Histoire et mémoire 51 > Melchior de Polignac, président d'honneur du Groupe Collaboration
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 Melchior de Polignac, président d'honneur du Groupe Collaboration de Reims

Dossier extrait de la thèse de doctorat d’histoire de Jean-Pierre Husson, La Marne et les Marnais à l’épreuve de la Seconde Guerre mondiale
publiée aux Presses universitaires de Reims en 1995, actualisé à l’occasion du centenaire du Tennis-Club de Reims (1923-2023)
des Jeux Olympiques de Paris
et du monument aux héros de l'Armée noire (1924-2024)

Un patron éclairé et passionné de sport
Un fils unique révolutionnaire

La Maison Pommery et l'érection du monument aux héros de l'Armée noire de Reims
La création du Tennis-Club de Reims et les Jeux Olympiques de Paris
De L'Accueil franco-allemand au Comité France-Allemagne
Du Comité France-Allemagne au Groupe Collaboration
Les préfets de la Marne et le Groupe Collaboration
L'épuration du Groupe Collaboration de Reims : une justice clémente à l'égard des notables et sévère pour les lampistes
Melchior de Polignac blanchi par la Chambre civique de la Seine
L'ambivalence des réactions des résistants
La mémoire de la 2e guerre mondiale au Tennis-Club de Reims

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 Un patron éclairé et passionné de sport

   Né le 27 septembre 1880 à Joigny dans l'Yonne, le marquis Marie Charles Jean Melchior de Polignac était le fils aîné de Guy de Polignac et de Louise Pommery.
   Il a suivi de
solides études chez les Frères des écoles chrétiennes de l’Institut Saint Jean-Baptiste de La Salle à Paris, au collège jésuite très élitiste de Stella Matutina voué au sport alpin à Feldkirch dans l’Empire austro-hongrois, au collège jésuite Saint-Ignace à Paris, ancêtre du prestigieux lycée Saint-Louis-de-Gonzague, puis à l’École des Hautes Études commerciales dont il est sorti diplômé.
  
En 1902, après le décès de sa mère, il a accédé par héritage à la direction de la maison Pommery où il a été formé par Henri Vasnier à toutes les activités de l’entreprise, de la vigne au champagne et à sa commercialisation en France et dans le monde. Il en est devenu en 1907 le président-directeur général.
   Il était aussi
membre de la Chambre de commerce de Reims, président de l'Association viticole champenoise, vice-président du Syndicat du commerce des vins de Champagne.
   
Il a fondé et présidé la Société sportive du Parc Pommery, ancêtre du Stade de Reims créé en 1931.
   Ami du baron Pierre de Coubertin, qui avait fait renaître les Jeux olympiques, créé et présidé le Comité international olympique jusqu’en 1925, le marquis était
président de la section des sports athlétiques de l'Académie nationale des sports, et membre du conseil exécutif du Comité international olympique Aéro-Club.

  
En 1908, Melchior de Polignac a initié la Grande semaine d’aviation de la Champagne, un des premiers grands meetings internationaux aériens organisés par l’Aéro-Club de France avec le concours des grandes maisons de champagne du 22 au 29 août 1909 sur le champ de course hippique de Bétheny. Cet événement, marqué par la présence du président de la République Armand Fallières, de nombreux ministres et de personnalités étrangères, a été renouvelé chaque année jusqu’à la 1ère guerre mondiale, événement au cours duquel à partir de 1910 était décernée la Coupe Pommery, dotée par le marquis, qui récompensait le plus long vol effectué en ligne droite.


  
Patron paternaliste, libéral et éclairé, Melchior de Polignac a confié en 1909 à l’architecte-paysagiste Édouard Redon la création du Parc Pommery, parc arboré de vingt-deux hectares. Ce parc aménagé en espace de détente et d’activité sportive a été ouvert dès 1911 aux ouvriers de la maison Pommery privés d’air et de lumière au fond des caves, ainsi qu’à leurs familles. Après les Jeux Olympiques de 1912 à Stockholm au cours desquels l’équipe de France a été reléguée à la sixième place, il y a créé le Collège d’Athlètes inauguré le 19 octobre 1913 en présence du président de la République Raymond Poincaré et de Pierre de Coubertin, président du Comité international olympique. Dans ce Collège d’athlètes, devenu le premier centre d’éducation physique de France, était enseignée la « méthode naturelle » dite « hygiéniste », prônée par Georges Hébert.
   Venu à Reims
en 1913 effectuer un reportage sur le Collège des athlètes et les fêtes données par Melchior de Polignac en l’honneur des membres du congrès des Jeux Olympiques, Fernand de Brinon, journaliste au Journal des débats, s’est lié aux deux journalistes Jean de Pierrefeu et Jean-Marie Guasco qui avaient eu l’idée, après le fiasco des sportifs français aux Olympiades de 1912, de créer un centre d’entraînement spartiate dénommé « Le Monastère ». Ce centre d’entraînement se fixait pour objectif de mieux préparer les athlètes français pour les Jeux Olympiques de 1924 organisés à Paris, projet qui a été repris et mené à son terme par Melchior de Polignac sous le nom de « Collège d'Athlètes ».

   « Il leur fallait un mécène intelligent. C’est Zeus sans doute qui les engagea à s’adresser au marquis de Polignac » écrivait
Fernand de Brinon dans son article intitulé " Les Fêtes du Collège d’athlètes " publié en juillet 1913. Relatant ces fêtes données par le marquis à cette occasion dans le Parc Pommery, de Brinon évoquait « les beaux moniteurs au corps de bronze et les monitrices harmonieuses et souples qui sembl[ai]ent sorties d’une frise grecque », les danses effectuées par les étoiles de l’Opéra accompagnées par un orchestre symphonique : « Aucun spectacle semblable n’est comparable à ce que nous avons connu hier soir. Tout y était réuni, la plastique, l’art et la conviction des exécutants. C’est un grand sujet de fierté pour nous, et il faut le dire ».
   De là est née
une longue et solide amitié unissant Fernand de Brinon et Melchior de Polignac.

   Après l’entrée en guerre des États-Unis le 6 avril 1917, Melchior de Polignac a retrouvé Fernand de Brinon au
Grand Quartier général installé par Pétain, devenu général en chef, dans le château de Compiègne. Nommé à la Mission américaine, il a accompagné à Washington André Tardieu, député républicain de Seine-et-Oise classé au centre-droit, nommé commissaire général aux Affaires de guerre franco-américaines, à la tête d’une commission chargée d’obtenir des États-Unis l’aide économique et financière dont la France avait besoin, et d'organiser la formation et le transfert en France du corps expéditionnaire américain. On peut penser qu’à l’occasion de cette mission, il a bien servi les intérêts de la maison Pommery et du champagne, et qu’il a noué des relations utiles.

   C’est lors de ce séjour aux États-Unis que
Melchior de Polignac a épousé en 1917 à New-York, Nina Floyd Crosby, veuve de James Biddle Eustis, qui avait exercé les fonctions de sénateur démocrate, puis d’ambassadeur des États-Unis en France à la fin du XIXe siècle.

 Un fils unique révolutionnaire

   De cette union est né le 1er juin 1920 à Paris, Louis Marie Melchior de Polignac, leur fils unique. En rupture avec sa famille, Louis de Polignac, dit Louis Dalmas, a fréquenté un groupe surréaliste où il a côtoyé des jeunes militants trotskistes. En 1939, il s’est engagé dans l’Armée de l’Air. Démobilisé en juin 1940, il a rallié une organisation trotskiste clandestine et il a adhéré aux Comités français pour la IVe Internationale, puis au Parti ouvrier internationaliste (POI).
   En 1943, il a épousé une ressortissante hongroise, Margarete Starkmann, dont il a eu deux enfants. Réfractaire au Service du travail obligatoire (STO),
il a rejoint la Résistance à Saint-Germain-la-Poterie dans l’Oise où son beau-frère possédait une ferme. C’est dans cette ferme qu’il a organisé l’accueil de prisonniers de guerre soviétiques évadés.
   À la Libération, plus de six-cents Soviétiques ainsi que des Républicains espagnols y ont été rassemblés.
   C’est aussi dans cette ferme qu’en février 1944
il a assuré l’organisation matérielle et, avec son groupe de Francs-Tireurs et partisans français (FTPF), la protection militaire de la conférence européenne de la IVe Internationale qui a donné naissance au Parti communiste internationaliste, section française de la IVe Internationale (PCI-SFQI).
   Élu au sein du comité central du PCI en 1946, il en a été exclu en 1947 pour indiscipline et ses positions droitières. Il a alors rejoint le Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR) créé par Jean-Paul Sartre et David Rousset, mouvement qui s’est effondré en 1948
   Journaliste à l’AFP puis à France-Soir, envoyé spécial en Yougoslavie, il est devenu un
fervent partisan du régime de Tito.
   En 1958, il a fondé sa propre agence photographique qu’il a fermée en 1968, puis s’est lancé dans la presse érotique.
   Il est décédé en 2014.
   Louis de Polignac dit Louis Dalmas a été
homologué FFI (Forces françaises de l’intérieur) avec le grade de lieutenant.

 La maison Pommery et l'érection du monument aux héros de l'Armée noire de Reims

   Après la 1ère guerre mondiale, de retour à Reims érigée en « ville martyre » mondialement connue par les photographies de sa cathédrale mutilée, entourée d’un champ de ruines, Melchior de Polignac a été nommé en 1919 à la présidence de la Société générale coopérative de reconstruction de Reims.
   En 1921, un Comité aux héros de l’Armée noire a été créé à Paris et la ville de Reims a été choisie pour y élever un monument à la mémoire des soldats originaires de l’Afrique sub-saharienne « Morts pour la France » pendant la 1ère guerre mondiale. Melchior de Polignac
a cédé gracieusement à la Ville de Reims une parcelle du Parc Pommery situé à l'embranchement du Boulevard Henry Vasnier et de l'avenue du général Giraud, à la sortie de Reims en direction de Châlons-sur-Marne.
   Le 29 octobre 1922, il a participé à la
pose de la première pierre de ce monument en présence du ministre de la Guerre, André Maginot.

Au premier rang à droite, le marquis de Polignac
(Bibliothèque Carnegie de Reims, H_XV_23_BMR40_139)

   La cession de ce terrain n’a été officialisée qu’en juillet 1924, quelques jours avant l’inauguration du monument. Le 10 juillet 1924, le Conseil municipal a autorisé l'administration municipale à accepter cette offre, « moyennant le prix de un franc pour la régularité ». L'acte de cession, dressé par le notaire de la maison Pommery, maître Mandron, a été signé après l'inauguration, en novembre 1924.

 La création du Tennis-Club de Reims et les Jeux Olympiques de Paris

   C’est aussi en 1921 qu’avec le comte Justinien Clary, président du Comité olympique français, Melchior de Polignac a fait aboutir un projet de Jeux d’hiver qui ont été organisés pour la première fois à Chamonix, puis il a défendu la candidature de Paris où ont été organisés les Jeux olympiques de 1924.
   C’est dans cette perspective qu’il a initié la création du Tennis Club de Reims dont il est devenu le président d’honneur. Les travaux de construction, financés par le Comité américain pour les régions dévastées et réalisés par Édouard Redont, à qui avait été confiée dans le même temps la restauration du Parc Pommery dévasté pendant la 1ère guerre mondiale, ont été achevés en un temps record. Le Tennis Club de Reims a été inauguré par Melchior de Polignac en septembre 1923, en présence d’André Tardieu devenu ministre au sein du gouvernement présidé par Raymond Poincaré.

 De L'Accueil franco-allemand au Comité France-Allemagne

   En 1919, Melchior de Polignac a fondé avec Fernand de Brinon L'Accueil Franco-Allemand et n’a cessé durant l’entre-deux-guerres de militer pour un rapprochement franco-allemand solide et durable. Ce rapprochement n’était pas incompatible avec les intérêts de la maison de champagne qu’il dirigeait et l’a conduit à nouer d’étroites relations avec Joachim Von Ribbentrop. Ce dernier, qui avait épousé en 1920 Anna Henkell, fille d’Otto Henkell, gros négociant en vins mousseux et spiritueux, est devenu l’agent général de la maison Pommery en Allemagne.
   En septembre 1932, le marquis a organisé une partie de chasse au cours da laquelle il a présenté son ami Fernand de Brinon à Ribbentrop. Membre du Parti nazi ce dernier, devenu le conseiller pour les affaires diplomatiques du chancelier Adolphe Hitler parvenu au pouvoir, a organisé le 16 novembre 1933 un entretien exclusif avec le chancelier dont Fernand de Brinon a rendu compte avec enthousiasme dans les colonnes du Matin. À la suite de cet entretien, Hitler a accepté de recevoir une délégation d’anciens combattants français accompagnés par Melchior de Polignac.
   Le 14 avril 1935, à une époque où le mouvement des
Croix de feu du colonel de La Rocque revendiquait environ 240 000 adhérents, 12 000 de ses militants venus de la région parisienne, du nord et de l'est de la France, ont pris la route en convois, sans connaître au départ leur destination finale par mesure de sécurité. Ils ont été acheminés vers Reims où Melchior de Polignac avait mis à leur disposition le Parc Pommery. Remise de drapeaux, meeting aérien, discours, défilé des sections, chants, saluts à la romaine, directives aux militants formulées par le chef se sont succédés : 

   « Vous barrerez la route à tout ce qui est rouge, à tout ce qui exerce une action occulte, sans assumer de responsabilité : j'ai nommé la Franc-maçonnerie et tout ce qui se sépare du drapeau tricolore » […]
                                                                                                                                                                                                   Colonel de La Rocque, chef des Croix de feu

   Cependant Melchior de Polignac et le chef des Croix de feu ont ensuite emprunté des chemins différents. Le colonel de La Rocque a créé le Parti social français (PSF), parti conservateur qui a combattu le Front populaire mais qui a clairement manifesté son hostilité à l’Allemagne nazie et son rejet de l’antisémitisme. À Reims, sous l’Occupation, plusieurs membres du PSF ont participé en 1941 à l’implantation dans la Marne du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France, mouvement de résistance né dans la mouvance du Parti communiste.
   
Melchior de Polignac a adhéré au Comité France-Allemagne dès sa création fin 1935-début 1936, par Jean Goy, député-maire du Perreux. Membre du Comité directeur de l’Union nationale des combattants (UNC), Jean Goy avait été à la tête du défilé de ce mouvement d’anciens combattants lors de la manifestation du 6 février 1934 à Paris qui a fait vaciller la IIIe République. Il a aussi été la première personnalité du monde combattant français à être reçu par le chancelier Adolf Hitler le 2 novembre 1934. Désavoué par Georges Lebecq, président de l’UNC, il était parvenu à supplanter ce dernier à la tête de l’UNC.
   Le comité France-Allemagne,
parrainé par le journaliste allemand Otto Abetz, homme de confiance de Joachim Von Ribbentrop devenu en 1938 le ministre des Affaires étrangères du IIIe Reich, faisait la promotion d’une réconciliation franco-allemande qui s’appuyait sur l’anticommunisme, l’exaltation du régime nazi et sur les sentiments pacifistes d’un grand nombre de Français encore traumatisés par la saignée de la 1ère guerre mondiale. Melchior de Polignac et Fernand de Brinon étaient membres du conseil d’administration du Comité France-Allemagne.

 Du Comité France-Allemagne au Groupe Collaboration

   Après l’acceptation de la défaite de 1940 et la mise à mort à Vichy de la IIIe République, le régime instauré par le maréchal Pétain s’est engagé sur la voie d’une collaboration d’État avec l’Allemagne nazie. Otto Abetz, nommé ambassadeur du IIIe Reich en France occupée s’est installé à Paris où il a été rejoint par Ferdinand de Brinon, nommé délégué général du gouvernement de Vichy dans les territoires occupés auprès des autorités allemandes, puis secrétaire d’État dans le second gouvernement Laval formé en avril 1942, où l’ancien préfet de la Marne, René Bousquet occupait quant à lui le poste de secrétaire général à la Police.
   Melchior de Polignac a intégré dès sa création à Paris à l'automne 1940 le comité d’honneur du Groupe Collaboration. Présidé par un écrivain prix Goncourt 1911, Alphonse de Châteaubriant, directeur de La Gerbe, hebdomadaire collaborationniste financé par Otto Abetz, le Groupe Collaboration était placé sous le patronage de l’ambassadeur Fernand de Brinon, du cardinal Baudrillart de l'Académie française et de Georges Claude, membre de l'Institut. Il se présentait comme le continuateur du Comité France-Allemagne d'avant-guerre dont il assumait en quelque sorte l'héritage et dont il avait aussi épousé le type d'organisation en sections thématiques et sous-comités.
   Se plaçant comme les autres mouvements collaborationnistes sur le terrain d’une collaboration idéologique et politique qui prônait ouvertement le ralliement à l'Allemagne nazie, le Groupe Collaboration, à la différence du Parti populaire français de Jacques Doriot ou du Rassemblement national populaire de Marcel Déat, s'adressait essentiellement à un cercle limité de notables, chefs d’entreprise, banquiers, journalistes, intellectuels, artistes conviés à de nombreux cocktails, déjeuners, diners, banquets, à des réceptions à l’ambassade allemande, à des manifestations culturelles et à des conférences. On y servait les meilleurs vins, alcools et champagnes. Melchior de Polignac qui veillait à ce que le champagne Pommery et Greno y figure en bonne place, avait toute sa place au sein de ce collaborationnisme mondain, tout comme son ami Jean Weiland, ancien représentant en vin de Champagne, qui secondait Alphonse de Châteaubriand à la tête du Groupe Collaboration.

   Pour accéder au comité d’honneur du Groupe Collaboration, il fallait être introduit et le parrainage du marquis de Polignac, garant de respectabilité, était recherché.
« Chaque dimanche à Paris, le marquis champenois et son épouse organis[ai]ent près des Champs-Élysées une " cocktail party " réunissant les piliers de la collaboration et des personnalités allemandes dont Otto Abetz, son épouse, et des habitués de l’ambassade allemande ». Auditionné le 6 janvier 1947, le SS Herbert Hagen qui a été l’adjoint à Paris de Carl Oberg, chef de la SS et de la Gestapo en France, et qui a organisé les rafles de juifs à Bordeaux et à Paris, a témoigné : « Les maisons des familles Mumm et de Polignac étaient les deux principaux salons de Paris où nous étions reçus et la plus haute société s’y côtoyait ».
   Le capitaine Raeder, neveu de l’amiral Erich Raeder, officier nazi du service des transports de la Feldkommandantur, qui délivrait aux maisons de champagne les précieux permis de circuler indispensables au négoce, dînait chaque semaine chez Pommery et Greno, où il était toujours « reçu avec les honneurs dus à sa famille ».

   Melchior de Polignac a participé aussi de février à l’automne 1942, à ce qu’on a appelé les
« déjeuners de la Table ronde » qui réunissaient au Ritz à Paris toutes les trois semaines des patrons, industriels, banquiers, hommes d’affaires allemands et français, ainsi que des membres de l’administration allemande et des ministres de Vichy, parmi lesquels on retrouvait René Bousquet, ancien préfet de la Marne devenu secrétaire général à la Police et Marcel Déat, ancien député socialiste de la Marne, devenu un ultra de la collaboration et le chef Rassemblement national populaire (RNP).

   Nommé en 1922 professeur de philosophie au lycée de garçons de Reims, Marcel Déat avait été élu conseiller municipal de Reims en 1925 sur une liste d'union conduite par le radical Paul Marchandeau. En février 1926, colistier du maire Paul Marchandeau, il avait été élu député socialiste de la Marne à la faveur d'élections partielles, alors que la commission administrative de la SFIO avait refusé de ratifier sa candidature, le suspectant d'être un révisionniste « participationniste ». Il a dirigé jusqu’en 1933 l’hebdomadaire de la Fédération marnaise du Parti socialiste SFIO, Le Travail de la Marne. Fondateur en 1941 du RNP, mouvement qui avec le Parti populaire français (PPF) a été le plus engagé sur la voie de la collaboration avec l’Allemagne nazie, il a conservé de solides amitiés sous l’Occupation à Reims et dans la Marne .

   Dans la Marne où soixante-quatre appartenances ont été recensées, le Groupe Collaboration était surtout actif à Reims où il a bénéficié du soutien de quelques notables dont Melchior de Polignac qui en a été le président d'honneur.
   Le colonel Paul Agostini, commandant de la Garde mobile en faisait partie. La section rémoise a d'abord été présidée par un professeur, André Mayer, puis en septembre 1942 par Robert Lebeau qui avait participé en avril au pillage de la synagogue de Reims destiné à meubler le local du mouvement installé place Aristide Briand.
   Le 14 mars et le 6 novembre 1942, Lebeau a été chargé par Melchior de Polignac, de présenter Georges Claude venu par deux fois à Reims annoncer la venue d'un « monde nouveau » et se faire le chantre des bienfaits de la collaboration.
   En décembre 1942, Jean Acker  a succédé à Lebeau démissionnaire et a assuré la présidence du Groupe Collaboration jusqu'à la Libération.
   Durant cette période, il a fait paraître dans L'Éclaireur de l'Est et dans Le Nord-Est soixante-dix-huit articles transmis par la direction parisienne du mouvement, qui faisaient l'éloge de la politique de collaboration, souhaitaient la victoire de l'Allemagne, prêchaient en faveur de La Relève, attaquaient les gaullistes qualifiés de
« traîtres » et appelaient à l'adhésion au Groupe Collaboration. Il a organisé plusieurs conférences au Grand théâtre de Reims, en particulier le 16 avril 1943 avec Philippe Henriot venu affirmer que la victoire allemande était certaine, et le 24 mai 1943 avec le comte Podewils correspondant de guerre allemand, présenté comme un héroïque combattant de Stalingrad.

   En 1944, l'activité du Groupe Collaboration a fléchi et les plus activistes parmi les militants se sont tournés vers la Légion des volontaires français (LVF) qui enrôlait des Français acceptant d’aller combattre sous l’uniforme allemand contre l’Armée rouge sur le Front de l’Est, et vers la Milice. L'un d'entre eux a été pressenti pour assurer la direction de la Milice lorsque celle-ci s'est implantée à Reims, mais sa candidature a été rejetée par tous les autres partis collaborationnistes.

   Issus du Groupe Collaboration, les Jeunes de l'Europe nouvelle (JEN) ont recruté une cinquantaine d'adhérents dans la Marne, s'efforçant d'apparaître comme l'organisme officiel habilité à regrouper les jeunes qui acceptaient de servir le régime de Vichy. En mai 1942, le délégué régional pour la Champagne qui utilisait un papier à lettre à en-tête du Secrétariat d'État à la Jeunesse et à l'Éducation nationale, a réuni les responsables « jeunes » des différents partis collaborationnistes et des centres de jeunesse, et a constitué, au prix d'un savant dosage, un bureau provisoire. Les membres de ce bureau se sont fixés pour objectif « d'établir un lien entre les différents mouvements de jeunes dans la Marne » et ont adopté un manifeste dans lequel ils s'engageaient à
« rétablir l'unité profonde de la France, et à soutenir de toutes leurs forces, la politique du Maréchal et du président Laval ».
   Mais dès l'automne 1942, la section de Champagne des JEN a été dissoute à cause, selon le délégué régional, de
« la présence de mauvais éléments dans son comité ». Elle a repris son activité en novembre 1942 avec « des éléments sains », de façon autonome, abandonnant l'idée d'unifier les mouvements de jeunesse. À la fin de 1943, le nombre des adhérents a fléchi et le mouvement s’est radicalisé, propageant en particulier le slogan « Il vaut mieux tirer sur les bolcheviks sous l'uniforme allemand que tirer sur les Français sous l'uniforme anglais », slogan qui figurait sur des tracts et des affichettes diffusés à Reims.
   La section rémoise a été reprise en main par le trésorier du Groupe Collaboration, Eugène Jacques, qui a occupé le poste de délégué à la propagande puis de délégué régional, et qui a organisé des conférences sur la jeunesse allemande. Après un stage à l'école des cadres de la Milice de Saint-Martin d'Uriage en janvier 1944, il est devenu le délégué régional de la Waffen SS en Champagne.

 Les préfets de la Marne et le Groupe Collaboration de Reims

   Tout le temps qu'il a exercé la fonction de préfet de la Marne, de l’automne 1940 à avril 1942, avant d’être nommé secrétaire général à la Police au sein du gouvernement Laval à Vichy, René Bousquet a veillé à garder ses distances à l'égard des partis collaborationnistes, refusant de cautionner leur activité par sa présence aux conférences et aux manifestations organisées par eux dans son département, tandis que la presse parisienne dénonçait, d'abord sans le nommer, puis en le mettant directement en cause, ses amitiés républicaines et franc-maçonnes.
   Le 14 mars 1942, Bousquet a cependant accepté d'assister au Grand théâtre de Reims, aux côtés de Paul Marchandeau et de Melchior de Polignac, à une conférence donnée à l'initiative du Groupe Collaboration par Georges Claude, physicien, membre de l'Institut et du Conseil national créé par Vichy, auteur d'un ouvrage intitulé De l'hostilité à la collaboration.
   Au cours de cette conférence ayant pour thème « Dans l'Europe de demain pourrons-nous encore être fiers d'être Français ? », l'orateur, présenté comme « un éminent savant », a expliqué que pour sortir leur pays du gouffre, les Français devaient accepter la réconciliation dans l'honneur, offerte par le vainqueur, afin que la France soit en mesure de prendre part à la construction de l'Europe nouvelle :

« Sans doute l'Allemagne agit-elle non par sentiment mais par intérêt en nous tendant la main, mais il se trouve que son intérêt est compatible avec le nôtre [...] Acceptez ce qu'on nous offre et sans tarder. Une collaboration imposée serait pire qu'une collaboration librement acceptée [...] Comment croire que celui qui mène l'Allemagne s'abaisse à des mesquineries qui feraient notre malheur, lui qui a fait tout cela parce que son peuple souffrait et qui, plus que tout, doit craindre que son oeuvre soit fragile si elle ne s'appuie pas sur la justice et l'humanité, lui dont le grand souci doit être de trouver des concours dignes d'être associés, sur ces bases, à l'immense tâche de reconstruire l'Europe ? 
Décidons-nous à ce concours que nous lui devons – poursuit l'orateur, qui affirme avec conviction que – la victoire de l'Allemagne est le grand événement qui permettra à notre pays d'éviter le désordre [...]
Je vous demande de m'aider à faire en sorte que les Français redeviennent dignes de la France »
.

   Cette conférence a été suivie d'une réception à la mairie de Reims où Paul Marchandeau, entouré de son conseil municipal, a accueilli Georges Claude et le préfet Bousquet.
   Le successeur de Bousquet à la préfecture régionale de Châlons, Louis Perreti della Rocca, a accepté de présider la conférence du 6 novembre 1942, au cours de laquelle Georges Claude a déploré l'incompréhension des Français qui, selon lui, retardait la réconciliation, a dénoncé l'immobilisme, et a appelé à reprendre sans tarder le chemin qui avait été ouvert à Montoire : « Si nous ne voulons pas enterrer la France, il faut collaborer avec l'Allemagne ».

 L’épuration du Groupe Collaboration de Reims :
une justice clémente à l’égard des notables et sévère pour les lampistes

   Alors que les chefs marnais des principaux partis collaborationnistes ont été sévèrement épurés, le sort des responsables du Groupe Collaboration qui situait son action à la frontière entre le collaborationnisme vichyste des notables et le collaborationnisme politique pur et dur des ultras de la collaboration, a été très partagé.
   Le chef du Parti populaire français (PPF), Jean Jolicoeur, a été abattu par la résistance marnaise en 1943.
   Le chef du Parti franciste, Charles Thibaut, a été lui aussi abattu par les résistants bretons en 1944 à Rennes, où Bucard l'avait envoyé réorganiser le Francisme.
   Les responsables du Rassemblement national populaire (RNP), l'instituteur en retraite, Henri Cappy, ami personnel du fondateur de ce parti, Marcel Déat, et l'ouvrier-bonnetier, Marcel Hannebicque, ont été respectivement condamnés à 20 ans et 15 ans de travaux forcés par la Cour de Justice de la Marne qui leur avait pourtant reconnu des circonstances atténuantes. Si la peine frappant Hannebicque était un peu moins lourde, c'est tout simplement parce qu'il avait été arrêté tardivement et qu'il n’a été jugé qu'en août 1945, à un moment où les passions commençaient un peu à s'apaiser, alors que Cappy a été condamné en novembre 1944 au début de l'offensive allemande en Ardenne, qui a correspondu à une période de sévérité maximale de la Cour de Justice.

   Le marquis Melchior de Polignac, président d'honneur du Groupe Collaboration, a été arrêté le 6 septembre 1944, quelques jours après la libération de Reims. Le 18 septembre 1944, un communiqué officiel de la sous-préfecture publié dans L'Union Champenoise a annoncé son arrestation, et son nom a figuré ensuite sur une première liste de cent-dix-huit « collaborateurs, délateurs et traîtres incarcérés à Reims » qui a été publiée dans ce même journal le 18 octobre. Mais en janvier 1945, un autre communiqué a annoncé son transfert à Paris :

« Le Marquis Melchior de Polignac, ancien directeur général d'une société de vins de champagne, arrêté le 6 septembre 1944 à Reims, a été transféré à Paris sur la demande de M. Berry, juge d'instruction.
L'inculpé qui avait fondé dès 1919 L'Accueil Franco-Allemand était Président d'honneur du Groupe Collaboration et fut en relations suivies avec de Brinon et plusieurs ministres sous l'occupation ».


   Ce transfert qui aurait été obtenu sur la pression des autorités américaines, l'épouse du marquis étant elle-même citoyenne des États-Unis, a été interprété par les résistants rémois et par l'opinion publique comme un escamotage.
   Melchior de Polignac a donc échappé au verdict de la Cour de Justice de la Marne.

   Le jour même où il était transféré à la prison de Fresnes à Paris, le colonel Agostini, commandant de la Garde mobile de Reims et militant actif du Groupe Collaboration, a été acquitté par la Cour de Justice de la Marne. Il avait pris maintes fois la parole dans les réunions de ce groupement auquel il avait adhéré en 1942, avait participé à un défilé franciste à Reims en 1943, et avait soutenu le régime de Vichy jusqu'au bout. Après l'arrestation par les Allemands du maire de Reims, Henri Noirot, et de six de ses dix adjoints en juin 1944, Agostini avait écrit au préfet Louis Peretti della Rocca pour lui offrir ses services : « Des vacances venant de s'ouvrir dans le groupe des édiles de notre cité, j'ai l'honneur de vous offrir mes services pour remplir l'une des fonctions municipales restant sans titulaire ».
   Devant la Cour de Justice, Agostini a expliqué que son adhésion au Groupe Collaboration avait été motivée par ses idées pacifistes et a déclaré : « J’ai été un serin. On m’a trompé ». Puis un témoin est venu affirmer qu'il avait offert ses services à la résistance quelques jours avant la libération. L'« émouvante péroraison de son avocat maître Brissart » a fait le reste. Cet acquittement a fait l'objet d'un éditorial dans l'organe du Comité départemental de libération nationale (CDLN) qui, sous le titre « Le bon truc », ironisait au sujet de la comparution du « Colonel Pandore Agostini, pétainiste enragé », et relevait sa répartie devant la Cour de Justice : « Un mot de génie qui lui valut... tenez-vous bien bonnes gens, l'acquittement ».

   Le 9 mars 1945, Robert Lebeau employé de bureau rémois, qui avait assumé la fonction de vice-président du Groupe Collaboration en 1942, a comparu devant la Cour de Justice de la Marne. Il a déclaré qu'il avait adhéré à ce groupement en toute confiance, compte tenu de la qualité des personnalités qui composaient son comité d'honneur, qu'il n'avait accepté d'en assumer la vice-présidence que sur l'insistance du marquis de Polignac, qu'ensemble ils avaient réussi en février 1942 à faire libérer du camp de Compiègne le docteur Max Ségal, qui a échappé ainsi à la déportation, et qu'enfin il avait démissionné de son poste de vice-président à la fin de 1942. La Cour de Justice lui a accordé des circonstances atténuantes et l’a condamné à 5 ans de prison. Il a bénéficié d'une remise de peine en 1946.

   Jean Acker, représentant de commerce, qui avait accédé à la présidence du Groupe Collaboration de Reims après la démission de Robert Lebeau, en avait assuré l'animation jusqu'à la Libération, avait fait paraître les communiqués dans la presse, retenu les salles et présenté les intervenants lors des conférences organisées par le groupe, a été condamné à 12 ans de travaux forcés et à la confiscation des trois-quarts de ses biens. Il a fait appel et son recours a été appuyé par un avis très favorable du Commissaire du gouvernement, mais a été rejeté par la Cour de cassation. Acker a cependant été remis en liberté conditionnelle dès 1947 et amnistié en 1953.

   M. B., la secrétaire-dactylo employée et salariée par le Groupe Collaboration, a été condamnée à 20 ans d'indignité nationale par la Chambre civique. Circonstance aggravante, elle avait eu des relations avec un militaire allemand alors que son mari était prisonnier.

   Une autre secrétaire du groupe, qui avait pourtant participé au pillage de la synagogue de Reims, mais à qui il n'était pas reproché d'avoir fréquenté des militaires allemands, ne fut pas du tout inquiétée. Il en fut de même pour un certain nombre d'adhérents qui appartenaient à la bonne bourgeoisie rémoise.

   Quant à ceux qui furent traduits devant la Chambre civique, la plupart ont été acquittés ou condamnés à la peine minimale d'indignité nationale. Ce fut le cas notamment d'Emmanuel Trollet qui avait été chargé à Reims par les Allemands en juin 1944 de constituer une délégation spéciale pour remplacer le conseil municipal dissous, et qui a été acquitté sans peine ni dépens.

 Melchior de Polignac blanchi par la Chambre civique de la Seine

   Melchior de Polignac, qui avait échappé au verdict de la Cour de Justice de la Marne, a finalement été condamné par la 1ère Chambre civique de la Seine à 10 ans d’indignité nationale, peine dont il a été immédiatement relevé pour « services rendus à la Résistance » selon la formule utilisée pour blanchir les collaborateurs, et qui a été reprise à l’issue du procès Bousquet en 1949.
   Dans son édition datée du 18 février 1946, Le Parisien libéré rendait compte de la clémence des juges sous le titre : « Deux secondes d’indignité au marquis de Polignac » :

« Le marquis Melchior, Charles, Jean de Polignac a eu deux secondes pour maudire ses juges, hier, devant la 1ère Chambre civique, le temps nécessaire au courtois président Hude d’annoncer que le comte relevait – en raison des services rendus à la Résistance – de la peine de 10 ans d’indignité nationale qu’elle venait de lui infliger. On parla beaucoup de champagne au cours de cette audience ; l’accusé qui est directeur général de la maison Pommery et Greno, entraîna son auditoire à travers les chais, et jusque dans les caves profondes de sa maison rémoise, si bien que le jury était quelque peu gai, par procuration, à la fin de la journée.
Deux secondes d’indignité au président d’honneur du Groupe Collaboration de Reims, membre du Comité central de Paris, amphitryon d’Otto Abetz, du conseiller Eichenbach, de de Brinon, d’Abel Bonnard, de Suarez, de Sacha Guitry, d’Arletty ! Une histoire après boire. Quant aux services rendus à la résistance, l’esprit du législateur les entendait armes à la main. Le marquis s’est contenté de sauver son médecin israélite ; il a permis aussi à un gendarme de n’être que déporté et il a hébergé le mari de sa femme de chambre, prisonnier évadé ; cela lui a valu l’absolution.
Parfait homme du monde, le marquis a reconnu bien volontiers toutes ses erreurs. En mars 1944, il avait écrit à Abel Bonnard pour se féliciter avec lui de la nomination de Déat dans le ministère qui, suivant celles de Darnand et de Henriot, pouvait permettre les plus grands espoirs.
Et puis, leitmotiv, il ne faisait jamais de politique, comme le maréchal, et s’il signa à Collaboration, sans en avoir lu les statuts, c’est qu’il était hanté par cette parole de Renan, " qu’en présence du monde asiatique, l’Europe ne pourra subsister qu’en se confédérant " ».

   Melchior de Polignac a été entendu comme témoin par le juge d’instruction de la Haute Cour de Justice qui a condamné à mort Fernand de Brinon le 6 mars 1947. Au cours de l’instruction a été évoquée l’existence d’un porte-cigarettes en or offert par le marquis à Fernand de Brinon, que se disputaient sa maîtresse Simone Mittre et son épouse Lisette de Brinon. Fernand de Brinon a été fusillé le 15 avril 1947 au Fort de Montrouge.

   Melchior de Polignac, décédé à Neuilly-sur-Seine le 18 décembre 1950, a été inhumé à Guidel dans le Morbihan.

 L’ambivalence des réactions des résistants

   Dans le journal Combat du 15 avril 1948, le résistant Claude Bourdet, a témoigné que son père Édouard Bourdet, décédé en 1945, était un intime du couple Polignac :

   « Frappés comme beaucoup d'autres, par les attaques de la BBC contre Melchior de Polignac, je m'étonnais , au début de 1944, que mon père continua à le voir. En réponse, mon père critiqua la légèreté et l'injustice des accusations portées contre Melchior de Polignac qu'il connaissait intimlement depuis 20 ans. Il ajouta que le marquis et la marquise, bien qu’abusés par leurs sentiments pacifistes et leur incompréhension totale des questions politiques, s’étaient toujours tenus avec une grande dignité, et qu’ils n’avaient, en aucune occasion, profité, comme beaucoup d'autres, de leurs relations d'avant-guerre avec l'ancien placier en champagne de la maison Pommery-Polignac M. Von Ribbentrop.
La marquise de Polignac, de son côté, passait son temps à secourir les victimes des bombardements avec un parfait mépris du danger, et avait interrompu toute espèce de relations mondaines. Arrêté peu de temps après cette conversation, je ne suis rentré de déportation qu'après la mort de mon père. Mais un mois avant de mourir en janvier 1945, il écrivait une lettre au Président du tribunal chargé du procès Polignac, procès où M. de Polignac fut d'ailleurs relevé de sa condamnation à l'indignité national pour services rendus à la Résistance. Dans cette lettre, mon père déclarait entre autres choses, que Melchior de Poliognac n'avait jamais cessé de mériter son estime et son amitié. J'ajouterai – ceux qui connurent mon père le savent – qu'il n'était pas prodigue de ces deux sentiments »
.

   En 1951, une note des Renseignements généraux de la Marne adressée au préfet de la Marne confirmait que Melchior de Polignac avait bien milité avant-guerre dans les groupements préconisant un rapprochement franco-allemand, qu’il était alors très lié avec Von Ribbentrop, agent général de la maison Pommery en Allemagne, et qu’après la défaite de 1940, il avait accepté d’être président d’honneur du Groupe Collaboration de Reims, mais en précisant qu’il ne semblait pas y avoir exercé une activité notable. Elle rappelait qu’il avait été arrêté à la Libération pour activité antinationale, transféré à Fresnes et condamné à l’indignation nationale, peine dont il avait été relevé pour services rendus à la Résistance. Elle signalait que dans les milieux de la résistance rémoise, on ne reprochait à Melchior de Polignac aucun fait précis, mais que ces milieux ne manquaient pas de faire remarquer que l’on s’était servi de son nom entre 1940 et 1944 pour attirer à la politique de collaboration des Rémois qui, par la suite, ont été sévèrement condamnés, alors que l’on avait réussi à faire juger le marquis à Paris où il s’en était tiré sans dommage. Elle avisait le préfet que la participation d’autorités administratives à une cérémonie à sa mémoire provoquerait très probablement des protestations des mouvements de Résistance, et que Pierre Schneiter, alors ministre de la Santé publique et de la Population, ayant appris que lors des fêtes organisées pour le vingtième anniversaire du Stade de Reims serait inauguré un buste à la mémoire de Melchior de Polignac, avait décidé de s’abstenir d’y participer.

   Démocrate-chrétien, Pierre Schneiter, a exercé successivement les fonctions de sous-préfet de Reims à la Libération, de député du Mouvement républicain populaire (MRP) de la Marne sous les deux Assemblées constituantes et à l’Assemblée nationale en 1946 et en 1951, de sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères en 1946, de secrétaire d’État chargé des Affaires allemandes et autrichiennes de novembre 1947 à juillet 1948 dans le gouvernement Robert Schuman, de ministre de la Santé publique et de la Population de 1948 à 1951, puis de président de l’Assemblée nationale du 11 janvier au 2 décembre 1955 et de maire de Reims de 1957 à 1959.

   Le buste réalisé par le sculpteur Paul Belmondo pour honorer la mémoire de Melchior de Polignac décédé en 1950, n'a finalement été inauguré que le 20 juin 1955 en présence du président du CIO, Avery Brundage, de René Chayoux, ancien délégué du négoce nommé par Vichy à la tête du CIVC en 1944, de Paul Marchandeau, ancien maire de Reims qui avait été maintenu par Bousquet en 1940 ... et de Pierre Bouchez, ancien chef des FFI de la Marne. Paul Belmondo avait été un familier des diners à l'ambassade d'Allemagne sous l'Occupation, le vice-président de la section « Arts »du Groupe Collaboration, et il avait participé en 1941 à un « voyage d'études » en Allemagne organisé pare Otto Abetz. Érigé à l’entrée du Parc Pommery en 1955, ce buste a été volé dans les années 1980. Retrouvé dans une brocante en Belgique, il a été restitué au prince Alain de Polignac, mais n’a pas été ré-installé.

   En 2004, la gestion du Parc Pommery a été cédée à la Ville de Reims par son propriétaire, le groupe LVMH, dans le cadre d’un bail emphytéotique de 99 ans signé en 2003 qui stipulait que le parc devrait être rebaptisé. Avisé par un article paru dans L’Union que le Parc Pommery allait être rebaptisé et qu’il allait sans doute devenir le « Parc Melchior de Polignac », j’ai fait parvenir au maire de Reims, Jean-Louis Schneiter, une note documentée relatant l’engagement de Melchior de Polignac au sein du Comité France_Allemagne et du Groupe Collaboration – engagement totalement occulté sur le site « Maisons de Champagne »  – et comment son père Pierre Schneiter, sous-préfet de Reims à la Libération devenu ministre, avait refusé de participer le 20 juin 1955 à l’inauguration d’un buste élevé à la mémoire de Melchior de Polignac. L’appellation « Parc Melchior de Polignac » a été écartée au profit de l’appellation « Parc de Champagne ».

 La mémoire de la 2e guerre mondiale au Tennis Club de Reims

   Dans le hall d’entrée du Tennis-Club de Reims 15, rue Lagrive, une plaque commémorative rappelle que le Tennis Club de Reims a été fondé grâce au concours du Comité américain pour les régions dévastées et de ses membres bienfaiteurs, dont Melchior de Polignac et son épouse, et que le marquis faisait partie de son comité fondateur en tant président d’honneur.

   Après la 2e guerre mondiale, des travaux d’extension ont été réalisés avec la construction de courts couverts qui portent le nom d’un ancien membre du club, André Schneiter, chef des FFI de l’arrondissement de Reims exécuté par les nazis en août 1944. Son nom est gravé sur la plaque commémorative qui a été ajoutée dans le hall d’entrée pour rendre hommage à dix-huit membres du club, sous l’inscription « À nos camarades victimes de la guerre 1939-1945 » :

Robert Berland, déporté-résistant décédé le 14 avril 1945 à Bremenworde.
Jean Charbonneaux, abattu à Paris le 4 octobre 1943 lors de son arrestation.
Simon de Chatellus (Guillet de Chatellus), soldat au 4e RCU tué le 18 mai 1940 au Quesnoy-en-Airaines dans la Somme.
Jacques Détré, résistant torturé par la Gestapo et retrouvé mort dans sa cellule de la prison de Reims le 30 décembre 1943.
André Faupin (?).
Christian Floquet, soldat au 106e RI, décédé le 19 septembre 1939 sur le plateau du Hammelsberg à la frontière franco-allemande.
Georges Geerts, capitaine au Groupe aérien 1/12 décédé accidentellement le 12 janvier 1940 à Arles.
André Gille (?).
Régis Guieu, tué au combat le 7 juin 1940 à Mortefontaine dans l’Aisne.
Jacques de La Herverie (Le Clerc de la Herverie), commandant de la 12e Escadre aérienne décédé le 13 novembre 1939 à Caen.
Claude Lamort de Gail, lieutenant FFI du maquis des Chênes porté disparu après avoir été fait prisonnier par les Allemands à Matignicourt le 29 août 1944.
Maurice de Nonancourt, déporté-résistant décédé le 13 février 1945 au cours d’une « marche de la mort » vers Bergen-Belsen.
Louis Paillard, lieutenant du Génie, déporté-résistant décédé le 6 mai 1945 à Ludwigslust avant son rapatriement.
Pierre Rémy, membre de l’équipe BOA de Reims, arrêté le 6 juin 1944 à Reims avec son épouse Madeleine, déporté-résistant décédé le 27 novembre 1944 au kommando d’Hersbruck .
Armand Robillot, soldat au 5e GRDI décédé le 19 mai 1940 à Ramillies dans le Nord.
André Schneiter, chef des FFI de l’arrondissement de Reims, exécuté le 29 août 1944 à Tournes dans les Ardennes.
Jean de Suarez d’Aulan (Jean d’Aulan), pilote de la France combattante abattu en combat aérien le 8 octobre 1944 au-dessus d’Altkirch en Alsace.
Guy Thiénot, étudiant rémois réfractaire au Service du travail obligatoire (STO), arrêté à Dax alors qu’il tentait de passer en Espagne pour rejoindre la France libre, déporté-résistant décédé le 8 mars 1944 à Lublin-Maïdanek .

SOURCES

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Service historique de la Défense, Vincennes, GR 16 P 176087, " DE POLIGNAC Dalmas, Louis, Marie, Melchior ".
L'Éclaireur de l'Est, 16 mars 1942, 7-8 novembre 1942, 17-18 avril 1943 et 25 mai 1943.
L'Union,19, 20-21, 19 et 24 janvier 1945, 10-11 et 19 mars 1945, 21 juin 1955.
Le Parisien libéré, 18 février 1946
Combat, 15 avril 1948
Bulletin du Comité international olympique, n° 25, janvier 1951.
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Gilbert JOSEPH, Fernand de Brinon, l’aristocrate de la collaboration, Albin Michel, 2002.
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      - Le Maitron des fusillés-exécutés, dictionnaire biographique en ligne, 2007-2023.
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