René Bousquet> La politique vichyste d'exclusion et de répression
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René Bousquet
et la politique vichyste d'exclusion et de répression

Le sort des francs-maçons et des juifs

La lutte contre les « menées antinationales »

L'affaire Chatton

Un bilan accablant

Le départ de Bousquet pour Vichy

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Le sort des Francs-maçons et des Juifs

   Dans la Marne, René BOUSQUET, fidèle à ses origines et à ses amitiés, s'est nettement démarqué de Vichy sur la question de l'épuration des Francs-maçons. Il a combattu ouvertement et publiquement, non sans un certain courage, la politique d'exclusion qui les frappait. La protection dont il a entouré les Francs-maçons marnais a eu cependant ses limites, puisque Gaston POITTEVIN, ancien député radical, ainsi que son gendre Henri MARTIN, ancien député socialiste, furent tous les deux arrêtés et déportés en 1943, alors qu'il était toujours secrétaire général à la Police, et sont morts en déportation à Buchenwald.
   En ce qui concerne la répression antijuiv, Serge KLARSFELD, qui à l'occasion du procès à Bonn de VON KORFF, kommandeur du SIPO-SD de Châlons-sur-Marne de juin 1942 à août 1942, a pu consulter les archives de la Marne, n'a rien trouvé qui permette de mettre en cause BOUSQUET lorsqu'il a exercé la fonction de préfet de la Marne et de la région de Châlons (1).
   Richard POUZET, qui était à l'époque secrétaire général de la Marne à ses côtés, a déclaré en 1945 :

   « Les lois raciales furent appliquées dans la Marne avec le maximum d'humanité. La plupart des israélites marnais réussiront à franchir la ligne de démarcation et à passer en zone dite libre où ils n'étaient pas encore traqués. Beaucoup d'entre eux furent avisés discrètement par la Préfecture des menaces d'arrestation qui pesaient sur eux. Certains furent même dotés de faux papiers, en tout cas l'apposition de la mention " Juif " sur les cartes d'identité fut réalisée avec une sage lenteur et tout à fait partiellement » (2).

  Néanmoins, cinq élus israélites marnais ont été démissionnés d'office en 1941-1942 :
        - Léonce BERNHEIM, maire de Pourcy ;
        - André WOLFF, conseiller municipal de Vitry-le-François ;
        - Maurice DAVID, conseiller municipal de Saint-Memmie ;
        - Roger LOEZER, conseiller municipal de Lucy ;
        - Louis NETTER, conseiller municipal de Villeneuve-la-Lionne (3).

[Léonce Bernheim est né le 16 avril 1886 à Toul (Meurthe-et-Moselle). Après des études au lycée Rollin à Paris, il a été admis à l’École centrale, dont il est sorti en 1909 ingénieur des Arts et Manufactures. Amené à s’intéresser aux problèmes juridiques à l’occasion d’une affaire contentieuse dans l’entreprise de travaux publics qui l’employait, il a terminé ses études de droit commencées à Centrale, est devenu avocat et s’est inscrit au Barreau de Paris en 1912. Bien qu’exempté du service militaire pour raisons de santé, il a été engagé volontaire en 1914 et a participé au conflit jusqu’en 1918. Après la Première Guerre mondiale, il a adhéré à la SFIO et a participé dès les années 1920 aux côtés de Marcel Déat à la rédaction du Travail de la Marne, organe de la fédération marnaise du Parti socialiste SFIO. Sous l’impulsion de Déat, il s'est présenté dans la Marne aux élections cantonales de 1928 face au député radical Gaston Poitevin et a enlevé le siège de conseiller général du canton de Châtillon-sur-Marne qu’il a conservé aux élections de 1934. Conseiller municipal de Reims en 1929, il a été élu maire de Pourcy en 1935 et a fait partie des cinq élus juifs marnais démissionnés d’office en 1941-1942. Pour fuir la persécution antijuive, il s'est réfugié avec son épouse Renée à Grenoble. Malgré l’éloignement, il est resté en relation suivie avec les responsables marnais de Libération-Nord. Léonce et Renée Bernheim ont été arrêtés à Grenoble en juillet 1943. Ils ont été déportés à Auschwitz par le convoi n° 63 du 17 décembre 1943 et sans doute gazés dès l’arrivée du convoi à Birkenau le 20 décembre, date de décès retenue par le JO du 12 août 1987. Le nom de Léonce Bernheim figure sur une plaque commémorative apposée sur la façade de la mairie de Pourcy, sur la stèle élevée par le Parti socialiste SFIO au cimetière du Nord à Reims, et sur la plaque commémorative du Conseil général de la Marne à Châlons-en-Champagne. Il figure aussi sur la plaque commémorative des anciens élèves du lycée Rollin, aujourd’hui lycée Jacques Decour à Paris. Depuis 1981, la Fondation Léonce et Renée Bernheim créée sous l’égide de la Fondation du judaïsme français, décerne un prix pour couronner une œuvre dans chacun des domaines qu’elle entend promouvoir, les Arts, les Lettres et les Sciences.]

   Jocelyne HUSSON a pu établir qu'à l'époque où BOUSQUET était préfet de la Marne, une dizaine de Juifs y ont été arrêtés (4), Ces arrestations ont été suivies de la déportation de cinq d'entre eux le 27 mars 1942 par le premier convoi à destination d'Auschwitz : l'avocat rémois Georges SIMON, les commerçants châlonnais André FRIBOURG et Maurice KREMER, arrêtés le 26 février 1942 comme otages à la suite d'attentats en Saône-et-Loire ; Aaron WIENER d'Épernay et Jéchiel MINC de Reims, arrêtés le 7 mars 1942.
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   En 1991, Madeleine SCHULTHESS a apporté sur son frère André FRIBOURG le témoignage suivant :

   « Il a été arrêté avec d'autres Juifs habitant Châlons et avec quelques communistes. Les familles israélites ont pris aussitôt contact avec le préfet d'alors Mr. René Bousquet qui nous a reçus aussitôt, nous promettant d'entrer en relation avec les Allemands pour essayer de les faire libérer tout en ne nous laissant que peu d'espoir. Dans les jours qui suivirent deux hommes châlonnais ont été libérés. Je ne sais si cela a quelque rapport avec une intervention du préfet » (5).

   Lors de son procès en 1949, René BOUSQUET a dit qu'il était intervenu pour faire libérer des Juifs arrêtés le 26 février et transférés au camp de Compiègne, et qu'il y avait fait livrer des colis de ravitaillement, affirmation corroborrée par plusieurs témoignages (6).
  
 Effectivement, plusieurs Juifs marnais arrêtés le 26 février et internés à Compiègne ont été libérés : Charles LERNER et Marcel WORMS, commerçants à Châlons-sur-Marne, anciens combattants de la 1ère guerre mondiale, et le docteur Max SÉGAL de Reims. Ce dernier a été libéré sur intervention de Fernand de BRINON, ambassadeur de France, délégué général du gouvernement de Vichy en zone occupée, à la suite d'une requête du conseil municipal de Reims.

 André FRIBOURG, et Georges SIMON étaient tous les deux des Juifs français. Leur déportation dès mars 1942, contredit les déclarations de de BOUSQUET qui se plaisait à dire que les Juifs français n'avaient rien à craindre. Devenu secrétaire général à la Police en avril 1942, BOUSQUET a continué de rassurer les Marnais à ce sujet, déclarant que tant qu'il dirigerait la police, les Juifs français ne seraient pas inquiété(7).

[André Fribourg est né le 18 janvier 1902 à Châlons-sur-Marne où il exerçait la profession de boucher. Il a fait partie des dix-huit otages arrêtés à Châlons-sur-Marne, Épernay et Reims par la Felgendarmerie le 26 février 1942, en représailles après des attentats contre les troupes d’occupation à Chalon-sur-Saône et à Montceau-les-Mines. Il a été interné à Compiègne et, malgré des démarches de la famille auprès du préfet Bousquet, il a été déporté par le premier convoi parti de France vers Auschwitz le 27 mars 1942 avec l’avocat Georges Simon de Reims et Maurice Kremer de Châlons-sur-Marne. André Fribourg a reçule matricule 27 846 à son arrivée à Auschwitz où il est décédé le 23 avril 1942, date retenue par le JO du 21 juin 1994.]

[Georges Simon est né à Reims le 4 novembre 1903. Paul et Albertine Simon, les parents de Georges, sont des juifs français qui ont fui l’Alsace-Moselle annexée à l'Empire allemand en janvier 1871, pour venir s’installer à Reims où ils se sont mariés en 1898 et où Paul exerçait la profession de négociant. Après des études secondaires au lycée de garçons de Reims, puis des études de droit à Nancy, Georges Simon a été avocat-stagiaire, puis avocat inscrit au Tableau de l'ordre des avocats de Reims en juin 1930. En février 1939, il a été élu par ses pairs membre du Conseil de l'ordre des avocats de Reims. Sous l’Occupation Paul Simon, très marqué par les mesures antisémites prises à la fois par les autorités allemandes d’occupation et par le gouvernement de Vichy, en particulier par le blocage de son compte bancaire, est décédé brutalement à Reims dans la rue le 9 octobre 1941. L’avocat Georges Simon, président de la section rémoise de la Ligue des droits de l’homme, était membre de la Loge La Sincérité de Reims, loge de la mouvance radicale à laquelle appartenait aussi le maire de Reims Paul Marchandeau. Il appartenait aussi à la Loge Le Niveau créée en 1936 dont il était un des membres fondateurs. C’était un notable rémois, bien installé, reconnu et respecté, qui a pu se croire un temps à l'abri des mesures prises dès le début de l'Occupation par le gouvernement de Vichy contre les juifs et les francs-maçons. Après la promulgation le 3 octobre 1940 du premier statut des juifs qui interdisait aux juifs « l'accès et l'exercice des fonctions publiques et mandats énumérés ci-après [...] cours d'appel, tribunaux de première instance, toutes juridictions d'ordre professionnel », Georges Simon a présenté au Bâtonnier Maurice Salle sa démission de membre du Conseil de l'ordre des avocats de Reims. cette démission a été entérinée par le Conseil de l'ordre. Après l’adoption en juin 1941 du second statut des juifs qui réglementait la profession d'avocat en instaurant un numerus clausus, Georges Simon a informé le bâtonnier Salle qu'il tombait sous le coup de cette loi. Le 29 juillet 1941, à l’unanimité des présents, le Conseil de l’ordre des avocats de Reims après en avoir délibéré, a décidé de demander au garde des Sceaux « de bien vouloir maintenir […] Maître Georges Simon au Barreau de Reims faisant valoir sa probité, sa délicatesse, sa conscience, son talent professionnel ». Cependant le 2 janvier 1942 il a été notifié à Georges Simon qu'il figurait sur la liste des avocats juifs qui devaient cesser leur activité. Le 20 janvier suivant, les membres du Conseil de l'ordre des avocats de Reims, constatant que Georges Simon ne figurait pas sur « la liste des avocats admis en raison de leurs titres exceptionnels à continuer à exercer leur activité au Barreau », a adressé à la Cour d’appel de Paris une requête à laquelle n’est donnée aucune suite. Le 26 février 1942, Georges Simona fait partie des dix-huit otages, douze militants ouvriers et six notables juifs, qui ont été arrêtés par les autorités allemandes à Reims, Épernay et Châlons-sur-Marne en représailles après des attentats contre les troupes d’occupation à Chalon-sur-Saône et à Montceau-les-Mines. Maître Maurice Pelthier, avocat rémois qui était intervenu en 1941 pour le maintien de Georges Simon au sein du Conseil de l'Ordre, puis en janvier 1942 sur le Tableau de l'Ordre des avocats de Reims, a tenté d’intervenir personnellement, mais en vain, auprès d'un officier allemand, le lieutenant Suhr, qui lui a déclaré que « les ordres viennent d’en haut ». Interné à Compiègne, Georges Simon a été déporté par le convoi du 27 mars 1942, le premier convoi parti de France à destination d’Auschwitz. Le jugement déclaratif transcrit en décembre 1946 sur son acte de naissance à l’état civil de Reims fixait son décès au 31 décembre 1943, sans préciser le lieu. En décembre 1949, une nouvelle transcriptiona modifié la date de décès qui est fixée au 16 avril 1942. Cette dernière date est cependant démentie par le récit d’un déporté juif rémois survivant de la Shoah, Naphtali Goldstein, qui a témoigné que Georges Simon, contraint au travail forcé dans les mines de sel, est décédé fin décembre 1943-début 1944. Le JO du 6 juin 2001 a retenu la date du 31 décembre 1943. Six mois après sa déportation, Georges Simon a figuré sur la liste des dignitaires francs-maçons de la Loge La Sincérité qui a été publiée au Journal Officiel du 27 septembre 1942. Albertine Simon, sa mère, très affectée par le décès de son mari, puis par l’arrestation et la déportation de son fils, a reçu l’aide d’amis fidèles, en particulier celle d'Aimée Lallement. qui avait proposé dès fin 1941 à Georges Simon de venir se cacher dans sa maison disposant d'une double entrée. Albertine Simon a été arrêtée à son tour lors des arrestations massives du 27 janvier 1944 qui frappent la quasi-totalité des juifs restés dans la Marne. Déportée à Auschwitz par le convoi n° 67 du 3 février 1944, elle y a été gazée le 8 février. C’est cette date qu'a retenue le JO du 11 janvier 2003. En 1995, Juliette Bénichou, petite fille d’Albertine et nièce de Georges, qui a vécu au domicile des Simon jusqu’en juillet 1942, a publié en 1997 un récit autobiographique, Comme la paille dans le vent. Une jeune fille juive sous l'Occupation, dans lequel elle donne toute une série d’indications précises sur la famille Simon de Reims, sans toutefois citer les noms de personnes et de lieux ou en les modifiant. À Reims, une plaque a été apposée par la municipalité en 1947 au domicile de la famille Simon 19, rue Thiers. Les noms de Georges et d’Albertine Simon sont inscrits sur la stèle de la synagogue, sur la liste des victimes civiles du monument aux martyrs de la Résistance et de la Déportation. Le nom de Georges Simon figure sur les plaques commémoratives du lycée Clemenceau et du Palais de Justice.À Paris, le nom de Georges Simon est inscrit sur le Mémorial du Grand Orient de France 16, rue Cadet « À la mémoire des Frères Maçons fusillés, déportés, morts au combat, victimes des nazis et de leurs alliés ».]

La lutte contre les « menées antinationales »

   Dans la Marne, la lutte contre ce que le gouvernement de Vichy appelait les « menées antinationales », s'appliqua en premier lieu aux communistes pourtant faiblement implantés avant guerre (8).  Elle a été menée avec persévérance et sans état d'âme par BOUSQUET, et cela d'autant plus facilement que les communistes, « étaient déjà rejetés de la communauté nationale et poursuivis, avant la débâcle, en application des mesures prises contre eux par le gouvernement Daladier » (9). Dès le retour de l'exode et sa nomination au poste de préfet de la Marne en septembre 1940, BOUSQUET avait accordé la plus grande importance à la « surveillance de l'ex- Parti communiste », faisant établir des listes par commune des « communistes notoires », et effectuer des enquêtes dans les entreprises, afin de repérer toute activité suspecte parmi les démobilisés rendus à la vie civile et les réfugiés ayant réintégré le département.
   En octobre 1940, après qu'on eut découvert que des tracts signés « Thorez-Duclos » circulaient dans les ateliers SNCF d'Épernay, dix militants ont été arrêtés, arrestations suivies de quatre condamnations à Épernay et à Reims.
   En novembre 1940, BOUSQUET a transmis aux sous-préfets de son département la circulaire du ministre de l'Intérieur PEYROUTON, demandant qu'il soit procédé à un examen attentif des dénominations de rues ou d'édifices publics qui auraient pour but de rendre hommage à des personnalités marquantes de l'ancien Parti communiste ou de la IIIe Internationale, et les a priés de lui faire connaître s'il subsistait dans leur arrondissement des dénominations de cette nature.
   Au même moment, le commissaire central de Reims a siganlé au préfet que la propagande communiste avait repris subitement : « tracts imprimés dans la région parisienne, papillons polycopiés et collés sur les murs » (10).
   Des recherches ont été entreprises, sans succès, pour déterminer l'origine de la Charte revendicative des démobilisés de 1939-1940 signée « L'Union des amicales populaires des démobilisés du département de la Marne », qui avait été adressée le 10 novembre au préfet ainsi qu'aux maires du département (11).

   Le 15 novembre 1940, le fondateur et le secrétaire de la section PCF d'Épernay ont été révoqués de la SNCF, en vertu du décret du 18 septembre 1940 appliquant aux employés de la SNCF la loi du 17 juillet 1940 qui permettait de relever de leurs fonctions les fonctionnaires et les agents civils de l'État.
   Le 5 décembre 1940, Louis OBIN et Jules HUON ont ét arrêtés à Reims et inculpés, le premier pour reconstitution d'organisations communistes, le second pour détention de tracts, et condamnés respectivement à un an et huit mois de prison.
   Le 9 décembre, BOUSQUET a demandé au commissaire spécial de Châlons de « faire identifier tous les militants et de faire établir pour chacun d'eux une fiche anthropométrique avec photographie et empreintes digitales, afin d'en permettre une surveillance plus précise et plus active », en précisant qu'il voulait « que ce travail soit effectué le plus rapidement possible ».

[Louis Obin est né le 14 décembre 1879 à Bayenghem-lès-Seninghem (Pas-de-Calais). Agent SNCF retraité pendant la Seconde Guerre mondiale, Louis Obin était un militant ouvrier qui avait été avant-guerre secrétaire de la section CGTU des cheminots de Reims, puis trésorier adjoint de l'Union départementale de la CGT réunifiée en 1936. Membre du Parti communiste, il en a été à plusieurs reprises le candidat à Reims à l'occasion des différents scrutins des années 1920-1930. Arrêté le 27 août 1939 pour distribution de tracts, au lendemain de la signature du pacte germano-soviétique, il été condamné le 21 septembre 1939 à 6 mois d'emprisonnement par le tribunal correctionnel de Reims pour « propagande d'inspiration étrangère » et écroué à la prison de Reims. Libéré le 1er janvier 1940, il a été à nouveau arrêté le 5 décembre 1940 par la Police française et condamné à 1 an de prison par le tribunal correctionnel de Reims pour reconstitution d'organisations communistes. En juillet 1941, arrêté à nouveau par la Police française, il a été détenu successivement dans les camps d’internement de Châteaubriant en Loire-Inférieure, de Voves en Eure-et-Loir et de Pithiviers dans le Loiret. Il a été libéré à Pithiviers le 10 août 1944. À la Libération, il a été désigné pour siéger au sein de la délégation municipale provisoire mise en place à Reims par le Comité local de libération. Il est décdé le 25 août 1948.]

[Jules Huon est né le 20 janvier 1890 à Reims. Ancien combattant de la Première Guerre mondiale, il était marchand de fruits sur les marchés de Reims. Membre de l'Association républicaine des anciens combattants (ARAC) et sympathisant du Parti communiste, il a été arrêté une première fois en décembre 1940 par la Police française à la suite d'une distribution de tracts et condamné à 8 mois de prison par un tribunal français. Le 26 février 1942, il a été arrêté comme otage par la police allemande, en même temps que dix-sept autres Marnais. Interné à Compiègne, il a été déporté par le convoi du 6 juillet 1942 par lequel 1 170 otages français ont été transportés à Auschwitz, comme déportés Nacht und Nebel (NN), c'est-à-dire appelés à disparaître dans la nuit et le brouillard. Les rescapés de ce convoi de déportés politiques l'ont désigné sous le nom de « convoi des 45 000 », parce qu'à leur arrivée à Auschwitz ils ont été photographiés et immatriculés entre les numéros 45 157 et 46 326. Jules Huon a reçu le matricule 45 675. Il est décédé le 30 septembre 1942 à Auschwitz, lieu et année retenus par le JO du 29 septembre 1992. À Reims, une plaque commémorative a été apposée en 1947 par la municipalité à son domicile 11, rue du Fossé Briotin. Une plaque identique se trouve dans le Square des victimes de la Gestapo. Son nom est inscrit sur le Monument aux martyrs de la Résistance et de la Déportation. Sa mémoire est également honorée sur une sépulture familiale au cimetière de l’Est.]

   Environ 200 militants ont été ainsi identifiés et mis en fiches, dans une trentaine de communes du département. Les notices individuelles établies depuis la création du PCF ont été ressorties, mises à jour et complétées ( 12 ). Le 18 décembre 1940, BOUSQUET a signé un arrêté stipulant que « la découverte de tracts extrémistes sur le territoire d'une commune entraînerait l'internement administratif immédiat de tous les militants communistes notoirement connus » (13).   Régulièrement dans les instructions adressées aux responsables de la police, il leur demandait « de redoubler de vigilance dans le dépistage et la répression des menées communistes »Le 23 décembre, il a prié les commissaires spéciaux de « rechercher de la façon la plus active » les agissements susceptibles de tomber sous le coup de la loi du 24 septembre portant création d'une Cour martiale et « d'en déférer sans délai les auteurs à l'autorité judiciaire » (14).
   Tout au long de l'année 1941, perquisitions, saisies de matériel de polycopie, de tracts et de brochures de propagande, fouilles, filatures, révocations, déplacements, arrestations et condamnations de militants à des peines d'emprisonnement, enquêtes sur d'éventuelles souscriptions en faveur des familles des communistes détenus, se sont multipliés en particulier à Reims, Châlons et Épernay 15 ).
   Le 29 janvier 1941, à la suite d'une perquisition à leur domicile où ont été découverts une machine à polycopier, des tracts et des numéros de L'Humanité clandestine, Émile RENAUX, de Mardeuil, et Ernest MULLER, d'Épernay, qui avaient refusé de donner les noms des responsables communistes avec lesquels ils étaient en contact, et de fournir des informations sur l'organisation du PCF dans la Marne, ont été condamnés par le tribunal d'Épernay pour détention de matériel de propagande communiste, le premier à 3 ans de prison et à 1000 francs d'amende, le second à 2 ans de prison et à 500 francs d'amende (16).

[Émile Renaux est né le 24 octobre 1908 à Aÿ. Militant communiste exerçant la profession de terrassier à Mardeuil, il a été arrêté le 25 janvier 1941 en même temps que son camarade Ernest Muller d’Épernay. La perquisition opérée à leurs domiciles a permis la découverte d’une machine à polycopier, de tracts et de numéros de L’Humanité clandestine. Camille Boula de Mareüil, directeur commercial chez Moët-et-Chandon, a été arrêté dans la même affaire puis remis en liberté. Condamné à 3 ans de prison, Émile Renaux a été incarcéré à Épernay, interné à Compiègne, puis ramené à la prison de Châlons-sur-Marne où il est décédé le 29 février 1944. Son nom figure sur la liste des internés sur le monument aux martyrs de la Résistance élevé à Épernay et sur le monument aux morts de Mardeuil où une rue porte son nom depuis 1975.]

[Ernest Muller est né le 22 août 1891 à Épernay. Artisan à Épernay, il y est recensé ainsi que son épouse Germaine comme militant communiste par la Police française qui l’a arrêté le 25 janvier 1941 en même temps que son camarade Émile Renaux de Mardeuil. La perquisition opérée à leurs domiciles a permis la découverte d’une machine à polycopier, de tracts et de numéros de L’Humanité clandestine. Camille Boula de Mareüil, directeur commercial chez Moët-et-Chandon, a été arrêté dans la même affaire puis remis en liberté. Ernest Muller a été condamné à 2 ans de prison et incarcéré à Épernay. Livré aux autorités allemandes, il a été interné à Compiègne et déporté le 20 avril 1943 à Mauthausen (matricule 28 364). Il a été ensuite transféré à Buchenwald. Ernest Muller est rentré de déportation.]

   En février à Châlons-sur-Marne, une perquisition effectuée à la demande du préfet BOUSQUET (17) à la Brasserie de la Comète, a permis à la police française de saisir des listes de souscription en faveur des familles de communistes internés, ainsi que des tracts et des numéros de L'Humanité clandestine. Parmi les trois militants communistes inculpés et condamnés à la suite de cette perquisition, se trouvaient Oscar BEHR et Miladin ATCHANSKI, qui ont été condamnés respectivementà 6 mois et à 2 mois de prison, puis ont été déportés à Oranienburg.

[Oscar Behr est né le 19 décembre 1903 à Rixheim (Haut-Rhin). Militant communiste, il a été arrêté par la Police française le 1er mars 1941 en même temps que son camarade Miladin Atchanski à la suite d’une perquisition menée sur ordre du préfet Bousquet à la brasserie La Comète de Châlons-sur-Marne où il était ouvrier-brasseur. Des listes de souscriptions en faveur des familles de communistes internés, des tracts et des numéros de L’Humanité clandestine y ont été saisis. Oscar Behr a été condamné à 2 mois de prison. Arrêté à nouveau par la Gestapo à Coolus le 23 juillet 1941, il a été interné à Châlons puis à Compiègne. Déporté politique le 24 janvier 1943 à Sachsenhausen (matricule 59 358), il a été affecté au Kommando Heinkel (fabrication de pièces d’avions), où il a participé à des actions de sabotage. Après la libération du camp fin avril 1945, il est rentré à Châlons.]

   À Reims où avaient été apposés des papillons de la Jeunesse communiste réclamant la mise en liberté des détenus politiques (18), BOUSQUET a fait établir une liste de onze militants « choisis parmi ceux qui avaient les plus faibles charges de famille », en vue de l'application éventuelle des sanctions prévues par son arrêté du 18 décembre 1940, et il a chargé le commissaire spécial de Châlons qui lui signalait « une recrudescence partout dans le département de l'activité communiste », de lui soumettre « un projet d'organisation d'un service de renseignements et de surveillance ».
   Dans son rapport de mars adressé au préfet, le commissaire spécial de Châlons constatant que les perquisitions ne donnaient pas beaucoup de résultats intéressants, a préconisé « la fouille minutieuse des ouvriers et de leurs vestiaires dans les usines », selon lui plus efficace. En mai, il a signalé que deux centres semblaient diriger la propagande communiste dans la Marne« Reims pour la région Marne du PC, Paris pour la propagande générale », et il a réclamé « une organisation Marne de la police politique »  spécialisée, centralisant tous les renseignements et documents de propagande, en liaison avec tous les services de police, afin de « répondre à la région Marne du PC »
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   En avril 1941, la saisie de lettres contenant des mots d'ordre de la IIIe Internationale destinés aux ouvriers des ateliers SNCF d'Épernay, a amené le commissaire de la police judiciaire, chargé d'enquêter sur cette affaire, à constater que les anciens syndicats d'Épernay s'étaient reformés sur de nouvelles bases : « À la suite de l'arrêté de M. le préfet portant réorganisation des corporations [...] on constate à la tête de chacun de ces groupements, un ancien militant communiste bien connu » (19). Face à cette recrudescence de la propagande communiste, l'appareil répressif mis en place par BOUSQUET s'est mobilisé. Plus de 100 perquisitions ont été effectuées en avril.
   En mai, BOUSQUET a réclamé une enquête sur « les agents de la SNCF considérés comme suspects ou dangereux par l'administration centrale » (20) et il a demandé au commissaire spécial d'effectuer en accord avec les chefs de gare « une surveillance particulière des services de consigne en particulier et en général du personnel roulant de la SNCF » (21).

    Le 21 mai 1941, le commissaire divisionnaire de la 12e Brigade mobile a envoyé à BOUSQUET un rapport où l'on pouvait lire :

   « En exécution d'une réquisition de M. le préfet de la Marne en date du 16 décembre 1940, des perquisitions ont été opérées chez tous les communistes d'Épernay, tant par notre service que par la Police municipale et la Gendarmerie avec la collaboration de la Feldgendarmerie [...] Je dois signaler qu'à la suite des instructions de M. le préfet de la Marne en date du 27 janvier 1941, tous les militants communistes d'Épernay ont été prévenus qu'en cas d'action communiste, ils feraient l'objet d'un internement administratif.
   Tous ont été convoqués au commissariat où ils ont émargé l'ordre administratif »
(22).

   En juin 1941, à la veille de l'invasion de l'Union soviétique par la Wehrmacht, le bilan de la répression communiste restait encore relativement limité :
      - quatre communistes condamnés à des peines allant de 15 mois à 3 ans de prison à Épernay en janvier ;
      - cinq militants arrêtés en février et trois condamnés en mai pour infractions au décret concernant la dissolution des organisations communistes à 6, 5 et 2 mois de prison à Châlons-sur-Marne ;
   - deux militants condamnés à 5 et 2 mois de prison à Reims en juin.
   Au lendemain de cette invasion, BOUSQUET a adressé aux commissaires et aux maires des grandes villes cette mise en garde :

   « Les récents événements de politique extérieure ne seront vraisemblablement pas sans avoir de répercussions sur l'activité des éléments communistes ou autres. Je vous demande donc d'exercer une surveillance active et renforcée des milieux communistes et gaullistes. Vous voudrez bien, par ailleurs surveiller également les dépôts d'explosifs régulièrement autorisés » 23 ).

   En juillet 1941, ont commencé à circuler des tracts qui annonçaient « la formation d'un comité marnais du Front national de lutte pour l'indépendance de la France », et déclaraient qu'en Champagne « tous les patriotes, gaullistes et communistes, sont unis contre l'oppression ».   BOUSQUET constatant que « dans la recherche et la répression des menées antinationales, les divers services de police et de gendarmerie procédaient isolément et sans liaison », et que les résultats obtenus étaient de ce fait insuffisants, décida de nommer un commissaire spécial chef de service à Châlons « personnellement chargé de la coordination des mesures de recherches et de répression des menées antinationales dans le cadre du département ».  Il a demandé aux différents services de police « de n'entreprendre aucune enquête, de ne procéder à aucun interrogatoire sans avoir préalablement informé M. H. chargé de la centralisation de tous les rapports et de la coordination des services ». Et d'ajouter :  « Je vous prie de prendre des dispositions pour que ces instructions soient strictement suivies et je ne tolérerai en aucun cas qu'il y soit dérogé » (24). L'étau s'est resserré sur un certain nombre de militants : perquisitions, fouilles, filatures, enquêtes, exploitation de lettres anonymes de dénonciation,ont fini par s'avérer efficaces.
   En juillet 1941, Armande GANDON, responsable marnaise de l'Union des jeunes filles de France, âgée de 21 ans, a échappé de peu à une arrestation. Elle était en contact avec la direction clandestine du PCF, dont elle avait reçu pour mission de réorganiser les Jeunesses communistes dans la Marne. Capitaine d'une équipe de basket-ball, c'est à la faveur de rencontres sportives qu'elle transmettait les directives et les mots d'ordre, transportait et diffusait les tracts et les journaux clandestins, acheminés depuis la région parisienne par des employés de la SNCF. Inculpée par le juge d'instruction d'Épernay et condamnée par défaut à 4 ans de prison et 500 francs d'amende le 13 août 1941, elle poursuivit son action clandestine dans l'Aube où elle a été arrêtée en mars 1942Déportée en Allemagne, elle est décédée du typhus à l'hôpital de Liegnitz peu de temps après sa libération. (25).

[Armande Gandon est née le 11 août 1919 à saint-Léger-des-Vignes (Nièvre). Institutrice révoquée de l’enseignement par le gouvernement de Vichy, elle a occupé un emploi de comptable. Militante communiste, responsable avec Simone Bastien de l’Union des Jeunes filles de France dans la Marne, elle était surveillée par la Police française. Capitaine d’une équipe de basket-ball, c’est à la faveur de rencontres sportives qu’elle transmettait les mots d’ordre de la direction clandestine du Parti communiste, transportait et diffusait les tracts et journaux clandestins acheminés depuis la région parisienne par des employés de la SNCF. En juillet 1941, elle a échappé de peu à une arrestation, alors qu’elle se rendait chez les Arvois de Fère-Champenoise pour leur apporter des tracts. Gilberte Arvois a réussi à la prévenir que son fils Roger venait d’être arrêté. Armande Gandon a quitté aussitôt la Marne où elle était grillée et elle est passée à la clandestinité dans l’Aube, où elle a rejoint l’état-major régional des Francs-tireurs et partisans français (FTPF), organisation armée du Front national de lutte pour la libération et l'indépendance de la France. Le 13 août 1941, inculpée par le juge d’instruction d’Épernay, elle a été condamnée par défaut à 4 ans de prison et 500 francs d’amende. Le 5 mars 1942, elle a été arrêtée à Troyes et condamnée par un tribunal militaire allemand à 10 ans de forteresse. À l’origine de son arrestation, il y a la déposition de Jean-Pierre Ringenbach, pseudo Gaston, responsable du Front national dans l’Yonne et l’Aube. Arrêté par la Gestapo dans un meublé de Sainte-Savine le 22 janvier 1942, lors d’une opération de police à la recherche des auteurs d’un attentat contre le Soldatenheim de Dijon, Ringenbach a résisté à la torture, a été condamné à mort, puis à la veille de son exécution, enivré par ses gardiens, il a craqué et révélé tout de l’organisation du Front national et de ses militants. Dans l’Yonne, plusieurs résistants ont été arrêtés et fusillés. Dans l’Aube, la Gestapo a procédé à deux arrestations dont celle d’Armande Gandon.
Le 4 mars 1943, Armande Gandon a été déportée en Allemagne comme  Nacht und Nebel (NN), c'est-à-dire appelée à disparaître dans la nuit et le brouillard. Elle a été emprisonnée à Aix-la-Chapelle, à Flussbach, à Breslau où elle a été condamnée à mort, puis à Jauer. Libérée le 11 février 1945 par l’Armée rouge, elle est morte du typhus à l’hôpital de Liegnitz le 22 avril 1945, lieu et date retenus par le JO du 23 mai 1992. À Reims, une plaque commémorative a été apposée en 1947 par la municipalité à son domicile 15, rue de la Bonne femme et son nom est inscrit sur le Monument aux martyrs de la Résistance et de la Déportation. Une rue du quartier Croix-Rouge porte son nom depuis 1971. Sa mémoire est également honorée sur une sépulture familiale au cimetière du Sud. Dans l’Aube, une rue de Sainte-Savine porte son nom. Armande Gandon a été homologuée RIF (Résistance intérieure française) et a reçu le titre de Combattant volontaire de la Résistance, mention DIR (Déporté-interné-résistant), ainsi que la Médaille de la Résistance.]

   Roger ARVOIS, auxiliaire SNCF âgé de 20 ans, contact d'Armande GANDON à Fère-Champenoise, arrêté en juillet 1941, a fait l'objet d'un arrêté du préfet BOUSQUET en vue d'un internement au camp de Chateaubriant (26). Interné dans ce camp, il a échappé à l'exécution d'otages du 22 octobre 1941, a été transféré au camp de Voves en Eure-et-Loir, puis conduit à Paris où il a été condamné aux travaux forcés à perpétuité par la Section spéciale (27). Détenu dans la centrale de Poissy, puis dans celle de Melun, il a été remis à la Police allemande. Le 12 mai 1944, à Lérouville dans la Meuse, il a réussi à s’évader du train de déportation à destination du camp de Buchenwald et il est revenu dans la région de Fère-Champenoise où il a pris la tête d'un maquis.

   Le rythme des arrestations s'est accéléré et les condamnations ont été de plus en plus sévères.
   Militant communiste arrêté par la Police française à Reims le 3 juin 1941, le beau-frère d'Armande GANDON, René PATÉ, a été condamné à 5 mois de prison en juillet 1941 par le tribunal correctionnel de Reims, puis à 5 ans d'emprisonnement par la Section spéciale de la Cour d'Appel de Paris en août 1941. Après avoir été interné à Fresnes, à Melun et à Châlons-sur-Marne, il a été déporté à Buchenwald le 12 mai 1944. Son épouse Andrée PATÉ a été à son tour arrêtée en avril 1943 et déportée à Ravensbrück.

[René Paté est né le 27 juillet 1908 à Matton-et-Clémency (Ardennes), son épouse Andrée Gandon le 15 mars 1914 à Saint-Florentin (Yonne). Parents d’une petite fille née en 1937, les époux Paté résidaient à Reims où René était couvreur-zingueur. Militants communistes, ils ont rejoint le Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France tout comme Armande Gandon, la jeune sœur d’Andrée. Ils ont été chargés du recrutement et de la difusion la presse clandestine. Fiché comme communiste engagé, René Paté a été arrêté à Reims par la Police française le 3 juin 1941. Condamné en juillet 1941 à 5 mois de prison par le tribunal correctionnel de Reims pour « menées antinationales », il a été incarcéré à Reims, avant d’être transféré à Paris à la prison de la Santé. En août 1941, il a été condamné par la Section spéciale de la Cour d’Appel de Paris à 5 ans d’emprisonnement. Il a été détenu à Fresnes, puis à la centrale de Melun et finalement à la prison de Châlons-sur-Marne. Transféré à Compiègne, il a été déporté le 12 mai 1944 à Buchenwald (matricule 51 320). Il est rentré très affaibli en France le 29 avril 1945. Après l’arrestation de son mari, Andrée Paté qui était corsetière, employée à la bonneterie Mazoyer,a trouvé un emploi aux Verreries mécaniques de Saint-Brice. Elle a continué son action dans la résistance aux côtés de Marie- Louise Monin et d’Aline Huon qui constituaient avec elle un « triangle ». Ensemble elles ont animé les « Comités féminins » du Front national et participé à des distributions de tracts, à la rédaction de journaux clandestins, à des transports de machines à écrire et de papier, à des prises de paroles sur les marchés, à des collectes de vêtements pour les clandestins, et au recrutement de Francs-tireurs et partisans français (FTPF), organisation armée du Front national. Le 24 avril 1943, Andrée Paté a été arrêtée à Reims sur dénonciation, et elle a été internée successivement à Reims, à Laon, au camp de Compiègne et au Fort de Romainville. Elle a été déportée comme résistante le 18 avril 1944 à Ravensbrück (matricule 35 265) et affectée le 4 juin 1944 au kommando de Holleischen (matricule 52 759). Elle y a été libérée par des partisans polonais et tchèques le 5 mai 1945. Elle est rentrée en France le 24 mai 1945 avec Renée Mathieu, Reine Mercier et Marie-Louise Monin. René Paté, décédé en 1978, est inhumé à Reims au Cimetière du Sud. Andrée Paté a témoigné dans l’ouvrage Souvenirs de déportés rémois de leur arrestation à leur séjour dans les camps de la mort publié à Reims en 1957. Elle n’a pas cessé jusqu’à plus de 95 ans de témoigner avec conviction devant les élèves de collège et de lycée. Elle est décédée en 2018. Andrée Paté a été homologué FFI et RIF (Résistance intérieure farnçaise) et elle a reçu le titre de Combattant volontaire de la Résistance avec la mention DIR (Déporté-interné-résistant).]


   Le 11 novembre 1941, Jean et Marcel NAUTRÉ, âgés de 16 et 18 ans et fils de militants communistes, ont été arrêtés après avoir déposé une gerbe ornée d'un ruban tricolore au monument aux morts de la ville de Reims.

L'affaire Chatton

   Le zèle déployé par le préfet BOUSQUET dans la répression anticommuniste ne fléchissait pas, puisqu'en septembre 1941, il dénonçait dans son rapport mensuel adressé aux autorités de Vichy, la mansuétude des juges à l'égard des communistes et signalait qu'il avait fait interner à Châteaubriant un militant relaxé par le tribunal correctionnel d'Épernay (28).
   En novembre 1941, cette répression jusqu'alors contrôlée par BOUSQUET et la Police française a pris un tour tragique avec l'affaire CHATTON (29). Au printemps 1941, une distribution de tracts ayant pour titre « Réintégrons nos syndicats » et signés « Les militants restés fidèles à l'esprit de 1936 » avait été signalée dans les maisons de champagne de Reims. Le 17 mai et à nouveau le 7 juillet 1941, BOUSQUET a demandé au commissaire spécial de Reims de diligenter une enquête qui a montré que ce tract avait été tapé sur la même machine qu'une feuille communiste clandestine, La Champagne ouvrière.  
   Le 17 septembre, en vertu d'une réquisition de BOUSQUET, une perquisition a été effectuée au domicile des parents d'un jeune caviste communiste, Marcel CHATTON. On y a découvert un tract ayant pour titre « Brisons l'arme de l'antisémitisme !  Unissons-nous ! », et signé « Le Parti communiste français-SFIC », ainsi qu'une liste de souscription blanche à l'en-tête du « Comité départemental du Front national de lutte pour l'indépendance de la France ».


   À la suite de cette perquisition, CHATTON a été arrêté sur son lieu de travail, la maison de champagne Heidsieck.
   L'enquête menée sur cette affaire a abouti à l'arrestation à Troyes d'André CRÉPINLe 6 novembre 1941, Georges DARDENNE et Édouard QUENTIN, camarades de travail de CHATTON, ont été arrêtés à leur tour par la Police française sur dénonciation d'un membre de la Ligue française. La Police allemande a fini par se saisir de cette affaire et s'est fait livrer les militants communistes rémois.
   Le 17 décembre 1941, ils ont été condamnés lourdement par le tribunal militaire de Châlons-sur-Marne :
      - Marcel CHATTON, âgé tout juste de 22 ans, a été condamné à mort et fusillé le 23 décembre 1941 à la caserne Tirlet de Châlons-sur-Marne.

[Marcel Chatton est né le 18 décembre 1919 à Reims. Fils de Jeanne Amélie Merreaux, journalière, il a été reconnu par sa mère et Léon Paul Chatton le 17 mai 1922 et a été  adopté par la Nation en vertu d’un jugement du tribunal civil de Reims en date du 4 octobre 1932. Il exerçait la profession de caviste chez Heidsieck-Monopole, une maison de champagne de Reims. Domicilié chez ses parents dans une maison isolée du quartier de La Cerisaie, ce jeune militant communiste imprimait des tracts et des numéros de la feuille communiste clandestine La Champagne ouvrière. Dès le printemps 1941, la Police française a signalé au préfet Bousquet la diffusion dans les maisons de champagne d’un tract ayant pour titre « Réintégrons nos syndicats » signé « Les militants restés fidèles à l’esprit de 1936 ». L’enquête a montré que ce tract avait été tapé sur la même machine à écrire que La Champagne ouvrière et elle est remontée jusqu’à Chatton. Le 17 septembre 1941, la Police française a perquisitionné chez lui et a trouvé un tract intitulé « Brisons l’arme de l’antisémitisme » et signé « Le Parti communiste français-SFIC ». Marcel Chatton a été arrêté sur son lieu de travail. L’enquête menée sur cette affaire a abouti à l’arrestation à Troyes le 27 septembre par la Police française d’un autre caviste de la Maison Hiedsieck Monopole, André Crépin. Deux autres camarades de travail de Chatton et Crépin, Édouard Quentin et Georges Dardenne ont été arrêtés à leur tour à Reims le 6 novembre sur dénonciation d’un membre de la Ligue française, parti collaborationnioste. Alertée par le responsable rémois de la Ligue française, la Police allemande s'est fait livrer les quatre militants communistes qui ont été déférés devant le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne le 17 décembre 1941. Marcel Chatton a été condamné à mort pour distribution de tracts et il a été fusillé dans la cour de la caserne Tirlet de Châlons-sur-Marne le 23 décembre 1941 à dix-sept heures deux minutes. Il est inhumé au cimetière du Sud dans la même sépulture que son camarade Édouard Quentin. Marcel Chatton a opbtenu la mention « Mort pour la France ». À Reims, une plaque commémorative a été apposée en 1947 par la municipalité à son domicile 20, rue de la Cerisaie. Après la destruction de la maison et la disparition de cette plaque, une plaque refaite à l’identique conserve son souvenir au Square des victimes de la Gestapo. Une rue du quartier Croi-Rouge porte le nom de Marcel Chatton depuis 1971. Son nom est inscrit sur la plaque apposée à la Bourse du Travail aujourd’hui Maison régionale des syndicats et sur le Monument aux martyrs de la Résistance et de la Déportation. À L’Épine, Marcel Chatton figure sur la plaque commémorative de la Butte des fusillés.]

      - Georges DARDENNE et Édouard QUENTIN, âgés de 22 et 21 ans, ont été condamnés aux travaux forcés à perpétuité. À la suite d'un attentat commis contre un officier allemand à Dijon, tous les deux ont été fusillés comme otages le 13 janvier 1942, en même temps qu'un autre rémois Marcel MÉLIN qui avait été condamné à mort le 25 novembre 1941 pour détention d'armes, par ce même tribunal allemand.

[Georges Dardenne est né le 19 décembre 1919 à Reims. Il était le fils de Gustave Dardenne, surveillant, et d’Eugénie Gilbert, journalière. Célibataire, il était domicilié à Reims, où il exerçait la profession de caviste chez Hiedsieck-Monopole. Il a rejoint le Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France et a participé à des distributions de tracts.
Après l’arrestation en septembre 1941 de Marcel Chatton à Reims et celle d’André Crépin à Troyes, il a été arrêté à son tour le 6 novembre 1941 par la Police française en même temps qu’un autre camarade de travail, Édouard Quentin, à la suite d’une dénonciation par un membre de la Ligue française. Livrés à la Police allemande, Dardenne et Quentin ont été tous les deux condamnés par le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne aux travaux forcés à perpétuité le 17 décembre 1941. Considéré comme otage à la suite d’un attentat commis contre un officier allemand à Dijon, Georges Dardenne a été fusillé à la caserne Tirlet de Châlons-sur-Marne le 13 janvier 1942, à onze heures trente-cinq, quelques minutes avant son camarade Édouard Quentin. Il est inhumé à Reims dans le Cimetière de l’avenue de Laon. Son exécution a fait l’objet d’un jugement déclaratif de décès du tribunal de première instance de Châlons daté du 13 mars 1942 et enregistré le 19 mars 1942 sous le numéro 275 à l’état civil de cette ville. Il a été reconnu  « Mort pour la France » en 1946 et le statut d’Interné-résistant lui a été décerné. À Reims, une plaque commémorative a été apposée en 1947 par la municipalité à son domicile 6, rue Favart d’Herbigny et une rue du quartier des Épinettes porte son nom depuis 1973. Son nom est inscrit sur la plaque apposée à la Bourse du Travail aujourd’hui Maison régionale des syndicats et sur le Monument aux martyrs de la Résistance et de la Déportation. À L’Épine, Georges Dardenne figure sur la plaque commémorative de la Butte des fusillés.]

[Édouard Quentin est né le 18 août 1920 à Reims. Il était le fils de Jules Augustin Quentin, caviste, et de Marie Augustine Badet, ménagère. Il avait épousé Simone Rolande Gauché le 31 décembre 1938 à Reims. Le couple qui avait un jeune enfant né en 1940, était domicilié à Reims, où Édouard Quentin exerçait la profession de caviste chez Heidsieck-Monopole. Militant communiste, il a rejoint le Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France et a participé à des distributions de tracts. Le 6 novembre 1941, il a été arrêté par la Police française à la suite d'une dénonciation, en même temps qu’un autre caviste, Georges Dardenne. Un membre de la Ligue française les avait accusés d’avoir distribué sur leur lieu de travail des tracts se faisant l’écho d’un appel lancé sur les ondes de la BBC fin octobre et appelant à un arrêt de travail. Livrés à la Police allemande en même temps que Marcel Chatton et  André Crépin, Quentin et Dardenne ont été condamnés le 17 décembre 1941 par le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne aux travaux forcés à perpétuité. Considéré comme otage à la suite d’un attentat commis contre un officier allemand à Dijon, Édouard Quentin a été fusillé à la caserne Tirlet de Châlons-sur-Marne  le 13 janvier 1942 à onze heures quarante minutes, quelques minutes après deux autres otages, Marcel Mélin et Georges Dardenne. Inhumé sur place, le corps d’Édouard Quentin a été exhumé le 9 septembre 1944, ré-inhumé dans le cimetière de l’Est de Châlons, puis transféré le 22 novembre 1944 à Reims dans le cimetière du Sud où il repose dans la même sépulture que son camarade Marcel Chatton. Édouard Quentin a été reconnu « Mort pour la France » et a été homologué FFI. La Médaille de la Résistance lui a été décernée à titre posthume par décret du 3 juillet 1946 publié au JO du 11 juillet 1946. À Reims, une plaque commémorative a été apposée en 1947 par la municipalité à son domicile 45, rue Fléchambault. La maison ayant été détruite, une plaque refaite à l’identique conserve son souvenir au Square des victimes de la Gestapo. Le nom d'Édouard Quentin est inscrit sur le Monument aux martyrs de la Résistance et de la Déportation. Il est également gravé sur la plaque apposée à la Bourse du Travail aujourd’hui Maison régionale des syndicats. À L’Épine, Édouard Quentin figure sur la plaque commémorative de la Butte des fusillés].

   André CRÉPIN, père de 7 enfants, a été acquitté, remis aux autorités françaises, interné, puis déporté en 1942 à Auschwitz, d'où il n'est pas rentré.

[André Crépin est né le 7 mai 1906 à Châlons-sur-Marne. Caviste chez Heidsieck-Monopole à Reims, membre du Parti communiste depuis 1936, il était avant-guerre rédacteur en chef de La Champagne ouvrière et paysanne. Chargé en 1940 par le Comité central du PCF de réorganiser le parti dans la Marne, il a continué à faire paraître La Champagne ouvrière et paysanne dans la clandestinité. En mai 1941, il a adhéré au Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France. Traqué comme communiste par la Police française, il est parti dans l’Aube et a continué son action comme responsable civil et militaire clandestin de la section de Troyes où il a organisé des groupes de résistants qui distribuaient tracts et journaux clandestins du Front national. Le 27 septembre 1941, il a été arrêté à Troyes par la Police française, ramené dans la Marne, livré à la Police allemande et traduit le 17 décembre 1941 devant le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne, en même temps que ses camarades cavistes Marcel Chatton, Georges Dardenne et Édouard Quentin. André Crépin, père de sept jeunes enfants, a été acquitté. Remis aux autorités françaises, il a été incarcéré à la prison de Châlons-sur-Marne. Livré à nouveau à la Police allemande, il a été interné à Compiègne et déporté le 6 juillet 1942 comme politique à Auschwitz (matricule 45 411). Il y est décédé le 19 septembre 1942. À Reims, une plaque commémorative apposée en 1947 par la municipalité à son domicile 42, Parc de Vesle situait par erreur son décès en 1944. Après la disparition de cette plaque, une plaque refaite à l’identique conserve son souvenir au Square des victimes de la Gestapo. Son nom est inscrit sur la plaque apposée à la Bourse du Travail aujourd’hui Maison régionale des syndicats et sur le Monument aux martyrs de la Résistance et de la Déportation.]

   En janvier 1942, selon Richard POUZET et plusieurs témoignages de Châlonnais, BOUSQUET a assisté à l'inhumation de DARDENNE, QUENTIN et MÉLIN, et a déposé une gerbe de fleurs sur chacune des trois tombes, ce qui aurait suscité le vif mécontentement des autorités allemandes d'occupation.
   Au cours d'une visite qu'il a rendu à l'archevêque de Reims Monseigneur MARMOTTIN, BOUSQUET lui aurait fait part de son « indignation » et lui aurait déclaré que désormais « il ferait tout ce qu'il pourrait pour éviter que de pareils faits se reproduisent » (30).

Un bilan accablant

   Le bilan de la répression anticommuniste dans la Marne de septembre 1940 à la fin de 1941, que j'ai présenté en 1983 au colloque " Les communistes français de 1938 à 1941 " (31) , ne couvre pas toute la période au cours de laquelle Bousquet a exercé la fonction de préfet de la Marne, mais il est déjà bien lourd :
        - plus de 60 arrestations opérées par la Police française ;
        - plus de 20 condamnations prononcées par les tribunaux français à des peines allant de 2 mois à 5 ans d'emprisonnement ;
        - un certain nombre d'internements administratifs à Châteaubriant et au Camp de Rouillé.
  Parmi les militants arrêtés et condamnés durant cette période, plusieurs ont été ultérieurement condamnés à nouveau par la Section spéciale de la Cour d'Appel de Paris, internés comme otages et déportés.
  Parmi les 12 communistes marnais arrêtés à cette époque qui ont été ensuite déportés, la moitié ne sont pas rentrés

   René BOUSQUET, qui allait bientôt accepter le poste de secrétaire général à la Police de Vichy, aurait pu tirer de son passage dans la Marne le constat du caractère illusoire d'une prétendue autonomie de la Police française. S'il avait pu jusqu'alors intervenir pour protéger et sauver des Marnais, la situation commençait à changer, et la marge de manœuvre dont il avait su habilement se servir se réduisait de jour en jour, d'autant que la Gestapo n'allait pas tarder à s'installer dans le département. En octobre 1941, sur l'injonction du général Von STÜLPNAGEL, commandant des forces militaires allemandes en France, une circulaire a été envoyée par INGRAND depuis Vichy aux préfets de la zone occupée, leur demandant de fournir aux autorités d'occupation « la liste des personnes du sexe masculin qui ont été ou seront arrêtés par les Autorités françaises pour activité communiste ou anarchiste ».
 
   En ce qui concerne les internés administratifs, cette circulaire précisait :

   « Vous voudrez bien établir une liste de tous les internés administratifs qui ont été frappés de cette mesure par un arrêté pris sur votre initiative. Cette liste devra comprendre : nom, prénoms, lieu et date de naissance, ainsi que le dernier domicile, jour de l'arrestation, lieu de l'arrestation, indication de l'Autorité française qui a fait procéder à cette arrestation, ainsi que tous les renseignements sur la situation de famille (nombre d'enfants) de l'intéressé et sur l'activité politique ou anarchiste qui a provoqué la mesure prise à l'encontre de ce dernier [...] Je précise que le lieu de l'arrestation déterminera le département sur la liste duquel les intéressés devront être portés [...] Je vous rappelle que vous ne pouvez prononcer la libération d'internés administratifs détenus dans votre département pour activité communiste, gaulliste ou anarchiste, qu'après avoir obtenu l'accord des autorités allemandes de votre département » (32).

   Rien ne permet de penser que BOUSQUET ait cherché à se soustraire à cette instruction, bien au contraire, puisque le 20 octobre 1941, il a adressé au Commissaire spécial de Châlons la lettre suivante :

   « J'ai l'honneur de vous adresser sous ce pli pour être complétées les notices individuelles des nommés Chirat Jean, Chirat Marcelle femme Buytendorf, Dallier Pierre, Morlet Louis, Philippe Roger, Teste René, poursuivis pour propagande gaulliste, et du nommé Crépin André inculpé de propagande communiste. Je vous serais obligé de faire figurer sur ces notices, le cas échéant, non seulement le nombre mais l'âge des enfants. Ces fiches devant être transmises à la Feldkommandantur 608 pour le 23 octobre au plus tard, il y aurait lieu de me les retourner dans le plus bref délai » (33).

  Les mêmes directives on été adressées par le Procureur général près la Cour d'Appel de Paris dont dépendait la Marne, aux procureurs généraux du département, dans la circulaire n° 147-41 Com. 41 qui demandait à chaque parquet d'« établir en vue de sa remise à l'Autorité Allemande qualifiée de son ressort, l'état des individus (prévenus ou condamnés) actuellement détenus dans sa circonscription », conformément à la dépêche de la Chancellerie datée du 22 octobre 1941 « visant la confection et l'envoi aux autorités allemandes qualifiées, dans les formes et conditions spécifiées, des listes d'individus présentement détenus pour activité communiste ou anarchiste » (34).

   En juillet 1941, BOUSQUET a fait établir le bilan du nombre total des détenus dans les prisons de la Marne, qui s'établissait ainsi :

Lieu de détention
Hommes
Femmes
Prévenus
Châlons-sur-Marne
279
32
33 hommes
Reims
59
10
-
Épernay
37
10
84 hommes
2 femmes
TOTAL
375
52
117 hommes
2 femmes

Source : Archives départementales de la Marne, M 3088.

   Le 26 février 1942, dix-huit Marnais ont été arrêtés comme otages par les Allemands, à la suite d'attentats commis contre les troupes d'occupation à Chalon-sur-Saône et Montceau-les-Mines.
    Jules HUON qui avait été arrêté par la police française et condamné par un tribunal français à 8 mois de prison en décembre 1940, faisait partie de ces otages. Interné à Reims, puis à Châlons-sur-Marne, il a été transféré à Compiègne et déporté à Auschwitz d'où il n'est pas rentré.
   BOUSQUET a relaté l'événement en ces termes :

   « Les personnes arrêtées appartiennent aux milieux israélites et ouvriers du département. Je n'insisterai pas davantage sur l'émotion que ces arrestations d'otages ont provoqué dans le département et contre lesquelles j'ai protesté énergiquement, tant auprès des autorités allemandes locales qu'à Paris. Il n'en reste pas moins que ces arrestations ajoutées au malaise provoqué par les difficultés présentes, laissent à craindre dans la population ouvrière des réactions qui pourraient être violentes. J'ai donné à mes collaborateurs et aux services de police des instructions précises, afin d'éviter le retour de manifestations comme celle ayant eu lieu à Reims qui, interprétées par les autorités d'occupation, provoqueraient des sanctions violentes. Je pense néanmoins que la compréhension et le patriotisme des populations marnaises me permettront de franchir ce cap difficile, qui marquera la fin d'une période particulièrement pénible, les jours à venir paraissant incontestablement plus faciles » (35).

   Confronté à une situation de plus en plus difficile dans ses rapports avec les autorités allemandes d'occupation, BOUSQUET était toujours aussi sûr de lui et confiant dans son étoile. Les propagandes communiste et gaulliste qu'il avait toujours combattues vigoureusement commençaient à jeter le trouble chez un certain nombre de Marnais. La mise en cause, puis l'arrestation du directeur adjoint au Ravitaillement de la préfecture de la Marne, impliqué dans un trafic de cartes d'alimentation (36), affectait sa crédibilité et sapait son autorité.
   Le 13 mars 1942, il décida de contre-attaquer dans un long appel à la population de la Marne. Il y dénonçait « les nouvelles fausses et tendancieuses », « la calomnie », y fustigeait les « fauteurs de désordre », leur adressait un « dernier avertissement » et, prenant à témoin « tous les braves et honnêtes gens », les menaçait « d'une justice sommaire et expéditive ». Cet appel a été publié dans L'Éclaireur de l'Est et adressé à tous les maires des communes marnaises, chargés d'en assurer l'affichage (37). À Reims, Paul MARCHANDEAU s'y est associé publiquement au cours d'un conseil municipal réuni le même jour, et en a fait apposer 330 exemplaires sur les murs de sa ville (38).

   BOUSQUET a demandé aux services de police d'agir « immédiatement » et d'appliquer ses instructions « énergiquement », à savoir interpeller, conduire au commissariat, interroger, dresser contre toute personne « colportant des nouvelles tendancieuses de nature à troubler l'opinion publique » un procès-verbal d'information et transmettre une note d'enquête à son cabinet :

   « La même procédure sera appliquée en matière de propagande antinationale et plus particulièrement de propagande communiste. Je vous demande de faire un effort particulier pour rechercher les auteurs d'impression ou de distribution de tracts dans le département. La compréhension dont ont fait preuve les autorités ne doit pas être interprétée comme de la faiblesse qui deviendrait de la complicité. Je demande à la police de faire preuve d'une grande activité et d'une grande vigilance.
   Je jugerai son action et sa valeur comme l'action et la valeur de ses chefs aux résultats obtenus. La surveillance actuelle et la tâche de la police m'obligent à vous dire que je n'accepterai aucune défaillance. Les chefs de service sont responsables de l'ensemble des services placés sous leurs ordres. Ils devront me signaler immédiatement les défaillances individuelles s'ils ne veulent pas être tenus pour responsables des erreurs qui pourraient être commises »
(39).

   Le 17 mars 1942, L'Éclaireur de l'Est a annoncé que BOUSQUET avait prononcé six internements administratifs pour propagation de fausses nouvelles, et que les personnes auxquelles s'appliquaient ces mesures avaient été immédiatement arrêtées et envoyées dans « un camp de concentration », pour des durées variant de 1 à 6 mois.
   Entre septembre 1940 et avril 1942, époque où René BOUSQUET était préfet de la Marne, parmi les 60 déportés qui ont été arrêtés dans ce département par la Police française ou la Police allemande, ont été recensés:
      - 34 politiques en majorité communistes ;
      - 16 résistants ;
      - 6 Juifs ;
      - 4 déportés pour des motifs indéterminés.
   Parmi ces déportés, 25 sont morts dans les camps de concentration ou d'extermination.

   En 1945, Michel SICRE, maire communiste de Reims, entendu sur commission rogatoire dans le cadre du procès BOUSQUET, a présenté BOUSQUET comme « un collaborateur actif », mais il a déclaré qu'il ne connaissait pas de faits particuliers à signaler (40). Cette modération pourrait s'expliquer par le fait que BOUSQUET était intervenu pour faire libérer des communistes, comme il l'a fait pour un certain nombre de Francs-maçons et de Juifs marnais. C'est ainsi que Gaston MARTIN, ancien délégué syndicaliste et responsable de la cellule communiste des cavistes d'Épernay avant-guerre, arrêté par les Allemands comme otage le 26 février 1942 et envoyé au Camp de Compiègne, a été remis en liberté le 18 mars 1942, à la suite, semble-t-il, d'une intervention de René BOUSQUET sollicité par Robert de VOGÜÉ délégué du négoce à la tête du CIVC (41).

Le départ de Bousquet pour Vichy

   Lorsque René BOUSQUET a quitté la Marne en avril 1942, la plupart des notables, personnalités civiles et religieuses confondues, ont regretté son départ et salué unanimement l'œuvre de reconstruction et de renouveau qu'il y avait accomplie. Des ecclésiastiques lui ont écrit pour lui exprimer « tout l'espoir mis dans l'oeuvre entreprise par le gouvernement de Vichy » (42). Certes, quelques uns se sont étonnés de sa nomination au poste de secrétaire général à la Police, mais presque tous lui ont conservé leur estime, et ont accepté après la guerre de témoigner en sa faveur lors de son procès devant la Haute Cour de Justice.
   Rares finalement sont ceux qui ont alors porté un jugement plus nuancé sur René BOUSQUETPierre CLÉMENT, chef adjoint du Groupe de résistance Bleu et Jonquille de Châlons-sur-Marne, l'a présenté comme « un ambitieux et un arriviste » (43). Seul Jules HELLER, inspecteur d'Académie, membre de la commission municipale au retour de l'exode, blâmé et déplacé d'office par le ministre CARCOPINO en 1941, préfet provisoire à la libération, a su percevoir les deux facettes de la personnalité du jeune et brillant préfet de la Marne :

   « Il est indiscutable que M. Bousquet, malgré son jeune âge, acquit dès le début à son arrivée comme secrétaire général ( du département de la Marne ), une autorité qui ne fit que s'accroître comme préfet et préfet régional, autorité due à ses indiscutables qualités personnelles et administratives autant qu'au contraste qu'elles présentaient avec l'insuffisance du préfet Jozon qui l'avait précédé à la tête de la préfecture de la Marne) [...]  Comme membre du Comité de libération et comme préfet provisoire de la Libération, j'eus souvent l'occasion d'entendre évoquer ou d'évoquer moi-même le cas de Bousquet. Nous avons d'un accord unanime pris nettement position contre Bousquet et les créatures dont il avait peuplé tous les postes importants, en vue évidemment d'un rôle politique ultérieur [...] Il avait en effet dès le début et de plus en plus joué délibérément la carte Pétain et Laval. Il semble du reste qu'avant-guerre il avait joué alternativement la carte Laval et la carte Sarraut. Rien ne permettait évidemment de juger son action à la Direction de la Police, mais l'avis général était qu'il lui serait certainement plus difficile qu'à la préfecture régionale de " nager " sans risquer de s'enfoncer davantage dans la collaboration » (44) .

   Préfet de la Marne puis de la région de Champagne, René BOUSQUET y a défendu et appliqué de 1940 à avril 1942, une collaboration d'État qui impliquait l'acceptation de la défaite de mai-juin 1940, posait en postulat le caractère définitif de la victoire allemande, et prétendait préserver au mieux et dans le respect de la souveraineté de notre pays les intérêts de la Marne et des Marnais. Cette collaboration qui, selon lui, était sans aucune autre alternative possible, BOUSQUET a réussi à la faire accepter à la majorité des Marnais grâce à l'appui des notables, personnalités civiles et religieuses, de gauche comme de droite, réconciliés dans une égale et commune ferveur anticommuniste, et ralliés massivement au régime de Vichy.   
   L'habileté dont il a fait preuve dans ses relations avec les autorités allemandes, la capacité qu'il a montrée à temporiser, le soin qu'il a apporté à dépolitiser les enjeux, à réconcilier les différentes factions d'avant-guerre, à se replier sur les problèmes de la vie quotidienne, mais aussi l'action dynamique qu'il a développée avec efficacité sur tous les terrains de l'administration départementale, la fidélité qu'il a témoignée à l'égard de ses amis et la protection qu'il leur a offerte, tout cela a indiscutablement contribué à rendre crédible dans la Marne l'image illusoire d'un Vichy bouclier-protecteur, perçu comme un moindre mal permettant d'éviter le pire, et même à laisser croire chez certains que BOUSQUET jouait le double-jeu.
    En 1949, les jurés de la Haute Cour de Justice se sont laissés à leur tour convaincre par BOUSQUET qu'il avait été un grand préfet de la Marne et que sa conduite dans ce département avait été irréprochable. En réalité, si en effet BOUSQUET est parvenu à rendre l'occupation allemande plus supportable et le régime de Vichy plus présentable, le département et ses habitants n'ont été épargnés ni par le pillage économique, ni par la répression. Au contraire, certains Marnais, y compris des juifs et des résistants, parce qu'ils faisaient confiance à BOUSQUET, se croyant protégés, n'ont pas cru devoir se mettre à l'abri, et ont été finalement arrêtés, fusillés ou déportés. De la même façon, le collaborationnisme vichyste bon teint que BOUSQUET a cautionné et a servi, et auquel les notables se sont ralliés derrière lui, n'a pas évité aux Marnais les excès des partis collaborationnistes.
   Dans la Marne, de façon paradoxale, les partis collaborationnistes ont attiré dans une cohabitation pour le moins conflictuelle, à la fois les ultras de la collaboration opposés à la continuité combinarde qu'incarnait à leur yeux le préfet BOUSQUET, et les maréchalistes qui pensaient sincèrement que le meilleur moyen de manifester leur soutien au régime de Vichy que représentait BOUSQUET, était d'adhérer à l'un de ces partis.

 

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