Histoire et mémoire 51 > La mémoire des années noires > La véracité et la singularité du génocide

La nécessité face aux négationnistes d'affirmer
la véracité et la singularité du génocide perpétré par les nazis

Les pseudo-révisionnistes français, négateurs du génocide
Le rapport Rousso, l'affaire Gollnisch et les nouveaux dérapage de Le Pen
Les déclarations négationnistes de l'évêque Williamson
Historiens intentionnalistes et historiens fonctionnalistes
La singularité de la Shoah : une « déchirure de l'humanité »
Définir avec rigueur le concept de « génocide »
Le 27 janvier, Journée de la mémoire de l'Holocauste
et de la prévention des crimes contre l'humanité dans les écoles

Les ambiguïtés des termes « Holocauste » et « Shoah »
Lorsque le négationnisme devient une idéologie d'État
et que le négationnisme « de gauche » rejoint celui d'extrême-droite

L'ouverture de l'Encyclopédie en ligne des violences de masse

Les pseudo-révisionnistes français, négateurs du génocide

   Contrairement à ce que tentent de faire croire les négationnistes et les pseudo-révisionnistes qui nient le génocide ou cherchent à le banaliser, les nazis ont bien exterminé Juifs et Tsiganes.
   Le génocide a bien eu lieu et il n'est pas le fruit du hasard ou des circonstances liées à la 2e guerre mondiale.
   La « solution finale de la question juive » procède d'une volonté systématique d'extermination, inscrite dans l'idéologie nazie, ouvertement exprimée dans Mein Kampf dès avant l'arrivée au pouvoir de Hitler, mise en œuvre avec obstination à partir de 1933 et conduisant tout droit au génocide désigné aujourd'hui par les Juifs sous le nom de Shoah, « la catastrophe ».

   En France dès le lendemain de la 2e guerre mondiale, les négationnistes, les négateurs du génocide, ceux qui nient la réalité du génocide et l'existence des chambres à gaz en affirmant qu'il n'existe pas de preuves de leur existence, se sont avancés masqués, en s'abritant derrière le vocable de « révisionnistes », d'« école révisionniste » afin de couvrir leur démarche d'un label scientifique respectable.
 
   S'il est vrai que le révisionnisme relève bien de la démarche de l'historien qui s'interroge en permanence sur la compréhension du passé et qui jette un regard critique sur les interprétations des historiens qui l'ont précédé, les négationnistes sont en réalité des pseudo-révisionnistes, des falsificateurs de l'histoire et des « assassins de la mémoire » que ne cessent de dénoncer les historiens du génocide1 ).

   À l'origine de cette prétendue école révisionniste française, il y a la publication en 1948 par un intellectuel d'extrême-droite, Maurice BARDÈCHE, d'un livre intitulé Nuremberg ou la terre promise, dans lequel il dénonçait la justice des vainqueurs et les accusait d'avoir inventé le génocide pour masquer leurs propres crimes.

   Maurice BARDÈCHE fut bientôt rejoint par Paul RASSINIER ( 2 ), ancien déporté résistant, venu de l'extrême gauche. Exclu du Parti communiste en 1932, devenu socialiste libertaire, puis membre de l'aile gauche du parti socialiste et candidat malheureux aux élections de l'immédiat après-guerre, exclu de la SFIO, Paul RASSINIER s'est retiré de la vie politique et a publié en 1950 un ouvrage intitulé Le mensonge d'Ulysse.
    Dans cet ouvrage, RASSINIER conteste la véracité des témoignages d'anciens déportés, prétend que les brutalités dans les camps étaient davantage le fait des kapos que des SS, et dénonce le génocide comme une imposture fabriquée par le complot juif international.
   Les thèses de RASSINIER sont relayées par le journal d'extrême-droite Rivarol, où s'expriment les anciens collaborateurs et les nostalgiques du régime de Vichy.

    Après la mort de RASSINIER en 1967, les thèses « révisionnistes » ont été défendues par un professeur de littérature lyonnais, Robert FAURISSON, qui comme RASSINIER nie l'existence du génocide et des chambres à gaz, présentés comme des mythes forgés par les pays vainqueurs.

    À partir des années 1970, FAURISSON a reçu le soutien de " La Vieille Taupe ", une librairie parisienne dirigée par Pierre GUILLAUME, représentant d'une ultra-gauche qui confond dans une même réprobation teintée d'anticommunisme viscéral et d'antisémitisme, le stalinisme soviétique, le capitalisme occidental et le sionisme.

   En 1981, FAURISSON a été condamné par la 17ème Chambre du Tribunal de grande instance de Paris pour diffamation publique, condamnation confirmée par la Cour d'Appel.

   En 1985, Henri ROQUES, un ingénieur en retraite, a soutenu devant l'université de Nantes une thèse de doctorat ( annulée en 1986 par le ministre Alain DEVAQUET ) aboutissant à nier indirectement l'existence des chambres à gaz à partir de l'analyse du témoignage de Kurt GERSTEIN, un officier nazi qui s'était rendu en avril 1945 à l'armée française et avait été interrogé par des officiers français.

   Les années 1980 sont aussi marquées par les dérapages verbaux répétés du président du Front national, Jean-Marie LE PEN :
   -  l'existence des chambres à gaz qualifiée de « point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale » en
1987 ; 
   -  « Durafour crématoire »
lancé à l'intention du ministre Michel DURAFOUR en 1988.

  En 1989, un professeur d'économie lyonnais, Bernard NOTIN, a publié dans la revue Économies et Sociétés un article sur « Le rôle des médias dans la vassalisation nationale » qui reprenait les thèmes de la pseudo école révisionniste française.
   Il a été sanctionné conformément à une loi présentée par le député communiste Jean-Claude GAYSSOT et votée en 1990, qui qualifie de délit et réprime par des sanctions pénales toute « négation des crimes contre l'humanité ».

   La plupart des historiens ont exprimé leur désaccord avec la loi Gayssot parce que, selon eux, le droit n'est pas la meilleure arme contre les négationnistes et le juge ne doit pas se substituer à l'historien pour dire la vérité historique 3 ).
   Néanmoins, entre 1992 et 2002, cette loi a permis 29 condamnations d'écrits contestant les crimes contre l'humanité 4 ).

   En 1995, la librairie-maison d'édition " La Vieille Taupe " a publié dans une revue du même nom « Les Mythes fondateurs de la politique israélienne », un ouvrage de Roger GARAUDY, philosophe converti successivement au protestantisme, au communisme, au catholicisme et à l'islam, qui sous couvert d'antisionisme rejoignait le discours des pseudo révisionnistes français.

   En février 2002, Jack LANG, ministre de l'Éducation nationale, a installé la Commission sur le racisme et le négationnisme au sein de l'Université Jean Moulin, Lyon III.
   Présidée par Henry ROUSSO, directeur de l'Institut d'histoire du temps présent, cette commission, composée d'historiens chercheurs, a été chargée de « faire toute la lumière sur le racisme et le négationnisme qui ont pu trouver leur expression au sein de l'université Lyon III » depuis plusieurs années 5 ).

   C'est en effet dans cette université que Jean PLANTIN, disciple de FAURISSON, a soutenu en 1990 un mémoire de maîtrise consacré à Paul Rassinier : socialiste, pacifiste et révisionniste, qui a obtenu la mention " Très Bien ". Cette maîtrise acquise à Lyon III lui a permis de soutenir avec succès en 1991 à Lyon II, université où FAURISSON a été maître de conférences dans les années 1970, un mémoire de DEA consacré aux Épidémies de typhus dans les camps de concentration nazis entre 1933 et 1945.

   En mai et octobre 1999, à deux reprises, Jean PLANTIN a été condamné pour contestation de crimes contre l'humanité par le Tribunal de grande instance de Lyon, à 6 mois de prison avec sursis ainsi qu'à des peines d'amende.

   En juin 2000, la Cour d'appel de Lyon a assorti le sursis d'une mise à l'épreuve de trois ans au cours desques il était interdit à Plantin d'exercer le métier d'éditeur. Jean PLANTIN n'en a pas moins continué d'éditer des revues et des livres négationnistes chez Akribeia, société éditrice domiciliée chez lui, puis chez sa mère à qui il a cédé ses parts. Il diffuse aussi des textes négationnistes par le biais d'un site Internet hébergé à Chicago aux États-Unis.

   En décembre 2000 et juillet 2001
, sous la pression d'universitaires, d'associations étudiantes et antiracistes qui en dénonçaient le contenu négationniste, les diplômes de Jean PLANTIN ont été annulés, dix ans après leur soutenance : le mémoire de maîtrise a été requalifié d'« inacceptable » et le DEA a été invalidé. PLANTIN a contesté ces annulations et a saisi le tribunal administratif.

   En janvier 2003, le Tribunal de grande instance de Lyon, saisi par SOS-Racisme et la LICRA, constatant que PLANTIN poursuivait ses activités éditoriales et refusait de payer les amendes auxquelles il avait été condamné en 1999, a révoqué le sursis dont il bénéficiait. PLANTIN décida aussitôt de faire appel.

   En juin 2003, au moment où on célébrait le 60ème anniversaire de l'arrestation de Jean MOULIN, le tribunal administratif de Lyon a reconnu la maîtrise et le DEA de PLANTIN
, conformément à une jurisprudence du Conseil d'État qui stipule qu'un diplôme ne peut être annulé au-delà d'un délai de quatre mois. Les universités de Lyon II et Lyon III ont fait appel de cette décision devant la Cour administrative d'appel de Lyon.

   Dans le même temps, le 25 juin 2003, la Cour d'appel de Lyon a confirmé la révocation du sursis et a condamné PLANTIN à 6 mois de prison ferme. C'était la première fois en France qu'un négationniste était condamné à de la prison ferme. Mais PLANTIN s'est immédiatement pourvu en cassation, pourvoi qui suspendait la décision de la Cour d'appel.

   En janvier 2004
, la Cour administrative d'appel de Lyon a confirmé la décision du tribunal de grande instance de Lyon qui avait validé les diplômes de Jean PLANTIN en juin 2003 6 ).

Le Rapport Rousso, l'affaire Gollnisch et les nouveaux dérapages de Jean-Marie Le Pen

   En octobre 2004, la Commission sur le racisme et le négationnisme au sein de l'Université Jean Moulin Lyon III, présidée par Henry ROUSSO, directeur de l'Institut d'histoire du temps présent, a remis officiellement son rapport au ministre de l'Éducation nationale, François FILLON, qui a décidé de le rendre public dans son intégralité. Immédiatement mis en ligne sur le site du ministère de l'Éducation nationale, le rapport Rousso a été publié aux éditions Fayard 7 ).

   Dans ces conclusions, tout en récusant l'affirmation que l'Université Jean Moulin Lyon III puisse être qualifiée de « fac facho » et « Lyon, de capitale du négationnisme », le rapport Rousso fait apparaître clairement l'existence dans cette université d'« un noyau d'extrême droite » dont les principaux représentants sont Bruno GOLLNISCH et Pierre VIAL.
   La commission n'a pu établir qu'il existait un lien entre ce noyau d'extrême-droite et les affaires négationnistes impliquant Henri ROQUES, Bernard NOTIN et Jean PLANTIN, mais relève que l'Université de Lyon III, née d'une scission au sein de l'Université de Lyon II créée après 1968 et réputée de gauche, « a bien favorisé l'implantation progressive d'enseignants partageant les mêmes options idéologiques qui ont dès l'origine considéré cette université comme un lieu de regroupement », et qu'elle a été dans les années 1970-1980 « un abri » pour une douzaine de militants d'extrême droite.
   Elle déplore que la direction de cette université se soit montrée dans le passé incapable de mesurer l'impact des dérives négationnistes qui se sont manifestées en son sein et de les sanctionner.

   Quelques jours après la présentation du rapport Rousso, au cours d'une conférence de presse donnée au siège lyonnais du Front national, Bruno GOLLNISCH, professeur de japonais à l'Université Lyon III et délégué général du Front national, a contesté publiquement « la légitimité et la légalité » de cette commission, qualifiée de « police de la pensée », et la neutralité de son président qualifié de « personnalité juive » et d'« historien engagé ».

   Il a tenu dans le même temps des propos visant à relativiser l'ampleur du génocide perpétré par les nazis et à jeter le doute sur l'existence des chambres à gaz, affirmant que sans doute il y avait eu « quelques centaines de milliers de morts », qu'il appartenait aux historiens de se déterminer et d'en discuter librement, et que « plus aucun historien sérieux n'adhère intégralement aux conclusions du procès de Nuremberg », tandis qu'à ses côtés, Albert ROUSSET, conseiller régional Front national, déclarait que les chambres à gaz « ont servi à désinfecter des milliers de prisonniers, pouilleux ou atteints du typhus ».

   Ces propos ont été immédiatement condamnés par le ministre de l'Éducation nationale, François FILLON et par le recteur de l'Académie de Lyon, Alain MORVAN, qui les ont jugés « scandaleux ».

   Le président de Lyon III,
Guy LAVOREL, considérant que ces propos « inacceptables » portaient gravement atteinte « à l'honneur et au crédit de l'université dans son ensemble », a annoncé son intention de saisir la section disciplinaire de son université. À la suite des protestations formulées par plusieurs associations d'étudiants venues occuper la salle où il devait donner son cours de droit international, il a pris la décision de suspendre Bruno GOLLNISCH pour la durée d'un mois, afin de « prévenir tous risques de désordre », puis a décidé de lui interdire l'accès à l'université jusqu'à la remise du rapport de la Commission disciplinaire.
   Le procureur de la République de Lyon, Xavier RICHARD, sur instruction du ministre de la Justice, Dominique PERBEN, a ouvert une enquête préliminaire pour établir une possibilité de poursuivre Bruno GOLLNISCH pour négation de crime contre l'humanité.
   De son côté, le président de la LICRA, Patrick GAUBERT, a demandé au président du Parlement européen de prendre des sanctions contre le député européen Bruno GOLLNISCH.
   Le 15 janvier 2005, le Conseil d'État, saisi par Bruno GOLLNISCH, a annulé la décision du président de Lyon III qui lui interdisait l'accès à son université.
   Le 27 janvier 2005, le jour-même où était commémoré le 60ème anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, le recteur de l'université de Lyon, Alain MORVAN, réclamait que Bruno GOLLNISCH soit « chassé de la fonction publique et interdit d'enseignement ».


   Bruno GOLLNISCH, à qui le mandat de député européen confère une immunité qui pourrait être un obstacle à d'éventuelles poursuites judiciaires, n'en est pas à sa première provocation visant à banaliser le génocide nazi.

   Dans les années 1980, député Front national du Rhône, il a dénoncé le procès de Klaus BARBIE, chef de la Gestapo de Lyon et a apporté son soutien à Jean-Marie LE PEN qui qualifiait de « point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale » l'existence des chambres à gaz.

   Au début des années 1990, professeur à l'Université Lyon III et conseiller régional de Rhône-Alpes, il a revendiqué au cours d'une séance de cette assemblée « le respect de la liberté d'expression pour les enseignants qui exercent un regard critique sur l'histoire de la Seconde Guerre mondiale », ce qui était une façon d'apporter son soutien aux historiens pseudo-révisionnistes français visés par la loi Gayssot votée en 1990, qui qualifie de délit et réprime par des sanctions pénales toute
« négation des crimes contre l'humanité ».

   En 1997, conseiller municipal de Lyon, il a voté contre la constitution d'une commission d'enquête sur la spoliation des biens juifs à Lyon pendant la Seconde Guerre mondiale.

   En 2002, il a pris la défense de l'éditeur de revues et d'ouvrages négationnistes, Jean PLANTIN condamné par la Cour d'Appel de Lyon
8 ).

   Sur le site Internet " Pratique de l'histoire et dévoiements négationnistes " qu'il anime depuis 1996, Gilles KARMASYN explique clairement et de façon argumentée que les déclarations de Bruno GOLLNISCH sont implicitement, mais sans ambiguïté, négationnistes 9 )
.

    De son côté, Jean-Marie LE PEN déclarait, le 7 janvier 2005, dans l'hebdomadaire d'extrême-droite Rivarol, qu'« en France du moins, l'occupation allemande n'a pas été particulièrement inhumaine, même s'il y a eu des bavures, inévitables, précisait-il, dans un pays de 550 000 kilomètres carrés », et qu'« il y aurait beaucoup à dire sur le massacre d'Oradour-sur-Glane ». Il faisait ainsi écho à une thèse révisionniste entretenue par cet hebdomadaire, thèse qui cherche à justifier ce massacre en affirmant que les résistants auraient caché des explosifs dans l'église de ce village.

Centre de la mémoire d'Oradour-sur-Glane

Oradour-sur-Glane, vision d'épouvante
Ouvrage Officiel du comité du souvenir
et de l'Association Nationale des Familles des Martyrs
d'Oradour-sur-Glane

    Dans ce même numéro de Rivarol, LE PEN présentait aussi la Gestapo comme une police protectrice de la population qui, selon lui, dans la région de Lille par exemple, serait intervenue pour empêcher un massacre de civils par des soldats de la Wehrmacht, après le déraillement d'un train de permissionnaires allemands. Enfin, il concluait en réclamant l'abrogation des lois qui, en France, permettent de condamner les actes et propos négationnistes, antisémites et racistes, qu'il qualifie de « lois liberticides ».

   Le 2 février 2005, la reprise du cours de Bruno GOLLNISCH à l'Université de Lyon III-Jean Moulin a suscité la réprobation de plusieurs associations d'étudiants dont les adhérents se sont heurtés à des éléments extérieurs à l'université, appartenant au service d'ordre du Front national.

   Le 3 février 2005, le ministre de l'Éducation nationale, François FILLON, a suspendu Bruno GOLLNISCH « à titre conservatoire » de ses fonctions de professeur à l'université Lyon-III - Jean-Moulin, en attendant la décision de la section disciplinaire de cette université.

   Le 9 février 2005, SOS-Racisme a fait citer Jean-Marie LE PEN devant le tribunal correctionnel de Paris pour les propos qu'il a tenu sur l'occupation allemande dans l'hebdomadaire Rivarol, demandant sa condamnation pour « complicité de contestation de crimes contre l'humanité » et « complicité d'apologie de crime de guerre et de crimes contre l'humanité ».

   Le 28 février 2005, au cours d'une conférence de presse, Jean-Marie LE PEN a renouvelé son soutien à Bruno GOLLNISCH, et l'a conforté comme son successeur potentiel à la tête du Front national.

   Le 3 mars 2005, la section disciplinaire de l'université de Lyon III - Jean Moulin a suspendu pour une durée de 5 ans Bruno GOLLNISCH, qui continuera de percevoir la moitié de son traitement de professeur d'université.

   Le 15 janvier 2007, Bruno GOLLNISCH a été désigné pour présider le nouveau groupe Identité - Tradition - Souveraineté constitué par 20 eurodéputés d'extrême-droite, parmi lesquels on compte Jean-Marie LE PEN et Alessandra MUSSOLINI, la petite-fille de Benito MUSSOLINI.

    Le 18 janvier 2007, Bruno GOLLNISCH, poursuivi pour des propos controversés sur les chambres à gaz tenus en octobre 2004, a été condamné par le tribunal correctionnel de Lyon à une peine de trois mois de prison avec sursis, à une amende de 5 000 euros , et à verser en outre 55 000 euros de dommages et intérêts, à répartir entre les neuf parties civiles. Il a immédiatement fait appel de cette condamnation.

   Le 28 février 2008, la cour d'appel de Lyon a confirmé cette condamnation de Bruno GOLLNISCH pour contestation de « l'existence de crimes contre l'humanité », et son exclusion pour cinq ans de l'université de Lyon III.

    Le mercredi 25 mars 2009, devant le Parlement européen, Jean-Marie LE PEN a réaffirmé que les chambres à gaz étaient un « détail » de l'histoire.

   

Les déclarations négationnistes de l'évêque Williamson

   En 2009,  par un un décret de la congrégation pour les évêques daté du 21 janvier et publié le 24 janvier, le pape Benoît XVI a levé l'excommunication frappant les évêques intégristes qui avaient été excommuniés par le pape Jean-Paul II, après leur consécration en 1988 par l'archevêque traditionnaliste Marcel LEFEVRE, fondateur de la Fraternité Saint Pie X.
   Cette fraternité s'était constituée en opposition au concile Vatican II réuni en 1959 par le pape Jean XXIII, concile qui a abandonné la notion de « peuple déicide » attribuée aux juifs, adopté une nouvelle liturgie et engagé l'Église catholique sur la voie de l'ouverture.
   En consacrant des évêques qui à leur tour ont ordonné des prêtres,
Monseigneur LEFEBVRE a provoqué un schisme su sein de l'Église catholique.
  En autorisant le
retour de la messe en latin, le pape Benoît XVI avait déjà donné des gages à la Fraternité Saint Pie  X et ouvert la voie à la levée d'excommunication.

   Le 22 janvier 2009, la télévision suédoise SVT a diffusé les déclarations négationnistes de l'un des quatre évêques excommuniés en 1988, l'évêque britannique Richard WILLIAMSON, enregistrées en novembre 2008.

   Je crois qu’il n’y a pas eu de chambres à gaz [...]
   Je pense que 200 000 à 300 000 Juifs ont péri dans les camps de concentration, mais pas un seul dans les chambres à gaz [...]
   L’Allemagne a payé des milliards et des milliards de deutschemarks et à présent d’euros parce que les Allemands souffrent d’un complexe de culpabilité pour avoir gazé six millions de Juifs, mais je ne crois pas que six millions de Juifs aient été gazés

    La publication du décret de levée des excommunications des évêques intégristres de la Fraternité Saint Pie X, qui est intervenue deux jours après cette diffusion, a suscité de nombreuses protestations, y compris parmi les catholiques. 

   Le 27 janvier, l'hebdomadaire La Vie, a publié sur son site Internet, sous le titre " Pas de négationnistes dans l'Église ", un appel des intellectuels catholiques qui dénonce le caractère ambigu et insupportable de cette levée d'excommunication :

[...] La levée deux jours après des excommunications frappant les lefebvristes a créé une tragique ambiguïté, laissant à penser que Rome réhabilitait le négationnisme ou du moins le considérait comme une opinion licite voire innocente.
   Cette ambiguïté est tout simplement insupportable.
Insupportable, parce que derrière le masque du négationnisme, on découvre le visage du plus hideux antisémitisme.
   Insupportable, parce que depuis un demi-siècle, de Jean XXIII à Benoît XVI, l'Église a entrepris une longue démarche de repentance à propos de l'antijudaïsme. [...]

   Le 28 janvier 2009, Marie José CHOMBART DE LAUWE, déportée à Ravensbrück, présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, a adressé une lettre au nonce apostolique Monseigneur Fortunato BALDELLI, ambassadeur du Vatican en France, pour « faire part au Saint-Siège et à toute la Curie romaine, des sentiments d'émotion, de désapprobation et d'indignation des Déportés de France survivants et anciennes victimes du nazisme », et pour affirmer que « la réintégration au sein de l'Église officielle de l'évêque Williamson constitue une insulte à la mémoire des victimes du nazisme ».
   Elle lui a demandé de transmettre sa
lettre de réprobation au pape BENOÎT XVI et à son entourage, dont elle attend, au nom des déportés et victimes du nazisme, « au moins, une prise de position claire de l'Église à l'encontre du négationnisme ».

   Le 30 janvier, l'hebdomadaire Golias considérait que  cette levée de l’excommunication était « un premier pas décisif sur le chemin de la pleine et entière reconnaissance de la Fraternité Saint-Pie X » et constatait avec tristesse que « l’Église catholique Romaine, avec la bénédiction de Benoît XVI compt[ait] au moins un évêque ouvertement négationniste ».

    Sommé par le pape de « prendre sans équivoque et publiquement ses distances », Richard WILLIAMSON a refusé de se rétracter. Interrogé par l'hebdomadaire allemand Spiegel daté du 9 février 2009, il a déclaré qu'il était convaincu de l'exactitude de ses propos fondés sur des recherches qu'il aurait effectuées dans les années 1980. Faisant table rase des très nombreus travaux et recherches historiques établissant la véracité du génocide des juifs et des tziganes par les nazis, il a affirmé qu'avant de se se rétracter, il fallait qu'il trouve des « preuves historiques », et que cela allait prendre du temps : « Je dois tout réexaminer encore une fois et voir les preuves ».

    Au cours d'un entretien avec les envoyés spéciaux du journal Le Monde, Nicolas BOURCIER et Stéphanie LE BARS, publié le 25 février 2009, le théologien allemand Hans KÜNG, ancien ami de Joseph RATZINGER, futur Benoit XVI et défenseur inlassable du concile Vatican II dont il a été un artisan, explique la levée d'excommunication des évêques intégristes par les positions conservatrices du pape en général, et plus particulièrement ses positions pour le moins ambigues et restrictives, par rapport aux textes de Vatican II :    

   [...] Je n'ai pas été surpris. Dès 1977, dans un entretien à un journal italien, Mgr Lefebvre indique que « des cardinaux soutiennent ( son ) courant » et que « le nouveau cardinal Ratzinger a promis d'intervenir auprès du pape pour ( leur ) trouver une solution ». Cela montre que cette affaire n'est ni un problème nouveau ni une surprise. Benoît XVI a toujours beaucoup parlé avec ces personnes. Aujourd'hui, il lève leur excommunication, car il juge que le temps est venu. Il a pensé qu'il pourrait trouver une formule pour réintégrer les schismatiques, qui, tout en conservant leurs convictions, pourraient donner l'apparence qu'ils sont en accord avec le concile Vatican II. Il s'est bien trompé.
   [...] La levée des excommunications n'a pas été un défaut de communication ou de tactique, mais elle a constitué une erreur de gouvernement du Vatican. Même si le pape n'avait pas connaissance des propos négationnistes de Mgr Williamson et même s'il n'est pas lui-même antisémite, chacun sait que les quatre évêques en question sont antisémites. Dans cette affaire, le problème fondamental, c'est l'opposition à Vatican II, et notamment le refus d'une relation nouvelle au judaïsme. Un pape allemand aurait dû considérer cela comme un point central et se montrer sans ambiguïté sur l'Holocauste. Il n'a pas mesuré le danger. Contrairement à la chancelière Angela Merkel, qui a vivement réagi [...]

Historiens intentionnalistes et historiens fonctionnalistes

   Les historiens intentionnalistes et les historiens fonctionnalistes, contrairement aux pseudo-révisionnistes qui sont en réalité des négateurs du génocide, ne contestent pas la véracité du génocide, mais divergent quant à l'interprétation, à l'explication de la politique d'extermination mise en œuvre dans le cadre de la « solution finale » ( 10 ) .

   Dès les années 1950, les historiens intentionnalistes tels que Léon POLIAKOV 11 ) et Raül HILBERG ( 12 ) considèrent que la « solution finale » procède d'une volonté systématique d'extermination des « sous-hommes », inhérente à l'idéologie nazie, inscrite dans Mein Kampf et exprimée ouvertement dès avant l'arrivée au pouvoir d'Hitler en Allemagne, mise en œuvre avec obstination à partir de 1933 à travers les mesures antisémites des nazis, et conduisant tout droit au génocide symbolisé par Auschwitz-Birkenau.
   Les historiens intentionnalistes privilégient la responsabilité d'Hitler et des nazis, définissent le génocide comme un mal absolu programmé par Hitler et les nazis.

   Dans les années 1980, les historiens fonctionnalistes allemands tels que Ernst NOLTE et Klaus HILDEBRAND, sans nier la réalité du génocide, ont tenté d'en donner une interprétation différente et double.

   Tout d'abord, les historiens fonctionnalistes avancent l'idée que le système nazi n'était pas aussi monolithique qu'on le croyait jusqu'alors, qu'il était traversé de rivalités, de divisions, de contradictions, qu'il n'y avait pas qu'un seul centre de décision entièrement entre les mains d'Hitler, mais plusieurs centres de décision, impliquant un fonctionnement complexe.

   Les historiens fonctionnalistes mettent aussi en avant le poids des circonstances, insistent sur le fait qu'avec l'invasion de l'Union soviétique en juin 1941, la guerre a changé de nature, et placé l'Allemagne hitlérienne dans une spirale de radicalisation, dans une sorte d'engrenage qui aurait conduit à la mise en œuvre de la « solution finale ».

    Les thèses fonctionnalistes aboutissent à élargir le cercle des responsabilités trop strictement limité à HITLER et à son entourage immédiat, à l'ensemble des nazis, à la Wehrmacht, au peuple allemand, à ses alliés, avec le risque de minimiser la responsabilité spécifique des nazis et finalement le risque de banaliser le génocide des Juifs.

    Le débat engagé entre historiens intentionnalistes et historiens fonctionnalistes, qui a permis de relancer et de renouveler l'analyse historique concernant la nature du nazisme et le fonctionnement du système nazi, ne porte pas que sur l'alternative entre un génocide prémédité et programmé ou au contraire un génocide circonstanciel, résultat d'un engrenage.

   Les historiens fonctionnalistes allemands, en particulier l'historien conservateur et nationaliste Ernst NOLTE ( 13 ), ont aussi ouvert une brèche à ceux qui tentent de remettre en cause la singularité, l'unicité du génocide des Juifs perpétré par les nazis et qui, sous prétexte de normaliser, d'objectiver le passé de l'Allemagne, présentent la violence nazie comme une réaction à la violence communiste, les camps d'extermination nazis comme la réponse au goulag communiste et stalinien, l'« extermination de race » comme la riposte à l'« extermination de classe ».

   L'effondrement du communisme en Europe de l'Est, la disparition de l'Union soviétique et la réunification de l'Allemagne ont contribué à raviver les thèses des « révisionnistes » allemands qui veulent effacer ce qu'ils appellent « le mythe négatif du mal absolu » symbolisé par Auschwitz, qui cherchent à banaliser le nazisme et le génocide des Juifs, voire à le justifier, à le légitimer, en renversant les termes du débat et en présentant la « solution finale » comme un acte d'autodéfense face au véritable « mal absolu » qui, selon eux, est le communisme bolchevique stalinien symbolisé par le Goulag.
   Cette pseudo historicisation ou mise en perspective historique du génocide pose en postulat « l'antériorité du goulag, seul véritable mal absolu », tandis que le nazisme et le génocide ne seraient finalement que des « accidents de parcours » dans la riposte légitime au totalitarisme communiste, présenté comme plus dangereux que le totalitarisme nazi ou fasciste 14 ).

La singularité de la Shoah :
une « déchirure de l'humanité », une « régression de la modernité », sans focalisation exclusive

   L'historien des pratiques totalitaires, Enzo TRAVERSO, montre les limites des analyses du nazisme qu'ont développées  :
        - l'historien conservateur allemand, Ernst NOLTE, qui définit le nazisme comme une réaction radicale à la terreur bolchevique ;
        -  l'historien français, François FURET, qui voit dans le nazisme une réaction anti-libérale, symétrique du communisme aboutissant à faire l'amalgame entre les deux totalitarismes ;
        -  l'historien américain, Daniel J. GOLDHAGEN, qui fait du nazisme une pathologie allemande, et du peuple allemand, une « nation de pogromistes ».
   Pour Enzo TRAVERSO, le nazisme qui plonge ses racines dans l'histoire de l'Europe, est « une synthèse unique d'un vaste ensemble de modes de domination et d'extermination déjà expérimentés séparément au cours de l'histoire occidentale moderne » à l'époque des révolutions, de la colonisation et des guerres de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, synthèse fondée sur le racisme biologique, l'expansion spatiale et vitale, la gestion banalisée de la mort technique, la guerre d'extermination des « sous-hommes » ( 15 ).
   
Enzo TRAVERSO s'interroge sur « la singularité d'Auschwitz » par rapport aux autres horreurs du XXème siècle qu'ont été le goulag et Hiroshima.
   Il définit le génocide perpétré par les nazis comme un « génocide racial », « une extermination conçue sur des bases idéologiques, planifiée, gérée bureaucratique-ment et mise en oeuvre par des méthodes industrielles », dont les victimes étaient désignées « selon leur appartenance à un groupe qualifié de " races inférieures ", dans le cadre d'un projet de remodelage biologique de l'humanité ».
   
   En comparaison, le goulag est « une forme d'extermination non théorisée et même contradictoire avec les principes affichés par le régime qui la pratique, gérée bureaucratiquement avec des méthodes paranoïaques, qui généralisent à une très vaste échelle une répression visant des ennemis réels ou imaginaires, socialement ou politiquement définis : les criminels, les koulaks, les trotskistes, etc. À l'apogée du stalinisme, tout citoyen soviétique constitue une victime potentielle de l'univers concentrationnaire ».

   Quant aux bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, il les considèrent comme « une forme d'extermination sans motivations idéologiques, mise en œuvre par un état non totalitaire, sans déportation ni camps de concentration, grâce aux moyens de destruction les plus puissants créés par la technique moderne, dont la cible est la population civile d'un pays ennemi, pendant une guerre » 16 ).

   Pour lui, la Shoah ne doit pas devenir « l'objet d'une focalisation exclusive » qui risquerait d'occulter les victimes d'autres violences de masse.
   
« Auschwitz n'est pas un événement historiquement incomparable », et « sa mise en parallèle avec d'autres crimes, violences et génocides permet d'établir les différences qui les séparent et de saisir leur singularité : élaborer une typologie ne signifie pas établir une hiérarchie ».
   La Shoah, qui s'inscrivait dans « un projet d'épuration biologique et raciale » échappe à « tout critère de rationalité économique ou militaire ».
   Elle constitue une « déchirure de l'humanité », « une régression de la modernité » 17 ).

  

Définir avec rigueur le concept de « génocide »

   Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la mise en place du Tribunal militaire international de Nuremberg a permis de démonter le mécanisme d'extermination mis en place par les nazis, et de faire reconnaître juridiquement les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, que les articles 6 b et 6 c de la Charte de ce Tribunal signée à Londres le 8 août 1945 ont défini en ces termes :

   Les crimes de guerre, c'est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées, l'assassinat, les mauvais traitements ou la déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l'assassinat ou les mauvais traitements de prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l'exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires.

   Les crimes contre l'humanité, c'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne des pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du tribunal, ou en liaison avec ce crime.

   Le 9 décembre 1948, l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies a adopté la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide défini en ces termes :

   Le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
      - Meurtre de membres du groupe ;
      - Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
      - Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
      - Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
      - Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.

   En France, où il y avait prescription pour les crimes de guerre au bout de 30 ans, la loi du 26 décembre 1964 a déclaré imprescriptibles les crimes contre l'humanité.

   En 1970, est entrée en vigueur la Convention des Nations Unies sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité adoptée le 26 novembre 1968, et dont l'objectif est d'assurer l'application universelle du principe d'imprescriptibilité.

   Premier tribunal international de l'Histoire, le tribunal de Nuremberg a ébauché une juridiction internationale qui s'exprime aujourd'hui dans deux instances mises en place par le Conseil de sécurité de l'ONU :
      - le tribunal pénal international de La Haye pour juger les crimes de guerre commis dans l'ex-Yougoslavie, créé en 1993 ;
      - le tribunal pénal international pour le Rwanda chargé de juger les instigateurs du génocide rwandais, créé en 1995.

   En 1998, le statut de la Cour pénale internationale installée à la Haye a complété et explicité les notions de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité définis en 1945, et il a repris à son compte, sans la modifier ,la définition de « génocide » adoptée par les Nations Unies en 1948 18 ).

   Il reste que les conventions internationales sont des textes juridiques difficiles à comprendre, qui peuvent paraître ambigus, et qui font l'objet d'interprétations parfois divergentes.

   Tout en constatant que le XXème siècle qui vient de s'achever a été un siècle de génocides, jalonné par le génocide arménien, le génocide juif, le génocide tsigane, le génocide cambodgien, le génocide rwandais et plus récemment les « pratiques génocidaires » perpétrées dans l'ex-Yougoslavie, François BÉDARIDA, qui a été le premier directeur de l'Institut d'histoire du temps présent et qui nous quittés en 2001, considérait que le mot « génocide » est trop souvent appliqué immédiatement et sans discernement à des assassinats ou à des massacres qui viennent de se produire et qui font souvent l'objet de manipulations, d'amalgames, de dérives.

   Il considérait qu'un des moyens de lutter contre les risques de banalisation consiste à s'en tenir à une définition rigoureuse du concept de génocide :

Ce qui fait la spécificité du génocide au XXème siècle, ce sont trois caractéristiques :
     - tout d'abord, un programme calculé d'extermination systématique d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux ;
     - ensuite, la puissance technique d'organisation, de rationalisation et de contrôle de l'État bureaucratique moderne ;
     - enfin, la capacité de secret et / ou de camouflage dans l'exécution […]
   En vérité, le propre du génocide est de franchir un seuil dans la notion d'humanité.
   Car c'est la négation même de la condition humaine : la transgression radicale
 19 ).

  Dans un ouvrage publié en 2005 au Seuil, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Jacques SÉMELIN, professeur à Sciences Po., directeur de recherche au Centre d'études et de recherches internationales ( CERI / CNRS ), psychologue et historien, a mené un travail d'approche comparative de la Shoah et des massacres de masse perpétrés au Rwanda et dans l'ex-Yougoslavie.
   D
ans le journal Libération du 4 février 2006, il expliquait comment cette approche comparative, visant à mettre en évidence la fois les facteurs communs et les spécificités, l'ont conduit à s'interroger sur l'ambiguité du terme « génocide » :

   Dans le langage courant, génocide revient à signifier « un grand massacre ». On a tué beaucoup de gens, donc ce serait un génocide.
   Pour un chercheur, il est extrêmement difficile de se servir de ce terme, puisqu'il est sujet à toute sorte d'instrumentalisations militantes [...]
   Parce que le mot génocide est décidément ambigu, j'ai préféré la notion de massacre, voire de crime de masse, de meurtre de masse défini comme une action collective de destruction de non-combattants, et je me demande à quelles conditions un massacre ou une série de tueries peut devenir un génocide.
    Il me paraît même très important de travailler en tant que chercheur pour tous les débats actuels [...)
   Selon moi, le génocide caractérise un processus spécifique de destruction qui vise à l'éradication totale d'une collectivité. À cet égard, il existe une différence importante entre génocide et nettoyage ethnique. Dans un nettoyage ethnique, on tue les gens en partie, mais on leur dit : par ici la sortie. Dans un génocide, on ferme toutes les portes.

Le 27 janvier, Journée de la mémoire de l'Holocauste
et de la prévention des crimes contre l'humanité dans les écoles

   En octobre 2002, à Strasbourg, les ministres de l'Éducation des 48 pays signataires de la Convention culturelle du Conseil de l'Europe, réunis à l'occasion d'un colloque ayant pour thème « Enseignement de la Shoah et création artistique », ont adopté une déclaration instituant une « Journée de la mémoire de l'Holocauste et de la prévention des crimes contre l'humanité dans les écoles » 20 ), conformément à l'engagement qui avait été pris en octobre 2000, à la Conférence des ministres européens de l'Éducation à Cracovie, en Pologne.

   À l'origine, cette journée commémorative devait, dans son intitulé même, être élargie à tous les génocides.
   Simone VEIL, ancienne présidente du Parlement européen, ancienne ministre française et présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, qui participait à ce colloque, a exprimé sa crainte d'une banalisation du génocide des Juifs et des Tsiganes :

      Le génocide des Juifs et des Tziganes constitue un événement unique dans l'histoire de l'humanité [...]
      Le premier danger n'est pas l'oubli, ni la négation, mais bel et bien la banalisation de la Shoah [...]
      Tout le monde est coupable.
      En conséquence, personne ne l'est vraiment
 21 ) .

   À sa demande, la délégation française conduite par Xavier DARCOS, ministre délégué à l'enseignement scolaire, et président du Groupe d'action international pour la mémoire de la Shoah créé sous l'égide du Conseil de l'Europe, a obtenu que la formulation retenue, « Journée de la mémoire de l'Holocauste » reconnaisse clairement la spécificité et la singularité du génocide perpétré par les nazis, bien distingué et identifié par rapport aux autres  crimes contre l'humanité  :

Il nous faut d'abord, pour éviter toute banalisation, [...] faire apparaître le caractère proprement inouï et irréductible de l'événement que constitue la destruction programmée des Juifs d'Europe.
   En même temps, il faut montrer que cette réalité s'inscrit dans une histoire, celle du nazisme, et qu'il convient de l'enseigner sans dérive ni erreur [...].
  Le mal absolu existe et nous savons qu'il est parfois difficile de le faire comprendre à une jeunesse que le « tout est relatif » entoure et peut séduire
 22 ).

   L'organisation de cette journée est laissée à l'initiative de chacun des États.
   En France, cette journée est organisée l
e 27 janvier, jour anniversaire de la libération du camp d'extermination d'Auschwitz en 1945.


Les ambiguïtés des termes « Holocauste » et « Shoah »
pour désigner le génocide nazi

   Si le bien fondé de la journée du 27 janvier n'est pas remis en cause, il est vrai que son appellation, qui fait référence au terme « holocauste » est contestée par certaines associations d'anciens déportés et la plupart des historiens français qui préfèrent le terme de « génocide », forgé dès 1944 par un juriste américain d'origine polonaise, Raphaël LEMKIN, ou encore celui de « Shoah », mot hébreu qui signifie « catastrophe », repris en 1985 par Claude LANZMANN .

   En janvier 2004, la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes a publié, dans son journal Le Patriote Résistant, la lettre que son Bureau exécutif a adressé au directeur de l'enseignement , sous le titre « De l'emploi du terme " Holocauste" » : 

   Si nous ne pouvons que saluer une initiative visant à perpétuer la mémoire des crimes nazis, tout spécialement celle de l'extermination systématique des juifs et des tsiganes, et à prévenir d'autres crimes contre l'humanité, nous nous inscrivons en faux contre l'utilisation du terme « holocauste ».
   En effet, ce dernier, dérivé d'une traduction grecque de la Tora, renvoie à la consumation totale de l'animal sacrifié sur l'autel du Temple. Or, les millions de victimes des persécutions racistes du régime hitlérien brûlées dans les flammes de Birkenau et des autres camps d'extermination ont été assassinées et ne se sont nullement offertes en sacrifice pour leur foi.
   C'est la raison pour laquelle, bien que popularisé en 1978 par le film américain, ce terme n'a jamais été adopté par les historiens français, qui préfèrent à bon droit celui de « génocide » ( forgé en 1944 par le linguiste et juriste polonais Raphaël Lemkin, futur instigateur de la Convention de l'ONU de 1948 ) ou, s'agissant de l'extermination des juifs seuls, depuis le film de Claude Lanzmann, celui de « Shoah » ( bien qu'il comporte également, par son origine biblique, une connotation religieuse ; le sens de « cataclysme », de « catastrophe », évoque davantage le déluge que le « génocide nazi », bien plus explicite d'un point de vue historique ).
   Nous avons constaté que les pays anglo-saxons, peut-être moins directement concernés par les crimes du nazisme, avaient en effet contribué à consacrer l'impropriété du contesté « holocauste ».
Quoiqu'il en soit, et en dehors de notre attachement à la langue française, la précision lexicale et historiographique du terme de « génocides », qui rend parfaitement compte d'un processus volontaire d'extermination systématique des juifs, comme des tsiganes, aurait dû s'imposer aux yeux des instigateurs de cette journée éducative européenne.
   Les déportés survivants et leurs familles ne peuvent que ressentir douloureusement l'utilisation du terme « holocauste », comportant abusivement une notion de sacrifice volontaire ou d'un autre terme excluant une catégorie de victimes du génocide, celle des tsiganes.
   C'est pourquoi nous avons l'honneur de vous demander de veiller au vocabulaire des textes qui sont de votre ressort direct et de tenter de faire prévaloir, à l'échelon européen, l'emploi de l'expression de « génocides nazis », pertinente historiquement, voire de « Shoah », s'agissant des seules victimes juives
23 )
.

   En janvier 2005, à l'occasion de la commémoration du 60ème anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, Jacques SEBAG constatait dans Le Monde que l'utilisation du terme « holocauste », qu'il juge inapproprié et erroné  pour désigner l'extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, non seulement perdure, mais a même tendance à se généraliser depuis l'instauration en 2002 de la Journée de la mémoire de l'Holocauste et de la prévention des crimes contre l'humanité. Il a demandé solennellement que cette journée commémorative soit rebaptisée « Journée de la mémoire de la Shoah, du génocide nazi, et de la prévention des crimes contre l'humanité » ( 24 ).

  
 
En février 2005, l'historien Henri MESCHONNIC, traducteur de la Bible, s'exprimait à son tour dans la rubrique " Point de vue " du journal Le Monde. Rejetant, lui-aussi, le terme « " Holocauste " pour désigner l'extermination des juifs par le nazisme et par Vichy, puisque le mot désigne un sacrifice offert à Dieu, où, au lieu de manger la bête sacrifiée, on la brûle en entier », il juge scandaleux d'« user de cette appellation pour dire une extermination voulue par une idéologie sans rapport avec le divin », et qui constitue, comme l'a déclaré Jacques SEBAG, « un contre-sens majeur », puisque « non seulement le terme implique une théologie qui justifie le meurtre de masse en le présentant comme une dévotion et un sacrifice en paiement des péchés, ce qui en fait une punition divine, mais c'est aussi parce que c'est un terme grec, qui vient de la traduction des Septante, texte de base du christianisme, une christianisation, une archéologisation » .
   
Mais, alors que Jacques SEBAG justifie pleinement l'utilisation du terme « Shoah »,
Henri MESCHONNIC le considère comme aussi contestable et même scandaleux que le terme « Holocauste », parce que ce mot hébreu, sans aucune connotation religieuse, désigne « une catastrophe naturelle », alors qu'il y a dans la Bible d'autres mots en hébreu pour désigner « une catastrophe causée par les hommes », et qu'il est devenu aujourd'hui « " le nom définitif " de l'innommable », depuis qu'il a été choisi par Claude LANZMANN pour identifier son film, alors que, de l'aveu même de son auteur, ce dernier a choisi le terme hébreu de « Shoah » parce qu'il ne comprenait pas ce qu'il voulait dire.
   
Selon Henri MESCHONNIC, il n'y a rien d'innommable dans ce que les nazis appelaient « la solution finale », et que Raul HILBERG désigne dans son livre La destruction des juifs d'Europe. Il propose donc d'abandonner le terme « Shoah », parce qu'«  il n'y a pas besoin d'un mot hébreu pour le dire », et qu'« on peut le dire dans toutes les langues avec des mots qui disent ce qu'ils veulent dire, et dont chacun connaît le sens », tout en constatant que
le terme « génocide » pose problème, « celui d'une spécificité-unicité, revendiquée par les uns, refusée par les autres, étant donné la multiplication des crimes de masse  » 25 ).

Lorsque le négationnisme devient une idéologie d'État
et que le négationnisme « de gauche » rejoint celui d'extrême-droite

    Dans un point de vue publié dans le n° 318 de L'Histoire en mars 2007 sous le titre " Les habits neufs du négationnisme ", Henry ROUSSO analyse la portée du colloque The Holocaust Global Vision tenu à Téhéran les 11 et 12 décembre 2006 à l'initiative de Mahmoud AHMADINEJAD, le président iranien qui n'hésite pas à répéter que le génocide perpétré par les nazis est un « mythe », et qu'il faut « rayer de la carte » l'État d'Israël.
   Henry ROUSSO relève la présence à ce colloque des Français Robert FAURISSON et Georges THEIL, un proche de Bruno GOLLNISCH, et signale que dès les années 1980, l'ambassade d'Iran à Paris finançait déja les éditeurs d'ouvrages négationnistes.
   Il observe que « la parole de haine s'étale désormais sans aucune précaution oratoire » , que «  pour la première fois, le négationnisme est devenu une idéologie d'État [ qui ] semble s'imposer aujourd'hui comme un élément rassembleur du front de l' " antisionisme ", du soutien au peuple palestinien et de la lutte contre l'impérialisme américain ».
   
Il appelle à « se garder de sous-estimer ce négationnisme " de gauche " », et s'inquiète de « la jonction de ce négationnisme " de gauche " avec celui d'extrême-droite » illustré par le rapprochemnt récent entre DIEUDONNÉ et le Front national, tout comme de «  la diffusion du négationnisme au sein de l'opinion arabo-musulmane ».
   Selon lui, en France, le négationnisme d'abord utilisé après la Seconde Guerre mondiale par les artisans de la renaissance de l'extrême-droite qui s'était compromise avec les nazis, mais aussi par ceux qui avaient besoin de minimiser les crimes du Troisième Reich hitlérien pour mieux faire reconnaître le communisme et le stalinisme comme représentant le mal absolu, « sert régulièrement à ressouder le noyau dur des militants ».
   Quant au négationnisme du président iranien, il n'est pas qu'une simple «  provocation diplomatique ». Il vise à délégitimer l'État d'Israël en falsifiant l'histoire.
   
   Et de conclure :

   Les négationnistes n'étaient jusque-là « que » des assassins de la mémoire. Dès lors que la négation des crimes du passé se mue sous nos yeux en parole prégénocidaire, prenons garde qu'ils ne deviennent des assassins tout court.

   Le 25 février 2009, dans un article intitulé " Les bons amis de Dieudonné " publié dans la rubrique " Décryptages Enquête " du journal Le Monde, Abel MESTRE et Caroline MONNOT, exposaient les résultats de leurs investigations sur les « liaisons dangereuses » de l'humoriste DIEUDONNÉ.
   Ils constataient qu'après avoir été « un proche de la gauche alternative » et avoir combattu le Front national de Jean-Marie LE PEN, DIEUDONNÉ « est devenu une caisse de résonance pour une frange composite de l'extrême droite française », qui accueille dans son Théâtre de la Main d'Or, le négationniste FAURISSON et « les représentants de la droite la plus extrême » :

   [...] Pour l'humoriste et ses amis, il n'y a plus désormais ni gauche ni droite. Il y a le système – comprendre « l'axe américano-sioniste » – et les ennemis du système. D'où l'étrange attelage qui gravite autour de lui : chiites radicaux du Centre Zahra, héritiers de Maurras, quelques jeunes de banlieue et des étudiants membres de l'extrême droite musclée [...]
   Au centre de cette galaxie, un club politique : Égalité et Réconciliation, une association créée il y a deux ans, qui a toujours évolué à la périphérie du Front national. Ses dirigeants officiels sont le polémiste Alain Soral, transfuge du Parti communiste passé à l'extrême droite, et Marc George, qui dit avoir commencé à militer au Parti socialiste dans les années 1980 avant de rejoindre le Front national après la première guerre du Golfe, puis de jouer le rôle de coordinateur de la campagne de Dieudonné avant la présidentielle de 2007 [...]
   La véritable nature d'Égalité et Réconciliation reste un mystère. La consultation de ses statuts, déposés le 21 mars 2007 au bureau des associations de la préfecture de police de Paris, fait apparaître deux personnes qui préfèrent rester très discrètes. Outre Alain Soral, sont inscrits comme membres fondateurs Jildaz Mahé O'Chinal et Philippe Peninque. À vingt ans d'écart, tous deux ont milité activement au sein de la même organisation d'extrême droite étudiante, le Groupe union défense ( GUD ), réputé pour sa violence. La spécificité du GUD – autrefois basé à l'université de Paris II-Assas et aujourd'hui dissous – était de rassembler des adeptes de la provocation qui faisaient leurs premières armes en politique en cassant du « gauchiste » [...]

L'ouverture de l'Encyclopédie en ligne desviolences de masse

   Le 3 avril 2008 a été inauguré à Sciences Po de la première encyclopédie électronique des violences de masse.
    Cette encyclopédie en ligne, créée à l'initiative de Jacques SÉMELIN, auteur de Purifier et détruire : usages politiques des massacres et génocides, publié au Seuil en 2005, s'appuie sur un partenariat entre Sciences Po, le Centre d'études et de recherches internationales ( CERI / CNRS ), le Mémorial de Caen et l'Institut für Sozialforschung.
   Interviewé par Jean-Christophe PLOCQUIN dans La Croix du 3 avril 2008, Jacques SÉMELIN expliquait l'objectif de cette encyclopédie en ces termes :

   La notion de crime de génocide est au cœur de la convention des Nations unies du 9 décembre 1948. Celle-ci représente un texte de référence du droit international absolument central, qui figure en bonne place dans les statuts de la Cour pénale internationale créée en 2002. La convention s’est imposée au milieu du XXe siècle comme une réponse juridique de la conscience universelle contre la démesure des crimes de masse commis quelques années ou décennies auparavant.
    En revanche, les chercheurs ne sont pas parvenus à s’entendre sur la définition du génocide. Ils sont divisés sur la notion d’intention, sur la définition de ce qu’est un groupe, sur la nécessité de retenir le critère de destruction partielle ou totale de ce groupe…. Un des buts de notre encyclopédie sera de mettre au jour ces débats. Les principaux auteurs y exprimeront leurs travaux et le lecteur se fera sa propre opinion [...]
   Je considère que les universitaires ont une responsabilité à construire la connaissance sur cette question des violences de masse et à la diffuser. Nous devons renouer avec l’idéal universaliste, celui des encyclopédistes. [...]