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   Histoire et mémoire 51 > Histoire et mémoires des fusillés > Présentation au Salon du Livre d'histoire à Verdun

7 et 8 novembre 2015
Présentation du Dictionnaire biographique des Fusillés
au Salon du Livre d'histoire de Verdun
par Jean-Pierre et Jocelyne Husson

La genèse du projet

   Les fusillés (1940-1944) est l’aboutissement d’un long travail de recherches et d’édition qui a été initié en 2007 par Jean-Pierre BESSE, historien de la Résistance, co-responsable du Maitron, dictionnaire biographique, mouvement ouvrier, mouvement social, et auteur avec Thomas POUTY de l’ouvrage Les fusillés. Répression et exécutions pendant l’Occupation (1940-1944). Publié en 2006 aux Éditions de L’Atelier, cet ouvrage a ouvert la voie aux recherches nationales sur les fusillés.

   Alors que les déportés et les internés de la Seconde Guerre mondiale ont fait l’objet de nombreux travaux, les fusillés, autres victimes de la répression nazie et de la collaboration vichyste ont longtemps constitué un sujet peu abordé par l’histoire universitaire.
   Les nombreuses polémiques mémorielles qui entourent ce sujet expliquent sans doute, au moins en partie, ce manque d’intérêt.
   C’est pourtant un sujet qui a fait l’objet d’une importante collecte d’informations, initiée dans les années 1960 et 1970 par le réseau des correspondants départementaux du Comité d’histoire de la 2e guerre mondiale, puis par les associations de familles de fusillés, le réseau des Musées de la Résistance nationale, ou plus récemment par les équipes départementales de l’Association pour des études sur la Résistance intérieure, département de la Fondation de la Résistance (AERI), ou encore par le site MémorialGenWeb pour ce qui concerne la présence des fusillés sur les monuments aux morts et les mémoriaux de la 2e guerre mondiale.

   Aujourd’hui encore, en France, lorsqu’on évoque le sort des fusillés, cela renvoie le plus souvent aux fusillés de la Première Guerre mondiale, dont le nombre a été beaucoup plus réduit, et qui ont été exécutés dans des conditions totalement différentes.
   D’un côté quelques centaines de soldats fusillés par leur propre armée pour désobéissance, de l’autre des milliers d’acteurs de la vie sociale, le plus souvent résistants, exécutés par une armée d’occupation avec la complicité du gouvernement de Vichy, parfois avec sa participation.
   Les uns comme les autres ont fait et continuent de faire l’objet d’enjeux mémoriels qui se sont focalisés longtemps sur leur nombre.

   S’agissant des fusillés de la Seconde Guerre mondiale, des chiffrages surévalués, fluctuants et peu crédibles ont été avancés au lendemain de la Libération, accompagnés d’une grande confusion en ce qui concerne les catégories d’exécutés.
   On a parlé de 100 000, puis de 80 000 fusillés… en faisant l’amalgame entre les morts au combat, les otages, les exécutés sommaires, les massacrés, et les fusillés après condamnation à mort ou comme otages. C’est ainsi que le Parti communiste s’est présenté comme « le parti des 75 000 fusillés ».

   Le projet d’un dictionnaire des fusillés de la 2e guerre mondiale, intégré au Maitron, est né :
- du constat dressé par Jean-Pierre BESSE, que nombre des fusillés étaient membres ou appartenaient à la mouvance des partis politiques, syndicats, mouvements de jeunesses et associations sportives se réclamant du mouvement ouvrier et social,
- et de sa conviction, que, pour rester fidèle à l’esprit du Maitron et de son fondateur, Jean MAITRON, il ne fallait pas se limiter à quelques grands noms héroïsés par la mémoire communiste et gaulliste, comme Gabriel PÉRI, Guy MÔQUET, ou Honoré d’ESTIENNE D’ORVES, mais observer les itinéraires de l’ensemble des fusillés, y compris ceux qu’on pourrait appeler les sans grade de la Résistance.

   Après le décès brutal en 2012 de Jean-Pierre BESSE, ce projet a été porté par Claude PENNETIER, directeur du Maitron et chercheur du CNRS au Centre d’histoire sociale du XXe siècle de l’Université de Paris 1. C’est lui qui en a assuré la direction avec Thomas POUTY, historien des fusillés, aujourd’hui directeur de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre du Calvados, et Delphine LENEUVEU, historienne de la Seconde Guerre mondiale au Centre de recherche d’histoire quantitative de l’Université de Caen Basse-Normandie, qui est un laboratoire du CNRS.

   L’équipe de conception du projet de recherche et de rédaction était constituée d’une quarantaine d’historiens.
   Une centaine de contributeurs ont participé à la rédaction des notices biographiques.

Les sources

    Ces notices biographiques s’appuient sur de nombreuses sources : 
- en premier lieu les fonds de la Direction des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), installées à Caen, dépouillées par Thomas POUTY, qui contiennent les dossiers établis par le Ministère de la Défense-Secrétariat d’État aux anciens combattants et victimes de guerre, les dossiers des tribunaux allemands, et les listes de fusillés établies par les services allemands ;
- les Archives de la Préfecture de Police de Paris dépouillées par Jean-Pierre BESSE et Daniel GRUSON, qui fournissent de précieuses informations sur les conditions d’arrestation et les interrogatoires dans la région parisienne ;
- l’ensemble des archives publiques, nationales, départementales, communales ;
- les archives du Bureau Résistance intégrées au Centre historique des archives du Château de Vincennes
- les archives de la Gendarmerie,
- les archives des services départementaux de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) ;
- les archives du réseau des Musées de la Résistance nationale, en particulier celui de Champigny ;
- les archives allemandes pour les départements d’Alsace-Moselle annexées et le département du Nord rattachée au Commandement militaire de Bruxelles ;
- les archives italiennes pour la Corse.
Les itinéraires communistes ont été éclairés par les archives du Centre russe pour la conservation des archives en histoire politique et sociale de Moscou, où les dossiers personnels ont été consultés par Claude PENNETIER.

La notion de fusillé

    Au cœur de la problématique de ce projet, il a fallu réfléchir à la notion même de fusillé, un terme qui au lendemain de la 2e guerre mondiale a recouvert une très grande diversité de la répression, conduisant à des amalgames discutables et nourrissant de fâcheuses confusions.
   Il est donc apparu nécessaire d’établir un corpus précis et rigoureux, distinguant les victimes de la répression judiciaire et les victimes de la répression extra-judiciaire.
   Seules les victimes de la répression judiciaire allemande et vichyste, sur le territoire français occupé, dans les départements annexés d’Alsace-Moselle, et dans les départements du Nord de la France rattachés au Commandement militaire allemand de Bruxelles, ont été retenues dans le corpus des fusillés stricto sensu.

   Ce corpus englobe :
- pour le plus grand nombre, ceux qui ont été fusillés après condamnation à mort par les tribunaux militaires allemands ;
- et ceux qui ont été fusillés en vertu de l’ordonnance allemande du 21 septembre 1941, fixant le Code des otages, qui avaient le plus souvent déjà été condamnés à des peines de détention ou de réclusion par des tribunaux allemands, et qui avaient été désignés en fonction de leurs opinions et activités antifascistes ; ils ont été exécutés à grand renfort de propagande comme otages et ne doivent pas être confondus avec les victimes des prises d’otages des derniers mois de la guerre qui ont débouché sur des exécutions sommaires ;
   Y ont été également rattachés :
- ceux qui ont été guillotinés en France, après condamnation à mort par les Sections spéciales du gouvernement de Vichy, ou qui ont été exécutés par la Milice et les Groupes mobiles de réserve, après avoir été condamnés par les Cours martiales de Vichy ;
- ceux qui ont été exécutés après condamnation à mort par des tribunaux italiens dans les départements occupés par l’Italie fasciste.
- et les Alsaciens-Mosellans condamnés et exécutés dans le Reich jusqu’en 1945 (exception dans le cadre chronologique de l’ouvrage 1940-1944).

   Ont par contre été écartés du corpus des fusillés, les victimes de la répression extra-judiciaire, plus aléatoire, c’est-à-dire les victimes des exécutions sans jugement, des exécutions sommaires et des massacres, qui sont présentes sur une base en ligne accessible par un code donné dans le volume.

   Sont aussi signalés à la fin de l’ouvrage deux autres corpus qui seront intégrés et complétés sur la base en ligne du dictionnaire :
- d’une part, les femmes condamnées à mort en France, puis déportées en Allemagne, détenues et guillotinées loin du regard français dans des prisons allemandes, ou décédées dans des camps de concentration ; les Allemands n’exécutaient pas les femmes en France à quelques exceptions près (cinq femmes exécutées en France ont été recensées dans le dle dictionnaire des fusillés) ;
- d’autre part, les suicidés et morts sous la torture, qui étaient destinés au peloton d’exécution et qu’il ne serait pas juste de séparer des fusillés. Plusieurs figurent dans le corpus des fusillés car suicidés dans les heures qui précèdent leur exécution, pour ne pas laisser aux nazis le droit de décider de leur mort. Ils sont d’ailleurs souvent cités dans les documents comme fusillés.

Le contenu de l’ouvrage

   Une liste des fusillés par lieu d’exécution figure au début de l’ouvrage, qui permet de mesurer l’importance du nombre des exécutions dans les principaux lieux d’exécution que sont le Mont-Valérien à Suresnes, la Prison de la Santé et le Stand de tir du ministère de l’Air à Paris, le Camp de Souge en Gironde, ou encore la Citadelle d’Arras dans le Pas-de-Calais.

   Au total, l’ouvrage Les fusillés 1940-1944 rassemble 4 425 notices biographiques concernant :
- 3 287 fusillés par condamnation par des tribunaux militaires allemands et italiens, et des cours martiales de Vichy ;
- 863 fusillés dans le cadre de la politique allemande des otages ;
- 8 suicidés quelques heures avant leur exécution ;
- 120 Alsaciens-Mosellans exécutés après condamnation ;
- 39 femmes pour la plupart exécutées en Allemagne (liste partielle) ;
- 85 suicidés et morts sous la torture (liste non exhaustive).

   On est loin des 100 0000 fusillés évoqués au lendemain de la 2e guerre mondiale et des 75 000 fusillés revendiqués alors par le Parti communiste.
   Il est vrai que la politique allemande des otages a ciblé particulièrement les communistes, mais si l’on considère l’ensemble des fusillés par condamnation et comme otages, ils ne représentent que 36 % des victimes recensées dans le dictionnaire de fusillés, ce qui est néanmoins considérable, et en fait le groupe socio-politique le plus représenté.
   Il est vrai aussi que l’appartenance à la mouvance communiste a été plus facile à établir, dans la mesure où les communistes ont été systématiquement fichés par la police française au lendemain de la signature du pacte de non-agression germano-soviétique d’août 1939, et que ces listes ont été complétées et mises à jour par la police de Vichy, et utilisées en priorité pour établir les listes d’otages.
Les gaullistes ont aussi contribué à surévaluer le nombre des fusillés, dans un contexte d’héroïsation de la mémoire résistante.

   Mais, au-delà du simple comptage, le principal apport de ce dictionnaire réside dans le contenu des notices biographiques des fusillés, plus ou moins renseignées en fonction des sources accessibles, et qui sont rédigées selon les règles de présentation du dictionnaire Maitron, adaptées à ce nouveau corpus : état-civil du fusillé ; profession ; engagement politique, syndical ou social avant-guerre ; engagement, actions et responsabilités exercées dans les mouvements de résistance ; date et motifs de l’arrestation ; dates et lieux de la condamnation, puis de l’exécution ; parfois, mémoire du fusillé (dans les archives familiales , sur les sépultures, sur les monuments aux morts, les mémoriaux et stèles de la Résistance, les plaques de rue etc… ; enfin, les sources archivistiques et bibliographiques, et la signature du ou des auteurs.

   Leurs parcours, même s’ils convergeaient vers le même but, la lutte contre l’occupant nazi et son complice, le gouvernement de Vichy, sont très divers.
   Ils étaient communistes, gaullistes, socialistes, syndicalistes, ou bien tout simplement patriotes, juifs, chrétiens, ou libres penseurs.
   Tous n’étaient pas des résistants actifs. Beaucoup ont été arrêtés en raison de leurs origines, de leur engagement militant ou de leur refus de l’Occupation, ou parfois pour la simple détention d’une arme de chasse.
   Beaucoup étaient jeunes, voire très jeunes.
   Tous ont subi jusqu’à en perdre la vie, l’appareil répressif mis en place par les occupants nazis, les fascistes italiens et l’appareil de répression du gouvernement de Vichy.

   L’ouvrage constitue un travail d’histoire et de mémoire qui est l’aboutissement d’un long travail de recherche, mais qui, sans doute, reste imparfait, incomplet, comporte encore des erreurs à corriger, des précisions à apporter.
   Ce travail d’histoire et de mémoire se poursuit d’ailleurs sur le site en ligne du Maitron, à la rubrique « Fusillés et exécutés ».
   Les notices des fusillés par condamnation et comme otages peuvent en effet y être corrigées, complétées, éclairées par des documents d’archives, par exemple les dernières lettres de fusillés, illustrées de photographies qui, en raison des contraintes éditoriales, sont peu nombreuses dans l’ouvrage.

   Voici par exemple la dernière lettre de Robert BAUDRY, jeune cheminot châlonnais de 24 ans, lieutenant FTPF fusillé à l’Épine dans la Marne le 19 février 1944 :

« Petite mère chérie et frères,
Je vous écris ces dernières lignes dans ma cellule, d'une main ferme. Ne pleurez pas ma mort, je vais rejoindre mon père chéri, là-haut dans l'éternité.
J'ai reçu d'un aumônier militaire les derniers sacrements et je m'en vais l'âme forte. Ma vie aura été très courte, mais que voulez-vous, la destinée des hommes est tellement drôle.
Embrassez toute la famille pour moi. N'oubliez pas ce cher abbé [l'abbé J. Faguier]. Si je ne l'ai pas fréquenté, du fond du cœur je ne l'ai jamais réprouvé.
En faisant ce que nous avons fait, nous avons cru agir en bons français. Nous nous sommes peut-être trompés, mais nous avons été condamnés à mort. Mieux vaut la mort que le déshonneur. Si on vous donne le droit de reprendre mon corps, mettez-moi avec mon père ; je crois avoir mérité d'être avec lui et malgré tout j'espère bien le retrouver. Ma mère chérie et monsieur l'abbé, faites toujours l'impossible pour que mes frères, que j'ai si peu vus et ne verrai plus, ne sortent jamais de la légalité.
Que vous dirai-je encore? Rien que des choses droites que vous savez si bien.
Je vous quitte pour toujours en vous embrassant de loin avec tout ce que j'ai de meilleur en moi-même, et malgré tout et toujours,
Vive la France éternelle !
                                                                                                                                                                    Baudry Robert

Ne croyez jamais que votre grand est parti en lâche ou paresseux. Nous avons l’âme et le cœur fermes devant la mort et en vrai catholique qui attend la résurrection. »

Robert Baudry

   C’est ainsi qu’a pu être complétée depuis la publication du dictionnaire en mai dernier, sur le site « Fusillés et exécutés » du Maitron, la notice de Thérèse PIERRE, une jeune institutrice originaire d’Épernay dans la Marne, formée à l’École normale de Filles de Châlons-sur-Marne, aujourd’hui Châlons-en-Champagne.
Nommée à la rentrée 1934 à Bar-le-Duc dans la Meuse, cette militante communiste, syndicale, pacifiste et féministe, a été déplacée d’office en septembre 1939 en Bretagne.
Devenue une responsable importante du Front national de lutte pour l’indépendance de la France et des Francs-tireurs et partisans français, mouvement de résistance et organisation armée appartenant à la mouvance communiste, elle a été arrêtée en octobre 1943 à Fougères.
   Elle a été incarcérée à la prison Jacques Cartier de Rennes, où elle a été affreusement torturée par des policiers français du Service de la police anticommuniste venus de Paris. Ramenée dans sa cellule, le corps brisé, elle a eu la force de communiquer avec ses voisines de cellule répétant inlassablement : « Je ne parlerai pas... Ils ne me feront pas parler… Ils n’ont rien obtenu de moi ». Le 26 octobre 1943, elle a été retrouvée pendue au barreau de sa cellule, mise en scène de ses bourreaux pour faire croire à un suicide, selon le témoignage du commandant FTPF Pétri.

Thérèse Pierre

   Sur ce même site en ligne vont pouvoir être aussi recensées les victimes de la répression extra-judiciaire, c’est-à-dire les exécutés sans jugement et massacrés. Leur nombre, beaucoup plus élevé que celui des fusillés, exécutés par condamnation ou comme otage, ne peut être déterminé avec certitude, et pourrait se situer entre 15 000 et 20 000 victimes.

   Un des objectifs de ce dictionnaire et du site en ligne qui l’accompagne et le complète, est de susciter des retours émanant des familles de fusillés et d’exécutés ou des historiens locaux, faisant état de nouvelles sources inexploitées, apportant de nouveaux témoignages, proposant des ajouts, des compléments, des corrections, des précisions.

   Toutes les contributions seront bienvenues, en particulier dans les départements où comme dans la Meuse, les notices de 12 fusillés ont été rédigées par Delphine Leneveu et Thomas Pouty à partir des seuls dossiers de la Direction des archives des victimes des conflits contemporains conservées à Caen, sans pouvoir être recoupées par des sources locales.