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Les anciens combattants indigènes de la 2e guerre mondiale

Les anciens combattants indigènes dans la 2e guerre mondiale

La « cristallisation », le gel des pensions

Le long processus de « décristallisation » des pensions

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Les anciens combattants indigènes dans la 2e guerre mondiale

   En août 2004, les célébrations du 60e anniversaire des Débarquements alliés et de la Libération ont permis de rappeler l'engagement des troupes coloniales dans la 2e guerre mondiale, et en particulier leur participation massive au débarquement du 15 août 1944 (1).

   La participation des soldats indigènes à la campagne de mai-juin 1940 en France a été longtemps occultée.
   De septembre 1939 à juin 1940, parmi les 100 000 soldats venus des colonies pour défendre la métropole, de nombreux soldats indigènes se sont sacrifiés dans des combats de retardement extrêmement meurtriers, en particulier à La Horgne dans les Ardennes et à Aubigny dans la Somme en mai 1940, puis à Chasselay au Nord de Lyon en juin 1940, et ont été victimes de la la haine raciste des nazis : blessés achevés, prisonniers exécutés ou morts à la suite des mauvais traitements subis dans les camps de fortune où ils ont été parqués après avoir été isolés de leurs camarades métropolitains.

    Selon l'historien américain Raffael SCHECK, qui a enquêté dans les archives militaires françaises et allemandes, près de 3 000 tirailleurs sénégalais ( terme désignant désignant plus largement l'ensemble des soldats indigènes venus d'Afrique) ont été exécutés par la Wehrmacht en mai-juin 1940, crime de guerre perpétré non pas par des SS , mais par l'armée régulière allemande (2).

   Au lendemain de la défaite de juin 1940, près de 70 000 soldats indigènes faits prisonniers par les Allemands, au lieu d'être envoyés dans les stalags en Allemagne, ont été regroupés en France occupée dans 22 Frontstalags où ils ont été soumis à des conditions de détention extrêmement difficiles.

   Après l'Appel du 18 juin 1940, les unités de tirailleurs sénégalais qui se trouvaient en Afrique équatoriale française se sont ralliées à la France libre et ont combattu à Koufra, Bir-Hakeim, El-Alamein. 

   En 1944, près de 120 000 goumiers, tirailleurs et spahis, originaires de 22 pays du Maghreb et d'Afrique noire intégrés alors à l'Empire français, dont beaucoup s'étaient déjà distingués lors des durs combats de la Campagne d'Italie notamment au cours de la bataille de Monte Cassino et de la prise de l'île d'Elbe, ont débarqué sur les côtes de Provence et ont été engagés dans la libération de la France puis en Allemagne jusqu'à la victoire de mai 1945.
   Ils étaient placés sous le commandement du général de LATTRE DE TASSIGNY, chef de l'Armée d'Afrique, devenue l'Armée B, puis la 1ère Armée française.
   En 1947, le général LECLERC, le prestigieux chef de la la 2e DB, avait réclamé que la France s'acquitte pleinement et sans marchander de la dette d'honneur qu'elle avait contractée auprès d'eux.

   En 1992, Le Tata - paysages de pierres , film-documentaire réalisé par Evelyne BERRUEZO et Patrice ROBIN leur a rendu hommage.


Le Tata - Paysage de pierres

   Le 15 août 2004, le président de la République, Jacques CHIRAC, a tenu à leur rendre hommage en invitant plusieurs chefs d'État africains à cette commémoration au cours de laquelle une vingtaine de vétérans africains ont été faits chevaliers de la Légion d'honneur (3).
   Cet hommage rendu aux anciens combattants indigènes de la 2e guerre mondiale n'a pas règlé totalement pour autant la question de la « cristallisation » de leurs pensions, en dépit des mesures de « décristallisation » partielle annoncées par la France depuis 2003.

La « cristallisation », le gel des pensions

   Lorsque la décolonisation s'est achevée en Afrique à la fin des années 1950 et au début des années 1960, la France a décidé, conformément à l'article 71 de la loi de finances du 26 décembre 1959, de geler à leur niveau de 1959, les retraites et pensions d'invalidité versées aux anciens combattants de son ex-Empire colonial.
   Il en a résulté une situation très inégalitaire vécue avec beaucoup d'amertume, par les anciens combattants du Maghreb et d'Afrique noire qui touchent des pensions pouvant être jusqu'à dix fois moins élevées que celles des anciens combattants français. Ils ont cru en la France et se sentent aujourd'hui abandonnés (4).

   En 1996, un ancien sergent-chef sénégalais, Amadou DIOP, qui s'était engagé dans l'armée française de 1937 à 1959, et en avait été radié lors de l'accession à l'indépendance du Sénégal, a porté plainte contre l'État français. Il n'avait touché qu'un tiers de la retraite qu'il aurait pu percevoir s'il avait été Français et réclamait réparation.

    En 2001, un arrêt du Conseil d'État a donné raison à titre posthume à cet ancien tirailleur sénégalais décédé depuis, et a jugé que cette distinction de traitement contrevenait à l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme, qu'elle constituait une discrimination fondée sur la nationalité, et qu'un ancien combattant de l'ex-Empire colonial français devait bénéficier des mêmes droits qu'un citoyen français en matière de pension militaire.
   L' arrêt du Conseil d'État oblige donc depuis les gouvernements français qui se montrent peu empressés, à réviser la loi de cristallisation de 1959. Cette loi concerne environ 80 000 anciens combattants de l'ex-Empire colonial français, qui peuvent désormais prétendre à une revalorisation de leurs pensions avec un rattrapage des arriérés, pour un montant total évalué à environ 1,85 milliard d'euros.

Le long processus de « décristallisation » des pensions
qui a mis fin en janvier 2011 à un demi-siècle d'injustice et d'inégalités

   En 2003, le gouvernement de Jean-Pierre RAFFARIN s'est engagé sur la voie d'une « décristallisation » partielle de leurs pensions qui devraient désormais être indexées non pas sur celles des Français, mais sur le coût de la vie dans les différents pays où ils résident.

   Le 13 août 2004, à la veille de la commémoration du débarquement de Provence, un communiqué du ministère français délégué aux anciens combattants a annoncé qu'une somme de 120 millions d'euros était inscrite au budget 2004 pour revaloriser de 20 à 100 %, les pensions des anciens combattants originaires d'anciennes colonies françaises, ce qui constituerait la première revalorisation depuis la loi de « cristallisation » de 1959 (5).

   En septembre 2006, à l'occasion de la sortie du film de Rachid BOUCHAREB, Indigènes, le ministre délégué aux anciens combattants, Hamloui MEKACHERA, a indiqué que les 80 000 anciens combattants de l'armée française de nationalité étrangère, issus dans leur immense majorité de l'ex-Empire colonial français et qui appartiennent à 23 nationalités différentes, bénéficiaient désormais, grâce au processus de décristallisation des pensions, d'une parité de pouvoir d'achat dans leur pays respectif, avec leurs camarades anciens combattants français. Il a reconnu aussi que cela était « équitable mais pas satisfaisant », et qu'il fallait tendre vers la parité nominale en euros. En effet, la plupart de ces anciens combattants indigènes ne perçoivent en euros que la moitié ou même seulement un tiers du montant de la pension perçue par un ancien combattant français (6).

   Le 27 septembre 2006, à la sortie du conseil des ministres, le ministre délégué aux anciens combattants, Hamloui MEKACHERA, a annoncé qu'à partir de janvier 2007, les anciens combattants de l'armée française originaires des anciennes colonies d'Afrique et d'Asie allaient percevoir les mêmes pensions que leurs frères d'armes français, et que le coût global de cette revalorisation allait s'élever à 110 millions d'euros par an.
   Cependant, ces mesures d'ajustement ne concernaient que les retraites des combattants et les pensions d'invalidité, laissant entier le problème des militaires de carrière dont l
es pensions de retraites, versées en fonction du grade ou de la durée d'engagement sous les drapeaux, n'ont été que partiellement alignées.

    Le 31 août et le 1er septembre 2007, à Fréjus où se dresse un Monument à l'Armée noire, un hommage discret a été rendu aux tirailleurs africains à l'occasion du 150e anniversaire de la création du corps des tirailleurs sénégalais dont les derniers bataillons ont été dissous en 1964.

   Le 30 mars 2010, Hubert FALCO, secrétaire d'État aux anciens combattants, a annoncé qu'un hommage sera rendu aux vétérans issus des colonies à l'occasion du 70e anniversaire de la 2e guerre mondiale. Un « diplôme d'honneur » leur sera remis à la date de leur choix le 8 mai ou le 14 juillet 2010, par les maires ou les consuls de France, en reconnaissance du devoir accompli « aux heures terribles de l'Histoire ».

    Dans Le Monde du 2 avril 2010, Laetitia VAN EECKHOUT relève que ce diplôme constitue « un piètre lot de consolation » et que le processus de décristallisation des pensions n'a pas encore mis fin aux disparités qui restent très importantes en ce qui concerne en particulier les retraites des militaires de carrière. À grade équivalent, la retraite annuelle d'un sergent français s'élève à 7 512 euros et celle d'un sergent marocain à 643 euros.

   Le
rapport 2010 de la Cour des comptes présenté par son président Philippe SÉGUIN, considérait que ces disparités sont injustifiées et recommandait « un alignement automatique et intégral du régime de tous les pensionnés, quels que soient leur lieu de résidence et leur nationalité, sur le régime appliqué aux Français ».

   Le 25 mai 2010, le Conseil constitutionnel a censuré a posteriori les dispositions inscrites dans les trois lois de finances de 1981, 2002 et 2006 relatives au gel des pensions des ressortissants des pays et territoires autrefois sous souveraineté française, considérant qu'elles constituaient une rupture du principe d'égalité. Il a demandé au législateur de les remplacer d'ici au 1er janvier 2011.

   Dans Le Monde daté du 29 mai 2010, Patrick ROGER relève qu'il s'agit de la première décision rendue par le Conseil constitutionnel saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité procédure introduite par la révision constitutionnelle de juillet 2008 et qu'elle « met fin à une injustice manifeste qui perpétuait une différence de traitement entre ressortissants français et étrangers titulaires de pensions civiles ou militaires de retraite et résidant dans le même pays » :

   « Le Conseil ne conteste pas que les pensions puissent être affectées de coefficients différents en fonction des disparités de pouvoir d'achat et de coût de la vie dans les pays concernés.
   En revanche, il estime que, dans un même pays de résidence, il ne doit pas y avoir de différence de traitement entre un ressortissant français et un ressortissant étranger présentant les mêmes droits.
   L'abrogation des trois articles visés par la censure prendra effet à compter du 1er janvier 2011. Il revient au législateur, d'ici là, de prendre de nouvelles dispositions, fixant le niveau des pensions par pays tout en respectant le principe d'égalité. Leur bénéfice sera étendu, outre les requérants, à tous ceux dont les affaires sont en instance.
   Les pensions « décristallisées » seront recalculées et un rattrapage sur les quatre dernières années - durée de la prescription administrative - sera effectué. »

   Le 13 juillet 2010, dans une allocution prononcée à l'occasion du déjeuner offert aux chefs d'État africains invités d'honneur du 14 juillet, le président de la République, Nicolas SARKOZY, a annoncé un alignement général des pensions de tous les anciens combattants, quels que soient leur nationalité ou leur lieu de résidence :

   « Il est des dettes qui ne s'éteignent jamais. C'est le cas de celle que la France a contractée envers vos pays, où commença de briller, voici 70 ans, la flamme de la France Libre, et dont les fils ont versé leur sang pour libérer la France. Il était temps de la reconnaître avec toute la solennité qui convient.
   C'est également pour témoigner de notre reconnaissance indéfectible envers les Anciens Combattants originaires de vos pays, que nous souhaitons les voir bénéficier désormais des mêmes prestations de retraite que leurs frères d'armes français [...]
»

   Dans Le Monde du 15 juillet 2010, Patrick ROGER relevait que ces dispositions, qui sont entrées en vigueur à compter du 1er janvier 2011, concernaient « environ 30 000 bénéficiaires (10 000 anciens soldats et 20 000 ayants droit) pour un coût annuel de l'ordre de 150 millions d'euros ».

   Dans un communiqué, le président PS de la région Aquitaine, Alain ROUSSET, et la conseillère régionale PS Naïma CHARAÏ, présidente de l'association Les oubliés de la République, ont fait part de leur satisfaction :

   « Alain Rousset, député de la Gironde et président du conseil régional d'Aquitaine et Naïma Charaï, conseillère régionale d'Aquitaine et Présidente des Oubliés de la République accueillent avec grande satisfaction l'annonce du Président de la République d'aligner les pensions militaires des anciens combattants issus des anciennes colonies françaises sur celles de leurs frères d'arme français.
   Après les décisions et avis émis par le Conseil d'Etat, la Halde, la Cour des Comptes, de nombreux tribunaux administratifs et dernièrement par le Conseil constitutionnel, le Président de la République suit enfin leurs préconisations.
   Jusqu'alors « oubliés de la République », la France reconnaît enfin la bravoure dont ces hommes ont fait preuve au service de notre pays et met fin à une situation indigne.
   Pour tous les anciens combattants, les associations et les élus qui oeuvrent depuis de nombreuses années en faveur de cette « décristallisation », c'est une victoire historique et la fin d'une injustice qui déshonorait notre pays depuis 50 ans.
   Après avoir porté ce combat à l'Assemblée nationale en déposant une Proposition de loi, Alain Rousset entend désormais faire preuve de la plus grande vigilance pour que cette décision soit mise en application dans les plus brefs délais et qu'elle puisse permettre à tous les anciens combattants qui le souhaitent, de retrouver leur famille resté au pays. »

Pour en savoir plus

 Julien FARGETTAS,
Les Tirailleurs Sénégalais - Les soldats noirs entre légendes et réalités 1939-1945, Hors collection, Paris, Tallandier, 2012.
_ « Sind Schwarze da ? » La chasse aux tirailleurs sénégalais. Aspects cynégétiques de violences de guerre et de violences raciales durant la campagne de France, mai 1940-août 1940 "Revue historique des armées, n° 271, 2013 ;
- " La révolte des tirailleurs sénégalais de Tiaroye ", Revue d'Histoire, n° 92, octobre-décembre 2006, Presses de sciences-Po ;
- " Les tirailleurs sénégalais dans la campagne de mai-juin 1940 ", in Les troupes de marine dans l'armée de terre. Un siècle d'Histoire. 1900-2000, Actes du colloque organisé en 2000 à Paris au Centre d'histoire de la Défense, Paris, Lavauzelle, 2001 ;
" Les massacres de mai et juin 1940 ", Actes du colloque international La Campagne de mai-juin 1940 in La campagne de 1940, Paris, Tallandier, 2000 ;
La fin de la Force noire : Les soldats africains et la décolonisation française, Éditions Les Indes savantes, 2019 ;
Juin 1940 - Combats et massacres en Lyonnais, Éditions Du Poutan, 2020.
Eric DEROO et Antoine CHAMPEAUX, La Force noire. Gloire et infortunes d'une légende coloniale, Tallandier, 2006. ; La Force noire, dvd-vidéo, 60 minutes, ministère de la Défense, 2007.
Raffael SCHECK, Une saison noire. Les massacres de tirailleurs sénégalais ( mai-juin 1940 ), Paris, Tallandier, 2007.
Benoît HOPQUIN, " Le massacre des tirailleurs " in 1940, la débâcle et l'espoir, Le Monde, hors-série, mai 2010.
Le mémorial national des Spahis de La Horgne dans les Ardennes et Le musée des Spahis de La Horgne, sur le site « Histoire et moire 51 ».
Le  Tata  sénégalais de Chasselay, dossier mis en lihgne par Antoine GANNE sur le site AFRIK.com.
  Laetitia VAN EECKHOUT,- " Les anciens combattants des colonies attendent toujours une retraite décente " et " Hamou Ouachi et Lndello Baldé, « oubliés de la République » ", Témoignages, Le Monde, 2 avril 2010