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Arrestation et déportation de Monsieur le Chanoine Hess
9 juillet 1944 - 29 avril 1945
Matricule 28808

Présentation

M
on arrestation - Les interrogatoires - Mon séjour au siège de la Gestapo

Mon transfert de Reims à Châlons et mon séjour à la prison de Châlons

Le camp de Natzwiller

Le camp de Dachau

Conclusion

L'hommage des Amis de la Fondation pour la mémoire de la déportation

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Lucien HESS (1900-1986)
Notice biographique in Jean-Pierre et Jocelyne Husson,
La Résistance dans La Marne, dvd-rom, AERI-Fondation de la Résistance, 2013

   Lucien Hess est né le 7 juin 1900 à Reims.
   L’abbé Hess est directeur de la Maîtrise de la cathédrale de Reims et de la colonie de vacances du Goulot près de Jonchery-sur-Vesle.    N’appartenant à aucun réseau ou mouvement, il agit en isolé. Il vient en aide à des prisonniers de guerre évadés, fabrique de faux papiers d’identité, cache en décembre 1943 Pierre Bouchez et André Schneiter recherchés par la Gestapo, accueille au Goulot des enfants juifs inscrits comme colons. En janvier 1944, il aide Jean-Marie Leroux à se procurer des faux-papiers pour la petite juive Mathilde Rosenberg qui est mise à l’abri à Lisieux puis dans le Tarn. C’est à la même époque qu’il cache à la Maîtrise son ami l’abbé Roland Fontaine recherché par la Gestapo, avant que ce dernier ne rejoigne le maquis du Banel en Belgique. Il héberge aussi à plusieurs reprises Jean Nauroy qui travaille pour une filière d’évasion belge.
   Le 9 juillet 1944, il est arrêté à Reims, incarcéré à Reims puis à Châlons-sur-Marne, et déporté comme résistant le 19 août 1944 à Natzweiler (matricule 22 808 ). Début septembre 1944, il est transféré à Dachau (matricule 100 001) où il est libéré le 29 avril 1945. Il rentre en France le 14 mai 1945.
   Dès son retour de déportation, Lucien Hess témoigne dans le " Rapport sur les travaux de l'année 1944-1945 de l'Académie nationale de Reims " présenté par son secrétaire général, René Druart.
   Le 23 mars 2005, une conférence en hommage à Lucien Hess s'est tenue dans la salle Saint Remi de la Maison diocésaine Saint-Sixte de Reims, à l'initiative de la délégation marnaise des Amis de la Fondation pour la mémoire de la déportation et de Benoît Hess, son neveu. Au cours de cette conférence donnée par Antoinette Hess, sœur de Lucien Hess, de précieuses informations ont pu être apportées sur sa déportation et sur son retour à Reims.
   Décédé à reims en 1986, Lucien Hess est Combattant volontaire de la Résistance, mention DIR, et titulaire de la médaille de la Résistance.
   Une rue de Reims porte son nom depuis 1987.

Lucien Hess

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Présentation

   Le témoignage de Lucien HESS, rédigé dès son retour de déportation, est extrait du " Rapport sur les travaux de l'année 1944-1945 de l'Académie nationale de Reims " présenté par son secrétaire général, René DRUART : « Monsieur le Chanoine Hess a rédigé à votre intention un mémoire de ses interrogatoires entrecoupés des plus odieux sévices à la Kommandantur de Reims [ en réalité au siège de la Gestapo, rue Jeanne d'Arc ] , puis de ce qu'il a non seulement enduré, mais vu aussi, au camp de Natzwiler [ nom alsacien de la commune où avait été implanté par les nazis le camp de Natzweiler-Struthof ], surnommé « l'enfer d'Alsace », puis à Dachau. Il nous est revenu avec un moral admirable, considérant que seule une grâce divine l'avait arraché aux cents périls de la mort ».

   Le rapport qui va suivre ne veut être que l'exposé de faits vécus, dont je garantis l'authenticité.


Mon arrestation - Les interrogatoires
Mon séjour rue Jeanne d'Arc au siège de la Gestapo

          L'arrestation

    Le 9 juillet 1944, Monseigneur Marmotin avait ordonné une cérémonie de prières à la basilique Saint-Remi pour implorer la protection de la Ville. J'y participais, chantant dans la schola dirigée par Monsieur l'Abbé Schrobiltgen.

   La cérémonie terminée, après quelques prières personnelles, comme je quittais la Basilique, je fus rejoint rue Simon, à la hauteur de l'arrêt de l'autobus, par un civil corpulent, dont je sus plus tard qu'il était le chef de la Gestapo.
   Il questionna : « C'est vous Hess ? - Oui, suivez moi - Pas un mouvement. Police allemande ». La main dans la poche tenait évidemment un revolver ( rentré à la Gestapo, cet homme le déposa dans son bureau). Il me conduisit ainsi à la Conciergerie de la Maison de Retraite, ne répondant pas un mot à mes questions ingénues sur les motifs de tels agissements.

   À la Conciergerie, il y avait un groupe nombreux de soldats : l'homme leur donna en accents furieux des explications me concernant évidemment. Tous se mirent à me regarder avec des airs de vautours qui vont fondre sur leur proie. Puis l'homme téléphona. Une voiture arriva ( leur traction-avant noire ), tourna dans la cour. Elle contenait trois hommes, le chauffeur, un homme à ses côtés, un autre derrière. Mon compagnon me fit monter derrière, coincé entre lui et l'autre homme : en avant, celui qui ne conduisait pas resta constamment tourné vers moi. Nous suivîmes la route du tramway : rue du Ruisselet, rue Chanzy, rue de Vesle.

   « Voilà la Maîtrise » me dirent-ils en passant.

          Premier interrogatoire

  Arrivé rue Jeanne d'Arc, je fus immédiatement conduit au 1er étage, dans le bureau du chef, qui était la salle d'interrogations, les quatre hommes me fouillèrent, mirent tout ce qu'ils trouvèrent sur moi dans une grande enveloppe à mon nom, me dépouillèrent de ma soutane, puis m'énoncèrent leurs accusations :

   1 - J'étais le Chef de la Résistance à Reims
   2 - Comme tel, je savais où étaient cachées 40 tonnes d'armes
   3 - J'étais l'auteur du meurtre d'une sentinelle allemande au petit Lycée, quelques jours auparavant.

   Ces 3 chefs d'accusation constituèrent le fond de tous les interrogatoires suivants.
   Ils étaient suscités par un avis venu de Charleville : « Pour la Résistance à Reims, voyez le Chanoine Hess ».

   Sur mes dénégations absolues, car je n'ai jamais donné mon adhésion nominale à la Résistance, ils cherchèrent à obtenir des aveux à coups de poings dans la figure et à coups de nerfs de bœuf dans le bas du dos, depuis les reins jusqu'au pieds. Flagellation cruelle et savante, douloureuse à faire hurler, appliquée avec méthode, mais ne risquant pas d'atteindre des organes. Le Chef était le bourreau. Pour l'infliger, ils me mettaient à plat ventre sur une chaise, l'un deux tenait ma tête entre ses jambes, un autre maintenant les pieds. La flagellation finie, ils me jetaient à terre sur le dos puis, d'un coup de pied, m'indiquaient d'avoir à me relever. Il y eut au cours de ce premier interrogatoire quatre de ces flagellations. Le processus fut toujours le même : coups de poings dans la figure, allongement sur la chaise, coups de nerfs de bœuf au bas du dos, projection par terre, coup de pied pour me faire relever. J'étais à jeun, anéanti par la souffrance, ruisselant de sueur et d'humeur.

   Après ce premier interrogatoire, ils me firent descendre avec eux à l'entresol dans un salon attenant à la salle à manger où ils me gardèrent à vue, péniblement assis, toujours ruisselant de sueur, tandis qu'ils dînaient. Puis ils me menèrent dans une cellule au sous-sol, très étroite, ne prenant l'air que sur un couloir, dans l'épaisseur du mur, lampe souvent éteinte, soit cause de panne, soit autre chose. La cellule contenait un sommier, deux chaises, une tinette. Je n'eus rien à manger ce soir-là, et je dus me coucher sur le ventre pour pouvoir me reposer.

         Deuxième interrogatoire

   Il eut lieu le lundi 10, vers 9 heures du matin, dans les mêmes procédés, sur les mêmes chefs, mais avec des questions nouvelles. On me demanda mon emploi du temps du dimanche. J'expliquai qu'avec les enfants Thirion de ma Maîtrise, j'avais été porter un colis à Madame Chatelin, à la Croix-Rouge, pour leur sœur Jacqueline, arrêtée la veille dans les Ardennes : grand triomphe, ils y virent la preuve de ma connivence avec le maquis des Ardennes, avec M. et Mme Ognois, oncle et tante de Jacqueline Thirion, arrêtés la veille à Reims.

   Ils m'expliquèrent que c'était eux qui m'avaient envoyé la veille un homme me réclamant des armes pour le maquis des Ardennes, me montrant à l'appui de ces revendications, différents papiers marqués de cachets anglais. « Vous n'avez pas marché, me dirent-ils, mais beaucoup tombent dans le piège ».

   Ce deuxième interrogatoire fut coupé comme le premier et comme les suivants de plusieurs attaques à coups de poings et de flagellations.

   Revenu dans ma cellule, j'eus à midi une assiette de soupe excessivement salée, alors que j'avais la bouche sèche, empâtée par la soif ; je la mangeai dans l'obscurité complète.

          Troisième interrogatoire

   Il eut lieu vers 16 heures. On m'y montra des photos de nombreuses personnes, m'interrogeant sur des listes de noms de membres de la Résistance. On me donnait le nom de guerre d'abord, le nom de famille ensuite. Quand j'avouais connaître celui-ci après avoir dénié connaître le nom de guerre, c'était une explosion de fureur et de coups. Je me plaignis de la soif sans obtenir pitié. Je ne sais comment cet interrogatoire se termina. Je m'évanouis sans doute, car je n'en ai aucun souvenir. Ramené dans ma cellule, j'eus ce soir-là une tasse de thé et un sandwich beurré.

         Quatrième interrogatoire

   Le mardi 11, vers 9 heures. Cet interrogatoire porta particulièrement sur mes relations avec l'abbé Fontaine, curé de Savigny-sur-Ardre, qui avait été arrêté dans les Ardennes. Ils me dirent leurs griefs contre lui, m'interrogèrent sur le maquis, la Résistance dans les Ardennes. Un coup de téléphone fit venir un chef, sans doute, ils se mirent au garde-à-vous lors de son entrée et de sa sortie. Ils parlèrent de moi. Il me regardait de temps en temps avec attention. Après son départ, on fit une copie allemande dactylographiée de mes dépositions, on m'en lut une traduction. On me fit signer. Puis on me maintint, sans plus rien me dire, pendant une heure, douloureusement assis en face d'eux, malgré mes supplications d'être debout ou à genoux. Mais on m'apporta un verre d'eau sans que je l'aie demandé. Ce geste inattendu me fit pleurer comme un enfant en leur exprimant ma reconnaissance. Revenu à ma cellule, j'eus une nourriture plus copieuse, c'est-à-dire une assiettée de légumes.

           Les trois semaines à la Gestapo

   Et c'en fut fini des interrogatoires mais je n'en savais rien. Gardé jusqu'au 28 juillet, je pouvais toujours craindre de les voir reprendre. À cette angoisse s'ajoutait celle d'être amené à prononcer des noms compromettants, la crainte des perquisitions à la Maîtrise, la crainte qu'on emprisonnât, comme on m'en avait menacé, les membres de ma famille ou du personnel de la Maîtrise. Et j'étais hanté par cette phrase qu'ils se plaisaient à me répéter : « Monsieur Hess, vous ne dites pas la vérité », craignant qu'elle ne provoquât soudain une détente de ma volonté.

   Je fus seul dans ma cellule pendant 10 jours, puis comme il y avait trop de pensionnaires, nous fûmes 3 ou 4 toujours dans les cellules du même type, dans le même couloir. Je fus ainsi en contact avec l'affaire de Sillery, avec Morizet et Goulard de Sillery, avec Trémé d'Avize. J'entends parler de M. Hodin de la Municipalité de Reims. Je ne vis plus mes bourreaux. Les SS n'apparaissaient que pour la toilette faite sous leur garde au lavabo, sans savon, ni serviette ; et les repas : café le matin, assiette de soupe à midi, thé et sandwich le soir. Mais je rends hommage au dévouement de Raphaëlle, femme de service, dont je me méfiais d'abord, quand elle me proposa de donner des nouvelles à ma famille. Mais elle vainquit cette méfiance en me jetant par l'orifice d'aération, grand comme celui d'un tuyau de poêle, du sucre, du jambon, du beurre, pris dans les provisions de la Gestapo, en me donnant des nouvelles de ma famille et de mes supérieurs ecclésiastiques.


Mon transfert de Reims à Châlons
et mon séjour à la prison de Châlons

   Le 28 juillet après-midi, subitement, un gardien ouvre la porte de ma cellule, me fait sortir, me mène à l'entrée. Après une pause, on me fait monter dans un car Ardon, ayant déjà pris une charge de détenus à l'Hôtel de Ville. On nous emmène vers la prison de Châlons. Dans le car, je reconnais Madame Deguerne de Ville-sur-Retourne.

   Dans la cour de la prison de Châlons, tandis que les gardiens examinent les paquets de mes camarades, je me fais reconnaître du chauffeur du car qui, naguère, conduisit ma Maîtrise en colonie de vacances. Je lui demande de donner des nouvelles à ma famille - ce qu'il fit dès son retour.

   Lucien Lundy d'Aussonce et son frère Georges de Beine m'aperçoivent et me reconnaissent malgré mon accoutrement et ma barbe et me font signe de rester avec eux. Ainsi, je suis placé avec eux dans une cellule de 8 prisonniers au 3ème étage.

          Vie à Châlons

   La vie à la prison de Châlons est beaucoup plus douce que dans les sous-sols de la rue Jeanne d'Arc de Reims. J'y suis en compagnie d'autres détenus qui deviennent des amis. Nous recevons des colis nombreux que nous savourons en commun. Nous n'avons rien à faire et une atmosphère de gaîté règne le plus souvent dans la cellule. Nous composons des chansons.

   Dès ma première rencontre avec la religieuse, Sœur Marie, des Filles de la Charité, qui soigne à l'infirmerie et m'a remarqué dès mon arrivée, elle me donne un autel portatif et je peux ainsi célébrer quotidiennement ma messe. Quelques jours plus tard, de mon 3ème étage, par la fenêtre grillagée, je peux échanger toute une conversation avec ma sœur Madeleine, venue de Reims rôder autour de la prison de Châlons. J'ai ainsi, quoique la Gestapo de Reims n'ait jamais voulu accorder la permission de me visiter, le soulagement d'avoir des nouvelles de ma famille, de la Maîtrise, d'apprendre que personne n'a été inquiété, que tout est sauf. Je reçois les soins dévoués de Sœur Marie à qui va toute ma reconnaissance, ainsi que celle de tant d'autres détenus qu'elle a secourus de toutes les façons possibles. Ainsi, ce séjour providentiel rétablit ma santé et me permet de reprendre des forces morales pour les mois pénibles qui m'attendent encore. Pendant mon séjour, je rencontre Monsieur Hutin qui me procure quelques livres religieux.

          Départ

   Le 19 août, de très bon matin, nous fûmes rassemblés dans le couloir de notre cellule, avec toutes nos affaires, menés à la cour d'entrée où les gardiens nous distribuèrent les derniers colis arrivés ; pour mon compte, j'en avais deux. Nous sommes environ 80. On nous fait monter dans les autocars. Madame Hutin arrive à temps pour serrer furtivement la main de son mari ( qui ne devait pas revenir ) et pour assister à notre départ qu'elle fera connaître aussitôt à ma famille. Dans le car, placé à côté de M. Hutin, je fais plus ample connaissance avec lui. Nous traversons l'Argonne, la Lorraine, les Vosges, admirant ces paysages de notre chère France dont la beauté tranquille fait contraste avec la tension de nos esprits.


Le camp de Natzviller

   Le camp de Natzviller, surnommé « l'Enfer de l'Alsace » est situé au sommet d'un vallon dans le déroulement d'un panorama splendide. Le camp est construit en amphithéâtre avec une série de plate formes reliées par des escaliers. Les baraques sont séparées par des plans inclinés de gazon. Aspect artistique qui contraste hypocritement avec la vie misérable des détenus. Le car y parvient non sans difficultés.
   Aussitôt l'entrée franchie, les cris et les coups de pied des gardiens SS nous firent pressentir la sévérité de la discipline
. L'un deux devait frapper à coups de crosse Monseigneur Piguet, évêque de Clermont-Ferrand, qui arriva quelques jours plus tard.
   Conduits sur une large place où étaient différents bureaux d'inscriptions, nous devons nous dépouiller entièrement de nos vêtements et, dans cette complète nudité, passer devant différentes tables pour décliner notre identité, déclarer ce que nous possédons de précieux, voir nos biens mis dans des sacs portant sur une étiquette le numéro matricule qu'on nous donne ; un coup de pied envoie rouler mon autel portatif et mes livres de piété traités de « Choses du diable ».

   Je reçois le n° 22 808. À partir de ce moment, nous ne sommes plus pour nos gardiens des personnes humaines mais des êtres quelconques numérotés, qui ne sont qu'une charge et un objet de rebut. Toujours nus, nous sommes complètement rasés, opération humiliante faite en public, sans le moindre ménagement de pudeur. On nous rase sans doute par crainte de la vermine. On nous fait passer aux douches. J'y rencontre un rémois, M. Godbert, directeur du Pari Mutuel, dont le dos était labouré de raies violettes, témoins d'une flagellation subie l'avant-veille. Puis on nous donne une chemise, le pyjama rayé accompagné d'une calotte ; aux pieds nous aurons les fameuses claquettes si peu pratiques pour gravir et descendre les nombreux escaliers du camp que je préférais aller pieds nus.
   Je suis affecté au bloc ou baraque 14. Chaque bloc comprend plusieurs chambrées. Celles-ci se composent de 4 pièces, le dortoir, le réfectoire, le lavabo, les cabinets, en tout, dans le bloc, environ 700 détenus de toutes les régions de France - et puis des Russes, Polonais, Juifs, etc. La majeure partie sont des membres de la Résistance, des terroristes, des otages pris en groupe dans les villages où le maquis a agi. Ainsi, venant de Clermont-en-Argonne, le curé et 102 hommes.
   La vie commune efface toutes les différences sociales, classes, rangs, fonctions, fortune. Nous côtoyons des généraux, des Préfets, des banquiers, des chefs d'entreprise, des ouvriers, porteurs des mêmes pyjamas, soumis au même régime. Celui-ci comporte chaque jour 3 appels : le matin à 5 heures, à midi, le soir, où tous doivent être présents, immobiles, tête découverte par tous les temps. Il y eut parfois des pluies battantes. Le matin à 5 heures, à 750 mètres d'altitude, la température était très fraîche. À midi, il arriva que le soleil brûlait, et il n'y avait dans le camp ni ombre ni arbre. Ces appels duraient au moins une demi-heure, plus si quelqu'un manquait et qu'il fallait toujours trouver et amener.

   Le travail auquel je fus soumis consistait à porter des pierres et des plaques de gazon pour construire des fortins de défense contre l'arrivée possible des armées alliées. Ce travail était rendu plus pénible par la difficulté de la marche avec les claquettes ou pieds-nus. Malade, je ne pus le continuer.

   La nourriture consistait en un peu de café le matin, à midi un litre d'une soupe indéfinissable accompagnée parfois de choucroute crue, le soir un morceau de pain avec de la margarine, parfois une cuillerée de confiture.

   Plus de colis. Plus de nouvelles non plus, il fallait sans cesse ( ce me fut une souffrance très sensible au début ) entendre la hiérarchie du camp employer la langue allemande. Il fallait comprendre sous peine de bourrade. Enfin, pour moi, l'épreuve la plus grande fut la privation de tout secours religieux, sauf les conversations que je pouvais avoir avec les confrères. De plus, le spectacle hallucinant de cette vie misérable. Du bloc, nous voyions sans cesse descendre vers le four crématoire, situé à l'extrémité inférieure du camp, les civières soutenant les cadavres des détenus morts pendant la nuit. Au début de mon séjour, le four ne fonctionnait pas régulièrement, mais au fur et à mesure de l'avance alliée, nous vîmes des camions d'hommes et de femmes descendre le camp, depuis la porte du sommet jusqu'à la sinistre baraque, et remonter vides. Nous comprenions que ces malheureux étaient pendus d'abord, dans une chambre mitoyenne au four, puis immédiatement incinérés, comme en témoignait une fumée plus épaisse. Le four fonctionna bientôt jour et nuit et les flammes dépassaient la cheminée de 30 ou 40 centimètres.

          Le départ
   La progression alliée inquiétait visiblement les SS. Dans la nuit du 1er au 2 septembre, il y eu un rassemblement général, une descente en colonne vers la gare de Rothau. Mais à mi-route, contre-ordre, retour au camp : réintégration des blocs. Des nouvelles circulent, déformées par nos imaginations avides. Nous nous figurons le départ impossible. N'allons-nous pas être délivrés ?

   Mais, dans la nuit du 3 au 4 septembre, nouveau rassemblement, nouveau départ. Nous allons cette fois-ci jusqu'à la gare de Rothau et, dans la plus grande déception, nous sommes embarqués dans des wagons à bestiaux, par groupes de 45 à 50. Le train s'ébranle et nous emmène vers Strasbourg. C'est une nouvelle déception, d'y parvenir. Nous croyions la ville entre les mains françaises, or la gare est paisible, peu atteinte en ses bâtiments principaux. Les nouvelles qui circulaient parmi nous étaient donc fausses.


Le Camp de Dachau

   De Strasbourg par Stuttgart, en pleine saison de fruits ( quel supplice de Tantale pour nous de voir des pommiers et poiriers chargés ). Nous fûmes amenés à Dachau, le camp modèle des SS. Débarqués, nous traversons à pied la coquette Cité des SS pour arriver au Camp des détenus y attenant.

          Le camp
   La figure de ce camp révèle une conception soignée, grandiose. Hypocrisie cruelle et perfide que cet aspect extérieur, quand on sait quelle vie y mènent les détenus. Une grande place d'appel dont la moitié suffirait à constituer un terrain de football de dimensions réglementaires forme la barre transversale d'un grand T. Une large allée centrale bordée de peupliers en forme la barre verticale. Les baraques sont rangées perpendiculairement de chaque côté de cette allée. La même hypocrisie a présidé à l'installation des cuisines, des infirmeries, salle d'opérations, de pharmacie, de dentistes. C'est le dernier confort moderne. Mais pour les détenus, c'est la misère physique et morale. La clôture est constituée par un épais fil de fer barbelé, électrifié, qui se ramifie plus abondamment à la base. Chacun des poteaux en ciment qui les soutiennent comporte au sommet un phare qui, la nuit, illumine tout le camp. Tous les 50 mètres, un mirador, poste d'observation élevé, où se tenaient continuellement des sentinelles pourvues d'une ou plusieurs mitrailleuses.

          L'entrée
   Nous subissions les mêmes rites d'entrée qu'à Natzviller. Je reçois le matricule 100 001. Après les douches on nous donne des effets civils parce qu'on manque de pyjamas rayés !

          L'infirmerie
   Affaibli par le régime parcimonieux de Natzviller, j'eus, après quelques jours de soupe aux choux, une crise aiguë d'entérite qui me fit connaître l'infirmerie dès la semaine suivante.

   Dix jours passés au Revier me font constater par expérience l'absence quasi totale de médicaments et la difficulté d'obtenir un régime convenable. Je n'ai toujours que de la soupe aux choux. Le seul avantage acquis est la dispense de l'appel. J'expérimente la misère des détenus malades, l'isolement dans la différence des langages, l'agonie des voisins. Enfin je remarque - et on me le confirme - l'inadmissible subordination des médecins, tous des détenus, à un chef de chambrée, détenu lui aussi, mais ayant cherché et l'ayant obtenue, la faveur des gardiens et voulant la conserver, qui s'arroge invariablement, par bassesse et méchanceté, et à qui on reconnaît le droit de changer de son propre chef les traitements, malgré son absolue incompétence. Quelle humiliation pour les médecins et quelle souffrance d'avoir à administrer ainsi des soi-disant remèdes qui entraînent le pire.

   J'ai connu le Docteur Bettinger de Reims qui, me voyant affamé, me donna plusieurs fois des pommes de terre et du pain gris sur sa ration personnelle et me soutint moralement de ses conversations amicales. Ce docteur rémois n'est pas revenu. Lorsque sévit l'épidémie de typhus, son bloc fut vite contaminé et le mal s'y développa rapidement et violemment.

   Il y resta et soigna ses malades avec dévouement ; il contracta alors la maladie et en mourut, victime de sa fidélité à son devoir.

          La vie courante
   Sorti de l'infirmerie le 19 septembre, je connus alors dans tous ses détails et la profondeur de sa misère, ce qu'était la vie douloureuse du détenu ordinaire.
   La journée commence à 4 heures ½ du matin ( ce fut bientôt dans la nuit ) pour l'appel de 5 heures qui a lieu dehors par tous les temps.
   Pendant la mauvaise saison, pénétré de froid dès le début de sa journée, le détenu mal couvert, n'a réglementairement que sa chemise et son pyjama.
   Le rassemblement est très difficile, parce que nous sommes 300, 400, 500, 600 parfois, entassés dans des dortoirs faits pour contenir 120 personnes. On s'embouteille à la sortie. Le chef de chambrée, un de ces détenus serviles et mauvais dont j'ai parlé tout à l'heure ( c'était en général des Allemands, souvent des communistes, je n'ai pas vu un seul Français ), le chef de chambrée s'énerve, distribue des coups de bâton ou lance des brocs d'eau qui contribueront à vous glacer.
   Nous ne sommes vraiment qu'un troupeau de bêtes.
   Puis c'est l'appel. Pour se réchauffer les Français ont imaginé de faire la " boule ". Un déporté se met au centre, d'autres l'entourent, lui tournant le dos, épaule contre épaule, et ainsi de suite, par circonférences concentriques. Puis tout le monde prend un mouvement rythmique de droite à gauche, de gauche à droite. On se frotte ainsi les uns contre les autres et on évite les rhumes et les fluxions de poitrine.

   Chaque arrivée comporte une quarantaine. Elle a lieu pour nous du 4 au 28 septembre. Le bloc est isolé par des clôtures, il est interdit de rentrer dans les chambrées pendant le jour. Or il n'y a dehors ni bancs, ni tabourets. La seule façon de se reposer est de s'asseoir par terre, adoucissement impossible les jours de pluie.

   Le nombre des détenus du bloc rend difficiles les rassemblements ; or ils sont nombreux pour des appels multiples, certains jours, sans doute par crainte d'évasion ou pour la désignation des futurs kommandos. De sorte que, quoique n'ayant pas de travail déterminé à faire pendant cette pause, nous sommes toujours dans l'attente d'un ordre sévère de rassemblement précipité, d'où une continuelle tension d'esprit.

          Le bloc 26
   Le 28 septembre, à la fin de la quarantaine, je suis versé, ainsi que mes confrères, au bloc 26, réservé aux ministres de tous les cultes. Le seul but de cette mesure est de les empêcher d'exercer leur ministère et toute influence religieuse sur les laïcs. Les plus jeunes vont travailler dans les champs, à l'entour du camp, encadrés de gardiens armés, talonnés par des chiens farouchement dressés. Les autres ont à faire des travaux de couture qui les retiennent à l'intérieur du bloc du matin au soir. Ils ne peuvent communiquer avec les autres détenus. Et le chapelet des souffrances s'égrène, même si on ne subit pas de sévices personnels. Elles sont accablantes, physiquement et moralement : les appels sont toujours aux mêmes heures, matin et soir, même en plein hiver, -25°. Il leur arriva d'atteindre jusqu'à deux heures de durée. Tous ceux qui ne sont pas à l'infirmerie doivent y être présents. Les plus faibles, qu'il a fallu soutenir pour les amener là, tombent pendant l'appel. Ensuite on les traîne dans la boue, la neige, pou les remmener au bloc ; on les traîne parce qu'on n'a pas la force de les porter.

   La nourriture est toujours aussi réduite, la soupe va s'éclaircissant, quelles que soient les exigences du travail. Les prisonniers allemands, polonais, slaves, recevaient des colis expédiés par leur famille ou des colis de la Croix-Rouge, très réguliers et bien conditionnés. Ils cuisinaient et se faisaient des repas à tour de rôle, selon les inscriptions dans le réfectoire où il y avait un poêle, et qui était aussi la salle de travail. La vue et l'odeur de ces aliments provoquaient une envie torturante chez les affamés que nous étions. Or quand même ils auraient désiré partager leurs colis, il était impossible de le faire avec tous. Poussé par une faim de plus en plus lancinante, les tiraillements de l'estomac allant jusqu'à provoquer les larmes, je me résolus à mendier auprès des heureux cuisiniers les rations de soupe qu'ils dédaignaient et jetaient dans les lavabos. Je visitais aussi les poubelles, épiant le moment où on y jetait des épluchures de fruits, et prenant les déchets de viande avariée, pour les gratter et en manger ce que je pouvais, au risque de me faire du mal, mais la faim exigeait un apaisement, quel qu'il fût. Ainsi jusqu'à la fin de l'année 1944 où arrivèrent les colis de la Croix-Rouge pour tous, au rythme à peu près régulier d'un par quinzaine. Tous les déportés de Dachau sont unanimes à dire que, sans ces colis, ils n'auraient pu que s'affaiblir de jour en jour jusqu'à la maladie et la mort inévitables.

   L'entassement de 2 ou 3 hommes par paillasse individuelle facilitait le développement d'une vermine dégoûtante et dangereuse. Nous ne changions jamais de linge. L'air était vicié. Au début de l'hiver apparut la dysenterie dont les effets augmentèrent l'insalubrité des lieux. La contagion se propagea rapidement.
   En janvier
ce furent les premiers ravages du typhus, maladie surtout propagée par les poux dont aucun de nous ne pouvait se défaire. Alors commencèrent les visions d'horreur, conséquence sinistre de ces deux maladies contagieuses. Progressivement, les blocs les plus atteints furent entourés de barbelés et consignés, ce qui mettait leurs habitants dans un isolement physique et moral tel qu'on ne parvenait à avoir des nouvelles d'eux, même si on habitait le bloc voisin. Chaque matin, les cadavres de ceux qui étaient morts pendant la nuit étaient sortis, nus, des chambrées, au nombre de 10, 30, posés par terre. Arrivait un large chariot plat, tiré à la corde par des détenus en corvée. Les corps y étaient lancés, s'y entassaient comme des meubles dans une voiture de déménagement, jusqu'à 70 ou 80. Le chariot ainsi chargé étaient mené au four crématoire qui bientôt ne put suffire à brûler tous les cadavres, puisque la mortalité se multipliait d'une façon effrayante.
    Du 1er janvier au 10 avril, le camp compta 12 000 morts sur un total de 33 000 présents et 15 000 en kommandos. Des équipes supplémentaires durent creuser des fosses communes où les corps furent entassés jusqu'à 500. Et la vision de ce transfert lugubre n'était peut-être pas le pire. Le chariot repassait ensuite pour prendre et porter à l'infirmerie les malades trop affaiblis pour marcher. Il emportait alors une charge de véritables cadavres vivants, décharnés, aux membres démesurément allongés par la maigreur ; pauvres êtres au paroxysme de la misère physique. Et souvent les chariots revenaient, ramenant ces malheureux qui n'avaient pu être admis au Revier trop plein, et qui savaient bien qu'ils seraient les morts de demain.

   Autre vision navrante : les déportés revenant des kommandos, des travaux de terrassement, dans les mines, les tunnels, les souterrains précipitamment emménagés en usine, soumis au même régime, n'ayant pas davantage de nourriture, ils ne pouvaient résister longtemps, leur santé était irrémédiablement altérée. La faim qui les tenaillait les faisait se jeter avidement sur le moindre morceau de pain que nous pouvions leur offrir, au point que les disputes violentes que provoquaient ces maigres générosités nous faisaient hésiter à en faire le geste. Pour les plus affaiblis de ces malheureux, les douches obligatoires à l'arrivée étaient souvent fatales ; il en mourait 20, 30, 40 en une seule séance. Le Docteur Bardon de Montceau-les-Mines, qui me soignait et qui dut être souvent témoin de ce triste spectacle, vit une fois un de ces ouvriers assister là à la mort de son troisième frère au retour du même kommando - les deux autres étaient morts en cours de route.

          La fin
   C'est dans cette atmosphère de misère indescriptible, de multiples souffrances, que nous apprenions la progression alliée, que bientôt nous en perçûmes nous-mêmes le rapprochement en entendant le canon. Les bombardements sur Munich, à 16 km de Dachau se multipliaient, nous étions alors en alerte, consignés dans nos baraques, tandis que les éclats de DCA retombaient sur le camp. Mais nous ne nous en effrayions pas. Nous craignions seulement l'écrasement des trains de colis.
   C'était vers la mi-avril. À ce moment fut mise en question notre évacuation par route. Mais le nombre que nous étions encore, le peu de gardes dont il disposait, firent que le chef du camp tarda à obéir aux ordres supérieurs. Plus d'une fois, nous fûmes rassemblés avec nos bagages sur la place d'appel et triés par nation. Les Russes même prirent la route et nous n'entendîmes plus parler d'eux…

   Après la libération, on a retrouvé un pressant télégramme d'Himmler ainsi conçu : « 14 avril. La capitulation n'entre pas en question. Le camp doit être évacué immédiatement. Aucun détenu ne peut tomber vivant aux mains de l'ennemi. Les prisonniers de Buchenwald se sont comportés cruellement vis-à-vis des populations civiles. Signé : Himmler au Commandant Weiss, Camp de Dachau ».

   Ainsi les intentions des chefs allemands sont indéniables : c'était l'extermination totale des déportés.

          Le 29 avril
 Vers 5 heures ½ de l'après-midi arrivèrent les Américains. Nous étions consignés dans les blocs depuis 2 heures. Dès qu'ils furent aperçus, ce fut une ruée générale vers les barbelés, par toutes les issues possibles, au milieu des clameurs enthousiastes. Les Américains ne se doutaient pas du spectacle qui les attendait.

   Mais lorsqu'ils trouvèrent près du four crématoire 1 400 cadavres qui n'avaient pu être incinérés et, à la gare de Dachau, un train de Juifs, embarqués sans doute depuis huit jours et morts de faim, dans les wagons où les SS les avaient bouclés, le train n'ayant pu partir à cause des bombardements, l'horreur des vainqueurs fut à son comble : ils ne firent plus de quartier, ne gardèrent plus de prisonniers, tous les gardiens SS furent abattus.


Conclusion

   À ce récit uniquement fait de ce que j'ai vu, pourraient s'ajouter des descriptions de tortures subies, soit au cours d'interrogatoires de la Gestapo en France, soit dans d'autres camps de concentration, descriptions faites par les victimes elles-mêmes que je connais et dont je peux garantir la sincérité.

   Ce supplément me paraît inutile. Les faits que j'ai vécus suffisent à démontrer à quel degré de sauvagerie sadique ces troupes allemandes en étaient venues, en dépit de la « correction » déployée dans nos villes. Je ne veux pas cultiver la haine, mais de tels faits font souhaiter en toute conscience humaine et même chrétienne des clauses de paix soigneusement étudiées et suffisamment sévères pour éviter la réédition de telles preuves d'hypocrisie, d'inhumanité, de perversion de la civilisation.
   Car il s'agit bien de perversion de la civilisation et non d'une simple dégradation vers la bestialité.
   La conception, l'étude de ces lentes tortures physiques et morales, savamment adaptées aux différentes circonstances, la recherche des moyens d'avilir l'homme, réclament l'emploi des facultés spécifiquement humaines, de celles qui révèlent en l'homme la ressemblance de Dieu, mais qui peuvent aussi être dédiées à Satan, l'ennemi de Dieu et de toute la Création.
   C'est pourquoi ces faits sont si particulièrement graves et navrants et abominables aux yeux de l'homme conscient de sa dignité d'homme, aux yeux du Prêtre.
   C'est pourquoi les idéologies qui mènent à de telles conséquences doivent être absolument répudiées.

Lucien HESS
15 juin 1945
l


L'hommage des Amis de la Fondation pour la mémoire de la déportation
23 mars 2005

   Le 23 mars 2005, une conférence en hommage à Lucien HESS s'est tenue dans la salle Saint Remi de la Maison Saint-Sixte de Reims, à l'initiative de la délégation marnaise des Amis de la Fondation pour la mémoire de la déportation, de son président, Jean CONSTANT, et du neveu de Lucien, Benoît HESS.
   Au cours de cette conférence donnée par la sœur de Lucien, Antoinette, de précieuses informations ont pu être apportées sur la déportation du Chanoine HESS et sur son retour à Reims, venant compléter et éclairer son témoignage publié dès 1945 par l'Académie nationale de Reims, et s'appuyant sur de nombreux documents ( photographies, lettres manuscrites, rapports, extraits de presse etc. ).
   Dans son témoignage de 1945, Lucien HESS, avec beaucoup de modestie, était resté très discret sur  :
   - les risques
qu'il avait encourus et assumés notamment en acceptant en décembre 1943 d'héberger et de cacher chez lui, André SCHNEITER, chef du mouvement Ceux de la Résistance de l'arrondissement de Reims, traqué par la Gestapo ;
   - la férocité des tortures qu'il a supportées sans jamais parler dans les locaux de la Gestapo de Reims, et les séquelles qu'il en a conservées longtemps après son retour de déportation ;
   - l'énorme soulagement qu'il ressentit après avoir communiqué à Châlons à travers les barreaux de la prison, avec sa sœur Madeleine, à qui il a pu crier qu'il n'avait pas parlé, et dont il a appris que sa famile n'avait pas été inquiétée après son arrestation ;
   - son ministère clandestin, poursuivi en prison et dans les camps, avec dévouement et une foi inébranlable ;
   - ses amitiés sacerdotales au bloc 26 de Dachau, les conférences organisées dans la chapelle transformée en atelier de couture, la communion offerte avec la complicité d'un déporté communiste, les conversions, les retours à la religion, l'ordination clandestine d'un déporté, l'extrême-onction donnée à travers les barbelés à son ami l'abbé MILLOT, curé d'Hirson, qui s'était porté volontaire pour assister les déportés atteints par le typhus ;
   - les deux dysentries auxquelles il a survévu grâce à une bande de tissu ramassée au fond d'une des tranchées du camp, enroulée autour de son ventre en guise de ceinture de flanelle, ce qui lui a permis de tenir tout l'hiver ;
   - le retour à Reims dans un autocar du CBR : affrété par la SNCF pour aller rechercher Marcel FALALA, chef de gare de Reims déporté à Dachau, finalement rapatrié par ses propres moyens, cet autocar, grâce à la détermination de Madame le docteur DÉSORMEAUX et... quelques bouteilles de champagne distribuées aux sentinelles américaines, est parvenu à franchir le cordon sanitaire du camp et à ramener une trentaine de déportés de la région de Reims dont faisait partie Lucien ;
   - l'arrivée au Centre d'accueil, installé dans les locaux du Foyer social, boulevard de la Paix, le 14 mai 1945 vers 15 heures, où Lucien retrouve avec une intense émotion son père, sa famille, ses amis.

Le retour à Reims de Lucien Hess, le 14 mai 1945

La chorale des enfants de l'École de Contrai,
où Lucien exerçait son ministère, chante La Marseillaise

   Au premier plan : Lucien HESS aux côtés de son père ( au centre )
   Au second plan : 
Pierre SCHNEITER, sous-préfet de Reims, ( derrière Lucien et son père ), et Berthe HESTREST ( la jeune femme qui porte des lunettes ), secrétaire du chef départemental des FFI, Pierre Bouchez.

   Peu de temps après son retour de déportation, Lucien HESS, a effectué à pied un pélerinage en plusieurs sanctuaires, puis il a repris son ministère à Reims, où il a fondé l'École de la Maîtrise qu'il a dirigée jusqu'en 1958.

   Près de 20 ans après son arrestation, il a reconnu sur une photographie illustrant un article consacré dans L'Union du 2 novembre 1962 au maquis du Banel, Charles ROEMEN, alias " Antoine ", l'agent de la Gestapo d'origine belge qui s'était présenté chez lui en se faisant passer pour un agent de liason de la Résistance, afin de lui tendre un piège dans lequel heureusement il n'était pas tombé.

   Le 8 juillet 1962, dans la cathédrale où Monseigneur MARTY, archevêque de Reims, accueillait le président de la République, Charles de GAULLE, et le chancelier d'Allemagne fédérale, Konrad ADENAUER, venus sceller la réconciliation franco-allemande, la messe a été célébrée par Monseigneur BÉJOT, évêque auxiliaire, assisté très symboliquement de Monseigneur LALLEMENT, ancien prisonnier de guerre, et du Chanoine HESS, ancien déporté.

   Lucien HESS a reçu la Médaille de la Résistance le 14 juillet 1946, la Croix de guerre pour faits de Résistance en octobre 1948, et il a été fait successivement chevalier puis officier de la Légion d'honneur.

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