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L'affaire du « fichier juif» et l'accès aux archives de la 2e guerre mondiale

    Ce qu'on appelle l'affaire du « fichier juif » a été déclenchée par Serge KLARSFELD en 1991.
    Elle a été exposée en 1993 dans l'ouvrage d'Annette KAHN, Le Fichier  1 ) ouvrage qui défendait la thèse suivante :
   - le fichier découvert par Serge Klarsfeld dans les archives du secrétariat d'Etat aux Anciens Combattants en septembre 1991, est bien le fichier dit de la Préfecture de Police ;
   - c'est-à-dire le fichier constitué à partir des déclarations des Juifs français et étrangers domiciliés dans le département de la Seine, auxquels une ordonnance allemande du 27 septembre 1940 avait fait obligation de se présenter dans les commissariats de police pour se faire recenser entre le 3 et le 19 octobre 1940 ;
  - ce fichier, délibérément occulté, a été miraculeusement retrouvé par Serge KLARSFELD.

    Cette affaire contribua à relancer les polémiques sur l'accès aux archives de la période de Vichy qui s'exprimèrent en 1994 dans l'ouvrage de Sonia COMBE, Archives interdites - Les peurs françaises face à l'histoire contemporaine ( 2 ).
     Chercheur à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine ( BDIC ), Sonia COMBE y dénonçait « le totalitarisme et l'arbitraire des archivistes ».
     Elle y contestait la loi de 1979 dont ne bénéficient que ceux qu'elle appelle les « historiens officiels », seuls habilités, selon elle, à consulter les fonds d'archives considérés comme sensibles.
    Elle y revendiquait le droit à la libre consultation des archives, considéré comme un droit de l'homme.
     En 1996, l'affaire du « fichier juif » rebondissait avec la publication du rapport de la Commission d'historiens réunie à la demande du Premier ministre, sous la présidence
de René RÉMOND 3 ).
    Ce rapport établit que les fichiers retrouvés par Serge KLARSFELD en 1991 ne constituent pas le fichier de la Préfecture de Police lié au recensement d'octobre 1940 et que ce dernier a bien été détruit dans sa quasi-totalité en 1948-1949.

     Les fichiers conservés dans les archives du secrétariat d'État à la Défense chargé des anciens combattants étaient utilisés pour répondre aux demandes de renseignements en provenance de proches sur le sort de Juifs disparus et reconnaître le droit à réparation des victimes.
    Ces fichiers étaient composés :
       - d'une part, d'un double du fichier de Drancy tenu par les internés et caché par eux, fichier où figurent les noms des personnes déportées ;
       - d'autre part, du fichier des camps de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers remis au Ministère des Anciens Combattants par des assistantes sociales de ces deux camps ;
       - enfin des fichiers de juifs arrêtés, fichier « individuel » et fichier « familial », au contenu hétérogène et comportant parfois des renseignements pouvant être issus du fichier de la Préfecture de Police de 1940.

     En ce qui concerne la destination de ces fichiers, Serge KLARSFELD souhaitait qu'ils soient déposés au Centre de documentation juive contemporaine ( CDJC ) où les conditions d'accès aux archives sont très libérales, tandis que la commission des historiens présidée par René Rémond recommandait à la quasi-unanimité qu'ils soient déposés aux Archives nationales et que leur consultation soit soumise à la loi de 1979 régissant l'accès aux archives publiques en France.

     Cette loi qui a rendu communicables sans délai tous les documents administratifs non nominatifs et qui a ramené de 50 à 30 ans le délai de communication des autres documents se voulait libérale.
     Mais en même temps elle a instauré des délais spéciaux de 60 à 150 ans pour les documents relatifs à la vie privée des personnes, à la sûreté de l'État ou à la Défense nationale, documents dont la consultation avant ces délais est soumise à dérogation exceptionnelle et motivée par les directeurs d'archives avec l'accord des administrations versantes.
    Les fichiers retrouvés par Serge KLARSFELD appartiennent bien sûr à cette catégorie.

    Jean KAHN, président du Conseil représentatif des institutions juives de France et membre de la commission Rémond, a négocié avec l'appui du président Jacques CHIRAC une solution de compromis finalement adoptée.
    Les fichiers originaux ont été déposés dans une enclave des Archives nationales implantée dans la crypte du Mémorial du martyr juif inconnu qui jouxte le Centre de documentation juive contemporaine 17, rue Geoffroy-l'Asnier - 75004 PARIS.
    Ces fichiers peuvent être consultés sous forme de microfilms au Centre d'accueil et de recherches des Archives nationales ( CARAN ) 11, rue des Quatre-Fils - 75003 PARIS.

    S'agissant du problème de l'accès aux archives publiques, le rapport Braibant de 1996, recommandait de réduire les délais de communication des documents et d'instaurer davantage de transparence dans l'application de la législation, ce qui implique un toilettage, une actualisation et une simplification de la loi de 1979.
    Depuis 1997, la circulaire Jospin relative à l'ouverture des fonds d'archives publiques de la période 1940-1945 a permis une application plus souple de la loi de 1979 concernant l'accès aux archives de la période de la 2ème guerre mondiale qui reste un dossier sensible :

  C'est un devoir de la République que de perpétuer la mémoire des évènements qui se déroulèrent dans notre pays entre 1940 et 1945.
   La recherche historique est, à cet égard, essentielle.
   Les travaux et les publications des chercheurs constituent une arme efficace pour lutter contre l'oubli, les déformations de l'histoire et l'altération de la mémoire.
  Ils contribuent ainsi à ce que le souvenir conservé de cette période soit vivace et fidèle.
  Pour que de telles recherches puissent être menées, il faut que leurs auteurs disposent d'un accès facile aux archives qui concernent la période 
( 4 ).

   En novembre 2001, en ouvrant le colloque " Les Français et leurs archives " organisé par l'association " Une cité pour les Archives nationales " et le journal Le Monde, le Premier ministre, Lionel JOSPIN, a réaffirmé la volonté de son gouvernement d'adapter la législation française afin d'améliorer l'accès des citoyens aux archives, y compris à celles qui concernent des périodes sensibles de notre histoire :

   Vieille nation dont les siècles ont façonné l’identité, la France a une histoire riche de moments de lumière et de fierté : nous devons en cultiver le souvenir.
   Mais cette histoire comporte aussi ses parts d’ombre : rien ne sert, à mon sens, de tenter de les occulter.
   Il n’y a, face au passé, qu’une attitude qui vaille : la lucidité.
   Ma conviction est que, loin d’avoir à le redouter, notre Nation sort renforcée de l’examen serein de son passé.
   Pour moi, la recherche de la vérité n’est pas une repentance.
 
 C’est cette conviction qui a guidé l’action de mon gouvernement.
   Réaffirmer la responsabilité de l’Etat français à l’égard de l’irréparable commis au « Vel’ d’Hiv’ », souhaiter que soit réintégré dans la mémoire collective le souvenir de ces soldats de la Grande Guerre qui, après avoir tant combattu, refusèrent d’être sacrifiés, mettre fin à l’hypocrisie des mots par la loi du 18 octobre 1999 qui qualifie de « guerre » les opérations militaires conduites en Algérie : voilà autant de temps forts de cette démarche.

   Après avoir rappelé que la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations a étendu la compétence de la Commission d'accès aux documents administratifs aux difficultés d'accès aux archives publiques, il a annoncé que le projet de loi actuellement à l'étude devant le Parlement prévoit de raccourcir sensiblement les délais de communication des archives publiques :

   Le projet de loi déposé au Parlement accomplit une avancée considérable en affirmant le principe de libre communication immédiate de l’ensemble des archives publiques et en supprimant le délai de droit commun de trente ans actuellement en vigueur.
   Les délais protégeant des secrets spécifiques touchant les personnes privées ou le secret d’Etat seront réduits : s’échelonnant actuellement entre 60 et 150 ans, ils seront ramenés à une période allant de 25 à 125 ans.
   Seul le délai touchant le secret médical ne sera pas réduit
5 ).