Un statut controversé,
une évolution mouvementée
En
France, dès 1945, le
statut de résistant a fait l'objet de multiples débats
et donné lieu à des révisions,
des compromis, au gré de
la conjoncture politique et de l'évolution des mentalités.
Sur le plan juridique, cinq
lois ont été adoptées
entre 1945 et 1992, pour définir ce statut, fixer
les droits des anciens résistants, lois auxquelles sont venus
s'ajouter de multiples circulaires, décrets ou arrêtés.
L'évolution de ce statut a été
lui-même un enjeu politique
qui a vu s'affronter au-delà d'une relative union nationale
de façade, des lectures divergentes
voire antagonistes, opposant résistants gaullistes, résistants
communistes, vichysto-résistants et les autres
Après la 2ème
guerre mondiale, l'engagement dans la Résistance,
a constitué une instance de légitimation
qui a permis aux diverses forces politiques d'instrumentaliser
le statut de Résistant tout en s'exonérant
d'errements anciens : l'adhésion
des communistes au pacte germano-soviétique, le ralliement
de la droite conservatrice et d'une partie de la gauche au maréchalisme,
voire les dérives collaborationnistes de quelques égarés.
Elle a pris une dimension
financière et budgétaire contraignante, dans
la mesure où un droit à réparation
a été attaché à la reconnaissance
de la qualité de résistant, ou plus précisément
de Combattant volontaire de la Résistance
( CVR ).
Cette évolution doit aussi être rapprochée
des changements de perception qui se sont
opérés dans l'opinion publique à l'égard
de ce qu'avait été la Résistance française.
La lecture glorieuse d'une résistance de masse et précoce
a prévalu jusqu'au début des années 1970, en
occultant Vichy et sa responsabilité dans la mise en uvre
du génocide.
L'ordonnance du 3 mars 1945 a ébauché le statut de résistant
L'ordonnance
du 4 mars 1945, signée par le général de Gaulle a précisé
le statut d'ancien combattant et placé
le résistant dans le sillage des anciens combattants de 14-18
qui restaient la référence.
Elle reposait sur la volonté d'associer
les deux victoires de 1918 et de 1945 et de ne pas créer
de fossé entre les anciens combattants des deux guerres mondiales.
Elle voulait réconcilier
le mouvement ancien combattant en exorcisant les tendances
ligueuses et antirépublicaines qui avaient secoué les
associations issues de la 1ère guerre mondiale et qui s'étaient
manifestées en particulier lors de la manifestation du 6
février 1934, ainsi que les dérives pétainistes,
puis vichystes, marquées par la création de la Légion
des combattants.
Cette ordonnance considérait
comme résistant ceux qui avaient appartenu à un groupement
clandestin reconnu par le Conseil national de la Résistance
(CNR), ce qui revenait à exclure les isolés
à quelques exceptions près, en particulier ceux qui
avaient été exécutés, déportés,
emprisonnés ou privés de liberté pour acte de
résistance.
Elle fondait « un
droit à réparation » qui s'inspirait
de la loi du 31 mars 1919.
Elle exigeait 90 jours de
présence dans les Forces françaises de l'intérieur
(FFI), les Forces françaises combattantes (FFC) ou un groupement
reconnu par le CNR, ce qui correspondait à la durée
exigée de présence au feu pour obtenir le statut d'ancien
combattant de 14-18.
La loi du 15 mai 1946
a défini le statut et les droits des CVR
La
loi du 15 mai 1946 a fixé le
statut et les droits des CVR par référence
à ceux des anciens combattants de 14-18 , en précisant
ou modifiant l'ordonnance du 3 mars 1945.
Elle réservait exclusivement le statut de
CVR aux résistants ayant appartenu
à une formation militaire d'un groupement clandestin reconnu
par le CNR.
Elle stipulait que la qualité de CVR devait
être validée par des commissions
départementales constituées aux 2/3 par les
associations d'anciens résistants.
En privilégiant le
caractère militaire de l'engagement résistant,
cette loi renforçait les liens entre le statut d'ancien combattant
de 14-18 et celui de CVR de la 2e guerre mondiale.
Elle était conforme à la
vision gaulliste et élitiste qui privilégiait la lutte
armée par des forces régulières –
l'Appel du 18 juin 1940 s'adressait aux militaires, officiers, soldats,
ingénieurs et ouvriers de l'armement – , ainsi que le renseignement
et le sabotage au service de l'armée, et assimilait la résistance
à une armée victorieuse qui avait réparé
le désastre de 1940.
Elle sous-estimait le caractère
idéologique du nazisme et occultait largement la
spécificité du génocide.
Elle cherchait aussi à limiter
l'influence du Parti communiste français (PCF)
qui lui, exaltait le caractère civil et populaire du combat
clandestin.
Votée à l'unanimité, la
loi du 15 mai 1946, dont on aurait pu penser qu'elle avait
fixé définitivement le statut de CVR,
a été rapidement contestée,
- parce qu'en donnant la
majorité aux associations dans les commissions chargées
de valider la qualité de CVR, elle
ouvrait la voie à des dérives, des abus possibles,
des pratiques laxistes, renforcées par les rivalités
entre associations et les risques de clientélisme,
- parce qu'elle
avait oublié de préciser une date de référence
précise pour calculer les 90 jours de combat clandestin
effectif,
- et parce qu'elle
avait instauré un délai de forclusion de 9 mois pour
le dépôt des dossiers des résistants qui voulaient
faire valoir leurs droits.
Dès lors allaient s'affronter, d'une part ceux
qui voulaient s'en tenir à une stricte
application de la loi du
15 mai 1946, et ceux qui réclamaient
un aménagement de cette
loi prenant mieux en compte les droits légitimes des résistants
isolés et de la résistance civile.
Les polémiques et les affrontements de la guerre froide
À
partir de 1947, avec l'exclusion des ministres communistes
du gouvernement, la rupture du Tripartisme et l'avènement de
la Troisième force qui rejetait le PCF dans l'opposition et
l'isolait de la vie politique, le débat a donné lieu
à de violentes polémiques.
Le PCF exigea que le CNR où il siégeait
en force puisse légitimer les organisations de résistance.
Il récusa la règle
des 90 jours en donnant l'exemple des combattants du Vercors
qui n'ont pu se battre que pendant 45 jours faute d'armes.
Il refusa de faire du
6 juin 1944 la
date butoir pour décompter les 3 mois de résistance
active permettant de solliciter le statut de CVR .
Il demanda que la population puisse contrôler
les titres des résistants qui sollicitaient le statut
de CVR : affichage aux portes des mairies et publication dans la presse
régionale, 10 jours avant la réunion des commissions
départementales, du nom des demandeurs.
Le PCF défendait sa vision d'une résistance,
phénomène civil et politique de masse, répondant
à l'appel du CNR, et débouchant sur l'insurrection nationale
et populaire de la Libération, vision qui le conduisait à
avoir une conception extensive de la lutte
clandestine.
Les autres formations politiques ripostèrent
en se retranchant derrière une vision
militaire et élitiste de la résistance, qui
privilégiait la résistance extérieure des réseaux
et des Forces française libres au détriment de la résistance
intérieure.
Les
modifications apportées au statut des CVR
par la loi du 25 mars 1949
La
loi du 25 mars 1949 a modifié le statut des CVR.
Elle distinguait deux types
de résistance : une
résistance extra-métropolitaine
dont pouvaient
se prévaloir les membres des Forces française libres,
les prisonniers de guerre ayant accompli des actes de résistance,
et les personnes ayant appartenu à la Résistance dans
les départements et pays d'outre-mer, et une résistance
métropolitaine englobant
plusieurs catégories de
résistants susceptibles
de faire valoir leurs droits :
- les résistants ayant
appartenu à une formation homologuée,
résistante ou maquisarde,
- les résistants qui, sans
appartenir à une formation homologuée,
ont souffert dans leur chair (morts, blessés, internés,
déportés),
- les francs-tireurs
apportant la preuve, attestée par au moins deux témoignages
de résistants notoirement reconnus ayant appartenu à
des formations homologuées, qu'ils avaient
« accompli habituellement pendant 3 mois des actes caractérisés
de résistance ».
Elle fixait la durée minimale d'action résistante
effective à au moins 3 mois
et instaurait une date butoir pour
le calcul de ces 3 mois d'action clandestine : avant
le 6 juin 1944.
Elle enlevait au CNR ses
prérogatives en matière d'homologation des
mouvements de résistance.
Elle affaiblissait le pouvoir
des associations d'anciens résistants dans les commissions
départementales chargées de valider les demandes, leur
représentation y étant ramenée des 2/3 à
50 %.
Elle maintenait le principe d'un délai
de forclusion dont l'ultime échéance était
fixée au 21 mars 1951.
La loi du 25
mars 1949 qui a accentué l'isolement et le ressentiment
du PCF et des résistants communistes, semblait avoir établi
définitivement ou au moins durablement le statut de CVR, en
renforçant son caractère non
révisable.
En réalité, après
1951, les associations de résistance
demandèrent la levée de la forclusion, considérée
comme injuste à l'égard des résistants authentiques
qui avaient négligé de faire valoir leurs droits dans
les délais légaux.
En outre, au fur et à mesure que leurs rangs
s'éclaircissaient avec la disparition de leurs membres, les
associations rivales ne pouvaient plus désormais se développer
et exercer un rapport de force les unes par rapport aux autres, qu'en
faisant de nouveaux adhérents
reconnus comme d'authentiques résistants.
Elles ont donc réclamé et obtenu de
proroger les délais par
le vote de six lois successives
entre 1952 et 1957.
Les services des demandeurs
étaient désormais valider par le liquidateur des unités
combattantes ou des réseaux auxquels ils avaient
appartenu, ce qui eut pour conséquence d'encourager parfois
la production de faux certificats.
Après le retour au pouvoir du
général de Gaulle, le
dépôt de nouvelles demandes fut clos le
1er janvier 1959, principe qui fut maintenu jusqu'en
1975.
La levée des forclusions :
le décret du 6 août 1975
les lois du 10 mai 1989 et du 4 janvier 1993
En
1975, le président de la République Valéry Giscard d'Estaing a annoncéque l'État
s'abstiendrait désormais de commémorer le
8 mai 1945, la victoire alliée
qui a mis fin à la 2e guerre mondiale en Europe.
Cette décision a provoquéla désapprobation
unanime de toutes les associations, qui ont exprimé
leur colère.
Pour rattraper cette maladresse, le président
Giscard d'Estaing a décidé
par le décret du 6
août 1975 et l'instruction
ministérielle du 17 mai 1976, de lever
les forclusions.
Sous
la présidence de François Mitterrand,
la déréglementation des procédures
d'attribution de la carte de CVR s'est accélérée : l'âge
de prise en compte de l'engagement dans la Résistance a été
abaissé de 18 à 16
ans,
l'instruction et l'attribution des cartes de CVR ont été
déconcentrées au
profit des commissions départementales, la
durée des services exigée a été ramenée
à 80 jours au
lieu de 90 jours,
et un seul des deux témoins
devait avoir appartenu à une formation homologuée.
Contrairement
à ce qu'on redoutait, la levée
des forclusions n'a cependant pas entraîné d'explosion
du nombre de cartes de CVR
Dans
la Marne,
depuis la fin de la 2e guerre mondiale, 3 107
demandes ont été instruites par le service
départemental de l'Office national des anciens combattants
et 1 731 cartes de CVR ont
été décernées, dont 197 seulement
ont été attribuées après la levée
des forclusions.
Cartes
attribuées au titre de la résistance intérieure
(dont après la levée des forclusions
intervenues) |
1 491
(184) |
Cartes
décernées à titre posthume |
152 |
Cartes
attribuées au titre de la résistance extérieure
(dont après la levée des forclusions
intervenues) |
88
(13) |
NOMBRE
TOTAL DE CARTES |
1 731 |
Source
: Service départemental de l'Office national des anciens combattants
et victimes de guerre, Châlons-sur-Marne.
La
fin de la guerre froide, l'exercice de l'alternance et des cohabitations,
la montée de l'extrême-droite, la résurgence des
vieux démons nationalistes, xénophobes, racistes, antisémites,
ont contribué à apaiser les
esprits et à dépolitiser le mouvement ancien combattant.
Le statut de résistant est passé d'une
version militaire et élitiste,
à une version civile, cuménique
et humaniste, soucieuse de défendre les
valeurs de la démocratie et des droits de l'homme.
Sources :
- Olivier
Wieviorka, "
Les avatars du statut de résistant en France ( 1945-1992 ) ",
20ème siècle - Revue d'histoire, avril-mai
1996.
- Serge
Barcellini,
- " Les
Résistants dans l'il de l'administration ou l'histoire
du statut de combattant volontaire de la Résistance ",
Guerres mondiales et conflits contemporains, n°178,
1995 ;
- " La
Résistance française à travers le prisme
de la carte CVR ", in Laurent
ouzou,
Robert rank, Denis
Peschanski et Dominique
Veillon, La Résistance
et les Français ; villes, centres et logiques
de décision, supplément au Bulletin
de l'IHTP n° 61, Paris, Institut d'histoire du
temps présent / CNRS, 1995.
- Daniel
Bermond, " La
chasse aux faux résistants n'est pas terminée ! ",
L'Histoire, n° 147, septembre 1991.
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