d’armes et l’exécution en octobre 1944 de Simone Baudoin, une collaboratrice rémoise en attente de jugement et enlevée illégalement de sa cellule de la clinique Mencière. Ayant affronté les syndicats et les partis marxistes à l'époque du Front populaire, il considérait qu'il était dangereux de fournir des armes aux groupements de résistance d’obédience socialiste, communiste ou cégétiste. Au Front national de lutte pour l’indépendance de la France, chez les FTPF, à Libération-Nord, la rumeur courait selon laquelle, le chef départemental des FFI donnait comme consigne à ses amis de bien conserver et cacher les armes qu’il destinait à servir après la guerre pour contrer une éventuelle prise du pouvoir par les communistes. Pierre Bouchez a été homologué FFC (Forces françaises combattantes) au titre du réseau SR Kléber, et il a reçu le titre de Combattant volontaire de la Résistance avec la mention FFI, ainsi que la Médaille de la Résistance. Après la guerre, devenu directeur gérant de L'Union, organe du CDLN de la Marne, Pierre Bouchez a entrepris de longues et laborieuses négociations avec Paul Marchandeau, ancien ministre et maire radical de Reims, en même temps que président-directeur général du journal L'Éclaireur de l'Est suspendu à la Libération. Ces négociations ont abouti en 1953 à un accord financier de compromis autorisant le journal L'Union à prendre possession des locaux et du matériel saisis en 1944 au siège de L'Éclaireur de l'Est. En 1962, Pierre Bouchez a épousé Germaine Charlot, fille du gendarme Édouard Charlot, gendarme résistant qui avait été guillotiné le 4 janvier 1943 à la prison de Cologne. Décédé en 1982, Pierre Bouchez a été inhumé à Warmeriville. À Reims, la partie des Hautes promenades où a été implanté le Monument aux martyrs de la Résistance et de la Déportation, porte depuis 1987 le nom d’Esplanade du colonel Bouchez. Une stèle à sa mémoire y a été érigée.]

   Irénée DLÉVAQUE, enseignant révoqué par BOUSQUET pour outrages au maréchal Pétain en 1941, responsable du mouvement de résistance Libération-Nord créé dans la mouvance du Parti socialiste et maire de Châlons-sur-Marne à la libération, a déclaré qu'à son avis, il n'y avait « rien à reprocher » à BOUSQUET pendant la période où il avait exercé les fonctions de secrétaire général, de préfet et de préfet régional et que d'une façon générale, dans ses rapports avec les Allemands, « il avait toujours défendu les intérêts français » (33).

   C'est ce qu' a confirmé Émile PETITJEAN (34), chef du service des interprètes à la préfecture, membre du groupe de résistance Bleu et Jonquille, déporté en 1944, et Charles RUPP (35), un résistant d'origine lorraine devenu à la Libération délégué régional du ministère des prisonniers, qui avait assisté en tant qu'interprète aux négociations entre BOUSQUET et les autorités allemandes.

   Les personnalités qui avaient assumé la charge de maire sous l'occupation dans les villes les plus importantes du département, telles que le docteur Joseph BOUVIER (36) à Reims ou encore Louis BUDIN (37) à Épernay, se montraient bienveillants, tandis qu'à Châlons-sur-Marne, Georges BRUYÈRE (38) se souvenait qu'il avait été le « confident » de BOUSQUET et lui conservait toute son « estime », et que Lucien PRUD'HOMME (39) de Vitry-le-François, rappelait « les profondes attaches » qui unissaient la population vitryate à cet « ami très sûr et dévoué » qu'avait été René BOUSQUET .

   À la préfecture régionale les chefs de division étaient unanimes.
   Yves BOUTEILLE, résistant rentré de déportation, a affirmé que « les faits et gestes de M. Bousquet n'étaient pas ceux d'un collaborateur » (40).

[Yves Bouteille est né le 7 novembre 1896 à Dunkerque. Domicilié à Saint-Memmie, il était chef de division à la préfecture de la Marne. Fin 1940, il a facilité l’évasion de deux prisonniers de guerre français en leur fournissant des fausses cartes d’identité. Arrêté en mars 1941 par la Feldgendarmerie, il a été libéré sur intervention du préfet Bousquet. En mars 1942, il a rejoint CDLR, était en contact avec Armand Bolot et le groupe Tritant, auquel il a fourni des renseignements et a procuré de fausses cartes d’identité. En 1942, il a prévenu la famille Ast restée à Saint-Memmie que des arrestations de juifs allaient avoir lieu. Affecté à l'équipe BOA du groupe Tritant en mars 1943, il a participé aux parachutages dans la vallée de la Coole sur les terrains Hyène et Rousseau et à des transports d’armes et d’explosifs. Arrêté par la Gestapo à Saint-Memmie le 11 septembre 1943, il a été interné à la prison de Châlons-sur-Marne et déporté comme résistant le 22 janvier 1944 à Buchenwald (matricule 42 185). Transféré le 22 février à Mauthausen, il a été affecté au kommando d’Ebensee. Il a été libéré le 6 mai 1945 et rapatrié le 26 mai. Il a été homologué FFI et FFC (Forces françaises combattantes) au titre du réseau Action D. Il a reçu le titre de Combattant volontaire de la Résistance avec la mention et DIR (Déporté-interné-résistant) ainsi que la Médaille de la Résistance avec rosette. Décédé le 1er septembre 1974, il est inhumé dans le cimetière de Saint-Memmie].

   Selon Gaston ANDRÉ , on ne pouvait « rien reprocher à Bousquet au point de vue national » ; « son attitude vis à vis des Allemands était guidée par le principe suivant : en tirer le maximum et en lâcher le minimum » (41).

   Raoul SOURIN (42), chef de bureau déporté à Neuengamme en juin 1944, était reconnaissant à René BOUSQUET d'avoir protégé les francs-maçons, et considérait que c'était un « grand préfet très intelligent, ayant beaucoup d'initiative et de caractère » et qu'il s'était montré « favorable aux milieux ouvriers », propos confirmés par Roger DENIS (43), militant socialiste et secrétaire général de la Bourse du Travail de Châlons-sur-Marne.

[Raoul Sourin est né le 2 mai 1903 à Mourmelon-le-Grand. Chef de division à la préfecture de la Marne à Châlons-sur-Marne, il était membre de la Loge La Bienfaisance châlonnaise. Menacé par la législation antimaçonnique de Vichy, il a été protégé et maintenu à son poste par le préfet René Bousquet. Chargé des Affaires du Travail à la préfecture, Raoul Sourin était en contact avec Guyot, directeur du STO à Reims, André Benoît, directeur départemental du Travail et Pierre Boitel, chef du Service départemental de la main d’œuvre de la Marne. Avec leur aide, il a tenté de limiter le nombre de réquisitions pour le STO par la destruction de fichiers et la dissimulation de dossiers. Arrêté par la Gestapo le 13 juin 1944 à la préfecture, il a été incarcéré à Châlons-sur-Marne jusqu'au 20 juin 1944, puis interné à Compiègne comme « personnalité-otage » dans le camp C sous le matricule 41 955. Déporté le 15 juillet 1944 à Neuengamme (matricule 34 479), il a été détenu dans le block dit des « Proéminents ». Le 14 septembre 1944, il a été opéré de l’appendicite par un médecin déporté, le docteur Veyssière, dans des conditions rudimentaires. Membre de l’« Université de Neuengamme » créée par Bertrand de Vogüé, il y a animé la chorale, il a composé la musique du Noël du Prisonnier et a réalisé les décors de la pièce Les Plaideurs interprétée à l’occasion de Noël 1944. Le 12 avril 1945, il a été transféré à Theresienstadt, puis le 30 avril à Brezani, où il a été libéré le 8 mai 1945. Il a été rapatrié en France par avion le 18 mai 1945, et a été accueilli à Paris à l’Hôtel Lutetia. Il figure dans la galerie de dessins publiés en 1946 par Bertrand de Vogüé dans Les aventures de M. Ducancé, ouvrage illustré relatant la vie à Neuengamme des personnalités-otages qui y ont été déportées en juillet 1944. En août 1945, entendu sur commission rogatoire par le juge d’instruction de la Haute Cour de Justice à la demande de René Bousquet, Raoul Sourin a déclaré être reconnaissant à l’ancien préfet de la Marne d’avoir protégé les francs-maçons et l'a décrit comme un « grand préfet très intelligent, ayant beaucoup d’initiative et de caractère », qui s’était montré « favorable aux milieux ouvriers ». Raoul Sourin a reçu le titre de Combattant volontaire de la Résistance, mention RIF (Résistance intérieure).]

   Les anciens rédacteurs à la préfecture de la Marne Tony HERBULOT (44) et Maurice MENNECIER (45), militants socialistes, membres du mouvement Libération-Nord et sous-préfets de la Libération, ne connaissaient « aucun fait positif de collaboration », ni « aucun acte » de BOUSQUET visés par les articles du Code Pénal et les ordonnances citées par la commission rogatoire .

   Jules MARTINVAL , directeur des Services agricoles, a assuré que BOUSQUET avait défendu au mieux « les intérêts du département sur le plan agricole » (46.

   Les responsables de la paysannerie marnaise ont tenu le même discours.

   Robert MANGEART, syndic régional de la Corporation paysanne nommé par le gouvernement de Vichy, a déclaré :

   « Ayant été appelé à Vichy pour une réunion des syndics régionaux, j'y ai rencontré M. Bousquet et je lui ai posé la question suivante : " Êtes-vous devenu sincèrement collaborateur ? ".   M. Bousquet m'a répondu textuellement : " Pour la sauvegarde des intérêts français, il est nécessaire qu'au moins les membres du Gouvernement apparaissent aux yeux des Allemands comme étant sincèrement collaborateurs ". Cette réponse non équivoque, expliquait à mes yeux son attitude et me confirmait dans l'opinion que j'avais de lui : c'est-à-dire qu'il n'était pas favorable aux Allemands » (47).

[Robert Mangeart est né à Lavannes (Marne) le 24 septembre 1900. Agriculteur, père d'une nombreuse famille, formé dans les rangs de la Jeunesse agricole chrétienne (JAC), Robert Mangeart est une personnalité marquante de la paysannerie marnaise. Conseiller municipal de Lavannes avant-guerre, il a aussi été un militant du Syndicat agricole de Champagne, syndicat fondé en 1890, dont la devise était « Cruce et Aratro - Par la Croix et la Charrue ». Partisan d'un rapprochement entre ce syndicat chrétien et l'Union agricole, horticole et vinicole (UAHV), syndicat laïque d'inspiration radicale-socialiste animé par Albert Barré, il a défendu la création en 1938 de l'Union des organisations agricoles de la Marne, présidée par Albert Barré, qui est devenue le point de rencontre des dirigeants syndicalistes agricoles représentant les deux sensibilités, et l'expression d'une solidarité que l'épreuve de la guerre, de la défaite et de l'Occupation ont renforcée. Dès le retour de l'Exode et le début de l'Occupation, il a apporté sa collaboration à René Bousquet, secrétaire général de la Marne, dans la mise en place de responsables agricoles nommés dans chaque canton, pour faire face à la pénurie de main d'œuvre, d'engrais, de moyens de traction,pour assurer les récoltes et faire face aux réquisitions allemandes. Il a fait partie des sept membres de la Commission administrative choisis et nommés par René Bousquet, devenu préfet de la Marne, pour se substituer provisoirement au Conseil général de la Marne dissous à la fin de l'année 1940. En 1941, il a été reçu par le maréchal Pétain, a été nommé délégué général de l'Organisation corporative paysanne mise en place par le gouvernement de Vichy et il a siégé au Comité permanent ainsi qu'au Conseil national de la Corporation paysanne jusqu'en avril 1944, date de sa démission. En février 1942, à l'issue de l'assemblée générale constitutive de l'Union régionale corporative agricole, présidée par le préfet Bousquet, il en a été nommé syndic régional dans la Marne. En 1943, il a fondé à Reims une école d'agriculture qu'il a présidé jusqu'en 1968. La même année, il a été candidat au poste de syndic national de la Corporation paysanne, mais n'est arrivé qu'en seconde position derrière Adolphe Pointier qui a été élu. Dans le même temps il a été nommé par le gouvernement de Vichy membre du Conseil départemental appelé à prendre le relais de la Commission administrative créée par Vichy après la dissolution du Conseil général élu avant-guerre, et il en est devenu un des quatre secrétaires. À la Libération, il a comparu devant le Comité de Libération, et il a été déchu de son mandat de conseiller municipal ainsi que de ses droits civiques, mais il a participé en tant que délégué marnais au congrès constitutif de la Confédération générale de l'agriculture appelée à se substituer provisoirement à la Corporation paysanne dissoute en octobre 1944 par le gouvernement provisoire présidé par le général de Gaulle, et il en est devenu dès sa création un des quatre dirigeants. En mars 1945 il a été élu membre du conseil d'administration de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA) de la Marne, par l'assemblée générale constitutive de ce syndicat qui a remplacé la Corporation paysanne, et dont il est devenu ultérieurement le vice-président, puis le président. Réélu en avril 1945 conseiller municipal de Lavannes dès le premier tour sous l'étiquette Union républicaine démocratique, il a été invalidé en raison des responsabilités qu'il avait assumées sous le régime de Vichy au sein de la Corporation paysanne. Entendu comme témoin à la demande de René Bousquet traduit devant la Haute Cour de Justice après la guerre, Robert Mangeart a défendu l'action du préfet de Vichy dans la Marne. En 1946, il a participé au congrès fondateur de la Fédération des syndicats d’exploitants agricole (FNSEA), et à l’issue de ce congrès, il en a été nommé membre du conseil d’administration, et un peu plus tard secrétaire adjoint. En 1947, il a accédé à la présidence de La Providence agricole, une des plus importantes coopératives champenoises. Il a exercé de nombreux responsabilités sous la IVe et la Ve République comme président de La Providence agricole devenue Champagne Céréales et de la Coopérative sucrière de Bazancourt, comme membre du Conseil économique et social, et comme administrateur des hôpitaux, de la caisse départementale du Crédit agricole et de la Mutualité sociale agricole. Dans ses Souvenirs et réflexions publiés en 1982, il assume totalement son engagement au service de la politique agricole de Vichy qui, selon lui, n'a pas été une rupture ni une parenthèse dans son long parcours de responsable agricole marnais, mais au contraire une période d'opportunité qui lui a permis de réaliser « l'unité paysanne, l'unité du monde agricole ».]

   Albert BARRÉ, syndic régional adjoint, a conclu son témoignage en ces termes :

   « Quand M. Bousquet a été nommé secrétaire général à la Police, je lui ai fait part de mon étonnement de le voir accepter ce poste ; il m'a répondu : " J'ai roulé les Allemands dans la Marne, je les roulerai encore ".
   Au cours des conversations que j'ai eues avec lui en tête à tête dans son Cabinet, il m'a déclaré plusieurs fois qu'il ne croyait pas à la victoire de l'Allemagne, qu'il était persuadé que les Allemands ne pouvaient pas gagner la guerre »
(48).

[Albert Barré est né le 19 février 1894 à Condé-sur-Marne (Marne). Maire de cette commune, maintenu à son poste par le gouvernement de Vichy en 1940, Albert Barré présidait avant-guerre l’Union agricole, horticole et vinicole, syndicat d’inspiration laïque, anticléricale et radicale-socialiste, rival du Syndicat agricole de la Champagne, syndicat d’inspiration chrétienne présidé par Robert Mangeart. Albert Barré présidait également l’Union des organisations agricoles de la Marne constituée en 1938, qui était une structure de concertation entre les responsables des deux syndicats. En juillet 1940, à l’instigation de René Bousquet, secrétaire général du département, qui n’était pas encore préfet, Albert Barré a accepté de fusionner son syndicat avec celui de Robert Mangart au sein d’un Comité d’entente des organisations agricoles de la Marne. Lorsqu’en 1942 le gouvernement de Vichy a créé la Corporation paysanne, il a été nommé Syndic régional adjoint aux côtés de Robert Mangeart. À partir de mars 1943, nommé par le gouvernement de Vichy, il a siégé au sein du Conseil départemental qui s'est substitué à la Commision administrative créée après la dissolution par Vichy du Conseil général élu avant-guerre. À la Libération, il a dirigé L’Union républicaine de la Marne, quotidien d’inspiration radicale-socialiste qui avait cessé de paraître sous l’Occupation. En septembre 1944, il a lancé dans ce journal avec Georges Bruyère, ancien maire de Châlons-sur-Marne nommé par Vichy et ami de Bousquet, une souscription pour l’érection d’un monument destiné à honorer la mémoire des fusillés. En mars 1945, il a présidé l’assemblée générale constitutive de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) et il a été élu membre de son conseil d’administration. À l’issue des élections municipales d’avril-mai 1945, il a été réélu maire de Condé-sur-Marne. Entendu comme témoin, il a témoigné à sa demande en faveur de René Bousquet traduit devant la Haute Cour de Justice. Albert Barré est décédé le 2 février 1959 à Sézanne. Une rue porte son nom à Condé-sur-Marne.]

   Paul PÉRARD, agriculteur et maire de Cernay-les-Reims, a confirmé que BOUSQUET avait mis en place une organisation qui a servi de « paravent entre les autorités allemandes et le monde agricole » et qui a permis d'« éviter l'Ostland » (49).
   Marcel LEMAIRE a déclaré que l'action de BOUSQUET avait toujours été dirigée « en faveur des paysans » (50).
   Tous étaient ou allaient être confirmés à la tête des syndicats d'exploitants agricoles au lendemain de la 2e guerre mondiale .

   Dans les milieux du champagne, Robert de VOGÜÉ, délégué général du Comité interprofessionnel des vins de Champagne, a confirmé à son retour de déportation que grâce à BOUSQUET le stock de champagne avait été sauvegardé, que ce dernier « désapprouvait au fond totalement la politique suivie par le gouvernement de Vichy » ; il l'aurait entendu dire que « Vichy était le bocal de tous les vaincus des élections de 1936 » ; il a exprimé sa conviction que BOUSQUET était « au moins dans ses sentiments d'accord avec la Résistance », et il a relaté les propos que lui auraient tenus les Allemands lors de son interrogatoire par la Gestapo en janvier 1944 :

   « Nous savons très bien que si la résistance est organisée et développée de la sorte, c'est qu'elle a bénéficié de l'appui plus ou moins déguisé de Bousquet ; il nous a roulés ; maintenant qu'il est parti et que Darnand le remplace, la gendarmerie travaillera avec nous au lieu de travailler avec vous » (51).

[Robert-Jean de Vogüé est né le 3 août 1896 à Menetou-Salon (Cher). Notable reconnu, le comte Robert-Jean de Vogüé était l’archétype du vichysto-résistant dans la Marne. Négociant en vin de champagne, gérant de la maison Moët et Chandon d’Épernay depuis 1930, secrétaire de la Commission spéciale de la Champagne délimitée créée en 1935, Robert-Jean de Vogüé a été nommé par René Bousquet en 1940 membre de la Commission administrative provisoire, puis en 1941 du Conseil départemental, créés par le gouvernement de Vichy pour se substituer au Conseil général de la Marne dissous. En septembre 1940, il a fait partie du Bureau de contact composé de quelques représentants des négociants de champagne, qui a été institué pour entrer en rapport avec la puissance occupante. En novembre 1940, il a siégé au sein du Bureau national de répartition du vin de Champagne mis en place par le gouvernement de Vichy. En 1941, Robert-Jean de Vogüé a été nommé délégué général du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC), représentant du négoce, désigné par le secrétaire d’État, ministre de l’Agriculture. Président du Groupement interprofessionnel patronal d’Épernay (GIPER), Robert-Jean de Vogüé a participé dès l’automne 1940 à la création d’une Maison du travail destinée conformément à la politique corporative de Vichy à regrouper les organisations patronales et ouvrières. En 1942, il a été l’initiateur avec Fernand Muls, président de l’Union locale des syndicats ouvriers, du Centre interprofessionnel et social d’Épernay (CIS), un des premiers à voir le jour dans la France de Vichy pour promouvoir la Charte du travail promulguée en octobre 1941. En 1943, membre de Saule, sous-réseau d’Éleuthère dans la Marne, Robert-Jean de Vogüé a animé le le mouvement Ceux de la Libération (CDLL) à Épernay, aux côtés de son secrétaire Henri Fignerol, de Frère Birin et de Maurice Germain. Le 24 novembre 1943, il a été arrêté par la Gestapo dans le bureau d’Otto Klaebisch le « Weinführer du champagne » 3, boulevard Désaubeau à Reims. Le 29 novembre, Maurice Leflond, secrétaire du syndicat des cavistes a lancé un ordre de grève aux employés et ouvriers des sociétés vinicoles de Reims et d’Épernay pour protester contre cette arrestation. Incarcéré à la prison de Châlons-sur-Marne, Robert-Jean de Vogüé s'est confié à son voisin de cellule Robert Tritant, chef du mouvement Ceux de la Résistance (CDLR) à Châlons, sans se rendre compte que des micros étaient dissimulés dans sa cellule. Son procès, que les Allemands ont voulu public, a eu lieu en février-mars 1944 à Reims dans la salle des criées de la Chambre des notaires, cours Langlet et non pas à Châlons-sur-Marne où siégeait habituellement le tribunal militaire allemand. Condamné à mort, Robert-Jean de Vogüé a été gracié, bénéficiant de multiples interventions, dont celle de l'ambassadeur de Suède et celle du gouvernement de Vichy dont René Bousquet ne faisait alors plus partie. Ce dernier pouvait néanmoins encore plaider la cause du délégué du CIVC qu'il avait bien connu dans la Marne, auprès des autorités allemandes, auprès de Laval ou auprès de Pétain lui-même. Robert-Jean de Vogüé a été interné en France puis déporté comme résistant le 27 juin 1944 dans les prisons de Karlsruhe, de Rheinbach, de Ziegenhain, et de Rheinberg, où il a été libéré le 3 mai 1945. Deux résistants sparnaciens jugés et condamnés à mort en même temps que lui, René Herr et Léon Leroy, ont été fusillés, de même que Robert Tritant. Robert-Jean de Vogüé a été homologué FFC (Forces françaises combattantes) et il a reçu le titre est de Combattant volontaire de la Résistance (CVR), mention DIR (Déporté-interné-Résistant) ainsi que la Médaille de la Résistance. Après la guerre, lorsqu’à l’époque de la guerre froide la scission est intervenue au sein de l’association des anciens déportés, Robert de Vogüé a adhéré à la Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes (FNDIRP) aux côtés des anciens résistants d’obédience communiste. À Épernay, le nom de Robert-Jean de Vogüé, décédé le 17 octobre 1976, a été donné à une place de la ville où se dresse un buste honorant sa mémoire.]

    Selon Bertrand de MUN (52), ancien député marnais de l'Alliance républicaine et président de la Chambre de commerce de Reims, BOUSQUET « faisait tout ce qu'il pouvait pour servir d'écran protecteur » entre les Marnais et les autorités allemandes.
    Pierre REGNAULT, directeur du Champagne Salon à Mesnil-sur-Oger, a exalté la « conduite magnifique » de BOUSQUET au retour de l'exode, n'hésitant pas à affirmer que « le plus beau fleuron de la résistance de M. Bousquet à nos ennemis, fut l'organisation de la viticulture champenoise » (53).

   Plusieurs ecclésiastiques onnt également été mis à contribution.
   L'archevêque de Reims, monseigneur MARMOTTIN, se souvenait avoir reçu BOUSQUET à deux ou trois reprises , et l'avoir entendu exprimer son « indignation » en évoquant la condamnation à mort et l'exécution d'« un communiste » par les Allemands (54).

[Louis-Augustin Marmottin est né le 11 mars 1875 à La Neuville-au-Pont (Marne). Ordonné prêtre du diocèse de Châlons-sur-Marne en 1898, il a été nommé évêque de Saint-Dié en 1930, une fonction qu’il a exercée jusqu’à sa nomination à la tête de l’archevêché de Reims en août 1940 en remplacement du cardinal Suhard nommé archevêque de Paris. Dès le début de l’occupation allemande, Monseigneur Marmottin a accepté la défaite comme une sanction voulue par Dieu, et a témoigné constamment un parfait loyalisme à l'égard du régime de Vichy ainsi qu'une véritable vénération à l'égard de Pétain, déclarant notamment le 28 décembre 1940 :« Serrons-nous autour de la personne vénérée du chef que la France s'est donnée. Quelle grande et belle figure que la sienne ! Elle s'impose par sa pureté sans tache, par sa noblesse sans défaillance à l'admiration de l'Univers. Et nul ne peut, mieux que le Maréchal Pétain avec plus de sagesse et plus d'autorité, gouverner notre pays, refaire ses idées et ses mœurs, et lui rendre son prestige auprès des autres peuples. Au surplus, il est également le Chef de l'État français, auquel nous devons le respect, loyale obéissance et entier dévouement ». Un peu plus tard, il a condamné comme « péché mortel » la désobéissance au gouvernement de Vichy, et a dénoncé les résistants comme des « rebelles » au service de l'étranger : « Les fidèles qui n'obéissent pas au gouvernement légal de Vichy commettent un péché mortel. De même, ceux qui se rangent du côté des rebelles ou suivent les directives d'une puissance étrangère qui par ses appels les invitent à désobéir au gouvernement, commettent une faute grave envers la France et envers Dieu ». En 1941, il a exposé les conditions du redressement de la France, affirmant que « la neutralité scolaire, en privant de Dieu les jeunes âmes, avait été la première cause de ses récents malheurs », rappelant « les vrais principes de l'Éducation qui ne peut être que chrétienne », fustigeant « le mépris des divines lois du Mariage » ainsi que « les ravages causés par le divorce, l'union libre, l'adultère, la stérilité volontaire, l'avortement », pleurant sur « la famille française jadis si féconde », dénonçant « la dépopulation causée par l'immoralité » qui, selon lui, avait compté pour beaucoup dans « la défaite de notre pauvre pays », et présentant les prêtres comme « les artisans nécessaires et les plus puissants du relèvement français ». Le préfet de Vichy René Bousquet a entretenu d'excellents rapports avec l’archevêque de Reims qui lui a été reconnaissant d'avoir loyalement appliqué dans la Marne les mesures en faveur de l'enseignement catholique, et cela malgré ses origines radicales, ses amitiés franc-maçonnes et ses convictions laïques. De son côté, le préfet de la Marne, dans son rapport de janvier 1942 aux autorités de Vichy, s’est attaché à montrer le parfait loyalisme de Monseigneur Marmottin envers le régime du maréchal Pétain, relevant qu’il « affirme le caractère impérieux de l'obéissance au chef de l'État le Maréchal Pétain et à ses représentants légaux, comme investis du pouvoir légitime reçu de Dieu ». En janvier 1942, Monseigneur Marmottin, pressenti par le délégué régional de la LVF pour présider le comité d’honneur rémois de cet instrument de la collaboration militaire avec l’Allemagne nazie, s'est récusé en raison du caractère de sa fonction, mais a promis son appui et son aide. Lors des obsèques des victimes des bombardements alliés de mai 1944, il a fustigé les « oiseaux meurtriers » qui jetaient la « terreur et désolation » sur la « ville sainte de la patrie française », et il a manifesté sa « réprobation devant les méthodes de guerre qui ne respectent ni rien, ni personne, qui se rient des lois divines et humaines, qui font servir la science et le progrès à une destruction de la civilisation ». Il a magnifié l'« immolation collective » des victimes rémoises et les a associées aux « milliers d'hommes, de femmes et d'enfants de France, de tout âge, massacrés tous les jours sans ménagement, sans pitié ». Le 11 juillet 1944, il ne s’est pas opposé à ce qu’un service religieux honore dans la cathédrale de Reims la mémoire du milicien Philippe Henriot exécuté par la résistance, en présence des miliciens et des collaborationnistes marnais, mais il n’y a pas participé. Après la Libération, Monseigneur Marmottin s'est rallié de bon gré à la résistance, et a participé officiellement à la célébration de la victoire alliée de mai 1945. Le 9 mai 1945, il a présidé dans sa cathédrale un Te Deum solennel à l’issue du défilé de la Victoire. Le 13 mai 1945, il a célébré la fête de Jeanne d’Arc en déclarant : « Que pouvait Hitler contre nos saints de France, ligués là-haut pour la protection d’une patrie que sauva d’un péril mortel la pure jeune fille que nous célébrons aujourd’hui, notre prodigieuse Jeanne d’Arc ? Une vision s’impose à nous en ce moment, celle de Jeanne d’Arc à genoux dans ce sanctuaire, les drapeaux des nations victorieuses sont à l’honneur aujourd’hui. Chacun d’eux implore pour le pays qu’il représente la guérison de ses blessures, la concorde de ses fils, un glorieux avenir ». Après la guerre, bien que figurant sur la liste des prélats susceptibles d’être inquiétés, monseigneur Marmottin a été épargné par l’épuration épiscopale, mais n’a jamais reçu le chapeau de cardinal traditionnellement attaché au siège archiépiscopal de Reims.]

   L'évêque du diocèse de Châlons-sur-Marne, Monseigneur TISSIER, l'avait toujours considéré comme « un très bon Français » qui avait « fait preuve de dignité vis à vis des Allemands » et qui estimait que « son attitude n'avait pas été celle d'un collaborateur » ( 55 ).
   Monseigneur PETIT, ancien vicaire général à Châlons, devenu évêque coadjuteur de Verdun, a déclaré que BOUSQUET lorsqu'il avait quitté le département avait « emporté la reconnaissance générale des Châlonnais et des Marnais », qu'il avait « fait figure d'un chef à l'âme française et nullement un plat serviteur des autorités occupantes », et que d'« aucuns estimaient qu'il travaillait simultanément pour le Gouvernement à venir autant que pour celui de l'heure qui passait » (56).
   L'abbé Pierre GILLET, directeur de la Maison des Oeuvres, membre du mouvement de résistance Ceux de la Libération (CDLL), vice-président de l'Amicale des déportés et internés de l'arrondissement de Châlons-sur-Marne, a attesté que « jamais il n'avait eu connaissance que Bousquet ait fait à Châlons-sur-Marne quoique ce soit contre la France », et qu'« au contraire il y avait effectué plusieurs interventions efficaces ». Lorsque BOUSQUET, nommé au secrétariat général à la Police, avait fait ses adieux à la ville de Châlons, il lui a fait part de son étonnement qu'il ait pu accepter un tel poste et BOUSQUET lui a répondu : « Je sais bien que cela nuira à ma carrière, mais je ne vois qu'une chose, le bien de mon pays » (57).

[Pierre Gillet est né le 10 mai 1904 à Somme-Yèvre. Ecclésiastique, prisonnier de guerre évadé, l’abbé Gillet est rentré à Châlons-sur-Marne et a siégé dans la commission municipale mise en place au retour de l’exode. En 1942, il a été nommé directeur de la Maison des œuvres catholiques du diocèse de Châlons-sur-Marne et a rejoint le mouvement Ceux de la Libération (CDLL) à la demande de Lucien Paul, responsable de la branche civile de cette organisation. Il a organisé la fabrication de faux papiers pour les prisonniers de guerre évadés, puis pour les réfractaires du STO et les résistants. Il a aidé un aviateur canadien tombé à Marson à passer en Espagne. Arrêté le 17 mai 1944, il a été interné à la prison de Châlons-sur-Marne jusqu’au 23 août 1944. Pierre Gillet a reçu le titre de Combattant volontaire de la Résistance, mention DIR (Déporté-interné-résistant) et la Médaille de la Résistance. En 1945, il a été élu conseiller municipal de Châlons-sur-Marne. En 1983, il a publié une histoire de la Résistance dans l’arrondissement de Châlons-sur-Marne dans le numéro 3 des Cahiers Châlonnais sous le titre Châlons sous la Botte, ouvrage qui a été réédité en 1998 et qui se montre bienveillant à l'égard du parcours du préfet Bousquet dans la Marne. Une rue de Châlons-en-Champagne porte son nom et une plaque rappelle sa mémoire dans la cour de l’évêché].

   Andrée GASNIER (58), en religion soeur MARIE, supérieure de la maison de Charité et assistante départementale de la Croix-Rouge, qui avait organisé avec Madame BOUSQUET, grâce à l'aide de son mari, un centre d'accueil pour les prisonniers rapatriés, a relaté comment BOUSQUET avait obtenu la grâce de Pierre DUFRÊNE, industriel condamné par le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne (59). Arrêté sur dénonciation le 31 octobre 1941 à son domicile de Reims où des armes avaient été découvertes, Pierre DUFRÊNE avait été condamné à mort pour détention d’armes, peine effectivement commuée en 12 ans de travaux forcés sur intervention de BOUSQUET. Il a été déporté le 4 mai 1942 dans la prison de Karlsruhe et transféré dans les prisons de Rheinbach, puis de Siegburg où il est décédé le 14 février 1945.

   Enfin, l'abbé GILLET et soeur MARIE ont justifié l'attitude de BOUSQUET dans ce qu'on a appelé à Châlons l'« affaire du Casino », par le fait qu'il avait dû flatter publiquement un officier allemand parce qu'il venait d'obtenir de lui la grâce d'un condamné à mort. Maurice JONQUET, notaire à Châlons, a relaté cette affaire qui a fait scandale et qui a constitué la seule réserve émise par les Châlonnais au sujet de l'attitude de BOUSQUETEn 1941, au cours d'une soirée de bienfaisance au Casino de Châlons en faveur des prisonniers, devant une assistance de plus de mille personnes, BOUSQUET était monté sur la scène à l'entracte pour vanter les avantages d'une entente avec les Allemands et s'était adressé au docteur HAECKEL, représentant du Feldkommandant assis dans la loge d'honneur en lui disant : « Quoiqu'il arrive, nos relations d'amitié se maintiendront et je compte après la guerre aller chez vous comme vous viendrez chez moi » (60)

   BOUSQUET avait aussi sollicité le témoignage du président de l'association cultuelle israélite de Châlons, délégué du Consistoire central des israélites de France, avec lequel il avait été en relation en mai 1940Léon ULMANN, qui avait passé la guerre à Annecy puis en Suisse,a fait la déclaration suivante :

   « Il m'est impossible de dire quelle a été l'activité et l'attitude de M. Bousquet à Châlons-sur-Marne pendant la durée de l'occupation allemande.
   Depuis mon retour, je n'ai rien entendu dire de particulier sur son compte dans les milieux israélites de Châlons-sur-Marne.
   D'ailleurs, presque tous ceux qui sont restés sur place ont été déportés en Allemagne d'où un seul est revenu à la date d'aujourd'hui.

Châlons-sur-Marne le 3 août 1945 » (61).            

    Mais ce qui a sans doute impressionné le plus le président NOGUÈRES, le Procureur et les jurés de la Haute Cour, a été la très longue déposition de Richard POUZET, entendu à la demande de BOUSQUET à Rochefort-sur-Mer où il reprenait des forces à son retour de déportation. Secrétaire général de la préfecture, il avait été un de ses plus proches collaborateurs dans la Marne, et son témoignage a donné beaucoup de crédit au système de défense élaboré par BOUSQUET consistant à mettre en valeur son action dans ce département. En ce qui concerne le rôle joué ultérieurement par l'ancien préfet de la Marne au secrétariat général à la Police, Richard POUZET a déclaré :

   « Il ne m'appartient pas de juger de son attitude [...]  Je n'ai pas pu l'observer d'assez près, mais je ne veux pas douter qu'elle ait été dictée par sa constante préoccupation de freiner au maximum l'emprise allemande et de sauvegarder de son mieux les intérêts français, sans cesse plus menacés par l'activité haineuse de l'occupant. C'est d'ailleurs ce qui entraîna, à mon avis, sa disgrâce, son renvoi et son remplacement par un individu tout acquis aux Allemands. Alors qu'il avait quitté la vie publique et que j'étais redevenu moi-même un simple particulier, traqué certes, mais pouvant enfin me livrer sans contrainte à l'action résistante, j'eus l'occasion de revoir Bousquet à plusieurs reprises, en particulier au lendemain de la publication dans Je suis partout d'un article infect de Marques-Rivière intitulé je crois " Bousquet le maquisard " (62). Je lui témoignai à cette occasion ma sympathie ; il ne me cacha pas qu'il considérait cet article inspiré par la milice, comme un véritable appel au meurtre. À partir de cet instant son arrestation par les Allemands ne faisait plus de doute ; elle devait intervenir quelques jours après le débarquement, le 9 juin si j'ai bonne mémoire.
   Je ne l'ai plus revu depuis, mais j'en ai entendu parler par les Allemands eux-mêmes, qui, lors de mes interrogatoires auxquels ils me soumirent dans leur chambre de tortures de la rue des Saussaies, me firent, parmi tant d'autres griefs mineurs, articulés par eux contre moi, celui d'avoir connu Bousquet et d'avoir continué dans la Marne son action jugée peu conforme à l'esprit de collaboration. Il est vrai que ce fut là l'un de mes moindres péchés, mais cette simple indication pouvant cependant éclairer la justice française, je n'hésite pas à la lui livrer.

Lecture faite persiste et signe.
Richard Pouzet 
» (63
)

[Secrétaire général de la Marne, Richard Pouzet était en contact avec la résistance marnaise, et couvrait la fabrication à la préfecture de faux papiers d'identité destinés aux prisonniers évadés et aux réfractaires du STO, qu'il aidait à échapper aux réquisitions de main d'œuvre. Il a encouragé le préfet Bousquet, dont il était un des principaux collaborateurs à la préfecture, à protéger les élus républicains, les francs-maçons et les juifs. Mis en disponibilité par le gouvernement de Vichy en février 1944, il a été pressenti pour exercer les fonctions de préfet de la Libération dans la Marne. Arrêté le 4 août 1944 par la Gestapo pour son activité de résistant, il a fait partie d’un transport qui est parti de Pantin le 15 août 1944 et qui est resté bloqué dans un tunnel bombardé par l’aviation alliée. Les déportés ont été transférés dans un autre train que la résistance a essayé en vain de stopper le 17 août 1944 près de Dormans. Richard Pouzet a décrit dans le détail et avec émotion la traversée du département de la Marne. Arrivé le 20 août à Buchenwald, où il a reçut le matricule 77 061, il a ensuite été transféré à Dora, et a été affecté à des travaux de terrassement au kommando d’Ellrich. Au début d'avril 1945, il est évacué lors d'une marche de la mort à Ravensbrück, puis le 28 avril dans une baraque de l'usine d’explosifs chimiques de Malchow, où il a été libéré le 2 mai 1945. Rapatrié en France dans un état d'extrême faiblesse, il a été soumis à une longue convalescence avant de poursuivre sa carrière dans la préfectorale. En août 1945, alors qu'il se reposait chez lui à Rochefort-sur-Mer, il a été entendu comme témoin à la demande de René Bousquet inculpé devant la Haute Cour de Justice. Sa déposition, très favorable à l'ancien préfet de la Marne, dressait un tableau élogieux de l'action de Bousquet dans la Marne de 1940 à 1942. Après la guerre, il a repris du service, comme préfet de la Mayenne, préfet de la Sarthe, puis comme secrétaire général de la Seine, et il est devenu vice-président de l'assemblée du Corps préfectoral. Son témoignage, publié dès 1946 sous le titre Dora-Propos d'un bagnard à ses enfants, a reçu le prix Louis Paul Miller de l’Académie française en 1950.]

La Marne au procès Bousquet

   La Haute Cour de Justice est bel et bien entrée dans le jeu de l'ancien secrétaire général à la Police de Vichy, qui entendait exploiter au maximum l'atout précieux que pouvait représenter l'évocation de son action dans la Marne. Cela a été confirmé par la façon dont s'est déroulé le procès de René BOUSQUET. En effet, dès l'ouverture du procès le 21 juin 1949, aussitôt après avoir donné lecture d'un curriculum vitae de l'accusé tout à fait à son avantage, le président NOGUÈRES a ouvert le chapitre relatif à la Marne en ces termes :

   « Bousquet ne répond pas devant vous des actes qu'il aurait pu commettre comme Préfet, car, à ce titre, il aurait échappé à votre compétence. Mais il est d'autant plus nécessaire que son attitude comme Préfet vous soit connue, que s'il a commis en cette qualité des actes tombant sous le coup de la loi, il en répondrait en vertu de la connexité prévue par l'Ordonnance constitutive de la Haute Cour de Justice » (64).

   Il a lu un court résumé de ce qu'on trouvait dans le dossier sur le comportement de BOUSQUET dans ce département, en relevant que les renseignements reçus, concernant son rôle administratif en tant que préfet, étaient « unanimement favorables à l'accusé ». Curieusement, dans ce résumé très bref, il a privilégié avec insistance les témoignages très favorables de Marguerite BELLO, la secrétaire de BOUSQUET à Châlons-sur-Marne, que ce dernier avait installée à la délégation parisienne de son cabinet en 1942 (65), et ceux de Jean LEGUAY qui, après avoir succédé à BOUSQUET à la sous-préfecture de Vitry-le-François, puis comme secrétaire général de la préfecture de la Marne, était devenu son délégué auprès des autorités allemandes dans les territoires occupés, poste qu'il occupait au moment de la Rafle du Vél d'Hiv les 16 et 17 juillet 1942. (66).

    Le président NOGUÈRES a donné ensuite la parole à l'accusé. Selon Jean PIVERD qui a suivi le procès pour L'Union de Reims, BOUSQUET a fait preuve pendant deux heures d'« une indiscutable éloquence » et a retracé, « non sans une émotion que l'on sentait sincère », ce qu' a été de 1939 à 1942 son action dans la Marne, dans un long et vibrant exposé qui s'est achevé par ces mots : « En tout cas, je voudrais simplement que la Haute Cour retienne que, jusqu'au 18 avril 1942, mon attitude devant l'occupant fut une attitude de dignité. Nous verrons tout à l'heure si cette attitude a changé à partir du 18 avril 1942 »  (67).

   Quant au procureur général, après avoir écouté BOUSQUET, il a déclaré qu'il n'avait pas de question à poser et il a ajouté :« Le Ministère Public, en ce qui concerne le passage de BOUSQUET à la Préfecture de la Marne, n'a rien à lui reprocher. J'ai entendu avec plaisir ses explications, et elles n'ont fait que me confirmer dans mon opinion première » (68).

   L'action de BOUSQUET comme préfet de la Marne qui, par la volonté de l'intéressé et avec l'accord complaisant du président ainsi que du procureur général, ne devait être que rapidement évoquée, a été mise à l'honneur. Elle occupe une cinquantaine de pages dans la transcription du procès, alors que la partie consacrée à ce que fut l'attitude de BOUSQUET à l'égard des Juifs, ne représente qu'une vingtaine de pages.

    Après le chapitre marnais, « le procès singulier de René Bousquet » (69) a suivi son cours, en faisant l'impasse sur la politique de répression et de persécution raciale dont BOUSQUET avait été cependant le principal responsable avec LAVAL.
   Dans la Marne dont il avait été préfet, et malgré les interventions qu'il avait accepté ponctuellement d'entreprendre en faveur de Juifs marnais qui avaient sollicité sa protection lorsqu'il était devenu secrétaire général à la Police, plus de trois cents juifs ont été finalement déportés et une dizaine seulement sont rentrés (70).

   Au terme d'un procès qui ne dura que trois jours au cours desquels BOUSQUET a poursuivi « sans presque désemparer, son long monologue tendant avec succès à se disculper » (71), il a été acquitté « du chef d'atteinte aux intérêts de la défense nationale », déclaré « convaincu du crime d'indignité nationale » frappant automatiquement tous ceux qui avaient accepté de participer aux gouvernements de l'époque vichyste, et condamné à la peine minimale de « cinq ans de dégradation nationale » ; mais il en a été « immédiatement relevé » selon la formule consacrée qui permettait de blanchir les collaborateurs, « pour avoir participé de façon active et soutenue à la résistance contre l'occupant ».


ARRÊT


   Vu l'arrêt rendu le TREIZE JANVIER mil neuf cent quarante neuf par la Chambre d'accusation de la Haute Cour de Justice lequel ordonne la mise en accusation et le renvoi devant la Haute Cour de Justice de : BOUSQUET René, né le 11 mai 1909 à MONTAUBAN ( Tarn-et-Garonne ) de Georges Adrien Emile et de LORTAL Adrienne Marie Laure, Préfet, Ancien secrétaire Général à la Police au Ministère de l'Intérieur, domicilié à Paris ( 16° ) 12 avenue Camoëns.

   Vu l'acte d'accusation dressé par Monsieur le Procureur de la République contre le sus nommé.

   Vu l'exploit en date du 16 février 1949 portant signification de l'acte d'accusation.

   Vu l'original d'assignation en date du 14 juin 1949 portant citation à l'accusé Bousquet René à comparaître devant la Haute Cour de Justice le VINGT ET UN JUIN mil neuf cent quarante neuf.

   LA HAUTE COUR DE JUSTICE constituée conformément aux dispositions de la loi du 27 décembre 1944, modifiée par les lois du 15 septembre 1947 et 19 avril 1948.

   Après avoir entendu Monsieur le Procureur Général en ses réquisitions, l'accusé BOUSQUET René, Monsieur le Bâtonnier RIBET son conseil en ses observations, l'accusé ayant eu la parole le dernier et après en avoir délibéré conformément à la loi et en Chambre du Conseil.

LA HAUTE COUR DE JUSTICE,

   Considérant que pour si regrettable que soit le comportement de BOUSQUET en divers moments de son activité comme Secrétaire Général à la Police et notamment lorsqu'il a accepté d'aider à l'action de la mission DESLOGES, il n'apparaît qu'il ait sciemment accompli des actes de nature à nuire à la défense nationale dans le sens de l'article 83 du Code Pénal et qu'il échet en conséquence de prononcer son acquittement,
   Considérant d'autre part qu'en acceptant de remplir dans le Ministère constitué par LAVAL au mois d'avril 1942 le poste de Secrétaire Général à la Police qui est un de ceux qui le rende justiciable de la Haute Cour, il s'est rendu coupable du crime d'indignité nationale,
Mais considérant qu'il résulte de l'information et des débats la preuve qu'en de nombreuses circonstances BOUSQUET a, par ses actes, participé de façon active et soutenue à la résistance contre l'occupant,

PAR CES MOTIFS,

   Acquitte BOUSQUET René du chef d'atteinte aux intérêts de la défense nationale,
   le déclare convaincu de crime d'indignité nationale, le condamne à la peine de CINQ ANS de DEGRADATION NATIONALE de ce chef, le relève de la dite peine en application de l'article 3 par. 4 de l'ordonnance du 26 décembre 1944.

   Fait et prononcé au Palais de Justice, à Paris, le Jeudi vingt trois juin mil neuf cent quarante neuf, à 20 heures, en audience publique de la Haute Cour de Justice, où siégeaient : Monsieur Louis NOGUERES Président de la Haute Cour de Justice, Messieurs MONTILLOT et KUEHN Vice-Présidents, membres de la Haute Cour de Justice; Madame Renée PREVERT, Messieurs BESSAC, GUILBERT, HULIN, DEPREUX, MAZIER, HUGUES, GERVOLINO, BARBIER, DAMAS, TOUBLANC et BAYLET Jurés de jugement, également membres de la Haute Cour de Justice.

   Et ont signé le présent arrêt, Monsieur Noguères Président de la Haute Cour de Justice et Me Fanchon greffier d'audience
(72).

   La nouvelle a fait l'objet d'un maigre entrefilet dans Le Monde du 25 juin 1949. Le procès de BOUSQUET devant la Haute Cour de Justice n'a suscité aucune réaction dans la Marne, et le verdict de clémence dont il a bénéficié n'y a entraîné aucune protestation de la part des mouvements de résistance qui contrôlaient L'Union, dont le chroniqueur judiciaire avait pourtant fait honnêtement son travail de journaliste tout au long des trois jours qu'a duré le procès. Il est vrai que le directeur-gérant, Pierre BOUCHEZ, avait témoigné en faveur de BOUSQUET en 1945, que le député socialiste de la Marne, Lucien DRAVENY (73), était un ami personnel de BOUSQUET, et que le Mouvement républicain populaire (MRP), parti démocrate chrétien issu de la Résistance, qui disposait de deux députés dans la Marne, dont l'ancien sous-préfet de Reims à la Libération, Pierre SCHNEITER, devenu ministre de la Santé publique, réclamait déjà depuis quelque temps une amnistie.

    Dans L'Aube des 5 et 7 mars 1949, l'éditorialiste du journal Georges BIDAULT – professeur agrégé d'histoire qui avait enseigné en poste au lycée de garçons de Reims de 1926 à 1931 – Compagnon de la Libération, fondateur du MRP, chef du gouvernement provisoire de juin à décembre 1946, et qui devient en octobre 1949, président du Conseil à la tête d'un gouvernement de « Troisième Force » sans les gaullistes ni les communistes, tout en soulignant que l'épuration avait été nécessaire, considérait qu'il y avait eu sans doute des disparités, et que l'heure était maintenant venue pour les résistants de se montrer cléments, d'oublier et de dire ce qui pouvait être oublié (74).

    Au moment même où se déroulait le procès BOUSQUET, François MITTERRAND, secrétaire d'État à la présidence du Conseil et porte-parole du gouvernement QUEUILLE, a présenté au Parlement un projet d'amnistie très discuté, qui a été finalement adopté en décembre 1950 et promulgué en janvier 1951.

   Écarté de la haute fonction publique, René BOUSQUET a poursuivi une brillante carrière à la Banque d'Indochine et dans la presse. Le Conseil d'État, après avoir refusé de le rétablir dans ses droits de préfet, a consenti en 1957 à lui rendre sa Légion d'honneur, et l'ancien secrétaire général à la Police de Vichy a même été amnistié le 17 janvier 1958 (75). Il a pu se lancer dans la politique à l'occasion des élections législatives de 1958, et a été candidat dans la troisième circonscription de la Marne, c'est à dire dans les arrondissements de Châlons-sur-Marne et de Vitry-le-François où il a tenté de reconstituer un réseau d'influence avec l'aide de ses fidèles amis marnais. Dans sa profession de foi, il expliquait qu'il revenait dans la Marne, « attiré par des sentiments d'amitié et de fidélité », et « parce que des amis de diverses obédiences politiques » lui avaient demandé à nouveau de mettre son nom et ses efforts à la disposition des Marnais « pour tenter de réaliser une action de conciliation républicaine » (76). Son suppléant était Hector BOUILLY, conseiller général radical-socialiste de Saint-Remy-en-Bouzemont. Mais l'époque des notables radicaux-socialistes était révolue, et ce fut un échec. René BOUSQUET, avec seulement 4 461 voix, a rassemblé moins de 10 % des suffrages, tandis que la Marne élisait deux députés gaullistes, un divers droite et un MRP.

    Après la mort de son ami Jean BAYLET, survenue en 1959, BOUSQUET a siégé au conseil d'aministration de La Dépêche du Midi, dont il a animé un temps la direction aux côtés de sa veuve Évelyne, et qui a fait campagne en faveur de François MITTERRAND, candidat à la présidence de la République opposé au général de GAULE en 1965 (77).

   En septembre 1989, l'association Les Fils et Filles des déportés juifs de France (FDJF), présidée par Serge KLARSFELD, la Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes (FNDIRP) et la Ligue des droits de l'homme, ont déposé une plainte pour crime contre l'humanité contre René BOUSQUET, qui a été finalement inculpé en mars 1991, au terme d'une longue procédure judiciaire.
 Cette procédure a été rendue possible grâce l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité votée en 1964 par le Parlement.
   Elle
s'appuyait sur trois télégrammes secrets datés d'août 1942, dont la Haute Cour de Justice n'avait pas eu connaissance. Dans ces télégrammes, René BOUSQUET donnait de nouvelles instructions concernant la déportation des enfants juifs, qui abaissaient de 18 ans à 5 et jusqu'à 2 ans l'âge au-dessous duquel les enfants juifs ne pouvaient pas être arrêtés par la Police française, ni dépoortés.
   Elle revenait aussi sur les rapports noués par René BOUSQUET avec les chefs du Sipo-SD en France occupée dans le cadre de ce qu'on a appelé les « accords Bousquet-Oberg » (78), rapports de complicité qui scellaient l'implication du gouvernement de Vichy et de la Police française dans les arrestations de Juifs et la mise en œuvre de la Shoah en France, et qui avaient été complaisamment mis sous le boisseau lors de son procès devant la Haute Cour de Justice. Dans un compte-rendu de la rencontre le 2 juillet 1942 à Paris de René BOUSQUET avec Karl OBERG et son adjoint Herbert HAGEN, ce dernier relevait : « On s'est arrêté à l'arrangement suivant, puisqu'à la suite de l'intervention du Maréchal, il n'est pour l'instant pas question d'arrêter les juifs de nationalité française, Bousquet se déclare prêt à faire arrêter sur l'ensemble du territoire français, et au cours d'une action unifiée, le nombre de juifs ressortissants étrangers que nous voudrons. »

   Mais ce que certains appelaient déjà le « second procès Bousquet », auquel l'ancien préfet de la Marne se préparait (79) tout en le
considérant comme très improbable (80), et qui risquait de se transformer en « procès du procès de 1949 », n'a pas eu lieu puisque René BOUSQUET a été assassiné à son domicile parisien, le 8 juin 1993.

Débats et polémiques d'aujourd'hui

    Plus de soixante-dix ans après le procès Bousquet, la responsabilité du gouvernement de Vichy dans la mise en œuvre de la Shoah en France et le rôle joué par Bousquet à la tête du Secrétariat général à Police continuent de faire débat.

   En 2022, Laurent JOLY dans La Rafle du Vel d’Hiv Paris, juillet 1942, ouvrage publié chez Grasset qui s’appuie sur de nouvelles sources, a bien mis en évidence l’implication personnelle et directe du secrétaire général à la Police René BOUSQUET dans l’organisation et la mise œuvre de la rafle du Vel d'Hiv, implication que BOUSQUET s’est efforcé de gommer en en renvoyant la responsabilité sur DARQUIER DE PELLEPOIX et le Commissariat aux Affaires juives.
   C’est bien BOUSQUET qui a négocié les 3 et 4 juillet 1942 avec Karl OBERG, chef des SS et de la Police allemande en France, un accord visant à « arrêter le nombre de juifs exigé par l’occupant, c’est-à-dire 40 000 juifs et juives, 30 000 en zone occupée et 10 000 en zone sud non occupée, à condition qu’ils soient étrangers (ou d’origine étrangère) et que les forces de l’ordre de Vichy agissent en totale autonomie ».
   C’est bien BOUSQUET en « donneur d’ordre » qui a fait exécuter la rafle du Vel d’Hiv, par la Police française, les gardiens de la Paix de la région parisienne, ce dont le maréchal PÉTAIN avait approuvé le principe. Au cours de la seule journée du 16 juillet 1942, « plus de 8 000 hommes et femmes, juifs polonais pour la plupart, et près de 4 000 enfants, le plus souvent français » ont été arrêtés, et les enfants séparés de leurs parents.
   C’est bien BOUSQUET qui, avisé que le cardinal SUHARD, archevêque de Paris et fervent soutien du régime de Vichy, avait
fait part de son intention de manifester auprès des autorités d’occupation « son émotion douloureuse et son inquiétude » au sujet des enfants séparés de leurs parents, s’est empressé d’aller neutraliser le cardinal. Ce dernier a déclaré peu de temps après la rafle du Vel d’Hiv : « Le secrétaire d’État m’a expliqué que nous n’avions pas à nous émouvoir de ces arrestations, car 90% des personnes arrêtées sont des indésirables ».
   C’est bien BOUSQUET qui a déclaré en août 1942 au général GOUDOUNEIX, président de la Fédération des amicales des engagés volontaires étrangers, qui prenait la défense des
Juifs ayant combattu pour la France au cours de la 1ère guerre mondiale et de la campagne de France de mai-juin 1940 : « La France ne s’en portera pas plus mal […] nous nous rendons parfaitement compte de ce que nous faisons. L’avenir démontrera que nous avions raison ».
   C’est bien BOUSQUET qui a décidé, après la rafle du Vel d’Hiv, dont les résultats avaient été jugés très médiocres par les Allemands, de mettre en place en novembre 1942 au sein de la Police judiciaire à la Préfecture de police, un service spécial des Affaires juives (SSAJ), dont la mission était « de traquer les juifs pour le compte de la Gestapo ».
».

   C'est aussi en 2022 que Robert BADINTER a établi et annoté avec Bernard LE DREZEN, une édition chez Fayard
des minutes du procès Bousquet publiée sous le titre Le Procès Bousquet-Haute Cour de justice 21-23 juin 1949 (81), L'ouvrage reprend la sténographie du procès effectuée par René BLUET, qui est conservée aux Archives nationales.
    J'avais pu moi-même consulter ces minutes aux Archives nationales
dans les années 1980, et photocopier les pages concernant le passage de BOUSQUET dans la Marne au domicile de Maître NOGUÈRES. Son père, Louis NOGUÈRES, qui avait présidé la Haute Cour de Justice de 1949, en avait conservé une copie.
   Dans sa préface,
Robert BADINTER s'interroge sur ce qu'il considère comme un « déni de justice » et « une défaite de la justice » :

    « Il advient que la justice transforme un innocent en coupable. Mais il est plus rare que l'institution judiciaire transforme un coupable en innocent. Ce fut pourtant le cas de René Bousquet [...]
   Au-delà de l'intérêt historique de ce déni de justice que fut son procès, demeure une question essentielle : comment la Haute Cour de justice a-t-elle pu acquitter René Bousquet et lui délivrer un véritable brevet de Résistance ?
C'est l'énigme que cet ouvrage présente [...]
  Malgré la disparition des pièces du dossier adminitratif, un jour peut-être, la vérité sera établie sur les secrets de cette défaite de la justice. Peut-être des chercheurs retrouveront la clef disparue de l'affaire Bouquet. Je le souhaite. Mais je n'y crois guère. »

   Cette édition utile et bienvenue permet de découvrir le poids de la Marne et des Marnais dans le déroulement et l'issue du procès Bousquet, poids qui a longtemps été sous-évalué. Correspondant dans la Marne du Comité d'histoire de la 2e guerre mondiale, puis de l'Institut du temps présent (IHTP), j'ai pu consulter dès les années 1970 les archives du cabinet du préfet de la Marne, les archives policières et judiciaires conservées aux Archives départementales de la Marne. Aux archives nationales, j'ai eu accès aux minutes du procès Bousquet enfin publiées en 2022, mais aussi à son dossier individuel, aux rapports qu'il a adressés au ministère de l'Intérieur à Vichy de 1940 à 1942, aux archives du procès, aux auditions de témoins marnais entendus sur commission rogatoire, ou cités par l'inculpé, ainsi qu'aux attestations adressées par des Marnais au juge d'instruction.
    La
confrontation de toutes ces sources croisées m'a permis de retracer, d'analyser et de contextualiser le parcours de René BOUSQUET dans la Marne et en Champagne et de montrer comment ce parcours a été longuement exposé avec bienveillance et complaisance au cours de son procès en 1949, comment les jurés de la Haute Cour de Justice se sont laissés convaincre par BOUSQUET qu'il avait été un grand préfet de la Marne et que sa conduite dans ce département avait été irréprochable, comment l'exaltation du parcours marnais de BOUSQUET a permis d'escamoter son implication directe et personnelle dans la rafle du Vél d'Hiv et la mise en œuvre de la Shoah en France.
   
J'ai eu l'occasion d'exprimer dans plusieurs colloques et dans ma thèse de doctorat soutenue
en 1993 (82), ma conviction que la Marne et les Marnais constituent sans doute une des clefs de compréhension et d'explication de « l'énigme du procès Bousquet ».

    En janvier 2023, a été publié aux Éditions L'Artilleur l'ouvrage Histoire d'une falsification. Vichy et la Shoah dans l'Histoire officielle et le discours commémoratif. Dans cet ouvrage, Jean-Marc BERLIÈRE, Emmanuel de CHAMBOST et René FIÉVET, réagissant au discours du président de la République Emmanuel MACRON à Pithiviers le 17 juillet 2022, dénoncent ce qu'ils considèrent comme « une surenchère mémorielle qui se traduit par un récit faux historiquement ». Ils entendent « remettre au premier rang l'écrasante responsabilité des nazis (Allemands et Autrichiens) dans le drame de la déportationdes juifs de France ».
    Tout en affirmant qu'
« 'il n'est pas question de défendre Vichy ou Laval, Bousquet, Pétain »Jean-Marc BERLIÈRE s'écarte de ce qu'il appelle « la version développée par Serge Klarsfeld axée sur le rôle exclusif de René BOUSQUET dans les négociations avec les Allemands ». Il considère que « Bousquet n'a fait qu'obéir aux instructions de Laval » et que « le marchandage juifs français contre juifs étrangers fut bien au cœur de la négociation entre Vichy et les Allemands fin juin, début juillet 1942 ».

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