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   Histoire et mémoire 51 > Nicolas Sarkozy et la mémoire des enfants de la Shoah au CM2

La mémoire des enfants de la Shoah au CM2
Enseigner la Shoah à l'école élémentaire

Confier la mémoire des enfants de la Shoah aux élèves de CM2 :
une initiative mémorielle du président Sarkozy

Une initiative récusée par Simone Veil et Boris Cyrulnik

Le soutien de Joseph Sitruk et de Serge Klarsfeld

La réaction des associations

Une nouvelle injonction du « devoir de mémoire »
rejetée par de nombreux historiens et enseignants

D'autres réactions individuelles

La mission pédagogique confiée à Hélène Waysbord-Loing

La mise en œuvre des recommandations de rapport Waysborg

Les contributions de l'Institut national de recherche pédagogique ( INRP )

Les outils pédagogiques proposés par le Mémorial de la Shoah

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Confier la mémoire des enfants de la Shoah aux élèves de CM2,
une initiative mémorielle du président Sarkozy

   Le 13 février 2008, premier chef de l'État en fonction à participer au dîner annuel du CRIF, le Conseil représentatif des institutions juives de France, le président de la République, Nicolas SARKOZY y a prononcé un discours à l'issue duquel il a abordé la question de l'enseignement de la Shoah et a annoncé une nouvelle initiative mémorielle concernant les élèves de CM2 auxquels il propose de confier la mémoire des enfants de la Shoah :

   [...] La France ne doit rien abandonner de l'enseignement de la Shoah dans les établissements scolaires. Elle ne doit céder à aucune facilité, à aucun amalgame. Enseigner la Shoah et sa spécificité, c'est combattre tous les racismes, c'est ouvrir chacun à sa condition de victime potentielle et de citoyen responsable, c'est créer une mémoire commune sans laquelle il ne peut y avoir de volonté de construire un avenir commun.
   Mais cette éducation doit être suffisamment précoce pour toucher aussi les cœurs. C'est dans les premières années de l'éveil de sa conscience qu'un enfant doit être élevé dans le rejet absolu du racisme.
   C'est pourquoi j'ai demandé au gouvernement, et plus particulièrement au ministre de l'Éducation nationale, Xavier Darcos, de faire en sorte que, chaque année, à partir de la rentrée scolaire 2008, tous les enfants de CM2 se voient confier la mémoire d'un des 11 000 enfants français victimes de la Shoah.
   Les enfants de cet âge sont souvent plus graves que leurs aînés. Ils sont attentifs aux êtres, à l'intimité des noms et des prénoms, à l'importance de leur environnement le plus quotidien. Comment seraient-ils alors insensibles à l'histoire de ces enfants qui avaient les mêmes jeux, les mêmes joies et les mêmes peines qu'eux, et qui, progressivement, ont été exclus de leur école, séparés de leur famille, chargés dans les trains pour un voyage sans retour ? Le succès mondial du Journal d'Anne Frank montre la puissance d'évocation et d'illustration que comporte pour un enfant le récit d'une histoire qui aurait pu être la sienne [...]
   Peut-on trouver plus noble dessein que de permettre à ces enfants martyrs d'être les pédagogues éclairés de nos propres enfants ?

   Dès le 14 février, le ministre de l'Éducation nationale, Xavier DARCOS, en accord avec la volonté  du président de la République de faire en sorte que « chaque élève de CM2 se voie confier la mémoire d'un enfant français victime de la Shoah », a chargé Hélène WAYSBORD-LOING, présidente de l'Association de la Maison d'Izieu, inspectrice générale honoraire de l'Éducation nationale, d'une mission « en vue d'élaborer les documents pédagogiques valorisant ce travail confié aux enseignants du primaire ».

   Le 15 février, à Périgueux, ville de Xavier DARCOS, où il était venu présenter les grandes lignes de la réforme de l'enseignement primaire, Nicolas SARKOZY est revenu sur cette initiative mémorielle et l'a justifiée, affirmant qu'« on ne traumatise pas les enfants en leur faisant ce cadeau de la mémoire d'un pays, pour leur dire un jour, c'est vous qui écrirez l'histoire de ce pays :

   Nous, nous en sommes la mémoire, ne refaites pas les mêmes erreurs que les autres.
   Il s'agit d'une démarche contre tous les racismes, contre toutes les discriminations, contre toutes les barbaries, à partir de ce qui touche les enfants, c'est-à-dire une histoire d'enfants qui avaient leur âge.

   C'est d'autant plus nécessaire
, mesdames et messieurs, que les survivants de cette époque tragique de notre histoire vont disparaître [...] les témoins ne seront plus, et les témoins, pour que ça ne se reproduise plus, ce sont nos propres enfants qui, de génération en génération, se transmettront ce souvenir.
   Un jour, on a voulu tuer des enfants de leur âge, au nom d'idées barbares, au nom d'idées inadmissibles, il y a eu des fautes qui ont été commises en Europe, et dans notre pays [...] les enfants doivent porter la mémoire de cela, parce que les enfants seront demain des adultes.

    Si le président de la République est revenu sur cette initiative, c'est qu'elle a immédiatement suscité de vives réactions au sein même de la communauté juive, chez les historiens de la Shoah et les enseignants, réactions allant de la perplexité, à l'interrogation, jusqu'à l'inquiétude, l'hostilité, la condamnation et le rejet.
    Il est vrai aussi que la
déclaration de Xavier DARCOS s'exprimant sur RTL le 18 février en réponse aux inquiétudes formulées par des enseignants et des psychologues, n'a pas contribué à calmer la polémique : « Ce qui m'inquiète moi, c'est que, aujourd'hui, au lycée, un élève sur deux ne sait pas ce qu'est la Shoah. [...] Il est pour moi criminel que des adolescents ignorent ce qu'est la Shoah. Dès la rentrée prochaine nous allons proposer une démarche pédagogique [...] ».


Une initiative récusée par Simone Veil et Boris Cyrulnik

   Dans une interview recueillie par Anne VIDALIE le 15 février 2008 et publiée dans le numéro 2 956 de L'Express, Simone VEIL, rescapée d'Auschwitz, ancien ministre, présidente d'honneur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, présidente du Comité de soutien à Nicolas SARKOZY durant la campagne des élections présidentielles de 2007 et qui avait été placée à la droite du président de la République lors du dîner du CRIF, a manifesté de façon catégorique sa réprobation :

   À la seconde où j'ai entendu ces mots, mon sang s’est glacé.
   Il est inimaginable, insoutenable, dramatique et, surtout, injuste
   d'infliger cela à des petits de 10 ans !
   On ne peut pas demander à un enfant de s’identifier à un enfant mort. Cette mémoire est beaucoup trop lourde à porter. Nous mêmes, anciens déportés, avons eu beaucoup de difficultés, après la guerre, à parler de ce que nous avions vécu, même avec nos proches. Et, aujourd’hui encore, nous essayons d’épargner nos enfants et nos petits-enfants. La suggestion du président de la République risque, en primm, d'attiser les antagonismes religieux. Comment réagira une famille très catholique ou musulmane quand on demandera à leur fils ou à leur fille d’incarner le souvenir d’un petit juif ?

    Cette réprobation était relayée dans Le Monde daté du 20 février 2008, par le neuro-psychiatre Boris CYRULNIK, qui considère que « le poids d'une telle mémoire est un lourd fardeau pour un enfant de 10 ans », s'inquiète des réactions prévisibles d'autres victimes du génocide perpétré par les nazis ou des autres génocides arménien, cambodgien, rwandais, relançant la concurrence des mémoires communautaires et identitaires.
    Pour lui, l'initiative présidentielle risque aussi
d'affecter gravement les survivants de la Shoah :

   [...] Les survivants de la Shoah, qui aujourd'hui atteignent un âge certain, entendront en une seule sentence disqualifier les efforts de toute leur existence.
   Ils se sont tus pendant quarante ans parce que la Shoah était difficile à dire et impossible à entendre. Ils croyaient même que leur silence protégerait ceux qu'ils aimaient.
   C'est difficile de se poser en victime, vous savez, c'est indécent même, tant ça gêne les autres. Tout le monde est complice du déni qui fait taire les survivants.
   Pour sortir de leur agonie psychique, ils n'avaient qu'une seule idée en tête : redevenir comme les autres, réintégrer la condition humaine, reprendre leur dignité.
   Et voilà qu'en une seule phrase on les remet à leur place de victime ! On les repousse dans le destin qu'ils avaient réussi à combattre. On leur impose la carrière de victime qu'ils avaient évitée et que désormais on pourra à nouveau leur reprocher.

Le soutien de Joseph Sitruk et de Serge Klarsfeld

      Le 18 février 2008, sur I-télé, le grand rabbin de France, Joseph SITRUK, s'est déclaré « parfaitement d'accord avec l'idée de Nicolas Sarkozy » qu'il a qualifiée de « belle » et « généreuse » et qui selon lui « permettra aux enfants de notre pays de sentir et de mieux comprendre un phénomène qui les touche de près et qui est un enjeu considérable ».

   Dans la rubrique " Point de vue " du quotidien Le Monde daté du 19 février, et sous le titre " Se souvenir de ces 11 400 enfants " Serge KLARSFELD, président de l'Association des fils et filles des déportés juifs de France, considérait cette initiative comme « extraordinaire ».
   Sans affirmer être à l'origine de cette initiative présidentielle, il considérait cependant qu'elle se situait bien
dans la continuité du travail de mémoire entrepris depuis de nombreuses années par son association, qui a abouti en 1978 à établir la liste, convoi par convoi, des 76 000 victimes de la Shoah en France, puis à publier en 1994 le Mémorial des enfants juifs déportés de France.
    Il la défendait, la justifiait, s'efforçait de
réfuter les critiques qu'elle avait suscitées et annonçait qu'il était prêt à participer à sa mise en œuvre :

   Nous avons identifié chaque enfant, son état civil, nom, prénom, date et lieu de naissance et, au terme de très longues recherches, nous avons pu ajouter pour chacun d'entre eux – ils étaient 11 400 âgés de moins de 18 ans – l'adresse de son arrestation.
   On sait ainsi commune par commune, département par département, les enfants qui ont été arrêtés dans tel village, dans telle petite ville, dans telle rue de Paris, de Lyon ou de Marseille. Nous avons pu récupérer, par un travail qui n'a été accompli dans aucun autre pays, plus de 4 000 photos de ces 11 400 enfants, 4 000 visages qui sont rassemblés aujourd'hui dans la salle des Enfants du Mémorial de la Shoah, à Paris, dans le pavillon de la France dans le Camp-Mémorial d'Auschwitz et au Musée de l'héritage juif et de l'Holocauste à New York.
   Depuis la parution de notre ouvrage, les plaques commémoratives se sont multipliées par centaines dans notre pays faisant revivre sur tout le territoire la mémoire non pas exclusivement des enfants, mais surtout des enfants. Les Associations pour la mémoire des enfants juifs déportés de France, les AMEDJ, ont pris dans les établissements scolaires le relais de notre Mémorial des enfants : s'appuyant sur les adresses des enfants qui y sont inscrites et sur leurs propres recherches dans les archives des établissements, les AMEDJ ont procédé à la pose de plaques dans de très nombreuses écoles, collèges et lycées, surtout à Paris, à Nice et à Lyon. [...]
   Les enseignants et les élèves participent avec enthousiasme à cette œuvre de mémoire et de vie qui n'a rien de morbide [...]
   Non seulement chaque élève se souviendra d'un enfant mais aussi du contexte historique qui a conduit cet enfant à la mort, et également du fait exceptionnel dans l'Europe de la Shoah que 60 000 enfants juifs ont échappé à la déportation grâce surtout à la population française qui a aidé activement les familles et les organisations juives à cacher les enfants et qui a réussi à faire pression sur le gouvernement de Vichy pour freiner sa coopération policière avec la Gestapo.
   Ce rôle est déjà joué par beaucoup d'enseignants, ceux qui coopèrent avec les AMEDJ. Et si d'autres mémoires surgissent à cette occasion, tant mieux ; elles ne seront pas concurrentes, mais complémentaires, et permettront aux uns et aux autres de mieux se connaître en confrontant les douloureuses épreuves de l'histoire qui ont conduit l'humanité jusqu'à nous.
   Les élèves qui se souviendront d'un enfant dont la vie a été tranchée par l'intolérance et la haine raciste seront mieux armés moralement contre les idéologies extrêmes et contre la violence ; ils comprendront mieux probablement pourquoi il faut défendre les valeurs républicaines, la liberté et la dignité humaine.
   D'ici à la rentrée 2008, l'initiative du président de la République sera étudiée et aménagée par l'éducation nationale avec le soutien de toute la documentation de notre association et la participation du Mémorial de la Shoah. Dans une trentaine d'années, un siècle après la Shoah, les élèves d'aujourd'hui des CM2 seront depuis longtemps des adultes, et la France sera le seul pays où l'on se souviendra encore avec précision des enfants juifs qui en furent déportés.
   Ces enfants auront échappé à l'immense poubelle de l'Histoire ; ils seront redevenus des acteurs de l'Histoire ; ils auront échappé à la nuit et au brouillard de l'oubli ; ils seront revenus à la lumière du jour. Grâce à Jacques Chirac on se souviendra des Justes et des 60 000 enfants juifs sauvés ; grâce à Nicolas Sarkozy on se souviendra des 11 400 enfants juifs perdus.

La réaction des associations

    De nombreuses associations d'historiens, d'enseignants, d'anciens déportés ont réagi très rapidement à l'initiative du président de la République, par des communiqués, des éditoriaux ou des dossiers mis en ligne sur plusieurs sites pédagogiques.

Le Café pédagogique

    Dès le 15 février 2008, L'Expresso du Café pédagogique, dans son éditorial intitulé " Shoah : une instruction inapplicable ", relevait que l'initiative de Nicolas SARKOZY suscitait de nombreuses réactions hostiles ou pour le moins réservées :               

    Plusieurs psychiatres soulignent les risques pour les enfants. « Est-ce qu'on peut leur imposer le nom d'un enfant mort ? Cela risque plutôt de les accabler, de les affoler, ils vont se demander de quoi ils sont dépositaires. Et au bout du compte, on n'atteindra pas le but recherché. En soi, c'est une idée plutôt belle et poétique, mais imposée de la sorte sans condition préalable et sans véritable accompagnement, cela me semble dangereux » a déclaré à Libération Claire Meijac [ psychanalyste ] ; propos qui sont confirmés par plusieurs de ses collègues.
   Interrogée par le Café, la Fondation pour la mémoire de la Shoah, qui n'a pas été consultée, met en doute son intérêt historique. « Nous sommes confiants dans la capacité du Ministère de l’Éducation nationale à mettre en œuvre la proposition du Président de la République, en accord avec les enseignants et avec le souci constant de ne pas heurter les différentes sensibilités », a déclaré Anne-Marie Revcolevschi, Directrice générale. « L’enseignement de l’histoire reste au cœur de la transmission de la mémoire. Cette mémoire ne peut s’imposer, et elle se développe grâce à l’acquisition progressive des connaissances historiques ». Ainsi la Fondation a davantage attiré l'attention des enfants vers les enfants cachés car leur histoire est formatrice.
   C'est dire que l'intervention du président interroge sur sa pertinence. Qui doit proposer des programmes officiels ? Quelle place pour les experts ? Comment appeler un régime où le chef de l'État rédige lui-même les programmes scolaires ?
   Le SE-UNSA s'est déclaré « particulièrement choqué de cette initiative du Président de la République, qui ignore tout de la façon dont un jeune se construit. Faut-il que chaque enfant de 10 ans se voie désormais personnellement chargé d’un lourd parrainage posthume? Si les effets éducatifs de cette démarche sont plus que sujets à caution, a-t-on réfléchi à l’impact psychologique possible sur les élèves? ».
   Le SNUIPP souligne le risque pour la santé de l'enfant.
   Le SGEN proteste contre les « injonctions » du président.

    Le 15 mars 2008, dans son éditorial du Café pédagogique - Mensuel intitulé " Les raisons d'un refus ", François JARRAUD déclarait : « Nicolas Sarkozy est peut-être surpris de l'avalanche de critiques qui accueillent sa décision d'associer une jeune victime de la Shoah à chaque écolier français. Pourtant la décision présidentielle a pu apparaître comme un coup de poignard dans le dos des enseignants qui s'investissent dans cet enseignement ».

   Il faut d'abord rappeler que Nicolas Sarkozy a raison d'exiger un enseignement de la Shoah [...] et encore raison quand il dit qu'il faut enseigner ce passé à travers des personnes et non en s'appuyant sur des chiffres. Les statistiques, et particulièrement ces millions là, sont inimaginables et ce ne sont pas des nombres mais bien des êtres de chair qui ont été assassinés dans les camps.
   Pour autant les critiques qui lui sont adressées nous semblent justifiées.  [...]

Les Clionautes 

   De son côté, Daniel LETOUZEY, qui tient la rubrique Internet d'Historiens et géographes, la revue de l'Association des professeurs d'histoire et de géographie, a mis en ligne sur Clioweb, sous le titre " Mémoire de la destruction des Juifs d'Europe en CM2 ", un dossier consacré aux nombreuses réactions suscités par le président SARKOZY, auquel il a ajouté, à titre personnel, ce point de vue :

L'histoire n'est pas un jouet 

   La récente annonce du chef de l'État ( la mémoire d’un enfant tué par les nazis confiée à un élève de CM2 ) ne semble avoir rencontré qu'un nombre très limité de soutiens, y compris chez ceux qui auraient dû l'accueillir favorablement ( cf le communiqué de l’Union des déportés d'Auschwitz ).

   Pour un enseignant, elle soulève de multiples interrogations.
   Elle semble ignorer l'énorme travail accompli dans les classes : l’Allemagne hitlérienne, la guerre, la France de Vichy sont au programme ; les sujets traités par le concours de la résistance et de la déportation illustrent la variété des questionnements ; les professeurs ont multiplié les approches : rencontre avec des acteurs et des témoins, étude d’œuvres littéraires ( dont celle de Primo Levi ), références au cinéma… Le web, si souvent et si paresseusement décrié, témoigne de cet énorme investissement.
   Mettre à distance, replacer en contexte, expliquer les processus et le rôle des acteurs, tout cela est indispensable pour écarter le risque de sidération devant l’horreur. Le prix Corrin vient ainsi de couronner le travail d’histoire mené par une enseignante de Montescot (66) avec ses élèves à partir du sort tragique de Léa et Elisabeth Schnitzler.

   Paradoxalement, à l’école primaire, les allégements de programme du printemps 2007 ont failli faire disparaître l’étude de la Shoah et l'histoire de l'esclavage. Les Lumières et la place des femmes n'ont toujours pas été rétablies.

    L'injonction présidentielle est en contradiction avec tout ce que les historiens et les philosophes ont écrit depuis une génération sur les rapports entre l'histoire et la mémoire, sur les dangers d’une lecture victimaire de l’histoire, sur la place de l'oubli …
   Le « devoir d’histoire » et le « travail de mémoire » sont aujourd’hui préférés au contesté « devoir de mémoire ».
   Pourquoi cette volonté obsessionnelle de s’immiscer dans le quotidien de la classe ?
   N’est-ce pas surprenant de la part d’un État que certains voudraient « minimal » ?
   Dans l’éducation à une démocratie pluraliste, où placer la priorité ?    Dans le défilement accéléré des sujets qui ont attiré l’attention des hommes politiques et des médias ?
   Dans le clonage d’un récit national univoque et reconstruit, enseigné à la même minute, comme lors de la lecture de la dernière lettre de Guy Môquet ?
   Ne serait-ce pas plutôt dans l’effort patient de compréhension des sociétés du passé, l’apprentissage de la diversité des points de vue et la formation de l’esprit critique ?
   Le combat contre le racisme et l’antisémitisme a été convoqué. Au siècle passé, « la culture n’a pas empêché la barbarie ». Une attention plus soutenue à l’actualité inciterait à davantage de circonspection.

   Cette injonction ouvre les vannes à une concurrence mémorielle tant redoutée. Elle interroge surtout le fonctionnement du pouvoir. Aucune leçon ne semble avoir été tirée de l’épisode Guy Môquet. Pourquoi l’impact prévisible de ces annonces n’est-il pas anticipé ? Pourquoi persévérer quand tout incite à faire marche arrière ?

   La mémoire de la Shoah au primaire, la jeunesse résistante au lycée… Un seul niveau scolaire a jusqu’ici échappé à la tentative d’instrumentalisation de l’histoire au service d’une lecture politique : c’est le collège. Quelle y sera la prochaine surprise médiatisée ? L’annonce d’un jumelage des élèves de troisième avec un soldat « mort pour la France » lors de la Grande Guerre ? Le site « Mémoire des hommes » permettrait de l’imposer, voire même de faire de ces soldats des victimes consentantes de la brutalisation dans une guerre changée en « conflit européen ».

Liberté pour l'histoire

   Le 15 février 2008, l'association Liberté pour l'histoire née de l'Appel lancé en décembre 2005 par une vingtaine d'universitaires, et présidée depuis le décès de René RÉMOND, par Pierre NORA, réprouvait l'initiative de Nicolas SARKOZY :

   Quelque respectable que soit l’intention, cette initiative se heurte à de fortes objections :
   1 - Le caractère contraignant de cette injonction de mémoire. Elle substitue une démarche purement émotive à un apprentissage critique de l’histoire qui demeure le premier devoir des éducateurs.
   2 - Indépendamment du fait que nul ne sait ce que peut vouloir dire « parrainer une mémoire », est-il raisonnable d’en faire assurer la charge par des enfants de neuf ou dix ans, sans mesurer l’effet psychologique d’une pareille mise en demeure ?
   3 - La Shoah est un événement unique dans l’histoire. Mais la place ainsi accordée aux victimes juives, à l’exclusion de toutes les autres, risque d’être mal comprise. Mesure-t-on l’embarras des enseignants à appliquer pareille prescription face à des classes d’enfants aux filiations les plus diverses ?
   Cette annonce improvisée et en définitive dangereuse nous paraît relever de ce courant de repentance que le Président de la République avait paru vouloir condamner. Ne risque-t-elle pas en outre d’avoir l’effet absolument contraire au but visé ?
 

La Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme

   Le 15 février 2008, la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme ( LICRA ) publiait un communiqué de presse qui met en doute la pertinence de la proposition du président SARKOZY :

Shoah - CM2 : la LICRA doute de la pertinence du projet Sarkozy

   Depuis toujours la LICRA œuvre à maintenir vivante la mémoire des victimes de la Shoah, à lutter contre le négationnisme, à encourager le travail historique, à contribuer à l’enseignement raisonné de cette page de notre histoire. C’est pourquoi, forte de son expérience, la LICRA se considère en droit d’exprimer des doutes sur la pertinence du projet soumis par le président de la République lors du dîner annuel du CRIF, le 13 février dernier, certainement motivé par de louables intentions.
   L’enseignement de l’histoire de la Shoah ne saurait passer prioritairement par le recours à l’émotion car cela conduit à tous les anachronismes et confusions puisque le temps est aboli par l’approche identificatoire. Profiter de l’immaturité psychologique de jeunes élèves de CM2 ne nous paraît pas judicieux si c’est l’histoire que l’on veut transmettre. Est-il sage, à l’âge où l’enfant construit sa personnalité, de lui demander de s’identifier à un enfant mort et porter la responsabilité d’être le « gardien » de son souvenir ? Enfin, par cette injonction à destination du monde scolaire émanant du politique, la LICRA s’inquiète de voir offerte une nouvelle occasion d’expression à ceux, élèves ou adultes, qui contestent les contenus d’enseignement relatifs à la Shoah
.

L'Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide

   Le 15 février 2008, le Bureau de l'Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide ( UJRE ), organisation née dans la clandestinité de la lutte contre l'occupant nazi en 1943 et co-fondatrice du CRIF, dénonçait dans un communiqué l'initiative du président de la République, consistant à  « 'instituer un parrainage, par chaque élève de CM2, d'un enfant juif disparu lors du génocide de la deuxième guerre mondiale », initiative qui, selon cette organisation, consisterait « à obliger les enseignants de CM2 à imposer à leurs élèves un devoir de culpabilité au sujet des crimes antisémites ».
   Ce communiqué déclare qu'
« il est inadmissible de confondre, comme l'a fait le chef de l'État, émotion et mémoire », parce que « l'émotion est à l'Histoire ce que la vengeance est à la Justice » :

 Se contenter de jouer sur l'émotion sans fournir la moindre clé de compréhension ne peut aboutir qu'au résultat inverse de celui recherché.
   En créant les conditions les plus propices à la concurrence victimaire, on ne peut qu'attiser les haines identitaires réciproques, alors que l'urgence serait d'agir pour les prévenir [...]

L'Association des professeurs d'histoire et de géographie

   Le 17 février 2008, le secrétariat général de L'Association des professeurs d'histoire et de géographie ( APHG ) a publié un communiqué par lequel cette association « désapprouve totalement la proposition présidentielle » :                   

                              CM2 SHOAH : ATTENTION DANGER

   Des milliers d'enseignants n'ont pas attendu 2008 pour enseigner en histoire à travers des exercices très divers ce que fut la Shoah. Dans la gravité du sujet, le sérieux du travail, la modestie dans les résultats, l'efficacité du message transmis. Loin de la frime et de l'esbroufe. L'APHG peut en parler d'expérience. Le Président de la République vient de décider que les élèves de CM2 prendraient en mémoire l'un des 11 500 enfants juifs de France qui ont été victimes de la Shoah. Une fois de plus, c'est une intervention intempestive du pouvoir politique dans l'utilisation de la mémoire et par contrecoup de l'Histoire. Autant l'État est dans son rôle en décidant des commémorations nationales, autant un pouvoir s'égare quand il réglemente ce qu'est l'Histoire.
   Une fausse bonne idée lancée sans la moindre réflexion sur les conditions de la mise en oeuvre et sur les garde-fous à placer pour éviter les effets pervers et dangereux que connaissent ceux qui ont l'expérience de cet enseignement de la Shoah.
   Coup de cœur, coup de pub à l'adresse d'un public ciblé ? En matière éducative, on peut commencer par l'émotion, on ne peut durer que par la raison. Et ici la raison veut que pour adopter par mémoire des enfants connus sous de simples noms. il faille un minimum de liens entre les vivants et les morts. Ces liens sont inscrits dans des lieux de mémoire commune et dans des traces, sur la pierre, dans des livres et dans des souvenirs transmis.
   Ironique convergence de dates : le 5 février 2008 dans I'amphithéâtre Richelieu de la Sorbonne, le « Prix Corrin jour de la Shoah » récompensait le travail mené depuis 2001 par une professeure des écoles et plusieurs générations de ses élèves. Ils avaient reconstitué avec l'aide des habitants la vie de deux petites filles juives réfugiées avec leurs parents dans le village de Montescot ( Pyrénées Orientales ). Elles furent élèves dans l'école du village de 1940 à 1942, raflées, déportées et exterminées à Sobibor. Au départ de l'enquête, elles n'étaient que deux noms sur des listes d'enfants déportés. Le Conseil municipal de ce village voulant en garder collectivement et durablement la mémoire a donné à l'école le nom de Lea et Elizabeth Schnitzler. Nous avons été les témoins émus et reconnaissants de ce travail d'histoire dans la transmission de la mémoire.
   Compte tenu de ces multiples travaux, inlassablement, l'APHG rappellera que le devoir d'histoire, assuré par l'Éducation Nationale s'impose inséparablement de la transmission de la mémoire. C'est pourquoi elle désapprouve totalement la proposition présidentielle, particulièrement inopportune.                             

Le secrétariat général de l'APHG
Eric Till et Hubert Tison

L'Union des déportés d'Auschwitz

   Le 18 février 2008, l'Union des déportés d'Auschwitz ( UDA ), qui regroupe depuis 2002 les associations d'anciens déportés d'Auschwitz et des camps de la Shoah ( Amicale d'Auschwitz et des camps de Haute-Silésie, Amicale des anciens déportés juifs de France,  Association nationale des anciens déportés juifs et leurs familles, Amicale des anciens déportés de Blechhammer-Auschwitz, Amicale des anciens déportés de Buna-Monowitz-Auschwitz III et ses Kommandos ), a publié un communiqué que l'on peut télécharger au format PDF sur le site du Cercle d'étude de la déportation et de la Shoah, dans lequel cette association de déportés exprime ses réserves, désapprouve l'annonce faite par le président de la République et renouvelle sa confiance dans le travail réalisé par les enseignants :

   L'Union des déportés d'Auschwitz impliquée depuis plusieurs décennies dans la transmission de l'histoire et de la mémoire des camps d'extermination, exprime ses réserves et désapprouve l'annonce par le chef de l'État de confier à chaque élève de CM2 la mémoire d'un enfant juif, victime de la Shoah.
   Nous partageons l'opinion de Simone Veil, notre présidente d'honneur : « Nous-mêmes avons trop connu jadis la difficulté à parler de l'indicible même à nos propres enfants ou à être écoutés même par des adultes, pour vouloir qu'une jeune génération soit confrontée si tôt et en bloc à l'insupportable absolu qui a détruit tant d'enfants de nos familles »
.
    Avec ce projet, une émotion superficielle pourrait l'emporter sur une compréhension claire et solide de ce que furent le génocide, son contexte, ses causes profondes dans la haine de l'autre et dans celle des Juifs.
   L'initiative proposée risque d'être contre-productive pour la mémoire de la Shoah. Il convient de ne pas négliger les souffrances particulières d'autres catégories de population, sans céder aux surenchères ou aux intimidations d'inspirations communautaristes ou partisanes.
   L'UDA réitère sa confiance dans le travail considérable que font les enseignants du primaire et du secondaire. Armés d'une bonne connaissance de leurs élèves, ils savent trouver les façons les plus efficaces pour faire comprendre ce drame incomparable, qui doit rester l'un des fondements essentiels de la conscience universelle contemporaine.
           

La Fondation pour la mémoire de la Shoah

   Répondant aux questions de Cécilia GABIZON dans Le Figaro du 20 février 2008, David De ROTHSCHILD qui a succédé à Simone VEIL à la présidence de la Fondation pour la mémoire de la Shoah,  faisait part de ses réserves tout en tenant des propos apaisants :

   J'apprécie l'intention, généreuse, mais on ne peut pas associer un enfant juif massacré à un enfant vivant. C'est trop lourd à porter. Il faut néanmoins dépolitiser ce dossier. Nicolas Sarkozy n'a pas agi par opportunisme. La Shoah ne rapporte pas de voix. La communauté juive est bien trop diverse politiquement et économiquement pour se ranger derrière un seul leader. Nicolas Sarkozy n'avait rien à gagner avec cette mesure [...]

   Il faut travailler encore, affiner, écouter les instituteurs pour trouver comment mieux parler de la Shoah sans exposer les enfants à la morbidité. Les élèves peuvent travailler en groupe sur des destins d'enfants déportés. Il faut parler des Justes, ces Français qui ont sauvé tant d'enfants juifs. C'est un exercice gratifiant. Nous soutiendrons une initiative qui repose sur une consultation large de professeurs, parents, personnalités et éminences ayant un rapport avec la Shoah [...]

   Il est bon que les enfants soient sensibilisés plus tôt. Pour qu'ils comprennent jusqu'où peut mener la haine du Juif, du Noir, du Blanc, même dans un pays civilisé. Ce n'est pas inutile dans une France qui n'a pas totalement accepté la société multi­ethnique [...]

Le Comité de Vigilance face aux usages publics de l’Histoire

     Le Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire, association qui regroupe des enseignants-chercheurs et des professeurs du secondaire sous la présidence de Gérard NOIRIEL, partage les nombreuses réactions critiques suscitées par la proposition de Nicolas SARKOZY dans un communiqué intitulé " Les Bataillons scolaires de la mémoire ( suite) " :

   Elles soulignent les risques d’accentuation de la communautarisation et des concurrences mémorielles, d’importation démesurée des affects dans la relation au passé, d’empiètement du pouvoir politique sur les prérogatives pédagogiques des enseignants, et enfin des conséquences psychologiques d’une telle mesure sur les enfants.
   Il a été remarqué à juste titre que la décision semble exclure de cette politique mémorielle les enfants juifs non nationaux.
   Ajoutons que l’instrumentalisation politique d’un drame aussi singulier que le génocide des Juifs, qui camoufle au passage les responsabilités de l’ensemble des acteurs de la collaboration, ne permet pas une véritable quête d’intelligibilité de cet épouvantable moment historique.
   Il y a bel et bien là un processus de déshistoricisation par le choc de la violence qui réduit la raison au silence.

Une nouvelle injonction du « devoir de mémoire » rejetée par de nombreux historiens et enseignants

Henry ROUSSO

    Dans Libération, daté du 15 février 2008, l'historien Henry ROUSSO qualifiait l'iniative présidentielle de « marketing mémoriel » et dénonçait vigoureusement cette nouvelle injonction du " devoir de mémoire" venant après « le fiasco » de la lecture de la lettre de Guy Môquet dans les lycées le 22 octobre 2007  :    

   La nouvelle initiative apparaît incongrue, jetée soudain dans l’espace public comme d’autres annonces présidentielles. Le bruit médiatique vient, une fois de plus, troubler le respect et le silence des morts de l’Histoire. Mais on franchit cette fois un pas supplémentaire. Voilà des enfants de 10 ans appelés à s’identifier par décision d’État à des victimes et des victimes qui avaient en grande partie leur âge lorsqu’elles furent assassinées. Sans réflexion politique, historique ou psychologique préalable.
   On peut à bon droit se demander pourquoi. Quelle urgence commandait de relancer ainsi le débat autour de la mémoire de la Shoah alors même que la France a connu à cet égard des politiques publiques sans équivalent en Europe : procès pour crimes contre l’humanité, réparations morales et financières, nouvelles commémorations, modifications des programmes scolaires.
   S’agit-il d’œuvrer pour que la vérité historique soit correctement enseignée ?
On rappellera alors que c’est le candidat devenu président qui déclarait, durant la campagne électorale, que la France n’avait, sous l’Occupation, « commis aucun crime contre l’humanité ». Comprenne qui pourra.
   S’agit-il de lutter contre l’antisémitisme et le racisme ?
On rappellera alors que l’énorme travail de mémoire fait en France sur la Shoah a été accompli au moment où l’antisémitisme explosait de toutes parts, notamment à l’école.
   On rappellera surtout que la singularité de la Shoah est déjà difficile à comprendre pour des adultes confrontés à la réalité des génocides et autres massacres de masse commis depuis 1945.  
   Que dire alors de jeunes enfants, qui auront beaucoup de mal à comprendre pourquoi ils doivent ne « parrainer » que ces victimes-là.    S’agit-il de permettre aux enfants de s’approprier une histoire commune, porteuse de valeurs ?
Mais le choix des enfants juifs exterminés pour être nés juifs n’est édifiant en rien, sinon de l’immense barbarie du XXe siècle. [...] Quelle image « positive » véhicule la Shoah ? Quelle est l’exemplarité de ces petites victimes innocentes ?
   Une fois encore, seule émerge du passé une mémoire mortifère, seule est digne d’être remémorée avec éclat une histoire criminelle.    De l’Histoire, de sa profondeur, de sa complexité, on ne nous montre plus aujourd’hui qu’un usage utilitaire.
   Le passé est devenu un entrepôt de ressources politiques ou identitaires, où chacun puise à son gré ce qui peut servir ses intérêts immédiats. Il est inquiétant de voir qu’une fois de plus, le – mauvais – exemple est donné au plus haut niveau, que la « mémoire » et la défense de bons sentiments ne servent qu’à faire passer les ombres de la politique réelle.

Annette WIEVIORKA

   Dans un entretien avec Alexandre DUYCK publié le 17 Février 2008 dans Le Journal du Dimanche, l'historienne de la Shoah, Annette WIEVIORKA déclarait « avoir été choquée, puis révoltée » par l'initiative du président de la République et réagissait tout aussi vivement :

   Que veut-on faire?
   Jumeler un enfant vivant et un enfant mort ?
   Donner au vivant la charge d'un fantôme, l'introduire dans la mort ?    Doubler sa vie de la mort d'un autre ?
   C'est insupportable.
  « On ne traumatise pas un enfant en lui faisant ce cadeau de la mémoire d'un pays », a dit vendredi Nicolas Sarkozy. Un cadeau ? Mais ce terme est insultant ! La mémoire de ces enfants assassinés n'est certainement pas un cadeau. C'est une tragédie, une charge. Les enfants de 10 ans, on peut leur faire d'autres «  merveilleux cadeaux » que celui-là.
   Alors comme Simone Veil, je trouve cette proposition « inimaginable, insoutenable, dramatique et surtout injuste ».
   Nos enfants, nos petits-enfants n'ont pas à porter des crimes qui ne sont pas ceux de leur génération. Il faut bien mal connaître les enfants pour faire une telle proposition, tout à fait indécente. À ce compte-là, si l'on veut aller plus loin encore dans l'obscénité, pourquoi pas servir la soupe d'Auschwitz à la cantine des écoles une fois par an ?

   Annette WIEVIORKA considère cette nouvelle initiative du président de la République comme « une lubie », « un "coup" mémoriel » voué à l'échec comme la lecture de la lettre de Guy Môquet :

   Ces injonctions, hors de propos, dont on comprend mal la logique, me semblent néfastes. Elles imposent un usage politique étroit de l'Histoire. De façon curieuse, elles plongent les enfants et les adolescents dans le culte d'enfants et d'adolescents de leur âge morts.    Je trouve étrange et malsain que ce Président, qui prétend représenter la jeunesse, ne donne aux jeunes comme modèles que des jeunes assassinés, qui n'ont pas demandé à mourir [...]
   La façon dont il intervient dans le débat aboutit à faire de ces sujets, sur lesquels il y avait accord, des sujets de discorde. Parce qu'il s'agit de sa part d'injonctions qui ne sont ni pensées ni conçues dans la concertation. Encore une fois, ce sont des coups. Il n'y a ni réflexion ni profondeur.

   Selon elle, « aborder le génocide des juifs à l'école primaire est une mauvaise chose », car « la spécificité de la Shoah n'est guère compréhensible aux écoliers », et il n'y a a pas de risque d'oubli, dans la mesure où « l'enseignement de la Shoah en France est très satisfaisant » et que « cette période historique est sans doute celle sur laquelle on insiste le plus au cours de la scolarité, celle pour laquelle les moyens les plus considérables sont déployés ».
   Elle dénonce cette injonction adressée aux enseignants et aux historiens :

   Les enseignants n'aiment guère cette incursion du politique dans leurs classes. Certes, il leur reste la liberté de travailler selon leur conscience. Mais je trouve la démarche de Nicolas Sarkozy significative d'un manque de confiance à leur égard.
   Avec lui, l'État se mêle trop de l'enseignement de l'Histoire. Cela me choque beaucoup. Que l'État organise des célébrations, des commémorations, c'est normal. Mais un président de la République n'a pas à faire le métier des enseignants à leur place. C'est insultant.
   Il existe des procédures régissant la rédaction des programmes, il existe un ministère de l'Éducation nationale, avec des enseignants, des inspecteurs... Il n'a pas non plus à délivrer des bouts d'idéologie en permanence.
   C'est dangereux pour la liberté des historiens et pour la démocratie. Je fais en cela le rapprochement entre la proposition de Nicolas Sarkozy sur la mémoire des enfants juifs morts et ses discours de Saint-Jean-de-Latran et de Riyad sur la religion. On n'a jamais vu ça en France, un président de la République intervenant sans cesse à-propos ou hors de propos dans des domaines qui ne relèvent pas nécessairement de sa fonction. Nous avons en France une séparation entre l'Eglise et l'État et c'est très bien comme ça. Et ce n'est pas à lui de la remettre en cause. Ni de décider des enseignements que doivent recevoir les écoliers.

Georges BENSOUSSAN et Sébastien LEDOUX

     Dès le 15 février 2008, l'historien et auteur de Histoire de la Shoah, Georges BENSOUSSAN, interrogé par Constance BAUDRY du Monde, mettait en garde contre « une dérive vers une religion civile de la Shoah ».

    Le 18 février 2008, cette crainte était reprise à son compte par Sébastien LEDOUX, enseignant-chercheur, qui dénonçait sur Rue 89 « le devoir de mémoire, nouvelle religion civile » :

   Depuis quelques décennies, l’instauration du devoir de mémoire, comme nouvelle  « religion civile », est présentée par l’État comme un moyen d’éduquer les citoyens. Qu’il s’agisse des anciens déportés ou des anciens esclaves, leur souvenir aurait pour fonction de lutter contre le racisme et l’antisémitisme.
   Le devoir de mémoire est également mis en avant par les pouvoirs publics pour favoriser un sentiment d’appartenance à la communauté nationale. La reconnaissance des mémoires plurielles permet en effet d’intégrer – du moins symboliquement – diverses communautés dans une histoire commune.
   Les journées de commémoration et les multiples inaugurations de lieux de mémoire constituent autant de pratiques rituelles visant, pour l’État, à rassembler les individus du temps présent. Il faut préciser que cette politique de mémoire a d’abord et avant tout été suggérée par les diverses communautés, du moins leurs porte-parole qui n’ont cessé de demander la reconnaissance de leur mémoire dans l’espace public.
   Mais qu’en est-il de la nouvelle proposition du chef de l’État ?    Quelles fonctions peut-elle remplir ?
   La reconnaissance de la mémoire de la Shoah dans la société française fait partie d’un processus historique depuis longtemps engagé. L’école s’est investie de manière très forte dans un travail de mémoire sur ce génocide. Des interrogations justifiées sont d’ailleurs apparues pour savoir de quelles manières le sujet devait être abordé dans les salles de classe.

   Sébastien LEDOUX considère que «  le souci de réparation symbolique de la part de l’État vis-à-vis de la communauté juive a abouti au discours du président Chirac en 1995 », et que les ministres successifs de l'Éducation nationale « ont eux-mêmes fait du devoir de mémoire de la Shoah un instrument majeur de la lutte contre l’antisémitisme à l’école », mais que « l’efficacité de cet instrument demeure cependant  – malheureusement – tout à fait hypothétique ».        

   Il récuse cette nouvelle injonction de devoir de mémoire et revendique pour les enseignants « la liberté pédagogique qu’ils sont en droit d’assumer entièrement » :

   La recherche à tout prix du « symbolique » ne peut tenir lieu de principe éducatif. L’acte du pédagogue se nourrit sans cesse d’un questionnement personnel sur l’objet qu’il doit transmettre.
   Gardons en mémoire que l’école de la République a formé des générations de citoyens sur la pertinence d’un tel positionnement.
   

Claude LANZMANN

   Dans Le Monde du 19 février 2008, l'auteur-réalisateur du film Shoah, Claude LANZMANN, considère comme « étrange » la proposition de Nicolas SARKOZY, même s'il reconnaît qu'elle est sans doute animée « par la sympathie et les bonnes intentions », et qu'elle semble ignorer tout le travail d'histoire et de mémoire entrepris autour de la Shoah :

   [...] La Shoah n'est pas une terra incognita et son histoire n'est pas une tabula rasa : des dizaines de milliers de livres ont été écrits dans le monde entier, des films, des œuvres, des témoignages, etc. Des hommes et des femmes, des éducateurs, des enseignants travaillent et réfléchissent chaque jour à la transmission de l'événement central du XXe siècle. Plus que tous, les juifs ont contribué à cette transmission et, soyons-en sûrs, le feront dans les siècles des siècles. Cela ne s'arrêtera pas [...]
   Je ne discute pas ici des effets traumatisants que le relais des enfants morts pourrait avoir sur les petits relayeurs. Si c'est trop lourd pour eux ou mal accompagné, ils oublieront. Les choses, nous avons appris cela, doivent venir à leur heure.
   Je n'ai jamais ni demandé ni imposé à mon fils âgé de 14 ans et demi de voir mon film Shoah. Cela a été sa décision, de son seul ressort. Il l'a fait quand il l'a voulu, comme il l'a voulu, je ne lui ai posé aucune question. Il m'en a parlé de lui-même au bout de six mois. Le film avait fait son chemin en lui. Quel chemin ! C'était l'intelligence, l'émotion instruite par l'intelligence, le contraire de l'identification facile ou forcée, qui parlaient par sa bouche.
   J'en profite pour dire au passage que la transmission s'effectue au premier chef par la culture et les œuvres d'art. Deux ministres de l'éducation nationale, Jack Lang et François Fillon, l'avaient profondément compris.
   Le premier initia un DVD de trois heures d'extraits de Shoah pour les lycéens et collégiens de France, à partir de 13 ans, qui fut adressé à tous les établissements du pays.
   Quant à François Fillon, il m'accompagna dans plusieurs lycées, dont certains réputés difficiles, et peut témoigner de l'impact extraordinaire des séquences choisies de Shoah sur les élèves, majoritairement maghrébins ou noirs. Le premier ministre s'en souvient sûrement encore.
   Quoi qu'il en soit, gardons-nous de l'activisme mémoriel qui semble, à chacune de ses éruptions, redécouvrir à neuf ce qui est su depuis si longtemps, et, incapable de regarder en face l'immensité de la perte, s'ingénie à ouvrir des chemins secondaires qui instituent l'oubli plus que la mémoire.

Henri PENA-RUIZ

   Dans Le Monde du 20 février 2008, le philosophe Henri PENA-RUIZ, dans un article intitulé " Le devoir d'histoire, condition du devoir de mémoire ", appelle à réfléchir sur  « les causes qui débouchèrent sur l'innommable, sur l'horreur absolue » et sur « la meilleure façon d'éveiller la conscience des élèves sur le drame de la Shoah » :

   Faut-il pour sensibiliser les futurs citoyens à ce drame courir le risque de traumatiser des enfants de 10 ans qui vont devoir faire effort pour imaginer la mort d'enfants qui leur ressemblent ?
   Le pourront-ils, s'ils ne disposent pas encore des moyens psychologiques et intellectuels pour l'assumer, ni même peut-être pour comprendre ce que cette mort programmée a eu de spécifique dans l'histoire ?
   L'enfant de 10 ans fait ses premiers pas dans les chemins de la connaissance, découvre certes le monde mais d'abord en étant prisonnier de la façon dont il est touché par lui.
   A-t-il déjà les repères, la distance requise pour ne pas se méprendre ?
   Est-il sain que l'enfance soit d'emblée chargée des pesanteurs du passé humain ?
   Autant de questions que l'on ne saurait trancher à l'emporte-pièce [...]
   La conscience de la Shoah est une chose trop grave et trop nécessaire pour être abandonnée au brouillard des sentiments. Il faut que lui soit consacré un temps où le regard lucide et affranchi peut se porter sur elle, armé de raison et de savoir. Ce temps viendra vite au collège et au lycée, où s'apprend la pensée réfléchie qui nourrit la révolte devant les injustices de ce monde [...]
   Comment l'enfant de 10 ans peut-il s'élever à la conscience de la violence nazie et de ses ressorts propres ?
   Quelle mémoire imaginaire peut-il se construire d'une tragédie où la cruauté s'est faite politique, où le non sens a raturé la vie, où le corps humain animalisé par la nudité conduit le regard embué à se détourner ?
   Faut-il le faire dépositaire de la mémoire d'une vie singulière, bien difficile à imaginer, ou lui faire prendre conscience du point commun à tous ces enfants martyrs victimes du racisme ? [...]

   Selon Henri PENA-RUIZ, il ne faut certes pas opposer émotion et raison, mais l'émotion concernant le génocide des juifs par les nazis ne doit pas précéder « la compréhension rationnelle de ses causes » :       

   Oui à la sensibilisation par l'émotion, mais à la condition que la raison parle la première et dessine à contours nets ce qui s'est passé. Certes, il est difficile de comprendre une causalité historique complexe qui entrecroise tant de facteurs.
   Certes, il est difficile de chercher à comprendre ce qu'on voudrait d'abord rejeter avec indignation. Mais le devoir d'histoire est ici la condition du devoir de mémoire. C'est dire que la personne convoquée à un tel devoir doit pouvoir le prendre en charge intellectuellement, culturellement, moralement [...]
    

    Il affirme que « la politique de l'émotion, par la mobilisation compassionnelle d'enfants de 10 ans, est une faute contre l'esprit » et rappelle que les professeurs d'histoire et de philosophie n'ont pas attendu l'annonce du président de la République pour œuvrer à « une authentique prise de conscience, fondée sur le recours à la raison et au savoir ».

D'autres réactions individuelles

   L'initiative du président de la République sur le parrainage des enfants de la Shoah par des élèves de CM2 a aussi suscité de nombreuses réactions individuelles qui se sont exprimées par exemple dans le Courrier des lecteurs du journal Le Monde daté du 22 février 2008 .

   Marie-France AZÉMA relève que la proposition de Nicolas SARKOZY, telle qu'elle a été formulée lors du dîner annuel du CRIF, concerne la mémoire des « enfants français victimes de la Shoah » :         

   Ses conseillers sont-ils ignorants au point de ne pas savoir qu'ils étaient en grand nombre étrangers ? [...]
   L'erreur révèle la plus sournoise des arrière-pensées : ce ne serait grave que parce que ces victimes étaient françaises. J'imagine la rectification dans les classes. Et les réactions à mi-voix : « Ah, parce que, en fait, ils n'étaient pas français ?... » Ou bien compte-t-on ne charger les enfants que du souvenir des petits français ?

   Pour Yoram MOUCHENIK qui rappelle la complicité de l'État français, de la police française, de l'administration française du gouvernement de Vichy dans la mise en œuvre de la Shoah en France, « l'idée qu'un enfant de 10 ans soit porteur de la mémoire d'un enfant assassiné souligne l'erreur inconsciente du président, car il ne pourrait empêcher cet enfant d'imaginer qu'il n'est pas porteur d'une mémoire, mais d'une responsabilité collective de meurtre. Il est bien évident que la mémoire ne se greffe pas. C'est une construction qui a besoin d'une base solide passant par l'apprentissage de l'histoire ».

   De son côté, réagissant à l'éditorial du Monde daté du 19 février 2008 qui dénonçait l'initiative de Nicolas SARKOZY comme « le fait du prince »,  de nature à « aiguiser la concurrence des mémoires, déjà ravageuse, comme l'ont amplement démontré, il y a peu, les polémiques sur la mémoire de l'esclavage et de la colonisation », Ève- Line BLUM-CHERCHEVSKY, fille de déportés juifs qui a travaillé sur l'histoire et la mémoire du convoi n° 73, s'exprimait en ces termes :

   Le projet de Nicolas Sarkozy n'est pas de lui et il n'a rien inventé ; il s'est contenté de le « copier » ailleurs, comme un mauvais élève. Mais comme tous les cancres qui « copient » sur le voisin, il n'a pas réfléchi.
   En effet, depuis quelques années, Yad Vashem ( Israël ) a établi un programme similaire, mais beaucoup mieux ciblé et encadré.
  On propose ( sans obligation ) aux enfants juifs de douze ans qui préparent leur Bar-Mitzvah ( plus ou moins l'équivalent de la communion solennelle catholique ) de les associer à un enfant juif mort en déportation qui avait le même âge, parfois même exactement le même jour et le même mois de naissance, à qui ils dédient  cette cérémonie et sa signification. La famille doit participer aux recherches concernant la vie et la mort de l'enfant déporté, correspondant souvent avec sa famille survivante, et les échanges sont très émouvants.
   Cela n'a donc rien à voir avec le fait de « balancer » un tel sujet au milieu d'une classe d'enfants de toutes origines qui ne bénéficieront pas de l'environnement psychologique, parental et religieux, qui est celui d'un enfant juif dans les conditions rappelées ci-dessus.
   Fille de parents déportés en 1943 et 1944, maman de six enfants à qui il n'a pas été facile de parler de la Shoah, grand-mère de quinze petits-enfants dont certains ont posé des questions de temps à autre, pour toutes sortes de raisons, de forme et de fond, je n'aurais pas souhaité que l'école, en CM2, les associent à un enfant juif de leur âge, mort en déportation.

   Danièle GERVAIS-MARX quant à elle considère que « parler de la Shoah aux enfants d'aujourd'hui n'a de sens que si l'on évoque en même temps les dangers de toute exclusion sociale » et que « dans cette affaire, la mémoire n'est pas seulement instrumentalisée. Elle est dévoyée ».

   Interrogé par Le Café pédagogique Benoît FALAIZE, qui travaille au sein de l'équipe Enjeux de mémoire, Europe, citoyenneté, identités, apprentissages et didactique de l'INRP, déclarait que les chercheurs de l'INRP n'avaient pas été consultés sur ce projet d'associer la mémoire d'un enfant de la Shoah à chaque écolier :

   [...] À la fois il est normal qu'une décision politique relève du politique. Il n'y a ici rien de choquant. Pour autant, on peut aussi se demander, et certains le font, quelle peut être la place de la recherche dans le ministère de l'éducation nationale si des décisions sont prises sans l'avis de celles et ceux chargés de travailler sur la question de la transmission de la Shoah à l'école.

    À la question « Est ce la meilleure démarche pour enseigner la Shoah ? », il répondait :

   C'est enjoindre aux maîtres d'aller dans l'émotion, dans la compassion, en lieu et place d'autres approches, soit plus historiques, soit plus distanciées, telle que celles qui invitent à la réflexion par le biais de la littérature. [...]
   Il n'y a pas une démarche de référence. Il y a des manières de faire, qui supposent un tact, une finesse, une connaissance du sujet aussi, et du respect, à la fois pour le sujet lui-même et pour les élèves de 10 ans qui sont en face de nous. Cette double attention permet d'éviter les dérives, les accumulations de pathos, les références inaudibles, ou l'émotion trop vite et sommairement sollicitée.
 


La mission pédagogique confiée à Hélène Waysbord-Loing

   Le 27 février 2008, dans le cadre de la mission pédagogique confiée à Hélène WAYSBORD-LOING, inspectrice générale honoraire de l'Éducation nationale et présidente de l'Association de la Maison d'Izieu, Xavier DARCOS a réuni au ministère de l'Éducation nationale un groupe de travail constitué de 16 personnalités et représentants d'associations, qui va devoir traduire en propositions pédagogiques l'initiative du président de la République concernant la mémoire des enfants de la Shoah au CM2.

    La Fondation pour la mémoire de la Shoah a soumis aux participants de cette réunion les réflexions et propositions suivantes :

   La Fondation a rappelé l’importance de l’enseignement de la Shoah au sein de l’école primaire. Cet enseignement qui avait failli disparaitre des programmes du CM2 a en effet un caractère formateur qui, loin de traumatiser les enfants, éveille en eux un esprit de responsabilité et le souci du respect des autres.
   Si la proposition du Président de la République demande, dans son application, des orientations peut-être différentes ou plus diversifiées que celle proposée au départ, la Fondation regrette la campagne d’hostilité dont elle fut l’objet. Au-delà des réserves et des critiques constructives de certains historiens, psychologues ou enseignants, cette proposition a fait l’objet d’une instrumentalisation politique qui a donné lieu à des dérives honteuses sur un sujet dont la gravité mérite plus de respect et de retenue.
   La Fondation estime qu’il est essentiel de poursuivre la réflexion concernant l’enseignement de la Shoah de façon globale : au primaire, mais aussi au collège, au lycée et à l’université, afin de proposer aux élèves des enseignements adaptés à leur niveau. Les deux commissions de la Fondation qui travaillent sur l’enseignement de la Shoah ( Présidente, Mme Elisabeth de Fontenay ) et la Recherche en Histoire et dans les sciences humaines ( Président, M. André Kaspi ) sont prêtes à travailler sur ces sujets en concertation avec les Ministères de l’Education nationale et de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.
   Pour ce qui concerne le niveau des CM2 : sur la base des nombreuses initiatives pédagogiques concluantes déjà réalisées grâce à l’utilisation de livres et brochures de témoignages écrits par des survivants à destination des enfants, de films spécifiques, de mallettes et de sites Web pédagogiques, la Fondation considère qu’il convient d’abord d’éviter d’imposer un modèle pédagogique unique ; elle souhaite, au contraire, que la transmission de la connaissance de la Shoah qui va s’insérer directement dans les propositions récemment énoncées en vue de la réforme de l’enseignement primaire, soit adaptée et diversifiée, en fonction des situations et surtout en raison de possibilités différentes offertes par les ressources pédagogiques. À cet égard, la Fondation estime évidemment que ces initiatives pédagogiques doivent être conduites à l’initiative du Ministère de l’Education Nationale, en bonne intelligence avec la communauté éducative, et qu’un accent particulier doit être mis sur la formation des professeurs des écoles, des conseillers pédagogiques et des inspecteurs de l’Éducation nationale, formations que le Mémorial de la Shoah conduit déjà mais dont le développement concerté pourrait être une piste de travail importante.
   La Fondation, soucieuse de l’enseignement des faits, essentiel à la connaissance et à la transmission, considère que la sensibilisation des enfants passant par la connaissance de l’histoire d’autres enfants est pertinente. Toutefois, elle préconise que soit proposée aux élèves l’étude collective de témoignages d’enfants juifs ayant vécu la Shoah mais ayant survécu à la persécution nazie à laquelle étaient étroitement associées les autorités de Vichy. La focalisation sur le destin des enfants juifs persécutés, soit ayant traversé la déportation, soit ayant survécu grâce aux réseaux de sauvetage et à l’action des Justes, doit permettre de mettre en avant tout le drame et l’ampleur de la Shoah, en parallèle à l’évocation de la mémoire des enfants qui, eux, ne sont pas revenus. Mettre en avant « ces pages de lumière » écrites par des personnes qui ont risqué leur vie pour sauver celles de ces enfants juifs nous semble formateur.
   Toutefois, la sensibilisation aux histoires des 11 400 enfants déportés et qui ne sont pas revenus et dont le Mémorial des enfants réalisé par Serge Klarsfeld conserve la mémoire, doit pouvoir être également abordée en classe, notamment dans les écoles qui ont gardé la trace des enfants qui en furent les élèves mais également dans les autres écoles, afin d’expliquer la dimension de « crime contre l’humanité » qui caractérise la Shoah et à laquelle il convient de se référer.
   La Fondation pour la mémoire de la Shoah poursuivra donc son action et sa réflexion déjà bien engagée dans ces matières, en liaison avec les équipes pédagogiques du Mémorial de la Shoah, afin de proposer aux enseignants, des formations et des ressources pédagogiques pertinentes et en apportant son soutien à d’autres initiatives qui s’inscrivent dans le même principe du respect de la personnalité des enfants et de leur diversité.

   Un communiqué de presse de Xavier DARCOS rendait compte de la réunion en ces termes :

   Le ministre de l'Éducation nationale, Xavier Darcos, qui a reçu ce matin, autour de Simone Veil, de Serge Klarsfeld et de Claude Lanzmann, des personnalités et des institutions en charge de la mémoire de la Shoah, se félicite du consensus réalisé au cours de cette réunion.
   Cette rencontre avait pour objectif de définir les modalités de mise en œuvre de la proposition du Président de la République de permettre à chaque élève de CM2  de découvrir le nom, le visage ou le parcours singulier de l'un des 11 400 enfants juifs de France morts en déportation.
   Cette réunion, qui s'est déroulée dans une atmosphère très constructive, a permis de dégager un large accord de l'ensemble des participants sur la nécessité absolue de transmettre la mémoire de la Shoah aux jeunes générations, à partir de la connaissance précise des faits qui se sont déroulés au cours de la Seconde guerre mondiale. La grande confusion des critiques, souvent excessives, qui ont suivi la proposition du Président de la République, a montré en effet que la singularité du crime absolu de la Shoah tendait aujourd'hui à être relativisée, sinon contestée, à l'heure où un sondage récent montre que plus d'un Français sur trois estime qu'il n'est pas important de transmettre la mémoire de ces événements aux jeunes générations.
   Les participants ont notamment acté le fait que, conformément à la proposition du Président de la République, ce travail d'histoire et de mémoire s'appuiera sur l'histoire et l'exemple particulier, étudié par classe, de chacun des 11 400 enfants juifs de France morts en déportation, à partir de l'importante documentation historique rassemblée par Serge Klarsfeld. A partir de ces exemples, un travail historique complémentaire pourra être mené sur la situation de la ville ou de la région de l'école concernée.
   À l'issue de cette réunion, Xavier Darcos a confié officiellement à Hélène Waysbord-Loing, inspecteur général honoraire de l'Éducation nationale et présidente de l'association de la maison d'Izieu, le soin de mener un travail de coordination avec l'ensemble des personnalités et des institutions présentes afin de permettre la réalisation des outils pédagogiques adaptés à ce travail.

   Interrogé sur RTL, Xavier DARCOS soulignait que « tout le monde était là, tous ceux qui sont concernés par cette affaire, y compris ceux qui avaient exprimé des réticences ». Il se réjouissait de ce large consensus et affirmait qu'il ne s'agissait pas d'une « reculade » :

   Le président de la République avait souhaité que la mémoire des enfants de la Shoah soit confiée aux enfants de CM2 et la réunion qui a eu lieu ce matin a bien confirmé cette orientation [...]
   Elle a examiné les diverses modalités par lesquelles ceci pouvait se faire.
   En réalité il y a trois points très clairs dans la réunion de ce matin :
      1/ La bonne idée du président doit se transformer en bonne ppratique ;
      2/ Il s'agit bien d'individualiser cette réflexion, de passer non pas par une masse informe, mais plutôt par un visage, un nom, des signes particuliers, une famille, une histoire, et pour les enfants c'est une démarche pédagogique utile ;
      3/ C'est dans le cadre de la classe que cette appropriation se fera, par un travail pédagogique qui va être défini dans les deux mois qui viennent, et nous nous retrouverons dans le même groupe que ce matin pour valider les propositions qui nous seront faites [...]
   Ceci se fera dans le contexte d'une classe et non pas d'un élève séparé qui devrait porter seul la mémoire d'un enfant particulier victime de la Shoah [...]
   Le travail pédagogique va pouvoir se préparer.
   Tout ceci va se faire, car il est nécessaire d'enseigner la Shoah aux élèves de CM2 [...]
   Ce n'est pas une reculade.
   C'est la traduction en termes pédagogiques avec un consensus de la communauté qui est concernée, aussi bien du côté de l'école que du côté de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, autour d'une bonne idée du président de la République.
   D'une bonne idée, faisons une bonne pratique.

   Le 28 février 2008, dans Libération, Marion MOURGUE rendait compte de cette réunion, en signant un article titré " Le projet de Sarkozy sur la Shoah retoqué ", qui considérait que le parrainage y avait été officiellement enterré :

   Parrainage. Hier, au ministère de l’Education nationale, la mesure a été officiellement enterrée. Chargée par le ministre, Xavier Darcos, de la mission pédagogique pour la transmission de la Shoah, Hélène Waysbord-Loing a considéré que le projet du Président était « inapplicable » au sortir d’une réunion avec l’ensemble des membres du groupe de travail. Elle a même ajouté que ce terme de parrainage n’avait « pas été évoqué ni repris au cours de la réunion ». Pour la présidente de l’Association de la maison d’Izieu, les choses sont claires : « Il ne faut pas faire de la commémoration, du rituel, parce que l’école n’est pas le lieu de cela. L’école est le lieu où l’on construit un savoir, où l’on apprend aux élèves à rechercher, à enquêter » [...]
    Même les soutiens des premières heures se sont affadis. Serge Klarsfeld, président de l’Association des fils et des filles des déportés juifs de France, avait dans un premier temps approuvé les déclarations du chef de l’État. Hier, il s’est montré beaucoup plus nuancé : « Les 11 000 enfants juifs doivent entrer dans la mémoire des écoliers par un travail collectif ».

   Luc CÉDELLE rendant compte de cette réunion dans Le Monde daté du 29 février, considérait quant à lui qu'« au sein du groupe de travail », où l'on relève la présence de Serge KLARSFELD qui avait d'emblée soutenu l'iniative présidentielle, mais aussi de Simone VEIL et de Claude LANZMANN qui l'avaient vivement critiquée, « les interprétations divergent ».
   Il relevait en particulier la déclaration de Claude LANZMANN, affirmant à la sortie de cette réunion que l'idée de parrainage individuel lancée par Nicolas SARKOZY, « partie d'une émotion sincère du président », avait été « enterrée avant même qu'on se réunisse », et celle de Simone VEIL faisant état d'un consensus au sein du groupe de travail pour « améliorer ce qui est déjà très bien fait par les professeurs », et plaidant pour des travaux en petits groupes d'élèves « non pas vers un enfant en particulier mais vers telle situation dans telle ville ».

   Le 18 juin 2008, un communiqué de presse du ministère de l'Éducation nationale annonçait que Hélène WAYSBORD-LOING avait remis au ministre Xavier DARCOS son rapport concernant la mission pédagogique qui lui avait été confiée en février 2008, et qu'elle lui avait présenté un projet de circulaire sur l'enseignement de la Shoah à l'école élémentaire élaboré par le groupe de travail qu'elle a présidée :

   [...] Son rapport propose les orientations suivantes :
      - il définit la thématique des enfants victimes comme l'approche privilégiée pour enseigner l'histoire de la Shoah en CM 2 ;
      - il propose d'aborder le sujet de l'extermination des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale, inscrite dans les programmes scolaires, par l'étude, en classe, d'un nom, d'un visage, d'un parcours, comme introduction à la période historique ;
      - il recommande de privilégier la vie, c'est-à-dire d'évoquer principalement la vie des enfants jusqu'à leur déportation et en rappelant également la mémoire des enfants sauvés et des Justes.
    Afin d'assurer la mise en œuvre de ces recommandations, Xavier Darcos diffusera une circulaire qui reprendra les orientations du Président de la République, avec la déclinaison pédagogique issue du travail coordonné par Mme Waysbord-Loing.
   Le ministère de l'Éducation nationale mettra à la disposition des enseignants des ressources pertinentes pour les accompagner dans cette démarche pédagogique.


Rapport remis à Xavier Darcos, ministre de l’Education nationale,
par Hélène Waysbord-Loing, inspectrice générale honoraire de l’Education nationale,
présidente de l’association de la Maison d’Izieu


Projet de circulaire - L'enseignement de la Shoah à l'école


La mise en œuvre des recommandations du rapport Waysbord

   En juillet 2008, des instructions pédagogiques concernant l'enseignement de la Shoah à l'école élémentaire ont été adressées par le ministre de l'Éducation nationale aux recteurs, inspecteurs d'académie, inspecteurs pédagogiques régionaux et inspecteurs chargés des circonscriptions du premier degré, sous la forme de la note de service n° 2008-085 du 3 juillet 2008, publiée au BO n° 29 du 17 juillet 2008.

    Cette note de service après avoir rappelé que « l’extermination des Juifs d’Europe est inscrite dans les programmes de l’école primaire » et que « les nouveaux programmes applicables à la rentrée 2008 confirment l’enseignement obligatoire au cours moyen de l’extermination des Juifs et des Tziganes par les nazis, un crime contre l’humanité », reprend un certain nombre de recommandations formulées dans le projet de circulaire élaboré par le groupe de travail présidé par Hélène WAYSBORD-LOING, afin de répondre à la demande du président SARKOZY « que la mémoire des enfants victimes de la Shoah soit privilégiée à l’école ».

   Tout en reconnaissant que « les maîtres sont libres de leurs choix pédagogiques », et que « plusieurs approches, souvent complémentaires, sont possibles », elle spécifie que « la thématique des enfants victimes est cependant une entrée à privilégier au CM2 »  :

  Inscrit dans sa dimension historique, l’enseignement de la Shoah a une finalité civique et répond à une obligation morale [...]
   À l’école élémentaire, l’étude de la Shoah doit s’appuyer sur la complémentarité des disciplines : elle s’effectuera principalement en histoire, mais elle pourra prendre appui sur des œuvres d’art ou sur des livres dans le cadre de l’enseignement d’histoire des arts ou de littérature [...]
   L’objectif est à ce niveau de donner des premiers repères, notamment chronologiques mais aussi spatiaux car la dimension européenne du crime et de son organisation doit être évoquée. Il s’agit aussi de contribuer à l’éducation morale et civique des élèves en commençant à approcher la question de la responsabilité personnelle et collective, celle aussi de la résistance à la barbarie. Les élèves seront ainsi amenés à une première compréhension de la notion de crime contre l’humanité ainsi qu’à celle de droits humains universels.
   Pour aborder cet enseignement, les maîtres sont libres de leurs choix pédagogiques et plusieurs approches, souvent complémentaires, sont possibles. La thématique des enfants victimes est cependant une entrée à privilégier au CM2 : partir d’un nom, d’un visage, d’un itinéraire, de l’exemple singulier d’une famille dont l’histoire est liée aux lieux proches - l’école, la commune, le département - constitue une approche pédagogique respectueuse de la sensibilité des enfants.   

    Elle annonce que « la Journée de mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité, instituée le 27 janvier, anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, constituera un moment privilégié de mémoire et de réflexion dans les écoles », qu'un « livret pédagogique sera diffusé auprès des enseignants des classes de CM2 à la rentrée prochaine » pour les aider, et qu'« un portail Internet sera créé pour mettre également à leur disposition un ensemble de ressources ».


Instructions pédagogiques
Enseignement de la Shoah à l'école élémentaire

   Le 5 décembre 2008, le ministre de l'Éducation nationale, Xavier DARCOS, a présenté au Mémorial de la Shoah les outils pédagogiques d'aide à l'enseignement de la Shoah destinés aux professeurs des écoles rassemblés sur le portail Internet " Mémoire et histoire de la Shoah à l'école - Enseigner la Shoah au CM2 ", qui porte les logos du ministère de l'Éducation nationale et du Scérén-CNDP-CRDP.
  
   Ce portail comporte trois parties :

      - Pourquoi ce site ?
      - Ressources pour faire la classe
      - Pour aller plus loin

   On peut y télécharger  un livret pédagogique de 39 pages " Histoire de la Shoah à l'école ", réalisé par le Centre national de documentation pédagogique, dont la première partie établit les compétences nécessaires pour enseigner l'histoire de la Shoah au CM 2, et s'appuie sur deux encadrés rédigés par deux historoens, Philippe JOUTARD et Benoît FALAIZE.

    Sous le titre " Mémoire et histoire ", Philippe JOUTARD explicite la spécificité du rôle respectif des historiens et des témoins de la Shoah et la complémentarité qui existe entre l'histoire et la mémoire de la Shoah  :

   La mémoire et l’histoire sont deux approches du passé que la Shoah sollicite dans leurs différences et leurs complémentarités.
   La mémoire a un rapport direct, affectif avec le passé, puisqu’elle est d’abord individuelle.
   La mémoire abolit la distance temporelle, à plus forte raison quand une personne a subi un traumatisme qui marque à jamais sa vie, ce qui est le cas non seulement des quelques rescapés des camps d’extermination, mais aussi des enfants cachés, de ceux qui n’ont jamais revu leurs parents [...]
   L’histoire instaure une distance ; dans la très grande majorité des cas, l’historien n’a pas vécu le passé qu’il décrit, le lien affectif et personnel n’est pas spontané.
   Mais surtout sa démarche d’étude l’oblige à prendre du recul, à se défaire de ses préjugés, à déceler le vrai du faux. Il doit utiliser toutes les sources, toutes les traces possibles de la réalité et les croiser et les confronter pour tenter de reconstituer le déroulement des faits. Il doit ensuite placer les faits dans leur
contexte, mettant en valeur continuités et ruptures.
   Il lutte ainsi contre un des dangers majeurs de la perception du passé ; l’anachronisme, autrement dit, l’impression trompeuse d’une similitude absolue de situations et de sentiments comme si le temps n’existait pas, comme si les gens d’hier pensaient comme ceux d’aujourd’hui.
   S’il y a une réalité qui impose une collaboration étroite entre ces deux approches du passé, c’est bien le génocide des Juifs.
   Les témoins n’apportent pas seulement le fruit de leur expérience et de leurs émotions, mais ils révèlent le fonctionnement véritable de l’entreprise d’extermination et sa dramatique originalité, la volonté’humiliation et pire de déshumanisation précédant la mort.
   Ils révèlent en particulier la perversité du système qui associe les victimes à leur propre destruction morale et physique. Sans la mémoire, des phénomènes comme l’accueil des enfants cachés risquaient de passer inaperçus.
   Mais l’histoire est tout aussi nécessaire. Elle est établissement de la vérité, croisant les preuves et les témoignages, recherchant les différentes sources d’archives.
   Elle permet de démonter des entreprises de falsification, de mettre en garde contre quelques récits très minoritaires de pure fiction.
   Le travail historique systématique donne aux témoignages tout leur prix en les replaçant dans leur contexte historique qui place l’extermination au centre d’un système idéologique et politique.

Philippe Joutard

       Benoît FALAIZE rappelle les principaux débats historiographiques :
   - 
le débat opposant historiens intentionnalistes et historiens fonctionnalistes sur sur le processus de la mise à mort ;
   - le débat sur la
nature du crime contre l'humanité perpétré par les nazis ;
   - la question du
consentement, celui des nazis et celui des victimes, 
   - enfin le débat sur la notion de
génocide, et l'unicité de la Shoah.

   [...] Par ailleurs, la notion de génocide trouve sa place dans une histoire plus large du XXe siècle.    Mais, si la souffrance individuelle occasionnée par chacun de ces drames est universelle, la violence infligée n’est jamais la même.
   De ce point de vue, c’est à partir de la Shoah qu’ont été fondés juridiquement par l’ONU les concepts de génocide et de crime contre l’humanité.
   Enfin, il est inévitable d’avoir à l’esprit le débat autour de l’« unicité » du génocide juif, ou de sa singularité ou de son caractère « sans précédent » ( G. Bensoussan ).
   Car si le sujet est historique, il est aussi très présent dans les mémoires, où des enjeux très contemporains existent, avec des concurrences de mémoires, et la volonté parfois de nier – ou de sous-estimer – le génocide.
   Par delà les débats, expliquer, comparer, historiciser, sont les trois axes fondamentaux de toute réflexion sur la Shoah que retient l’ensemble de la communauté scientifique.

Benoît Falaize

    Ce livret traite également des enjeux civiques de l'enseignement de la Shoah, du rôle de l'art dans la transmission de la Shoah, et fournit des orientations pédagogiques appuyées sur une chronologie, une carte des principaux lieux d''internement en France pendant la 2e guerre mondiale, l'inventaire des lieux et des institutions attachés à l'histoire et à la mémoire de la Shoah, une bibliographie et une sitographie.

    Un lien conduit au site  « Le Grenier de Sarah » du Mémorial de la Shoah, où les enseignants après s'être identifiés, peuvent consulter la liste des 11 400 enfants juifs déportés de France entre 1942 et 1944.


Les enfants déportés
Recherches dans la liste des enfants déportés de France

    Réagissant à la dépêche Le Monde-AFP " Histoire de la Shoah à l'école primaire, Darcos présente les nouveaux outils  ", dépêche mise en ligne le 5 décembre 2008 sur le site Internet du journal Le Monde, Ève- Line BLUM-CHERCHEVSKY, fille de déportés juifs qui a travaillé sur l'histoire et la mémoire du convoi n° 73, a envoyé une lettre au journal dont voici quelques extraits :

   [...] Avant d'enseigner la Shoah sous la forme définie par Mme Hélène WAYSBORD-LOING, il conviendrait d'abord de se pencher sur une question préalable et primordiale : depuis 63 ans que la guerre est terminée, la France de 2008 n'a pas encore trouvé le temps ni les moyens d'établir les actes de décès des 115 500 déportés de France, juifs ou non juifs, morts dans les camps nazis, dont les 11 400 enfants juifs évoqués dans votre article. Par conséquent, aux yeux des lois et du Code civil français ( art. 79 et 91 ), tous ceux qui n'ont pas fait l'objet de cet acte d'état civil sont considérés comme toujours vivants [...]
   Il s'agit d'un dossier extrêmement important, sous divers aspects, d'ordre éthique ou légal, ne serait-ce que parce qu'il s'agit, entre autres, de la loi n° 85-528 du 15 mai 1985, initiée par Me Robert BADINTER, votée à l'unanimité des députés et sénateurs de l'époque, et que cette loi est bafouée et violée de toutes les manières possibles depuis 23 ans : d'une part parce qu'à ce jour, moins de la moitié des 115 500 déportés morts dans les camps nazis ( déportation dite « raciale » et déportation dite « de répression » confondues ) ont fait l'objet d'un acte de décès rédigé selon les dispositioons de la loi précitée, voire même d'un simple acte de décès ; d'autre part parce que la plupart des actes déjà publiés sont constellés d'inexactitudes, erreurs, imprécisions, totalement incompatibles avec cette loi ; enfin, parce que personne ne s'est encore préoccupé sérieusement d'établir les actes de décès inexistants ( par exemple, lorsqu'une famille entière a été exterminée et qu'il n'y avait donc aucun survivant susceptible de solliciter les actes de décès ) [...]
   Au rythme actuel des arrêtés ministériels publiés au Journal Officiel une dizaine de fois par an, comportant chacun environ 200 noms, et compte tenu des innombrables rectifications (suivies de nouvelles publications au Journal Officiel qui seront nécessaires, il faudra encore au moins trente ans ( et probablement beaucoup plus ) avant que cette première partie du travail ne soit terminée [...]


Les contributions
de l'Institut national de recherche pédagogique ( INRP )

   En 2008, l'Institut national de recherche pédagogique a publié sous la direction de Sophie ERNST un recueil de contributions rassemblées sous le titre Quand les mémoires déstabilisent l'école - Mémoire de la Shoah et enseignement:, dont voici le texte de présentation :

   L'actualité a porté au centre du débat public les mémoires blessées par les traumatismes de l'histoire et mis en cause l'enseignement de l'histoire à un point inégalé. Transmettre la juste compréhension de certains évènements comme le génocide des Juifs, ou la colonisation et les guerres de décolonisation, semble, plus que jamais, nécessaire autant que difficile. L'émotion, la morale et la rationalité peinent à trouver l'articulation adéquate. En quelques années s'est imposée l'idée que ces enseignements seraient problématiques essentiellement du fait d'élèves récalcitrants en raison de revendications communautaristes ; mais il est souvent affirmé que si ces enseignements s'imposent néanmoins, c'est parce qu'ils répondraient à une interrogation identitaire. Sans nier cet aspect des choses, qui doit être pris en compte à sa juste mesure, toutes sortes de difficultés sont à analyser indépendamment d'une très contestable ethnicisation des élèves.
   Cet ouvrage est centré d'abord sur la question de la Shoah, mais s'efforce de définir des problèmes transversaux à toute une classe d'enseignements réputés sensibles, postulant que nous pouvons construire un paradigme commun. Pour ce faire, il croise les regards d'historiens, de philosophes, de pédagogues, ou de témoins engagés dans l'action qui nous invitent à revenir aux questions de base de toute transmission. Chacune des contributions nous incite à nous interroger sur ce que nous voulons transmettre, et propose une exploration systématique des difficultés internes à ces transmissions : ampleur et complexité du problème historique, violentes sollicitations morale et politiques, entrelacs complexes entre phénomènes de mémoire, travail d'histoire et engagements civiques. Que faire des commémorations négatives ? Ni oubli ni repentance, ni déni ni rengaine. Seulement un questionnement vertigineux sur nos sociétés modernes et leur ambivalence.


Les outils pédagogiques
proposés par le Mémorial de la Shoah

Le Grenier de Sarah

   Réalisé avec l'aide du ministère de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, Le Grenier de Sarah est un site d’introduction à l’histoire de la Shoah, conçu spécifiquement pour les enfants de l’école primaire, et plus particulièrement pour les 8-12 ans.
   La transmission de cette page d’histoire, notamment en direction du jeune public, est au cœur des missions du Mémorial de la Shoah. L’enseignement de cette période est par ailleurs inscrit au programme des classes de CM1 et CM2.
   Sans rien taire du sort des millions de Juifs d’Europe assassinés par l’Allemagne nazie et ses alliés, le grenier de Sarah aborde la Shoah de manière détournée à travers les destins de sept enfants juifs. Il donne des clés de compréhension du judaïsme, de la vie juive et de la culture yiddish, un monde englouti par la Shoah.


Le Grenier de Sarah

Les ateliers pour enfants

       Le service pédagogique du Mémorial propose des ateliers pour les enfants entre 8 et 12 ans.
    Les thèmes abordés aident l'enfant à se
sensibiliser à l'histoire des Juifs des années 1930 aux années 1950 et à porter son regard sur des cultures aujourd'hui en sommeil.
   En sollicitant sa sensibilité, son sens de la réflexion et son écoute, l'atelier invite l'enfant à s'exprimer sur un thème choisi tout en s'initiant à diverses
pratiques artistiques.
   Il est accompagné dans cette démarche par un
artiste qui, en lui ouvrant la voie, lui permet de s'approprier ces nouvelles connaissances.

Le parcours pour enfants

   L’histoire de la Shoah peut heurter par certains propos ou certaines images la sensibilité des plus jeunes.
   Comment éviter cet écueil sans renoncer pour autant à répondre à leur intérêt et à leurs questions légitimes ?
   Comment les sensibiliser à cette histoire ?
   L’équipe du Mémorial de la Shoah s’efforce de répondre à ces questions en proposant aux enfants âgés de 8 à 12 ans un parcours de l’exposition permanente relatant l’histoire des Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, adapté à leur niveau et à leur sensibilité.
   Il s’appuie sur un livret d’accompagnement assorti de questions faisant appel au raisonnement des enfants et qui leur permet de cheminer à l’intérieur du musée en évitant les images les plus choquantes.

Les enfants déportés - Ressources documentaires

   Depuis décembre 2008, les enseignants peuvent désormais accéder à la liste des 11400 enfants juifs déportés de France entre 1942 et 1944, établie par Serge KLARSFELD, président des Fils et filles de déportés juifs de France, qui comprend les noms, prénoms, l'adresse d'arrestation et la date de déportation de ces enfants ainsi que les photos ou documents qui ont pu être retrouvés.
   Pour utiliser cette rubrique, il faut disposer d'un identifiant et d'un mot de passe.
   Les demandes effectuées en ligne, sont étudiées par le Mémorial de la Shoah.
   Les identifiant et mot de passe sont expédiés par voie postale dans l'établissement scolaire indiqué.