La photographie de la famille Schwartzmann
Michel SCHWARTZMANN et Henriette
SCHWARTZMANN née MOSCHKOWITZ entourés de douze de leurs treize enfants : (de
gauche à droite)
au 1er plan : Marcel né en 1936, Ginette née en 1941, Madeleine née en 1939, Marie-France née en
février 1943, Maurice né en
1938, Pierre né en
1933.
au second plan : Antoinette née en
1931, Robert né en
1929, Simone née en
1927, Suzanne née en
1921, Léa née en
1925, Jeanne née en
1932.
Cette
photographie a été
prise au numéro 7 de la rue Jean Gutenberg à
Tinqueux dans la banlieue de Reims,
devant la maison des SCHWARTZMANN,
vraisemblablement à la
fin de l'été 1943, c'est-à-dire quelques
mois seulement avant la rafle du 27 janvier
1944.
Elle a été conservée par Monsieur
et Madame DESTOUCHES qui habitaient 2,
rue Jean Gutenberg, en face de la maison des SCHWARTZMANN.
Le 17 mai 1941,
à l'occasion de la Journée des
mères françaises, élevée par
le gouvernement de Vichy en Fête nationale,
le conseil municipal de Tinqueux
avait décerné
la médaille d'or de
la famille française à Henriette
SCHWARTZMANN.
Le
fils aîné, André,
né en 1920, qui ne figure
pas sur la photographie, s'était engagé
dans l'aviation en 1939. Après
la défaite de 1940, il avait rallié la résistance en zone non-occupée,
puis avait été arrêté et interné
en Espagne, alors qu'il tentait de rejoindre
les Français libres en Grande-Bretagne.
Montage-collage réalisé en 1985 par les élèves du collège du quartier Saint Remi de Reims
avec leur professeur d'arts plastiques Martine Duliot
dans le cadre du projet d'action éducative (PAE) " Reims souviens-toi " animé par Jocelyne Husson, professeur d'histoire
Les Schwartzmann à Reims et Tinqueux
Michel
SCHWARTZMANN,
né à Ouman en Russie en 1893, avait
émigré en France et s'était engagé
dans l'armée française pendant la 1ère guerre mondiale.
En 1916,
il avait été naturalisé français .
En 1918, au cours d'une
permission, il avait épousé
Henriette MOSCHKOWITZ
à Vincennes.
Henriette
SCHWARTZMANN
est née
à Reims en
1898. Bachelière, elle était
issue d'une famille de Juifs alsaciens d'origine
russe, venus s'installer à Reims
après l'annexion par l'Empire allemand des trois départements
d'Alsace-Moselle en 1870-1871.
Son
père, Isidore MOSCHKOWITZ,
commerçant, avait épousé
Frédérique KLEIN, modiste. Ils tenaient un magasin d'antiquités,
rue de Vesle à Reims.
Artisan menuisier-ébéniste,
Michel SCHWARZTMANN avait
construit la maison familiale de Tinqueux, avec
l'aide de maçons italiens, au cours des années
1938-1939. C'était
une coquette
maison en dur,
qui remplaça une maison de bois devenue trop exigüe
au fur et à mesure que la famille s'agrandissait.
La famille SCHWARTZMANN
ne fréquentait pas assidûment la synagogue,
mais elle respectait le Shabbat
et accueillait volontiers
à sa table les voisins dans le besoin. Lorsque des
Républicains espagnols réfugiés en France sont
arrivés à Tinqueux, Henriette
a accepté de rédiger leur courrier.
Tous les enfants sont allés
à l'école et les plus grands ont tous passé
et obtenu leur certificat d'études.
Puis ce fut l'occupation
allemande,
la
mise en uvre de la législation
antisémite par l'administration française aux
ordres du gouvernement de Vichy, et les dénonciations.
Michel
SCHWARTZMANN, ancien
combattant, médaillé de la 1ère guerre mondiale,
qui se croyait à
l'abri, fut contraint d'abandonner le statut d'artisan-ébéniste
et s'embaucha comme ouvrier dans
une entreprise de menuiserie de Reims.
Le
16 mars 1943, le secrétaire
de la section rémoise du Parti populaire français ( PPF ),
un des plus virulents partis collaborationnistes, adressait une lettre
au sous-préfet de Reims dans laquelle il dénonçait
la famille SCHWARTZMANN dont il écorchait
le nom :
La
famille juive Schwarmann ( sic ),
rue Gutenberg à Tinqueux, ne porte pas l'étoile [...]
Nous sommes étonnés que des mesures
soient appliquées à certains et pas à d'autres,
et nous espérons que vos services feront le nécessaire
pour que tous les Juifs, quels qu'ils soient, portent l'étoile.
Le
19 mars 1943, l'inspecteur de police chargé d'enquêter, adressa au sous-préfet un
rapport bienveillant qui
apportait un démenti formel à l'information donnée par le dénonciateur :
La
famille Schwartzmann, demeurant à Tinqueux rue Gutenberg, ne
s'est jamais fait remarquer par l'absence du port de l'étoile
juive.
J'ai moi même constaté, lors de mon
passage à Tinqueux, que Madame Schwartzmann portait un manteau
où était cousu l'insigne pré-cité.
Cette famille de 13 enfants, dont le père
est menuisier à Reims, est très honorablement connue
à Tinqueux et jouit de l'estime publique.
Le voisinage reconnaît que Monsieur et Madame
Schwartzmann ont toujours porté l'insigne des Israélites.
Il
faut croire que les dénonciations ont
continué, puisque six mois plus tard, en
septembre 1943, la préfecture de la Marne demanda
au sous-préfet de Reims de faire « vérifier
si les Schwartzmann de Tinqueux avaient été mis en possession
d'étoiles juives ».
Dans sa réponse datée du
21 septembre 1943, le sous-préfet de Reims signalait
que « tout était en règle
sauf pour le jeune Marcel [6
ans] qui n'avait pas l'âge
requis lors des précédentes ordonnances »
et il demandait « de lui faire parvenir
trois insignes pour le jeune Marcel ».
Le 30 septembre 1943,
Henriette SCHWARTZMANN a signé un
papier visé par le commissaire central de Reims, qui attestait
qu'elle avait bien reçu les trois étoiles
jaunes destinées à son fils Marcel.
Archives
départementales de la Marne, M 3 100
Peu
de temps avant la rafle du 27 janvier 1944,
les SCHWARTZMANN ont eu la tristesse
de constater que le climat changeait autour
d'eux, que des amis leur fermaient leur porte. La
peur s'installait, mais la famille ne voulait pas se séparer
et fuir était devenu impossible.
La rafle du 27 janvier 1944
La famille
SCHWARTZMANN a
été arrêtée au cours de la rafle du 27
janvier 1944,
la rafle la plus importante recensée
dans tout le département de la Marne, qui a conduit
62 Juifs de l'agglomération de Reims-Tinqueux à Drancy.
Ce jour-là, vers 7 heures du
matin, la rue Gutenberg de Tinqueux,
où habitait cette famille, a été bouclée
par des Feldgendarmes surgis de deux camions et de plusieurs
voitures, pour les arrêter. Le père, Michel SCHWARTZMANN,
qui se trouvait déjà sur son lieu de travail, à la menuiserie Charlet 23, rue de Bezannes
à Reims, était arrêté lui aussi. À son patron qui voulait lui
donner de l'argent pour lui et sa famille, un gendarme allemand a rétorqué
: « Non, ce n'est pas la peine »,
l'autorisant seulement à fournir une couverture à Monsieur
SCHWARTZMANN.
Témoignage
de M. et Mme Destouches
sur l'arrestation de la famille Schwartzmann
recueilli en 1985
Format
Windows média vidéo
(12
Mo)
Extrait
du film 7 mai 45 qui n'est plus commercialisé
© CRDP de Reims - Mai 1985
Auteur : Jean-Pierre Husson
Réalisateur : Claude Joulé
Prise de vues : Michel Rampenaux
Son et montage : Pierre Pinon
Entretiens : Catherine Darsonval
La déportation : de Drancy à Auschwitz-Birkenau
Les parents
et les enfants SCHWARTZMANN
ont été conduits à la prison de Reims
où ils ont été internés pendant deux jours, puis
ils ont été transférés en autobus au camp de
Drancy.
Au cours de ce transfert, Madame SCHWARTZMANN est
parvenue à jeter un morceau de papier
par la fenêtre de l'autocar, sur lequel elle avait écrit
que sa famille était emmenée
pour une destination inconnue.
À Drancy,
on leur a coupé les cheveux et on les
a « désinfectés ». Michel
a été séparé
du reste de la famille. Entassés sur la paille. Appel à
5 heures du matin. Un seul point d'eau pour la toilette. Une maigre
nourriture servie dans une gamelle.
Cinq jours après son
transfert à Drancy, la famille
SCHWARTZMANN a été déportée par le convoi n° 67
du 3 février 1944, arrivé
à Auschwitz le 6 février. Ce convoi comportait 20 wagons. Dans chacun de ces wagons étaient entassées 60 personnes, hommes, femmes, enfants, vieillards. Les familles n'ont pas été séparées. La famille
SCHWARTZMAN se trouvait dans le 8e wagon.
Liste par wagons du convoi n° 67 conservée au Centre de documention juive contemporaine
Michel y est recensé comme menuisier ( Schreiner )
Suzanne et Léa comme employées ( Kontoristin )
Henriette et les autres enfants avec la mention
« sans » ( ohne ) profession
( Document numérisé par Maryvonne Braunschweig
Cercle d'étude de la Déportation et de la Shoah - Amicale d'Auschwitz )
Dès l'arrivée à
Auschwitz II-Birkenau, Léa
a été placée
dans la file de droite
et sélectionnée pour le travail forcé.
Suzanne,
l'aînée, que
Madame SCHWARTZMANN essayait de convaincre de rejoindre sa
sur, mais qui ne voulait pas se séparer de sa mère
ni de ses frères et surs, a été
poussée par un soldat allemand
dans la file où se trouvait Léa.
C'est ainsi, selon son témoignage, qu'elle a été
sauvée une première fois.
Henriette SCHWARTZMANN leur a crié en les quittant
: « Allez travailler, on se
verra ce soir ».
Tandis que la maman et les autres
frères et sœurs étaient conduits
à la chambre à gaz, ainsi sans doute que leur père,
Suzanne et
Léa
ont été rasées et tatouées,
et mises en
quarantaine.
Antoinette, Ginette, Jeanne, Madeleine, Marcel, Marie-France, Maurice, Pierre et Robert ont été gazés le 8 février 1944 selon le JO du 2 janvier 2001.
Michel et Simone a été gazés le 9 février 1944 selon le JO du 11 avril 2002.
En novembre 2011, la mort en déportation d’Henriette Schwartzmann n’était toujours pas enregistrée au JO de la République française.
D'abord astreintes au travail
forcé dans une carrière, en plein air, dans
le froid, Suzanne et Léa ont été ensuite affectées dans
une usine de munitions,
où
les conditions étaient un peu moins rigoureuses,
à environ trois kilomètres du
camp, où elles étaient ramenées chaque
soir.
La marche de la mort, la libération et le retour à Tinqueux
Le
18 janvier 1945, Léa et Suzanne
ont été évacuées par les SS vers Ravensbrück.
Au cours de cette
longue marche dans le froid et la neige, Suzanne cria en français à Léa,
qu'elle ne pouvait plus marcher à cause d'un pied gelé.
Les
SS abattaient tous les déportés qui ne pouvaient plus
suivre. Mais dans le chaos qui gagnait
les routes où se côtoyaient
déportés, prisonniers de guerre et ouvriers du Service
du travail obligatoire, Suzanne a
été sauvée une deuxième
fois, grâce à
deux travailleurs forcés belges, qui l'ont entendue et l'ont
portée sur une charrette à bras. Ils ont recouvert avec
des vêtement civils son habit rayé ainsi que celui de Léa.
C'est ainsi qu'elles ont échappé à
l'hécatombe des « marches
de la mort », et qu'elles
ont survécu jusqu'à leur
libération par les troupes américaines en
avril 1945.
Grâce à l'intervention d'un officier américain, interpellé en yiddish par une déportée belge, Suzanne
et Léa ont été embarquées dans une ambulance de l'US Army et conduites dans un hôpital de la région de Leipzig, où elles ont été soignées pendant un mois avant d'être rapatriées en France.
Elles
pesaient alors à peine 25
kilos.
En 1945, elles faisaient partie des 11
survivants parmi les 316 déportés juifs marnais.
Au traumatisme
de la déportation, est venue s'ajouter en mai
1945 pour Suzanne
et Léa
l'épreuve du retour à Tinqueux.
Leur maison avait été spoliée,
confisquée après leur arrestation et se
trouvait occupée par des personnes qui refusaient de leur restituer, considérant qu'elles y avaient été installées « légalement » par l'administration de Vichy.
Lorsque avec leur frère André,
elles ont pu en reprendre possession, tout ce qui avait appartenu à
leur famille avait disparu.
Il ne
restait rien : aucun meuble, aucun vêtement,
aucune photographie, aucun souvenir de leurs parents ni de leurs frères
et surs.
Abattues, déprimées, elles ont quitté Tinqueux et Reims
en se jurant de ne plus jamais y revenir
et ont été longuement soignées dans une maison
de repos.
Le témoignage
de Léa Rohatyn née Schwartzmann
Après
un long silence,
« témoigner pour ceux qui ne sont
pas revenus »
Léa Schwartzmann le 28 janvier 2009 au siège de l'Union des déportés d'Auschwitz
entourée de Jocelyne et Jean-Pierre Husson
Léa
SCHWARTZMANN qui s'est longtemps enfermée dans le
silence, a accepté d'accorder à
la journaliste, Isabelle HORLANS,
un entretien qui a été publié dans
le quotidien L'Union du
26 janvier 1995.
Elle a témoigné dans
Actualité Juive - Hebdo,
n° 640 daté du 13 janvier 2000,
sous le nom de Léa ROHATYN, puis
dans l'ouvrage de Patrick COUPECHOUX,
Mémoires déportées -
Histoires singulières de la déportation,
publié à Paris aux éditions La Découverte
en 2003, et à nouveau en
2005, dans Mémoires de
la Shoah - Photographies et témoignages, publié
à Paris dans la collection " Histoires de la grande Histoire
", un ouvrage co-édité par les éditions du
Chêne et Hachette Livre.
C'était
une fin d'après-midi. le train s'est arrêté et
les portes se sont brutalement ouvertes. J'ai eu soudain la sensation
d'arriver sur une autre planète, avec les cris, les hurlements,
les aboiements des chiens j'ai toujours eu peur des chiens l'impressionnante
stature des SS, les hommes en rayé qui ramassaient nos affaires
et qui restaient obstinément silencieux. Je me revois encore
aider ma mère, mes frères et mes surs à
descendre du wagon.
Je revois mon père disparaître dans
la cohue [...] Ce jour là je l'ai perdu. Il a été
englouti par la foule, sans même que je m'en rende compte. Je
n'ai jamais su avec précision ce qui lui est arrivé.
Je suppose qu'il n'est jamais entré au camp, qu'il a été
envoyé tout de suite à la chambre à gaz [...]
Avant même que j'aie pu réaliser,
nous avons été mis en rang et nous avons marché,
machinalement, jusqu'au grand portail du camp.
Les SS ont alors effectué une première
sélection. Moi, juste avant, je ne sais pourquoi, j'ai été
séparée du reste de la famille. C'est alors que ma mère,
qui se trouvait dans l'autre groupe, a fait signe à Suzanne,
ma sur aînée, de venir me rejoindre, afin que je
ne reste pas seule. Maman a eu juste le temps de nous dire «
À ce soir », et elle est partie avec ses dix enfants
autour d'elle, vers les camions [...]
Durant la première nuit, nous avons entendu
des femmes hurler...
Le lendemain matin, tôt, au premier appel,
j'ai vu le crématoire, j'ai senti l'odeur de la chair brûlée
et, à ce moment-là, j'ai compris [...]
Léa
ROHATYN
Mémoires déportées -
Histoires singulières de la déportation,
Paris, La Découverte, 2003.
Je n'oublierai jamais ce matin du 27 janvier 1944.
Il était tôt, une camionnette s'est
garée dans la rue, treize gendarmes allemands en sont descendus,
armés.
Ils sont arrivés comme des brutes dans la
maison, ils ont fouillé partout.
Mon frère était dans la Résistance,
je pense qu'ils cherchaient des listes de noms.
Et ils nous ont embarqués, les douze enfants,
dont la plus jeune n'avait que quelques mois, et mes parents.
À la prison de Reims, d'abord, puis « pour
Paris ».
Paris c'était Drancy, aux mains des Allemands.
Le premier jour, nous avons été séparés
de mon père.
Nous y sommes restés cinq jours. Cinq jours
abominables, l'antichambre des camps : les hurlements des
Allemands et de leurs chiens qui nous terrorisaient, les appels deux
fois par jour.
On nous a raccourci les cheveux.
Nous dormions sur de la paille, blottis les uns
contre les autres.
Ils avaient droit de vie et de mort sur nous.
Notre convoi pour Birkenau portait le numéro
67 : 1 945 personnes ( 550 femmes, 662 hommes
et le reste... des enfants ).
[ Sur la liste alphabétique du convoi n° 67 publiée par Serge Klarsfeld, figurent 1 214 personnes dont 985 ont été gazée dès leur arrivée au camp. La liste non alphabétique par wagon conservée au CDJC comporte 1 210 noms. En 1945, n'ont été recensés que 26 survivants dont 12 femmes ]
Beaucoup de vieillards,
des malades
arrachés des hôpitaux.
Le trajet dans les wagons à bestiaux a duré
trois jours et trois nuits, sans boire ni manger.
On a compris quand ils ont fermé les portes.
Entassés, sans possibilité de s'isoler pour faire ses
besoins, ou allaiter comme c'était le cas de ma mère.
On a mis une couverture pour se séparer des
hommes ; la tinette a été vidée deux fois en
tout.
Personne ne disait rien.
Je ne peux pas dire ce que c'était avec des
mots, en tout cas, je ne peux plus monter dans un train.
À Drancy, juste avant notre départ,
la préfecture de Châlons nous avait fait parvenir un
gros colis, mais Maman avait dit « On n'y touche pas,
on le garde pour plus tard ». Alors on l'a gardé,
la faim au ventre, tout le long du trajet.
Lorsque les wagons se sont ouverts, les vivants
ont émergé du train, hagards, perdus.
C'était terrifiant, comme sur une autre planète,
l'enfer.
Les hurlements, les ordres en allemand, les chiens
qui aboyaient.
Nous avons marché un peu.
Il y a eu une première sélection.
Ma sur et moi qui étions les aînées ( 18
et 22 ans ), d'un côté, ma mère et tous mes
petits frères et surs de l'autre. Elle nous a dit :
« À ce soir ». Nous ne les avons plus
jamais revus. Ca c'est passé en une seconde, comme dans un
cauchemar.
La première chose qu'on nous a faite a été
de nous raser, de nous tatouer, puis de nous mettre nues, en plein
mois de février.
Et la terrible vie de Birkenau a commencé.
Le personnel du camp, c'était les SS, la Wehrmacht, mais aussi des droits communs, des brutes sorties
des prisons allemandes.
Nous sommes restées en quarantaine quelque
temps, pendant lequel les travaux les plus ignobles et les plus difficiles
nous étaient réservés : les pommes
de terre ( gelées, elles étaient inmangeables ),
les briques sur lesquelles la chair de nos mains nues restait collée
par le froid.
C'était un monde de douleur, d'humiliation,
de brutalité inimaginable.
Puis ce furent les Kommandos : on partait le
matin et on rentrait le soir.
Les coups pleuvaient, nous étions à
peine nourries. J'en ai pris plus que les autres, car je ne comprenais
pas les ordres en allemand, je n'arrivais pas à retenir mon
matricule, qu'il fallait savoir par cur, je ne répondais
pas à temps aux questions.
Il y avait aussi les appels, des heures durant dans le
froid, avec des femmes qui tombaient, qu'on ne pouvait aider et qui
mouraient dans la neige, alors le compte était faux, il fallait
recommencer, jusqu'à l'absurde.
Nous tenions à ne pas montrer aux Allemands
qu'ils étaient maîtres de notre vie, je n'en regardais
jamais un dans les yeux.
Ce sadisme, cette absurde brutalité, comment avons-nous
pu y survivre ?
Et la famine, le froid, le typhus, comment ai-je
pu y échapper ?
Je ne le sais toujours pas. Une petite étoile,
sans doute, m'accompagnait.
Le lendemain, j'ai cherché à savoir où
étaient passés ma mère et mes frères et
surs. On m'a montré la fumée qui ne s'arrêtait
jamais dans le ciel de Birkenau et on m'a répondu « par
la cheminée » sans commentaire, ça a été
le moment le plus dur.
Moi j'ai eu la chance d'échapper aux sélections
successives et d'être choisie pour travailler dans une usine
de munitions. La ration alimentaire était plus consistante,
nous étions logées à part, même si les
conditions étaient atroces, c'était tout de même
un peu moins épouvantable.
Je n'en veux pas aux Kapos allemandes qui nous commandaient,
dans la cruauté, le vol et l'injustice. Si j'étais restée
aussi longtemps qu'elles, peut-être serais-je devenue comme
elles.
C'est mon étoile et ma foi, qui m'ont accompagnée
pour tenir jusqu'au retour en France, après l'épreuve
terrible de la longue marche [ allusion
à ce que les déportés ont appelé les « marches
de la mort » qui ont suivi l'évacuation des camps
au fur et à mesure de l'avance des troupes alliées ].
Il n'y a que depuis très peu de temps que
je peux en parler, et je veux le faire aujourd'hui, car c'est ma mission : témoigner
pour tous ceux qui ne sont pas revenus.
Léa
ROHATYN
Mémoires de la Shoah - Photographies et témoignages,
Histoires de la grande Histoire, Paris,
Éditions du Chêne / Hachette Livre, 2005
En 2008, Léa a témoigné dans le dvd-vidéo Enfants et adolescents dans le système concentrationnaire nazi, réalisé par le Cercle d'étude de la Déportation et de la Shoah - Amicale d'Auschwitz dans le cadre de la préparation du Concours de la Résistance et de la Déportation et mis gratuitement à la disposition des enseignants.
La photographie de la famille SCHWARTZMANN figure en première de couverture du livret d'accompagnement et le montage-collage réalisé en 1985 par les élèves du collège du quartier Saint-Remi de Reims est reproduit en quatrième de couverture.
Léa témoigne également dans le dvd-vidéo Mémoire demain réalisé par l'Union des déportés d'Auschwitz, avec le soutien de la Fondation pour la mémoire de la Shoah et de la Ville de Paris dans le cadre d'un programme d’enregistrement de la parole de 20 déporté(e)s effectué en 2008 sur les lieux mêmes de leur déportation, dans les camps d’Auschwitz et de Birkenau.
Dernière survivante marnaise de la Shoah, rescapée d'Auschwitz-Birkenau, Léa ROHATYN née SCHWARTZMANN est décédée le 11 septembre 2022. Elle était âgée de 97 ans. Elle repose en Israël.
Le témoignage
de Suzanne Sher née Schwartzmann
En
1957, Suzanne
SCHWARTZMANN a quitté la France pour
aller s'installer à Perth
en Australie,
où elle a épousé un émigré polonais,
Mat SHER, dont
elle a eu un fils, Glen, né en
1959.
Elle y est décédée
le 25 janvier 2006 à la suite de complications cardiaques.
The Western Australian,
journal australien daté du 14 février
2006 qui relate son décès, a publié
quelques extraits du témoignage
laissé par Suzanne et transmis
par son fils Glen.
Lorsque
les portes des wagons se sont ouvertes, des centaines de déportés
sont tombés des wagons, morts.
Je
me souviens avoir vu arriver un jour des milliers de gitans qui avaient
disparu le lendemain. Gazés.
Certains
jours, les gardiens nous réveillaient à 2 heures du
matin et à chaque fête juive, ils nous obligeaient à
nous déshabiller, et nous étions examinées nues
par des « docteurs » qui sélectionnaient
parmi nous celles qui étaient envoyées à la chambre
à gaz, et celles qui retournaient travailler.
La mémoire de Suzanne en Australie
Le souvenir
de la famille Schwartzmann
À
Tinqueux
Le
nom de la famille SCHWARTZMANN est
inscrite sur le monument aux morts
de la Ville de Tinqueux.
La
maison qui appartenait à la famille SCHWARTZMANN
se dresse toujours 7, rue Gutenberg à
Tinqueux.
Elle a changé plusieurs fois de propriétaires
depuis la fin de la 2e guerre mondiale.
À l'origine, c'était une maison
de plein-pied, qui a été réhaussée d'un étage et réaménagée.
7,
rue Gutenberg en 2006
Dans
les années 1980, la
ville de Tinqueux a donné le nom de la famille SCHWARTZMANN à
une rue située dans le prolongement de la rue
Jean
Gutenberg
où habitait cette famille.
La rue de la famille Schwartzmann
commence au croisement de la rue Jean Gutenberg
et de la rue de Muire, et se termine
à la Place
des Auzers, au cur du lotissement "
Les Ormes de Muire ".
Le 27 janvier 2009, une plaque commémorative a été inaugurée à ce carrefour pour honorer la mémoire de la famille SCHWARTZMANN, à l'occasion de la Journée internationale de la mémoire de l'Holocauste, qui correspond aussi au 65e anniversaire de l'arrestation des parents SCHWARTZMANN et de leurs douze enfants. L'inauguration s'est déroulée en présence de membres de l'association marnaise des Amis de la Fondation pour la mémoire de la déportation et de la communauté juive de Reims-Tinqueux.
Cette plaque commémorative a été réalisée en 2008 par les élèves de bac professionnel du Lycée Europe, sous la direction de leurs professeurs, Vincent COUSINA professeur de lettres-histoire, et Sylvain BASTIANCIG professeur d'arts plastiques, à la suite d'un voyage à Auschwitz-Birkenau parrainé par la Fondation pour la mémoire de la Shoah en 2007.
Les élèves du lycée Europe ayant participé au voyage à Auschwitz-Birkenau
avec leur professeur Vincent Cousina lisent un texte en hommage à la famille Schwartzmann,
puis le texte de Primo Levi « Si c'est un homme »
À
Reims
Au
cimetière de l'Est à Reims,
deux plaques déposées
sur la sépulture des
parents de Madame
SCHWARTZMANN honorent sa mémoire, ainsi que celle
de son mari et de leurs dix enfants exterminés
à Auschwitz-Birkenau.
Ici
reposent
Frédérique
MOSCHKOWITZ
née KLEIN
14 novembre 1873
3 janvier 1937
Isidore
MOSCHKOWITZ
son époux
10 août 1865
15 février 1941 |
La
sépulture des parents d'Henriette Schwartzmann
au Cimetière de l'Est de Reims
Une
plaque de pierre, a été
déposée vraisemblablement au lendemain de la 2ème
guerre mondiale par des parents ou
des amis des MOSCHKOWITZ
décédés respectivement
en 1937 et en 1941, qui
ont voulu rendre hommage à leur fille, leur gendre et leurs petits-enfants,
à leur place en quelque sorte.
À
LA MEMOIRE DE
LEUR FILLLE GENDRE
DE LEURS DIX ENFANTS
DEPORTÉS A AUSCHWITZ |
Une
seconde plaque en marbre a été
déposée vraisemblablement par le fils aîné,
André SCHWARTZMANN, décédé
en 1981.
Sources
- Recensement des déportés marnais par André AUBERT, Comité d'histoire de la 2e guerre mondiale.
- Archives départementales de la Marne, cabinet du préfet de la Marne, M 11316 et M 3100.
- Liste par wagons du convoi n° 67 conservée au Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), .
- Informations et photographie de la famille Schwartzmann communiquées en 1985 à Jean-Pierre HUSSON par leurs voisins Monsieur et Madame DESTOUCHES.
- Documents et photographies communiqués à Jocelyne et Jean-Pierre HUSSON par Glen SHER, fils de Suzanne SCHWARTZMANN.
- Len FINDLAY, " Survivor’s tortuous trek from Auschwitz ", notice nécrologique de Suzanne Sher, née Schwartzmann, The West Australian, janvier 2006.
- Témoignage de Léa ROHATYN SCHWARTZMANN :
1/ in Patrick COUPECHOUX, Mémoires de déportés. Histoires singulières de la déportation, Paris, La Découverte, 2003.
2/ in Enfants et adolescents juifs dans le système concentrationnaire nazi. Témoignages d’adolescents déportés à Auschwitz, Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah-Amicale d’Auschwitz et Union des déportés d’Auschwitz, CNRD 2008-2009.
3/ recueilli en 2009 par Jocelyne et Jean-Pierre HUSSON au siège de l'Union des déportés d'Auschwitz à Paris.
4/ Mémoire demain. Témoignages de déportés, Union des déportés d’Auschwitz, 2011.
- Jocelyne HUSSON, La déportation des Juifs de la Marne, Presses universitaires de Reims, 1999 et 2001.
- Jean-Pierre HUSSON, La Marne et les Marnais à l'épreuve de la Seconde Guerre mondiale, Presses universitaires de Reims, 2 tomes, ouvrage issu d’une thèse de doctorat soutenue en 1993, 2ème édition, 1998. |
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