Histoire et mémoire 51 > La libération de Reims et le rétablissement de la République
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La Libération et le rétablissement de la République
à Reims et dans le département de la Marne
(28, 29 et 30 août 1944)

   La libération de Reims et de la Marne était l’objectif qui rassemblait au-delà de leurs divergences les résistants marnais regroupés au sein des quatre principaux mouvements implantés dans le département et représentés au sein du Conseil national de la Résistance : 
    - Ceux de la Résistance (CDLR), mouvement auquel appartenaient Gilbert GRANDVAL, délégué militaire placé à la tête de la Région C dont faisait partie la Marne, et Pierre BOUCHEZ, industriel rémois, chef des Forces françaises de l’intérieur du département (FFI) ;
    - Ceux de la Libération (CDLL), mouvement créé à l’origine par des officiers de réserve attachés aux valeurs conservatrices du régime de Vichy, mais farouchement opposés à la collaboration et déterminés à chasser l’occupant ;
    - Libération-Nord, mouvement de résistance organisé dans la mouvance du Parti socialiste SFIO ;
    - Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France (FN, sigle usurpé en 1972 par Jean-Marie Le Pen), créé en mai 1941 dans la mouvance du Parti communiste, mais où se sont retrouvés dès son implantation dans la Marne des résistants de sensibilités politiques très différentes, y compris d’anciens membres des Croix de feu et du Parti social français du colonel DE LA ROCQUE.


   Le Comité départemental de Libération nationale (CDLN), était présidé par Michel SICRE, au titre de la CGT, Confédération générale du travail réunifiée en 1943 dans la clandestinité. Militant communiste, secrétaire avant-guerre du Syndicat de la Société des transports parisiens (devenue après-guerre la RATP), responsable du Front national en Franche-Comté et en Bourgogne, il avait été envoyé dans la Marne en 1943 pour y prendre la direction des Francs-tireurs et partisans français (FTPF), organisation armée du Front national.


Les plans de l’état-major allié

   Parmi les différents plans d'action de l'état-major allié déclenchés au moment du débarquement du 6 juin 1944 en Normandie, trois concernaient le département de la Marne qui occupait une position stratégique importante, sur l'axe reliant le littoral normand à l'Allemagne. Ils avaient reçu les noms de code de plan Vert, plan Violet et plan Paul.

   
Le plan Vert visait à neutraliser les voies ferrées de façon à retarder l'acheminement des renforts allemands vers les plages du débarquement. Des équipes devaient être constituées, prêtes à exécuter les sabotages aux points indiqués, sur un signal donné par la BBC. C’est ainsi qu’une soixantaine de sabotages ont été exécutés dans les gares et sur les lignes de chemin de fer du département entre le 6 juin et la fin du mois d’août 1944. Le plan Vert incluait également un plan de guérillas, qui prévoyait la constitution de trentaines, c’est-à-dire de groupes d’environ 30 hommes prêts à intervenir au signal de la BBC.
   Le
plan Violet avait pour objectif d’interrompre par des sabotages les communications téléphoniques et télégraphiques de l'ennemi, ou au moins à les perturber.
    Le
plan Paul, qui a été mis en œuvre à partir du 17 juin 1944 dans la Marne, prévoyait la formation de quatre centaines FFI constituées par le commandant Marcel LOBERTRÉAU, connu sous son pseudo de « Commandant Marc », et affectées à des terrains de parachutages choisis pour recevoir des armes et d'éventuels commandos de parachutistes alliés. Elles devaient se tenir prêtes à prendre position sur ces terrains, à les défendre en cas d'attaque allemande et à aider aux opérations de parachutages. Deux d’entre elles se trouvaient dans l’arrondissement de Reims : la centaine Duriez, affectée au terrain « Lièvre » situé à Moronvilliers à l'est de Reims, et la centaine Davoust affectée au terrain « Poisson » situé près de Ville-en-Tardenois, au sud-ouest de Reims.


   Les phrases de déclenchement des plans alliés concernant la Région C ont été lancées sur la BBC toutes en même temps au cours de la nuit du 5 au 6 juin 1944, ainsi qu’un appel à la guérilla. Dans un ouvrage consacré à la Libération publié en 1974, Gilbert GRANDVAL considérait que cela avait été une grave erreur
.

 

La tragédie de la Ferme de Chantereine
28 août 1944

   Dans l’enthousiasme de l’approche de la Libération il y a eu, il est vrai, beaucoup d’imprudences, d’initiatives malheureuses de la part de jeunes FFI sans grande expérience, venus gonfler les rangs des maquisards quelques jours avant la libération du département, ce qui a abouti à des drames comme celui de la Ferme de Chantereine à Champlat au sud-ouest de Reims.
   Le 25 août 1944, la centaine Davoust, commandée par le lieutenant Pierre DEMARCHEZ, s’installa dans cette ferme, bien que celle-ci fût connue des Allemands qui y avaient perquisitionné en avril 1944. Trente-quatre containers parachutés dans la nuit du 25 au 26 août sur le terrain « Théophile Gautier » à Chambrecy y avaient été entreposés. Complètement isolée, à découvert, au fond d’une cuvette entourée de bois, cette ferme constituait une véritable souricière.
   Au cours de la journée du 27 août arrivèrent individuellement ou en petits groupes des hommes et des femmes souvent très jeunes, venus offrir leurs services. Dans l’après-midi, alors que des avions allemands survolaient le site en rase-mottes, plusieurs FFI, les prenant pour des avions américains, sortirent de la ferme pour leur faire des signes d’amitié.
  Le 28 août, la ferme de Chantereine fut survolée par un avion balançant les ailes, puis aussitôt encerclée par plusieurs blindés allemands et attaquée par surprise. Cette attaque provoqua la sortie précipitée sans ordre et sans armes de la plupart des occupants de la ferme qui s’enfuirent vers la forêt à travers les champs moissonnés, donc à découvert.
   Dix d’entre eux ont été tués. : Louis BELLOT, Roger CHAUVET, Robert GUILLEN, Marcel JAZERON, André LEBEAU, Georges PATÉ, Bernard PETIT BONHOMME, Henri SALMON, André THOMAS. Le plus jeune, Philippe COUTIEZ de Cormontreuil, n’avait que 18 ans. Un onzième nom figure sur le monument de la Ferme de Chantereine, celui d'André BEUVELET, 21 ans, tué accidentellement le 26 août 1944.


L'arrivée des Américains

   Finalement, compte tenu de la rapidité de l'avance alliée en Champagne et dans la Marne, le Plan Paul n’a été que partiellement appliqué. Les FFI dont les effectifs avaient enflé au sein des trentaines et des maquis ont certes opéré des sabotages, mené des opérations de harcèlement contre les troupes allemandes, mais leur rôle essentiel a été d’accompagner et de guider les troupes américaines dans leur progression à travers le département.

   Selon Gilbert GRANDVAL, la IIIe armée américaine du général PATTON « a traversé la Champagne, sans rencontrer de résistance » de la part des troupes allemandes qui se sont retirées en bon ordre. Des combats se sont poursuivis cependant aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne au début du mois de septembre, mettant à contribution les FFI de l'Argonne marnaise.

   Un jeune FFI, étudiant à l'École des Beaux-Arts de Reims, Marceau GLORIEUX, a laissé un témoignage de cette retraite, dans un dessin traité à la façon du caricaturiste DUBOUT. Il a réalisé ce dessin, où il prenait plaisir à montrer une armée allemande en déroute, très peu de temps avant d’être tué le 29 août 1944 avec son frère Maurice lors d’un accrochage avec une patrouille allemande à proximité du cimetière de Tinqueux.


   Pierre BOUCHEZ, chef départemental des FFI, a dressé dans son journal de marche un bilan modeste de l’action de la Résistance marnaise, mais qu’il présentait de façon flatteuse en arguant que la configuration du département, avec ses paysages de plaines et de champs ouverts, n’avait pas permis de livrer une guérilla contre les troupes allemandes battant en retraite. Il ajoutait que le commandement allié lui avait fait part de sa satisfaction, en précisant que grâce à l’action de la Résistance marnaise, la IIIe Armée américaine « avait été en avance sur son horaire ».

   Gilbert GRANDVAL, quant à lui, a porté dans ses Mémoires un jugement beaucoup plus nuancé, voire sévère, sur l’action de Pierre BOUCHEZ à la tête des FFI de la Marne, soulignant que les relations de ce dernier avec ses subordonnés n’avaient pas été très bonnes, et que l’État-major national FFI tout comme l’État-major allié s’étaient plaints « d’une mauvaise exécution du plan Vert dans la Marne ».

   La Marne n'a pas vécu à la Libération de période véritablement insurrectionnelle, comme en ont connue d'autres départements où la Résistance et les maquis étaient solidement installés. La plupart des organisations de résistance marnaises et le chef départemental des FFI, Pierre BOUCHEZ, étaient d'ailleurs hostiles à une insurrection populaire qui n'aurait profité, à leurs yeux, qu'au Parti communiste.

   La libération du département s’est donc effectuée très vite, en trois jours, les 28-29-30 août 1944, par la progression conjuguée de deux corps appartenant à la IIIe Armée américaine sous les ordres du général PATTON, les XXe et XIIe corps d’armée US, venant respectivement de Melun et de Troyes. Ces troupes ont pénétré dans le département à la fois par le sud-est, le sud-ouest et l’ouest et elles ont libéré Sézanne, Vitry-le-François, Dormans et Fismes le 28 août, Épernay et Châlons-sur-Marne le 29, Reims et Sainte-Ménehould le 30. Elles ont ensuite poursuivi leur progression vers les Ardennes et vers la Lorraine où les attendaient des combats beaucoup plus rudes.


   À Reims, plusieurs centaines FFI avaient été mises sur pied en vue de la Libération. Le 29 août 1944, alors que les Américains étaient signalés aux abords de Cormontreuil, les Rémois entendaient la déflagration de nombreuses explosions, les soldats allemands faisant sauter, avant de quitter la ville, des dépôts de matériel et de carburant, le central téléphonique et le poste d’aiguillage de la gare, et dans la soirée le pont de Vesle. D’autres lieux stratégiques de la ville ont pu être préservés, grâce à l’action de FFI qui ont pris position au château d’eau, sur le pont de Laon, sur le pont Huon, sur le pont Fléchambault. C’est par ce dernier pont défendu par des FFI de la centaine Bourlon, sous la conduite de leur chef de trentaine, Marcel BATREAU, que les premiers blindés américains venus du quartier Maison Blanche ont atteint le centre-ville le lendemain matin.

   Cette même centaine, dirigée par le commissaire BOURLON, qui comptait plusieurs policiers dans ses rangs, s’est aussi illustrée par la prise d’un char allemand, vite baptisé par les Rémois « Char Bourlon ». Le 30 août au matin, les troupes américaines sont entrées dans Reims libérée.

 

Les journées libératrices

   Les journées libératrices qui ont fortement marqué les esprits de celles et ceux qui les ont vécues ont été à la fois des journées d’impatience, d’inquiétude, de chagrin et de joie. Impatience bien sûr de voir arriver les soldats américains que l’on a cru voir un peu partout dans les jours qui ont précédé. Inquiétude et chagrin aussi. Depuis plusieurs jours, des collaborateurs, des miliciens et des membres de la gestapo française qui fuyaient vers l’Allemagne, avaient fait halte dans la Marne.

   C’est ainsi que le 27 août un groupe de miliciens venus du Nord a exécuté sommairement les résistants André WATTIER et Henri TOURTE, ainsi que Rufin WAÏDA à la Ferme de l’Espérance dans le secteur de Verzenay/Beaumont-sur-Vesle.

   
   À Reims dans les jours qui ont précédé la libération, avaient couru les bruits que l’occupant avait miné les ponts, les installations ferroviaires et la gare. Le 29 août, la population avait appris l’exécution la veille de trois résistants rémois au Fort de Brimont, Jean BEAUBRAS, Henri MIDOL et Edmond POTTELAIN et la mort des dix jeunes FFI du maquis de Champlat tués au cours de l’attaque de la Ferme de Chantereine, parmi lesquels se trouvaient plusieurs jeunes Rémois.

   Ce même 29 août, à Tournes dans les Ardennes, une unité de la Gestapo d’Orléans avait exécuté 13 patriotes extraits de la prison de Charleville, dont trois résistants rémois, Marie-Thérèse OGNOIS, André SCHNEITER et Paul SCHLEISS.  
    Dans tout le département, de nombreuses familles étaient dans l’attente anxieuse de nouvelles de certains des leurs, en particulier de jeunes hommes partis rejoindre, dans l‘exaltation de la libération toute proche, le groupe FFI ou le maquis local.

   Cependant, ce qui a dominé en cette fin août 1944, ce fut l’explosion de joie provoquée par l’arrivée des troupes américaines. L’expression de cette joie s’est manifestée partout de la même façon : drapeaux tricolores aux fenêtres, embrassades, enfants et jeunes filles juchés sur les véhicules américains, rassemblements devant les mairies et les monuments aux morts, défilés, bals populaires.

   Les rassemblements de foule, surtout dans les premières heures de la Libération, ont parfois donné lieu, à Reims comme dans d’autres villes du département, à ces scènes sinistres que l’on a appelées les « tontes vengeresses », observées dans toute la France libérée : des femmes suspectées d’avoir eu des rapports avec des soldats allemands ont été tondues devant une foule hilare, le front parfois marqué d’une croix gammée.

   Ce fut aussi le moment où des collaborateurs et des profiteurs du marché noir ont été pourchassés par des résistants ou des personnes se prévalant de la résistance, molestés, parfois exécutés. Ces actes, peu nombreux en fait, montraient cependant qu’il était urgent de rétablir la légalité républicaine, après toutes ces années où les droits de l’Homme avaient été bafoués et où le gouvernement de Vichy avait renié les valeurs et les principes de la République.


Les témoignages d'Henri Druart
et de Monsieur Lallement

Le rétablissement de la République

   Le 29 août 1944, jour de la libération de Châlons-sur-Marne, Marcel GRÉGOIRE-GUISELIN a pris possession de la préfecture de la Marne au nom du Gouvernement provisoire. Le jour même, il a déclaré déchu « le pseudo-gouvernement du maréchal Pétain » et a rétabli la République. Le 27 juin 1944, il avait été officiellement nommé par le Comité français de libération nationale Commissaire régional de la République, chargé dès la Libération de proclamer la République restaurée dans la Région de Champagne qui comprenait les trois départements de la Marne, de l’Aube et de la Haute-Marne. Cette fonction avait été dévolue initialement à Michel DEBRÉ, finalement nommé commissaire régional de la République à Angers.

   Marcel GRÉGOIRE-GUISELIN a signé un arrêté de suspension frappant les hauts fonctionnaires en place à Châlons. L'inspecteur d'Académie Jules HELLER qui avait courageusement démissionné sous l'Occupation, refusant de cautionner la politique anti-laïque de Vichy, a été réintégré dans ses fonctions et nommé préfet de la Marne par intérim, fonction qu'il a exercé jusqu'au 10 octobre 1944, date à laquelle Raymond JAMMES a été installé à la préfecture.


   Marcel GRÉGOIRE-GUISELIN a nommé à la tête des différents arrondissements du département des sous-préfets tous issus directement des rangs de la Résistance marnaise.
   À Reims, c’est un démocrate-chrétien, Pierre SCHNEITER, qui a été désigné. Il appartenait au mouvement Ceux de la Résistance, et était le frère d’André SCHNEITER, responsable de ce mouvement et des FFI dans l'arrondissement de Reims, qui venait d’être exécuté par les Allemands à Tournes dans les Ardennes. Toutes ces nominations avaient l'aval du Comité départemental de Libération nationale (CDLN) présidé par le communiste Michel SICRE.


   L'unanimité des premiers jours de la Libération s’est affirmée par la publication de deux appels conjoints dans le premier numéro de L'Union Champenoise, organe du Comité départemental de Libération daté du 30 août 1944. Ces deux appels étaient signés respectivement par le commissaire de la République, Marcel GRÉGOIRE-GUISELIN, et par le président du CDLN, Michel SICRE. Ils annonçaient la déchéance du régime du maréchal Pétain, le rétablissement de la République française et de sa devise Liberté-Égalité-Fraternité. Ils constataient que le Gouvernement provisoire du général DE GAULLE, « voulu et acclamé par l'immense majorité du pays », représentait désormais la seule autorité qui devait être reconnue.

   Cependant, le fait qu'il y ait eu deux appels simultanés et non pas un seul et unique appel commun, pouvait accréditer l'idée que les deux hommes représentaient bien deux pouvoirs potentiellement concurrents, et cela d'autant plus qu'au-delà des préambules rédigés en des termes quasiment identiques, les deux discours n'avaient pas la même tonalité.
   Le commissaire de la République, Marcel GRÉGOIRE-GUISELIN, affirmait son autorité en promettant une justice rapide et sévère et en proclamant l'état de siège, mais il tenait aussi des propos mesurés, apaisants, appelant à la concorde, et ne prenait aucune décision immédiate.
    Au nom du Comité départemental de Libération nationale, Michel SICRE tenait un discours offensif et déclarait « dissous les conseils municipaux en fonction » coupables de ne pas représenter « les aspirations du peuple français ». La plupart avaient cependant été démocratiquement élus avant-guerre, et avaient été maintenus en place par le préfet de Vichy, René BOUSQUET. Or, l'ordonnance du 21 avril 1944 promulguée par le Comité français de Libération nationale (CFLN) concernant les conseils municipaux, stipulait que ceux qui avaient été élus avant le 1er septembre 1939 devaient être maintenus ou remis en fonction.

   Finalement Marcel GRÉGOIRE-GUISELIN s'est efforcé de limiter le nombre des délégations municipales, nommées en remplacement des conseils municipaux dissous, en attendant les premières élections municipales d'après-libération qui n'ont pu être organisées que fin avril-début mai 1945. À Reims, pour remplacer le docteur BOUVIER nommé par le gouvernement de Vichy, le président du Comité local de Libération (CLL), Fernand KINET a avalisé la nomination au poste de maire du docteur Jean-Jacques BILLARD considéré comme étant une personnalité politiquement indépendante, qui n'avait pas collaboré.