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Les fusillés dans la Marne de 1941 à 1944
qui figurent dans le " Dictionnaire biographique des fusillés "
publié en 2015 aux Éditions de l'Atelier

     Sous l’Occupation allemande, de 1941 à 1944, quarante-neuf patriotes, pour la plupart marnais, ont été fusillés dans la Marne, après avoir été condamnés par un tribunal militaire allemand.
   Tous n’avaient pas été condamnés à mort. Certains qui avaient été condamnés à des peines de prison ou de travaux forcés ont été par la suite fusillés comme otages, en représailles après des attentats contre les forces d’occupation.
   Dans la plupart des cas, la sentence avait été prononcée par le tribunal militaire de la Feldkommandantur 531 de Châlons-sur-Marne.    Cependant, pour des raisons qui n’ont pu être élucidées, ont été fusillés dans la Marne en mai 1942 un Lorrain condamné par le tribunal militaire de la Feldkommandantur 591 de Nancy et en juillet 1944 trois Hauts-Marnais condamnés par le tribunal militaire de la Feldkommandantur 769 de Chaumont.
   Les premières exécutions ont eu lieu à Châlons-sur-Marne (aujourd'hui Châlons-en-Champagne) d’abord à la Caserne Tirlet, puis au Stand de tir, avenue du Général Sarrail.

Le mur des fusillés

  Entre septembre 1941 et janvier 1942, six Marnais ont été fusillés à la caserne Tirlet
Jean RERMAN, 38 ans, condamné à trois ans de réclusion pour détention d’armes, fusillé comme otage le 24 septembre 1941, à la suite d’attentats commis contre des trains militaires allemands
Marcel TELLIER, 32 ans, journalier agricole à Anglure, condamné à mort pour détention et usage d’armes, fusillé le 18 novembre 1941
- et trois jeunes militants communistes de 22 ans, syndicalistes, tous trois ouvriers cavistes chez Heidsieck à Reims :
Marcel CHATTON, condamné à mort et fusillé le 23 décembre 1941, Georges DARDENNE et  Édouard QUENTIN, fusillés comme otages le 13 janvier 1942, en même temps qu’un autre Rémois, Marcel MÉLIN, 44 ans.

De gauche à droite, Marcel Chatton, Georges Dardenne et Édouard Quentin

   Au printemps 1941, la police française avait signalé au préfet BOUSQUET, très engagé dans la répression anti-communiste, la diffusion à Reims dans les maisons de champagne d’un tract ayant pour titre « Réintégrons nos syndicats » signé « les militants restés fidèles à l’esprit de 1936 ». L’enquête montra que ce tract avait été tapé sur la même machine à écrire que La Champagne ouvrière, organe du Parti communiste clandestin, et elle remonta jusqu’à Marcel CHATTON.
   Le 17 septembre 1941, la police française perquisitionna a son domicile et y découvrit un tract intitulé « Brisons l’arme de l’antisémitisme » et signé « Le Parti communiste français-SFIC » (Section française de l’Internationale communiste). Elle y trouva  aussi une liste de souscription à l’en-tête du Comité départemental du Front national de lutte pour l’indépendance de la France, mouvement de résistance créé dans la mouvance du Parti communiste en mai 1941.

   Marcel CHATTON fut immédiatement arrêté sur son lieu de travail et inculpé d’activité communiste, activité interdite depuis le décret-loi du 26 septembre 1939 ordonnant la dissolution des organisations communistes.
   Début novembre 1941, deux camarades de CHATTON, Georges DARDENNE et Édouard QUENTIN, furent arrêtés à leur tour par la police rémoise. Ils avaient été dénoncés par André DENIS, membre de la Ligue française (un parti collaborationniste) qui les accusait d’avoir distribué des tracts appelant à marquer le 11 novembre par un arrêt de travail de cinq minutes sur le tas, à la suite d’un appel de Radio Londres.
   Jugeant la police française peu active dans cette affaire, la Ligue française avertit la Police allemande qui se fit livrer les trois cavistes.
   Le 17 décembre 1941, le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne a condamné à mort Marcel CHATTON pour « propagande communiste et gaulliste », tandis qu’il prononçait une peine de travaux forcés à perpétuité pour Georges DARDENNE et Édouard QUENTIN. Tous les trois ont été fusillés, Marcel CHATTON le 23 décembre 1941 après le rejet de son recours en grâce, Georges DARDENNE et Édouard QUENTIN le 13 janvier 1942 comme otages, à la suite d’un attentat commis à Dijon contre un officier allemand.

   En avril-mai 1942, cinq patriotes ont été fusillés au Stand de tir de Châlons : Jacques DORÉ, René HORENS, Raymond VILLARD, Lucien VINCENT, Jean BELHARTZ.

Jacques Doré et Raymond Villard

Le 29 avril 1942, exécution de Jacques DORÉ, 36 ans, professeur d’anglais au collège de Vitry-le-François.Président avant-guerre de la section locale des Amis de l’URSS et secrétaire de la section locale de la Ligue des droits de l’Homme, il avait été fiché comme militant communiste par la police française. Mobilisé en 1939, il a servi comme interprète auprès des troupes britanniques et démobilisé, a repris ses cours à Vitry-le-François. Il a été dénoncé aux autorités allemandes par le capitaine de gendarmerie SAVRE pour avoir tenu des propos hostiles aux troupes d’occupation et affirmé « comme certaine la victoire des Russes et des Anglais ». Condamné à mort par le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne pour propagande anti allemande, il a refusé de signer son recours en grâce.
Le 1er mai 1942, exécution de René HORENS, 41 ans, bûcheron à Vienne-le-Château, condamné à mort par le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne pour détention d’armes.
Le 9 mai 1942, exécution de Raymond VILLARD, 27 ans, initialement condamné par le tribunal militaire allemand de Nancy à trois ans de réclusion pour avoir chanté « L’Internationale », puis condamné à mort en septembre 1941. Il n’a pas connu le sort des condamnés à morts de Meurthe-et-Moselle fusillés sur le site de la Malpierre. Transféré en novembre à la prison de Châlons-sur-Marne, il a été fusillé comme otage, à la suite de l’attentat commis près de Caen le 1er mai 1942 contre un train de permissionnaires allemands.
Le 14 mai 1942, exécution de Lucien VINCENT, 29 ans, ouvrier agricole aubois, arrêté dans l’Aube et condamné à mort par le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne pour détention d’armes.
Le 23 mai 1942, exécution de Jean BELHARTZ, 50 ans, artisan maçon à Broyes, père de cinq enfants, condamné à mort pour détention d’armes et de munitions.

   En 1941-1942, les chefs d’inculpation étaient la détention d’armes ( parfois un simple fusil de chasse ) et l’appartenance au Parti communiste français.
   Il faut aussi relever, que beaucoup de ces exécutions intervenaient à la suite de dénonciations. André DENIS, le dénonciateur de CHATTON, DARDENNE et QUENTIN ,a été condamné à mort par la Cour de justice de la Marne en avril 1945, peine immédiatement commuée en travaux forcés à perpétuité, puis en 1949 en peine de vingt ans de travaux forcés. André DENIS a finalement été amnistié en 1959. Quant au dénonciateur de Jacques DORÉ, le capitaine de gendarmerie SAVRE, il a été fusillé au lendemain de la Libération.
   Ces dénonciations ont eu un caractère plus tragique encore, quand elles provenaient de l’entourage proche. Marcel MÉLIN et René HORENS ont été dénoncés à la police allemande comme détenteurs d’armes par leurs propres épouses. Jugées après la Libération par la Cour de justice de la Marne, elles ont été condamnées, Madame MÉLIN à la peine de mort (circonstance aggravante, elle avait reçu une forte somme d’argent pour prix de sa dénonciation), peine commuée en travaux forcés à perpétuité, Madame HORENS à la peine des travaux forcés à perpétuité. Elles ont finalement été libérées, Madame MÉLIN en 1953, Madame HORENS en 1955.

   De fin mai 1942 à fin juillet 1943, il n’y a pas eu d’exécutions dans la Marne. La répression contre les détenteurs d’armes, contre les communistes, contre les premiers résistants se traduisait alors par des déportations, avec parfois des exécutions en Allemagne.

   Les exécutions ont repris dans la Marne au cours de l’été 1943, alors que la résistance marnaise commençait à s’organiser et à diversifier son action.

   À partir d’août 1943, les exécutions ont eu lieu sur un terrain militaire situé à quelques kilomètres de Châlons-sur-Marne, le terrain de La Folie à L’Épine. Les condamnés y ont été fusillés, adossés à des poteaux d’exécution plantés au pied d’une butte de terre. C’est devant cette butte, désignée aujourd’hui sous le nom de « Butte des Fusillés », que trente-huit résistants marnais ont été exécutés entre août 1943 et août 1944, après avoir été condamnés le plus souvent pour actes de sabotages.

La Butte des fusillés à L'Épine

   Le premier à être fusillé à L'Épine fut Jean MARTIN.

Jean Martin

   Menuisier domicilié en Saône-et-Loire, militant communiste, il avait été envoyé à Reims par le Front national de lutte pour l’indépendance de la France. Il était chargé d’organiser la distribution de tracts, de recruter des Francs-tireurs et partisans français (FTPF) sur une zone allant de Château-Thierry à Rethel, de constituer des caches d’armes et d’explosifs, destinés en particulier à détruire des installations du camp de Courcy près de Reims où était implantée une usine Junkers. La découverte d’un dépôt d’armes à Reims en février 1943 aboutit à plusieurs arrestations dont celle de Jean MARTIN. Condamné à mort le 27 juillet 1943 par le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne pour activité communiste et détention d’armes, il a été fusillé le 5 août 1943. Ce père de famille de 32 ans termine ainsi sa dernière lettre à son épouse et à ses enfants : « Je souhaite que cette guerre soit la dernière et que tous les peuples vivent en frères. Je n’aurai pas, hélas, le bonheur de le voir. Séchez vos larmes […]. Soyez forts et courageux. Adieu, vive la France. »

   Le second résistant fusillé sur le terrain de La Folie à L’Épine a été Raymond GAVART.

   Ouvrier agricole à Monthois dans les Ardennes, Raymond GAVART faisait partie des résistants ardennais qui fournissaient des explosifs au groupe rémois de Jean MARTIN. Arrêté en février 1943 par la police française pour activité communiste et détention d’armes, il a été livré aux autorités allemandes. Condamné à mort le 22 septembre par le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne, il a été fusillé le 4 octobre 1943. Il avait 21 ans.

   Le 19 février 1944, ont été fusillés quinze résistants, membres du groupe des Francs-tireurs et partisans français ( FTPF ) de Saint-Martin d’Ablois et membres d’autres groupes ayant participé à des actions avec ce groupe FTPF.

De gauche à droite, Robert Baudry, Gilbert Cagneaux, Maurice Chuquet,
Michel Destrez, Julien Ducos, Georges Laîné et James Lecomte,

De gauche à droite, Émile Rochet, Roger Sondag, Camille Soudant,
Marcel Soyeux, Henri Spaeckaert et Louis Vanseveren

La mémoire d'André Tessierà L'Épine
(Butte des fusillés)

    Dès 1943 s’était constitué à Saint-Martin-d’Ablois un groupe FTPF regroupant des jeunes gens du village et des réfractaires au STO venus de la région parisienne, qui avaient trouvé un emploi dans des exploitations forestières des environs.
   Ce groupe encadré par Marcel SOYEUX, viticulteur à Saint-Martin-d’Ablois, était entré en contact en juillet 1943 avec le groupe Ceux de la Résistance (CDLR) d’Épernay dirigé par Pierre SERVAGNAT. Il a participé à plusieurs opérations de parachutages organisés par le Bureau des opérations aériennes (BOA) sur les terrains homologués dans ce secteur par la RAF, en particulier sur le terrain « Musset » en août, septembre et octobre 1943.
   Le groupe de Saint-Martin-d’Ablois a aussi participé à plusieurs sabotages. Ces jeunes résistants très souvent inexpérimentés dans le maniement des explosifs ont été encadrés par un ingénieur mécanicien, membre du groupe CDLR d’Épernay, René HERR. Avec le concours de cheminots d’Épernay comme Gilbert CAGNEAUX ou James LECOMTE, le groupe de Saint-Martin d’Ablois a réalisé plusieurs sabotages importants sur la ligne Paris-Strasbourg.
   En novembre 1943, le groupe a été dénoncé par Marius PILON, garde-chasse à Saint-Martin-d’Ablois. Cette dénonciation a déclenché une série d'arrestations en chaîne entre le 17 et le 19 novembre, principalement à Saint-Martin-d’Ablois et à Épernay. Quelques membres du groupe ont cependant échappé à l’arrestation. Pris en charge par Marcel MÉJÉCAZE, responsable départemental des FTPF, ils ont trouvé refuge dans la région de Sermaize où plusieurs d’entre eux ont finalement été arrêtés en décembre 1943.
   Le 16 février 1944, le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne a prononcé quinze condamnations à mort pour attentats contre du matériel ferroviaire. Parmi les condamnés, dix appartenaient au groupe de Saint-Martin-d’Ablois, cinq à d’autres groupes FTPF, mais les résistants exécutés le 19 février sur le terrain de La Folie à L’Épine sont restés dans la mémoire collective comme « les fusillés du groupe de Saint-Martin-d’Ablois ».
   Le matin du 19 février 1944, les quinze condamnés ont été fusillés, les uns après les autres, parfois deux par deux : 
- à 7 heures 52, André TESSIER, 22 ans, vendeur à Épernay
- à 7 heures 56, Michel DESTREZ, 21 ans, de Saint-Martin d’Ablois
- à 8 heures 07, Julien DUCOS, 24 ans, et Marcel SOYEUX, 23 ans, vignerons à Saint-Martin d’Ablois
- à 8 heures 17, Henri SPECKAERT, 24 ans, typographe parisien, et Roger SONDAG, 23 ans, ferblantier aux ateliers SNCF d’Épernay
- à 8 heures 28, Maurice CHUQUET, 24 ans, comptable à Argenteuil, et James LECOMTE, 18 ans, ajusteur aux ateliers SNCF d’Épernay
- à 8 heures 40, Gilbert CAGNEAUX, 22 ans, ajusteur-monteur aux ateliers SNCF d’Épernay, et Robert BAUDRY, 24 ans, agent auxiliaire à la SNCF à Châlons-sur-Marne
- à 8 heures 48, Camille SOUDANT, 22 ans, boulanger à Athis et Jean GOUTMANN, 21 ans, ouvrier agricole aubois
- à 9 heures, Georges LAÎNÉ, 21 ans, ouvrier carrier à Broyes et Louis VANSEVEREN, 25 ans, électricien au dépôt SNCF de Châlons-sur-Marne
- à 9 heures 11, Émile ROCHET, 36 ans, père de deux jeunes garçons, agent SNCF au dépôt de Châlons

La dernière lettre de Julien Ducos    

  « Chers parents, chère petite sœur,

Adieu. Car je vais tomber où sont tombés déjà tant de camarades ; je viens d'être confessé et je pars muni des saints sacrements.
   Avant de mourir je vous demande pardon de la peine que je vais vous causer, mais soyez courageux et fiers. Je vous demande aussi pardon de tous les ennuis et soucis que je vous ai causés dans ma courte vie, car je n'ai pas été toujours raisonnable, pourtant vous étiez si bons pour moi.
   Adieu, papa, toi qui m'as toujours montré le chemin de l'honneur et de l'honnêteté ; sois fier de moi, car toi aussi tu auras donné à la France un fils ; notre sacrifice ne sera pas inutile.
   Adieu, maman, toi qui m'as mis au monde et qui t'es penchée si souvent sur mes peines ; sois courageuse, il te reste encore Yvonne pour te consoler.
   Et toi, petite sœur chérie, adieu aussi ; c'est à toi que je confie papa et maman ; rends les toujours heureux, fais leur une vieillesse heureuse ; aie surtout soin de maman, ça va être terrible pour elle, console la bien.
   Et maintenant on vient nous chercher ; quand le jour va se lever, nous ne serons plus ; nous allons finir comme tous les patriotes ; notre sacrifice, je crois, ne sera pas inutile, car il donnera à la France, le jour de la victoire finale, le droit d'être, elle aussi, fière de ses fils. J'ai toujours été un patriote et je ne regrette rien.
   Adieu aussi, tante Reine et cher Maurice qui furent aussi si bons pour moi et qui me consoliez quand j'avais des peines.    Adieu à toute la famille et à tous les bons copains.
   Votre fils, ton frère qui va mourir, et qui vous envoie ses derniers baisers.
   
   Vive la France !

                                                                                                                                                                       Julien Ducos »           

   Lettre retranscrite in Pierre GILLET (abbé), " Châlons sous la botte-Souvenirs de la Résistance à Châlons-sur-Marne et dans l’arrondissement 1940-1945 ", Cahiers châlonnais, n° 3, Châlons-sur-Marne, 1983 par l’abbé Pierre Gillet.

    Il faut souligner l’extrême jeunesse de la plupart des fusillés et la dernière torture infligée par l’échelonnement des exécutions sur près de quatre-vingt minutes. Les autorités allemandes d’occupation ont manifestement voulu porter un grand coup contre la Résistance. L’Éclaireur de l’Est, un des deux journaux marnais autorisés à paraître sous leur contrôle, a dans un article du 23 février 1944 intitulé « Règlement de comptes de terroristes » rendu compte de ces exécutions en ces termes :
   « Les condamnés étaient membres d’une bande de terroristes armés, qui se sont livrés du mois de juin au mois de décembre 1943 à une série de graves actes de terrorisme et de sabotage. Ces criminels ont causé du tort d’abord à leurs propres concitoyens, en abattant par derrière un Français, en pillant des magasins français, en faisant sauter des maisons habitées et en volant du bétail. Ils ont tenté d’endommager par des explosifs de nombreux pylônes des installations électriques à haute tension, des installations ferroviaires… ».

   Le 22 mars 1944, deux résistants d’Épernay ont été fusillés à leur tour, René HERR, l’ingénieur qui servait d’instructeur aux jeunes FTPF de Saint-Martin d’Abois, et Léon LEROY, un mécanicien qu’il avait recruté.

René Herr                  Léon Leroy

   René HERR faisait partie des tout premiers résistants regroupés autour de Pierre SERVAGNAT, futur chef FFI de l’arrondissement d’Épernay. Chargé du renseignement au sein du groupe CDLR d’Épernay, René HERR était aussi membre du BOA  – il a participé à seize réceptions de parachutages – et il a organisé plusieurs sabotages. Dans la nuit du 2 au 3 septembre 1943, il a posé des explosifs à la Soldatenheim d’Épernay ( foyer du soldat allemand ) tandis que Léon LEROY en posait devant les locaux de la Légion des Volontaires Français (LVF) qui combattait aux côtés de la Werhmacht. René HERR a été arrêté en novembre 1943 à la suite du démantèlement par la police allemande du groupe de Saint-Martin d’Ablois, Léon LEROY en janvier 1944. Tous deux ont été jugés par le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne qui a siégé de façon exceptionnelle début mars 1944 à Reims dans le cadre de ce que l’on a appelé « le procès de Vogüé ».
   
   Robert DE VOGÜÉ, gérant de la maison de champagne Moët-et-Chandon était l’archétype du vichysto-résistant. Il avait été désigné par le préfet BOUSQUET pour siéger au sein du Conseil départemental de la Marne, qui a remplacé le Conseil général élu avant-guerre et dissous par Vichy. Il était également membre de plusieurs organismes professionnels mis en place par le gouvernement de Vichy, président du Groupement interprofessionnel patronal (GIPER) d’Épernay, initiateur avec Fernand MULS du Centre interprofessionnel et social (CIS) d’Épernay, destiné à promouvoir la Charte du travail promulguée par le gouvernement de Vichy en octobre 1941 et délégué général du Comité interprofessionnel des vins de Champagne ( CIVC ), représentant des négociants.


   À partir de 1943, Robert DE VOGÜÉ a rejoint le réseau de renseignement Éleuthère et animé le groupe Ceux de la Libération (CDLL) d’Épernay. En associant dans le même procès René HERR et Léon LEROY inculpés « d’actes de francs-tireurs par usage d’explosifs » et des notables comme Robert DE VOGÜÉ, les autorités d’occupation voulaient montrer que désormais nul n’était à l’abri. À l’issue du procès, cinq condamnations à mort ont été prononcées dont trois ont été suivies de mesures de grâce, pour Robert DE VOGÜÉ et deux autres membres de CDLL et du réseau Éleuthère, Maurice GERMAIN et Henri FIGNEROL. Tous trois ont été par la suite incarcérés dans des prisons allemandes. Quant à René HERR et à Léon LEROY, qui ont fait preuve au cours du procès d’un admirable courage, selon le témoignage de l’avocat Maurice PELTHIER, ils ont été fusillés le 22 mars 1944 sur le terrain de La Folie. Léon LEROY avait 26 ans, René HERR 29 ans, et son épouse venait d’accoucher d’une petite fille.

   Un mois plus tard eut lieu l’exécution de Bernard REMY, cheminot châlonnais, membre du Front national de lutte pour l’indépendance de la France et des FTPF.



Bernard Remy

   Suspecté en août 1942 d’avoir favorisé l’évasion d’un déporté juif en gare de Châlons-sur-Marne, il fut relâché faute de preuves. En 1943, il participa avec le groupe de Recy – dont faisaient aussi partie Louis VANSEVEREN et Émile ROCHET fusillés le 19 février 1944 –  à des sabotages de voies ferrées et de machines au dépôt SNCF de Châlons-sur-Marne. Arrêté en février 1944, Bernard REMY a été condamné à mort par le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne pour participation à des sabotages et fusillé le 20 avril 1944 sur le terrain de la Folie à L'Épine.

   Le 6 mai 1944, ont été fusillés au petit matin cinq résistants du groupe Tritant.

De gauche à droite, Robert Tritant, Robert Clément, Roger Fleury et Marcel Bertin

La mémoire de Charles Robinot à L'Épine
(Butte des fusillés)

   Robert TRITANT, architecte de formation, gérait pendant la guerre le garage de son beau-frère prisonnier de guerre, était entré en contact avec les garagistes Roger FLEURY et Robert CLÉMENT. Il avait peu à peu mis sur pied à Châlons-sur-Marne un groupe d’une soixantaine de résistants, rattaché en 1943 à CDLR et au BOA. L’activité du groupe a été intense pendant l’été 1943 : plusieurs réceptions de parachutages dans la vallée de la Coole sur les terrains homologués par la RAF sous le nom de « Hyène » et de « Rousseau » ; nombreux sabotages d’écluses, de postes d’aiguillage, de voies ferrées, de locomotives et de camions. À la suite du sabotage le 31 août 1943 de vingt-cinq camions stationnés rue Pasteur devant la Feldkommandantur de Châlons-sur-Marne, le groupe Tritant a été démantelé dans les tout premiers jours de septembre par une série d’arrestations. Après plusieurs mois d’incarcération et pour certains de tortures, vingt-huit membres du groupe ont été déportés, cinq autres condamnés à mort le 24 avril 1944 par le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne pour appartenance à un groupe de résistance et sabotages : Marcel BERTIN, boucher à Loisy-sur-Marne ; les garagistes Robert CLÉMENT et Roger FLEURY – ce dernier qui avait échappé de justesse aux arrestation de septembre 1943 avait été finalement arrêté en janvier 1944 à Paris où il assurait la liaison avec Bordeaux pour CDLR – ; Charles ROBINOT et le chef du groupe, Robert TRITANT. Ils avaient entre 24 et 41 ans. C’est en mémoire de leur exécution que la cérémonie en hommage à tous les fusillés marnais a lieu chaque année le 6 mai à 7 heures du matin à la « Butte des Fusillés » à L’Épine.

La dernière lettre de Roger Fleury

      « Mes chers Parents,

   6 heures 15 viennent de sonner, j’attends que l’on vienne me chercher. Je suis très calme, comme si je ne savais pas ce qui va se passer.
   Je suis content d’avoir vu un prêtre, je meurs en règle avec le ciel.
   Soyez courageux, ne vous laissez pas abattre, je vous protégerai de là-haut Et serrez-vous bien les coudes tous les trois. La terre n’est qu’un passage, ce moment doit arriver un jour ou l’autre.
   J’ai fini mes jours près de vous et j’ai eu le plaisir de vous revoir deux fois ; si j’étais resté à Paris, je ne vous aurais pas vus, c’eut été plus dur.
   Dans une heure, je connaitrai le grand mystère de l’au-delà, faites dire des messes pour le repos de mon âme… et du cran !
   Votre Fils qui vous adorait, mais qui aurait voulu vous donner aisance et bonheur pour vos vieux jours. Adieu-Adieu-Adieu.
   Mes chéris,

                                                                                                                                                                       Roger Fleury »

         (Lettre retranscrite pp. 320-321 in La vie à en mourir, Lettres de fusillés 1941-1944, lettres choisies et présentées par Guy KRIVOPISSKO, Paris, Tallandier, 2003)

   Le soir du 6 juin 1944, ont été fusillés sept résistants, rémois et cheminots pour la plupart : René BRÉMONT, Roger KERGER, Raoul MATHIEU, Roland MORET, Charles TASSERIT, Georges MONAUX et Marcel CHEVAL.

De gauche à doite, Marcel Cheval, Roger Kerger, Raoul Mathieu, Georges Monaux, Roland Moret et Charles Tasserit

La mémoire de René Brémont à l'Épine
(Butte des fusillés)

   Sans nul doute, le débarquement allié sur les plages de Normandie le matin même a accéléré le processus, ne laissant même pas aux condamnés le temps d’un recours en grâce.

   René BRÉMONT, agent SNCF communiste venu de Côte d’Or, avait intégré le groupe FTPF Pierre Semard de Rilly-la-Montagne et participé à plusieurs actions de sabotage de ce groupe. Il a été arrêté le 20 février 1944 à la suite du sabotage de la voie ferrée à Saint-Léonard près de Reims qui avait provoqué le déraillement d’un train allemand et l’obstruction de la voie pendant 60 heures.
   Roger KERGER, jeune évadé du STO, Roland MORET, militant communiste venu de l’Yonne pour seconder Marcel MÉJÉCAZE, le chef départemental des FTPF, et Raoul MATHIEU, militant communiste qui tenait un café avenue de Paris à Reims, appartenaient au même groupe FTPF, dit « groupe Mathieu ». Ce groupe avait pris part à plusieurs sabotages de câbles, pylônes électriques et écluses, et constitué un dépôt d’armes au domicile de Raoul MATHIEU. Roger KERGER avait participé en novembre 1943 avec son camarade Roger TASSERIT à un sabotage à Reims contre la caserne Richthoffen qui servait d’école de sous-officiers de la Wehrmacht.

   Le 7 décembre 1943, la Gestapo a fait irruption chez MATHIEU où se tenait une réunion de l’état-major FTPF, et a arrêté tous les participants parmi lesquels Raoul MATHIEU et son épouse Renée (qui a été déportée à Ravensbrück), Roger TASSERIT, Roland MORET. À la suite d’une perquisition chez Charles TASSERIT, le père de Roger, qui avait abouti à la découverte d’armes, de tracts et d’explosifs, Roger TASSERIT a été déporté à Buchenwald en janvier 1944. Son père Charles TASSERIT, ancien combattant de 14-18 et grand blessé de guerre, a fait partie des fusillés du 6 juin 1944.

   Marcel CHEVAL et Georges MONAUX, arrêtés à la mi-décembre 1943, étaient tous deux ajusteurs au dépôt SNCF de Reims et membres de Libération-Nord, mouvement de résistance né dans la mouvance du Parti socialiste et de la CGT. Marcel CHEVAL, responsable d’un des quatre groupes Action-Vengeance de l’arrondissement de Reims, avait organisé plusieurs sabotages de machines au dépôt de Reims, dont certains avaient été réalisés avec Georges MONAUX qui fournissait les explosifs. Tous les deux étaient pères de famille, Marcel CHEVAL d’une petite fille née en 1940, Georges MONAUX de quatre enfants nés entre 1931 et 1936 (il n’a pas connu son dernier enfant né en juillet 1944).
   Après avoir été interrogés dans les locaux de la Gestapo, rue Jeanne d’Arc, où plusieurs d’entre eux ont été atrocement torturés, tous avaient été emprisonnés à la prison Robespierre de Reims, puis transférés à la prison de Châlons-sur-Marne après le bombardement par les Alliés de la prison de Reims le 30 mai 1944.
   Le 6 juin 1944, jour du débarquement allié en Normandie, ils ont été tirés de leurs cellules et traduits devant le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne qui les a immédiatement condamnés à mort, une sentence exécutée quelques heures plus tard, vers 20 heures, sans aucune possibilité de recours.

   Le 4 juillet 1944, trois Hauts-Marnais condamnés à mort le matin par le tribunal militaire allemand de Chaumont, ont été immédiatement transférés dans la Marne et fusillés : Raymond LIÉGEY, ainsi que Albert et Gaston RENAUD . Ils faisaient partie du même groupe de résistance qui, en Haute-Marne, avait pris en charge des prisonniers de guerre russes évadés.

Raymond Liégey, Gaston et Albert Renaud

   Les dernières exécutions sur le terrain de la Folie à L’Épine eurent lieu le 5 août 1944, celles de Lucien BONNOT, 31 ans, boucher à Anglure, père de deux enfants, et de deux sparnaciens, Pierre ESCUDIÉ, 23 ans, employé de la poste et Pierre BOUCHÉ, 42 ans, aléseur aux ateliers SNCF. Ils ont été unis dans la mort mais leurs parcours de résistants étaient différents.

Lucien Bonnot, Pierre Bouché et Pierre Escudié

   Lucien BONNOT avait rejoint le Front national de lutte pour l’indépendance de la France en novembre 1942 et son activité résistante avait été multiple : hébergement de résistants, de réfractaires au STO et de membres d’équipages alliés, transports et ravitaillement de maquis. Arrêté en juin 1944 dans l’Aube où il avait quelques semaines plus tôt mis en sécurité trois aviateurs américains abattus le 4 mai lors du bombardement du camp de Mailly, il a été condamné à mort le 14 juillet 1944 par le tribunal militaire allemand de Châlons-sur-Marne. Dans sa dernière lettre à son épouse, Lucien BONNOT citait le nom de ceux qui, selon lui, l’avaient dénoncé. L’enquête menée après la Libération a abouti à trois inculpations. La Cour de Justice de la Marne prononça deux acquittements avec peine d’indignité nationale et une peine de vingt ans de travaux forcés pour le principal accusé qui, après plusieurs remises de peine, fut libéré en 1951.
    Pierre ESCUDIÉ était officier de renseignement dans le réseau Éleuthère chargé de surveiller les camps de Courcy, de Mourmelon et de Mailly, camp de Mailly bombardé par les Alliés le 4 mai 1944 à la suite de renseignements fournis par les agents d’Éleuthère. Quant à Pierre BOUCHÉ, il était membre du groupe FFI qui s’était constitué aux ateliers SNCF d’Épernay, avec pour mission de prendre en charge les réfractaires pour qui il fabriquait de faux papiers et qu’il plaçait dans les fermes des environs. Tous deux ont été arrêtés le 8 mai 1944 au Café du Soleil à Épernay qui était l’une des « boites aux lettres » du réseau Éleuthère. Pierre BOUCHÉ avait été piégé par un soldat allemand se faisant passer pour un Alsacien souhaitant déserter la Wehrmacht et s’engager dans la Résistance, à qui il avait fourni de faux papiers. Il est possible que leur condamnation à mort ait été prononcée en représailles après l’exécution le 13 juillet à Épernay de deux soldats de la Kriegsmarine par des membres de Mélpomène, groupe de résistance châlonnais.

Le carré des fusillés dans le Cimetière de l'Est de Châlons-en-Champagne