Histoire et mémoire 51 >

La mémoire des Juifs marnais travailleurs de la WOL
à Bulson et Puilly-et-Charbeaux

   Dans les Ardennes, plusieurs mémoriaux rappellent la mémoire des ouvriers juifs de la WOL (Wirtschaftsoberleitung) une administration chargée d’organiser la mise en culture des fermes ardennaises colonisées par les Allemands. Beaucoup d’entre eux ont été arrêtés avec leurs familles le plus souvent lors des rafles des 4 et 6 janvier 1944 et exterminés à Auschwitz.
   L’implantation de ces mémoriaux doit beaucoup au long travail de mémoire mené par la délégation des Ardennes des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (AFMD-08) et à l’engagement mémoriel de certaines communes.

   À Tétaigne, une stèle a été érigée en avril 2006 près du monument aux morts « À la mémoire des Juifs arrêtés à Tétaigne le 6 janvier 1944, regroupés à Drancy, dirigés ensuite le 20 janvier à Auschwitz ». Cette stèle porte dix-huit noms.
   À Nouart, une plaque commémorative a été apposée en août 2008 sur la place du monument aux morts. Dédiée « À la mémoire des ouvriers de la WOL raflés à Nouart puis déportés à Auschwitz le 4/4/1944. Souvenez-vous », elle porte trois noms. L’inscription fait une erreur sur la date de la rafle qui a eu lieu le 4 janvier, suivie de la déportation à Auschwitz par le convoi 66 du 20 janvier 1944.

   À Champigneul-sur-Vence, une plaque a été ajoutée en octobre 2008 à la base du monument aux morts. Elle est dédiée « Aux Juifs déportés en février 1944 ». En fait sur la liste des douze déportés juifs, on compte un déporté par le convoi 55 du 23 juin 1943, un autre par le convoi 57 du 18 juillet 1943, dix par le convoi 66 du 20 janvier 1944, tous déportés à Auschwitz.

   À Seraincourt, une plaque a été apposée en octobre 2013 sur le mur en face de l’église, où figurent quarante noms et qui est dédiée « À la mémoire des ouvriers agricoles juifs de la WOL raflés à Seraincourt, Fraillicourt, Écly, Hauteville, Son, Rethel le 4 janvier 1944, déportés de Drancy, exterminés à Auschwitz ».

   La plupart des Juifs qui ont été recrutés pour travailler dans les fermes ardennaises de la WOL étaient originaires de la région parisienne. Des familles juives rémoises partirent elles aussi dans les Ardennes, avec l’espoir vain de pouvoir y survivre. Leurs noms sont gravés sur les plaques commémoratives de Bulson et de Puilly-et-Charbeaux.

   La plaque commémorative de Bulson, qui a été inaugurée en septembre 2007, compte quarante noms sous la dédicace : « À la mémoire des ouvriers agricoles juifs raflés à Bulson les 4 et 6 janvier 1944 pour être déportés de Drancy à Auschwitz ». Parmi ces noms figurent ceux d’une famille juive rémoise qui avait été arrêtée au printemps 1943, la famille DRAJER, orthographiée DRAGER sur la plaque : 

« DRAGER Rachmil  1908 », Rachmil dit Daniel DRAJER né le 15 avril 1908 à Skiemiewice (Pologne).
« DRAGER Gitla », Gitla DRAJER née TARGOWNIK le 25 mars 1913 à Staszoul (Pologne)
« DRAGER Denise 1931 », Denise Esther DRAJER née le 23 avril 1935 à Reims
« DRAGER Ginette 1937 », Ginette DRAJER née le 16 mai 1937 à Reims

   Rachmil et Gitla DRAJER tenaient un commerce Au Petit carreau du Temple au 36, de la rue Gambetta à Reims. Quand leur magasin a été aryanisé, Rachmil a travaillé un temps dans une menuiserie puis a décidé de répondre à un appel de l'UGIF (Union générale des Israélites de France) qui recrutait des travailleurs juifs pour les fermes ardennaises colonisées par les Allemands dans le cadre de la WOL. Après être passée par Carignan, la famille est arrivée le 3 mars 1943 à Bulson. Rachmil y aurait eu plusieurs altercations avec un chef de culture allemand, ce qui pourrait expliquer l’arrestation précoce de cette famille, bien avant les arrestations de janvier 1944. Arrêtés le 14 avril 1943 à Bulson, transférés à Drancy le 23 avril, ils ont été déportés à Auschwitz par le convoi 55 du 23 juin 1943.
   Le JO du 1er mars 2015 fixe le décès à Auschwitz de Denise et Ginette DRAJER au 28 juin 1944. La date du décès de leurs parents n’est pas connue.

   La plaque commémorative de Puilly-et-Charbeaux apposée « À la mémoire des Juifs de Puilly déportés à Auschwitz le 20 janvier 1944 » compte vingt-neuf noms dont ceux de deux familles juives rémoises, les GOLDSTEIN (GOLDSTAJN sur la plaque) et les GUTMAN : 

« GOLDSTAJN Jacques 1932 », Jacques GOLDSTEIN né le 19 février 1932 à Reims.
« GOLDSTAJN Naphtali 1903 », Naphtali GOLDSTEIN né le 21 septembre 1903 en Pologne, indiqué sur la plaque bien que survivant en 1945
- « GOLDSTAJN SIMON 1938 », Simon GOLDSTEIN né le 22 août 1938 à Reims
« GOLDSTAJN Zaïta 1912 », Jenta Laja, dite Henriette GOLDSTEIN née DRAJER le 20 avril 1912 à Skiemiewice (Pologne).
   Les GOLDSTEIN habitaient 19 rue de Tambour à Reims où Naphtali était tailleur.

« GUTMAN David 1933 » né le 28 juillet 1933 à Metz
« GUTMAN Jacques 1931 » né le 30 septembre 1931 à Metz
« GUTMAN Kasla 1905 », Kasla dite Claire GUTMAN née DRAJER le 15 mai 1905 à Rawa (Pologne)
- « GUTMAN Sarah 1926 », née le 25 janvier 1926 à Metz
« GUTMAN Zlama 1899 », Szlama GUTMAN né le 14 décembre 1899 à Mogielnica (Pologne)
   Les GUTMAN, réfugiés de Moselle, habitaient 11 rue des Murs à Reims où Szlama avait trouvé un emploi d’ouvrier menuisier.

   Les familles DRAJER, GOLDSTEIN et GUTMAN étaient apparentées, Rachmil DRAJER étant le frère de Jenta GOLDSTEIN et de Kasla GUTMAN. On ne connait pas la date de leur départ pour les Ardennes. Les rapports de police établis à l’occasion des arrestations à Reims du 20 juillet 1942 les disent absents de la ville, sauf Jenta GOLDSTEIN qui était souffrante et ses fils. Laissée en liberté en raison de son état de santé, elle rejoignit rapidement le reste de la famille dans les Ardennes avec Jacques et Simon.

   Les GOLDSTEIN et les GUTMAN furent arrêtés à Puilly le 4 janvier 1944 et déportés par le convoi 66 du 20 janvier 1944.
Seul Naphtali GOLDSTEIN a survécu. Sélectionné pour le travail forcé, il a été affecté à l’usine Buna d’Auschwitz-Monowitz sous le matricule 172694. Transféré à Buchenwald sans doute au moment de l’évacuation d’Auschwitz en janvier 1945, il est rentré en France le 6 juin 1945.
   Jenta, Jacques et Simon GOLDSTEIN ont été gazés à l’arrivée du convoi. Le JO du 4 janvier 1994 fixe leur décès à Auschwitz au 25 janvier 1944.
   Ce fut aussi le sort de Sarah, Jacques et David GUTMAN pour qui le JO du 18 août 2015 donne aussi la date du 25 janvier 1944. Le sort de leurs parents Szlama et Kasla reste inconnu