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Pierre DAC
(1893-1975)

   Pierre DAC était le petit-fils de juifs expulsés d’Alsace-Lorraine après son annexion à l’Empire allemand en 1871. De son vrai nom André ISAAC, né le 15 août 1893 à Châlons-sur-Marne (Châlons-en-Champagne), il était le fils de Salomon SAAC, marchand-boucher et de Berthe KAHN.

État-civil de Châlons

   Pierre DAC était un ancien combattant de la 1ère guerre mondiale au cours de laquelle son frère aîné, Marcel, a été tué et lui-même blessé par deux fois.
   Dès 1922, il s’est fait connaître comme chansonnier, dans des cabarets parisiens sous le nom de Pierre DAC et avec le surnom de « roi des loufoques ».
   En 1938, il a créé un journal satirique, L’Os à Moelle, et ses sketches étaient diffusés sur Radio-Cité et sur le Poste Parisien
.
   Le 19 juin 1940, réfugié à La Bussière près de Dijon, Pierre DAC a été invité par un voisin, passionné de radio, qui écoute régulièrement depuis 1937 les bulletins d’informations de la BBC diffusés cinq fois par jour en français à venir chez lui écouter à 20 heures 15 la rediffusion du message d’un général français inconnu lancé la veille sur les ondes de la radio britannique. Pierre DAC a entendu physiquement l’Appel du général de Gaulle et a décidé de rejoindre Londres en passant par l’Espagne. Il a franchi une première fois les Pyrénées avec l’aide d’un passeur en novembre 1941, mais il a été arrêté par la police espagnole et incarcéré à Barcelone. En mars 1942, il a été remis aux autorités françaises de Vichy au poste frontière de Céret. Au commissaire spécial qui lui demandait pourquoi il avait tenté de quitter la France il a répliqué : « En France, il y avait deux hommes célèbres, le Maréchal Pétain et moi. La nation ayant choisi le maréchal, je n'avais plus qu’à partir ».
   Condamné à un mois de prison et douze cents francs d’amende, il a été incarcéré à la maison d’arrêt de Perpignan, puis remis en liberté    après avoir purgé sa condamnation.

   Après l’invasion de la zone Sud par la Wehrmacht en novembre 1942, Pierre DAC qui était recherché par la Gestapo, a dû se cacher. En mars 1943, munis de faux-papiers au nom de Pierre DUVAL, il est passé en Espagne par le train, mais il a été à nouveau arrêté à Lerida le 18 mai, incarcéré dans la prison de Valencia de Alcantara, puis transféré en juin dans la prison de Caceres.
   En août 1943, il a été libéré sur intervention de la Croix-Rouge qui a négocié un échange de prisonniers contre des sacs de blé. Il est passé alors au Portugal, puis il a rejoint Alger par Gibraltar et a rallié Londres par avion le 12 octobre 1943.

   À partir du 30 octobre 1943, il a été l’un des « Français qui parlaient aux Français » au micro de la BBC à Londres. Un vent de dérision et d’espoir dans la victoire finale soufflait dans ses éditoriaux et dans les chansons qu’il composait.

   Le 11 mai 1944, sur les antennes de Radio-Paris, radio au service de l’occupant, le ministre de l’Information du gouvernement de Vichy Philippe HENRIOT a persiflé sur les origines juives de Pierre DAC :


« Le 15 août 1893, jour anniversaire de la naissance de Napoléon, naissait à Châlons-sur-Marne, un certain Isaac André, fils de Salomon et de Berthe Kahn […] Qu’est-ce qu’Isaac, fils de Salomon, peut bien connaître de la France […] La France qu’est-ce que ça peut signifier pour lui ? Cet apatride se moque éperdument de ce qui arrivera à la France. S’il s’insurge contre les Allemands, ce n’est pas parce que ceux-ci occupent la France dont il se moque, c’est parce qu’ils ont décidé d’éliminer le parasite juif de l’Europe […] ».

   Pierre DAC, qui avait dès le 3 novembre 1940 depuis Londres, créé sur l’air du Duc de Bordeaux la chanson Le roi des salauds, chanson diffusée ensuite régulièrement sur la BBC, lui a répondu le lendemain 12 mai par un texte intitulé Bagatelle pour un tombeau dont voici un large extrait :
   « […] C’est entendu, monsieur Henriot, en vertu de votre théorie raciale et nationale-socialiste, je ne suis pas Français […]
Laissez-moi vous rappeler, en passant, que mes parents, mes grands-parents, mes arrière-grands-parents et d'autres avant eux sont originaires du pays d'Alsace, dont vous avez peut-être, par hasard, entendu parler ; et en particulier de la charmante petite ville de Niederbronn, près de Saverne, dans le Bas-Rhin. C'est un beau pays, l'Alsace, monsieur Henriot, où depuis toujours on sait ce que cela signifie, la France, et aussi ce que cela signifie, l'Allemagne. Des campagnes napoléoniennes en passant par celles de Crimée, d'Algérie, de 1870-1871, de 14-18 jusqu'à ce jour, on a dans ma famille, monsieur Henriot, lourdement payé l'impôt de la souffrance, des larmes et du sang.
   Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France. Alors, vous, pourquoi ne pas nous dire ce que cela signifie, pour vous, l'Allemagne ?
   Un dernier détail : puisque vous avez si complaisamment cité les prénoms de mon père et de ma mère, laissez-moi vous signaler que vous en avez oublié un, celui de mon frère. Je vais vous dire où vous pourrez le trouver ; si, d'aventure, vos pas vous conduisent du côté du cimetière Montparnasse, entrez par la porte de la rue Froidevaux ; tournez à gauche dans l'allée et, à la 6e rangée, arrêtez-vous devant la 8e ou la 10e tombe. C'est là que reposent les restes de ce qui fut un beau, brave et joyeux garçon, fauché par les obus allemands, le 8 octobre 1915, aux attaques de Champagne. C'était mon frère. Sur la simple pierre, sous ses nom, prénoms et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription : « Mort pour la France, à l'âge de 28 ans ». Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France.
   Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription : elle sera ainsi libellée :

PHILIPPE HENRIOT
Mort pour Hitler,
Fusillé par les Français...

   Bonne nuit, monsieur Henriot. Et dormez bien ».

   Le 28 juin 1944, Philippe Henriot a été exécuté à Paris, au ministère de l’Information 10, rue de Solférino par un groupe de résistants dont faisait partie le Rémois Jean-Jacques Désiront.

   En novembre 1944, Pierre Dac est devenu correspondant de guerre dans la 1ère Division des Forces françaises libres. Il a effectué des reportages radiophoniques et a écrit des articles publiés dans La France au combat. Lorsqu’il a été démobilisé en août 1945, il était sous-lieutenant dans la 1ère Armée française du général de Lattre de Tassigny.

   Le 1er septembre 1945, le général de GAULLE a adressé à PIERRE-DAC André, patronyme sous lequel Pierre DAC s’était engagé dans la France libre, et qui figure aussi sur la carte d’Interné-résistant qui lui a été attribué en 1947, une sorte de brevet de reconnaissance surmontée d’une Croix de Lorraine sur lequel on peut lire :

« Répondant à l’appel de la France en péril de mort, vous avez rallié les Forces Françaises Libres. Vous avez été de l’équipe volontaire des bons Compagnons qui ont maintenu notre pays dans la guerre et dans l’honneur. Vous avez été de ceux qui, au premier rang, lui ont permis de remporter la Victoire ! Au moment où le but est atteint, je tiens à vous remercier amicalement, simplement, au nom de la France.
                                                             1er Septembre 1945                                                                 Charles de Gaulle »

   En octobre 1945, Pierre DACa fait reparaître L’Os à Moelle qui est devenu L’Os libre et dont il a été le rédacteur en chef et le directeur-gérant.

   Il est décédé le 9 février 1975.

   À Châlons-en-Champagne, une rue et un espace culturel portent le nom de Pierre DAC.