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Histoire et mémoire 51 > Histoire et mémoire des déportés > Témoins 51 > Andrée Paté | |||||||
" La libération du Kommando d'Holleishein " Notice biographique d'Andrée et René Paté _____________________________________________________________________________________________________________________ | |||||||
René Paté est né le 27 juillet 1908 à Matton-et-Clémency (Ardennes), son épouse Andrée Gandon le 15 mars 1914 à Saint-Florentin (Yonne). Parents d’une petite fille, Maryse, née en 1937, les époux Paté résident à Reims où René est couvreur zingueur. Militants communistes, ils rejoignent le Front national de lutte pour l’indépendance de la France tout comme Armande Gandon, la jeune sœur d’Andrée. Ils sont chargés du recrutement et diffusent la presse clandestine. Armande Gandon, sœur d'Andrée Paté, La mémoire d'Armande Gandon à Reims Fiché comme communiste engagé, René Paté est arrêté à Reims par la Police française le 3 juin 1941. Condamné en juillet 1941 à 5 mois de prison par le tribunal correctionnel de Reims pour « menées antinationales », il est incarcéré à Reims, avant d’être transféré à Paris à la prison de la Santé. En août 1941, il est condamné par la Section spéciale de la Cour d’Appel de Paris à 5 ans d’emprisonnement. Il est détenu à Fresnes, puis à la centrale de Melun et finalement à la prison de Châlons-sur-Marne. Transféré à Compiègne, il est déporté le 12 mai 1944 à Buchenwald (matricule 51 320). Il rentre très affaibli en France le 29 avril 1945. Après l’arrestation de son mari, Andrée Paté qui est corsetière, employée à la bonneterie Mazoyer, trouve un emploi aux Verreries mécaniques de Saint-Brice. Elle continue son action dans la résistance aux côtés de Marie-Louise Monin et d’Aline Huon qui constituent avec elle un « triangle ». Ensemble elles animent les « Comités féminins » du Front national de lutte pour l’indépendance de la France et participent à des distributions de tracts, à la rédaction de journaux clandestins, à des transports de machines à écrire et de papier, à des prises de paroles sur les marchés, à des collectes de vêtements pour les clandestins, et au recrutement de FTPF. Andrée Paté a témoigné dans l’ouvrage Souvenirs de déportés rémois de leur arrestation à leur séjour dans les camps de la mort publié à Reims en 1957. Elle n’a pas cessé jusqu’à plus de 95 ans de témoigner avec conviction devant les élèves de collège et de lycée. Le 15 mars 2014, elle a fêté ses 100 ans dans la maison de retraite " Les Opalines " d'Athis près de Châlons-en-Champagnele. La délégation marnaise des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (AFMD-51) lui a rendu hommage le 18 m Andrée Paté a reçu le titre de Combattante volontaire de la Résistance, mention DIR. Andrée Paté au Musée de la Reddition de Reims, le 29 avril 2000 Entourée
du colonel Louis Carrière, ancien déporté de
Mauthausen
Andrée
Paté accompagnée de son arrière petit-fils Igor _____________________________________________________________________________________________________________________ La libération du Kommando de Holleischen
Il
y a 55 ans, les portes des camps de concentration s'ouvraient ; c'est
alors que le monde horrifié découvrait ce que le régime maudit du
fascisme était capable de faire. Le
4 mai au soir, les SS nous avaient enfermées dans les blocs. Après
le départ des partisans, des prisonniers français sont venus pour
nous aider à organiser notre camp. L'émotion était grande : nous avons
chanté tous ensemble la Marseillaise ! Nous
avions beaucoup de camarades malades. La dysenterie se propageait
rapidement et nous n'avions pas de médicaments ! La première visite
d'une mission française fut longue à venir. Le docteur qui l'accompagnait
avait comme médicament une petite fiole d'élixir contre la dysenterie.
Une goutte d'eau pour le nombre de malades. Cette mission a rapatrié
les déportées les plus malades. Mais
le temps passait, le nombre de malades augmentait. Enfin un jour,
nous avons vu arriver des camions américains non bâchés qui nous ont
amenées à une vitesse effarante jusqu'à Wisbourg, ville détruite
aux trois quarts. Il
faut dire la vérité, le gouvernement n'avait rien prévu pour le retour
des déportés. PLUS JAMAIS ÇA J'ai écrit l'histoire de ma vie parce que je voulais que nos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants sachent que leur grand-père et leur grand-mère, leur tante Armande ont fait partie de ces hommes et de ces femmes qui ont tant lutté, tant souffert pour qu'un jour la paix soit à jamais victorieuse. Jeanne-Andrée PATÉ
Je suis une battante. J'ai toujours été une battante : c'est ce qui m'a sauvée. Je suis née en 1914, mes premières années ont donc eu pour décor une guerre, la Grande Guerre. Originaire de la Nièvre, de Saint Léger des Vignes, précisément, j'ai quitté ma maison d'enfance à l'âge de neuf ans pour aller habiter à Reims. Là se trouvait mon oncle. C'est lui qui m'a donné le goût de la révolte très tôt. Dès dix-huit ans, j'ai milité activement pour le Parti communiste français. Mon engagement précoce et mon caractère rebelle trouvent leur source dans le spectacle perpétuel de l'injustice. En effet, mon père a été fait prisonnier deux ans pendant la guerre de 14-18, pour refus de guerre. C'était un enfant de la DASS. Sans doute ai-je hérité de ses gènes rebelles ! Mon père est mort lorsque j'avais cinq ans. Ma sur est née le lendemain de sa mort, comme pour montrer que finalement la vie continuait malgré tout, malgré « l'horreur absolue ». J'ai arrêté l'école à onze ans, après avoir obtenu mon certificat d'études. J'étais plutôt brillante. Ma mère travaillait alors dans une usine de confection de casquettes, ce qui n'avait rien d'étonnant puisqu'à l'époque Reims regorgeait de ces usines de confection. J'accompagnais ma mère dans son atelier, et à dix-sept ans, je ramenais déjà des corsets et des soutiens-gorge à la maison pour pouvoir participer. Nous habitions à côté de chez mon oncle, communiste tout comme sa femme. Il lisait L'Humanité. Nous vivions médiocrement, et cette vie modeste, ainsi que le spectacle de l'injustice et de l'exploitation au travail ont précipité mon engagement politique, déjà acquis par mon caractère comme je l'ai dit. Jusqu'à mes vingt ans, mes années de travail étaient donc diverties par de nombreuses discussions avec mon oncle ainsi que par des lectures de journaux engagés. Aujourd'hui, je peux me vanter de posséder ma soixante-treizième carte du Parti ! Faites le calcul, j'avais ma première bien avant ma majorité. De nos jours, pourtant, le Parti n'est plus ce qu'il était, il est beaucoup moins virulent qu'à l'époque... La colère gronde toujours en moi, je suis comme ça. Je vois constamment ce qui n'a pas été fait et ce qui aurait pu l'être. Selon moi, par exemple, avant 1914, les socialistes n'ont pas assez lutté pour empêcher la guerre après l'assassinat de Jaurès.D'avoir vu mon père exploité dans son usine de guerre jusqu'en 1919 a certainement développé en moi une reconnaissance envers la Russie soviétique qui mit le peuple au pouvoir en 1917. L'heure de la revanche avait enfin sonné... en tout cas je le croyais. Je suis ainsi descendue très tôt dans la rue pour y distribuer des tracts : j'appartenais aux Jeunesses communistes qui évidemment s'opposaient à la guerre, pourtant bel et bien en train de se préparer. On a compris en 1934 que ça allait recommencer toute cette absurdité qui allait prendre à nouveau nos hommes. J'avais tout juste vingt ans. Je me rappelle avoir pris la parole pour la première fois dans une usine du quartier Fléchambault de Reims. J'ai adoré ça, j'étais déchaînée. Je sentais que j'avais un tempérament de meneuse, qui ne m'a pas quittée lorsque j'étais dans les camps. J'aime prendre la parole, c'est pour ça que je la prends encore aujourd 'hui, pour que mon récit soit utile, qu'il serve à ce que cette horreur ne se reproduise plus jamais. C'est mon ultime façon à moi de lutter. Les années 1934-1935 voient donc la révolte gronder dans les usines. À l'époque, les patrons étaient paternalistes certes, mais l'exploitation n'en était pas pour autant moins là. J'ai rencontré mon mari en 1936, dans les réunions du Parti. Il faisait du théâtre. Notre amour a été fort et solide pendant de nombreuses années, où nous militions côte à côte. Nos efforts n'étaient pas vains : en 1936, les grèves ont fait céder le gouvernement français qui a dû « lâcher » des congés payés et des augmentations. De mars 1936 au début de la guerre, le Front Populaire était au pouvoir, mais Léon Blum, pourtant socialiste, ne donnait rien. Ce sont nous, les Communistes, qui avons tout fait. Les luttes se sont intensifiées au début de l'année 1937, le patronat reprenant du poil de la bête. À cette époque, mon mari travaillait dans le textile. Il a fait la grève la plus longue, et a fini par se faire licencier car il appartenait à un syndicat, chose interdite. Quant à moi, je travaillais toujours sur mes corsets. Nous avons connu une période très difficile, puisque mon mari était au chômage ; un salaire pour deux puis trois était insuffisant : en effet, notre fille devait arriver en 1937. De 1938 à 1939, notre vie était rythmée par les luttes : la guerre se révélait imminente, et le Parti dénonçait tout cela. La Russie soviétique n'était pas prête à faire la guerre, et en août 1939, le Parti lui a donné raison, position qui l'a alors mis dans l'illégalité. Le pacte d'amitié demandé à ce moment par la Russie étant refusé, cette dernière a fait un pacte avec l'Allemagne. Que pouvait-elle faire d'autre ? Elle n'avait aucun moyen de faire la guerre, elle a donc pactisé avec l'ennemi. La Droite a repris le pouvoir en France. Exceptées les perquisitions, notre vie suivait son cours normal. Le peu d'argent qu'on avait servait à acheter de « beaux livres », c'est-à-dire des livres communistes. Mon mari a lu tout Aragon ! La censure était alors très forte sur les écrits politiques ; par exemple le journa, L'Humanité a été interdit. Bien sûr la distribution des tracts devenait de plus en plus difficile, nous étions en pleine illégalité. La déclaration de guerre en septembre 1939 n'a surpris personne. Mon mari fut mobilisé dans les Pionniers, qui préparaient les bateaux de guerre. Quant à moi, après mon accouchement, je m'étais remise à la confection : je fus donc mobilisée pour faire des chemises de soldats. Le 10 mai 1940, Reims fut bombardée pour la première fois. Mon mari, lors de sa première permission, m'avait suppliée : « Surtout, va aux abris avec la petite ! ». Nous habitions le quartier Sainte Anne, et les abris étaient très loin. Comme ma mère était invalide, nous sommes allés dans la Nièvre. Ma sur était encore institutrice à cette époque, mais ça n'allait pas durer. Mes activités communistes ont été suspendues là-bas. Mais je suis revenue à Reims au mois d'août. Mon mari, qui n'était pas prisonnier, est parti près de Marseille. Ma sur fut alors rayée de l'Enseignement car elle était, elle aussi, communiste. Elle exerça donc le métier de comptable. Mon mari est revenu en septembre et la lutte a repris, mais sous une nouvelle forme cette fois. De Gaulle avait fait son appel à la Résistance le 18 juin et le 19, le Parti fit le sien. De nouveau, on a recommencé à distribuer des tracts. Cette fois, il fallait redoubler de vigilance pour s'organiser. C'est pourquoi le Parti a inventé le système du « triangle », pour limiter les dégâts en cas de rafle. Il y avait ainsi un responsable avec deux autres membres. Ce fractionnement évitait aussi les fuites. Les tickets de rationnement ont commencé : c'était une période très dure, où chaque personne avait droit à cent grammes de pain. Evidemment, le marché noir a explosé. Pour ma part, j'étais en bonne santé, chose primordiale pendant la guerre, et combien par la suite... Le Parti se regroupait par quartier, en cellule. J'appartenais à la cellule 3. J'avais une machine à faire des tracts, je me « planquais » chez un partisan de la rue Bazin. En février 1941, nous avons déménagé dans cette rue, près de chez Madame Goumet, dame qui prit une tragique importance par la suite. C'est elle qui était la détentrice de la machine. Nous étions fichés par la police française [ depuis l'interdiction du Parti communiste en août 1939 ], grâce au procédé de l'anthropométrie qui relevait notre photo, nos empreintes et notre écriture. [ En mai 1941 a été créé le Front national de lutte pour l'indépendance de la France ]. Le 3 juin 1941, mon mari qui était responsable de trois triangles, a été arrêté. Il avait été « vendu » par Roy, un couvreur. J'étais alors rédactrice d'un journal, La Voix des Femmes. Voici une anecdote qui montre que, quelque part, brillait une étoile au-dessus de ma tête, même si son éclat fut terni par moments. Un jour que j'allais faire la copie du journal dans ma cuisine, ma fille Maryse a surgi, le visage souillé par quelque jeu. J'ai mis de côté mon journal pour la débarbouiller, et à ce moment, la police est entrée pour une perquisition. Elle n'a pas pu voir la copie du joumal et j'ai échappé à l'arrestation. Ma sur [ Armande Gandon, déportée NN décédée du typhus à Leignitz le 22 avril 1945 ] est entrée dans la clandestinité le 7 juin 1942, chez les Francs-tireurs et partisans français [organisation armée du Front national de lutte pour la libérationh et l'indépendance de la France]. Elle était résistante dans l'Aube, où son groupe tua deux membres de la Gestapo. Pour cela, elle fut envoyée à la forteresse de Breslau en Allemagne, d'où elle ne fut libérée qu'en 1945. J'étais donc seule avec ma mère et ma fille. La peur nous engageait à prendre beaucoup de précautions. Pendant ce temps, les Allemands préparaient les camps de travail forcé. Je subissais de nombreux interrogatoires par la police française. Mon mari, arrêté, était à la prison Robespierre, mais en juillet, un tribunal de trois juges l'a transféré à Paris, où il a été condanmé à cinq ans de prison, et non à mort comme le furent ceux qui suivirent. Il se retrouva donc à la Centrale de Melun avec les droits communs. Je ne le voyais pas souvent, je savais seulement qu'il était à peu près bien traité : en deux ans, je n'ai pu lui rendre que deux visites. En
avril 1944, tous les prisonniers politiques furent envoyés
dans les camps. Lui est parti pour le camp de concentration de Buchenwald,
en usine de guerre, où il fabriquait des fusils. Il parvenait
parfois à saboter son travail, continuant ainsi à faire
acte de résistance. Quant à moi, je poursuivais mon
travail clandestin avec Madame Gournet. Je fus pourtant trahie par
sa fille à la suite d'un événement dont le caractère
anodin et l'absurdité furent les déclencheurs de ma
déportation : en effet, sa fille, punie et privée
de sortie, avait voulu se venger en écrivant une lettre à
la Gestapo, dans laquelle elle dénonçait sa mère
qui « écoutait Londres ». Cette lettre
a eu des conséquences terribles : sa mère, arrêtée,
a parlé sous la menace et a vendu tout le monde, dont Monsieur
Fontaine, un responsable haut placé au sein de la Résistance.
Ses ouvriers ont parlé à leur tour et une grande partie
du réseau a ainsi été démantelée.
La fille de Madame Goumet, loin de se repentir, s'est d'ailleurs mise
à travailler activement pour la Gestapo. Sa mère a donc
été arrêtée par la Gestapo en avril 1943.
Sous la menace et le chantage, elle a donné tous les résistants.
J'ai moi-même été arrêtée et interrogée
cinq semaines, moins d'un mois plus tard. Mon nom de guerre était
Antoinette. Durant ces interrogatoires, je n'ai pas eu peur de souffrir,
j'ai eu peur de parler. À la prison, mon seul soutien était
Gustav, un ancien Allemand de la guerre 14-18, adorable avec les résistants.
Lors de mon premier interrogatoire, j'ai été déshabillée,
giflée puis frappée à coups de schlague. Cela
a duré douze heures. Je n'ai rien dit. Au mois d'août,
trois mois après mon arrestation, j'ai été transférée
à la prison de Laon. Là, je retrouve deux copines. L'une
d'elle a tellement été frappée qu'elle est méconnaissable ;
elle a parlé. À Laon, je perds le soutien indéfectible
du gardien allemand Gustav. Je suis restée là-bas jusqu'en
janvier et malgré tout, je n'ai jamais
connu le désespoir. Un Tchèque, qui était aux commandes d'un petit train, amenait parfois le journal allemand à cette fameuse copine polyglotte. Quand l'Allemagne subissait une défaite, elle transmettait l'information au triangle. Nous passions nos dimanches bouclés dans nos baraquements et pendant Noël de l'année de 1944, nous avons réussi à organiser une petite fête. Nous savions que la fin était proche, il fallait tenir. Nous étions seulement quatre à savoir que les Allemands reprenaient du poil de la bête mais nous n'avions rien dit pour ne pas démoraliser les copines. Avoir le moral, on ne le répétera jamais assez, était essentiel. Chacun avait ses « trucs » pour tenir. Madame Michelin voulait à tout prix une messe ; alors, un dimanche matin, les filles du Parti communiste ont fait le guet pour la protéger. Les Allemands ne l'ont su qu'après, quand il était trop tard. Madame Michelin tenait à sa messe. Une autre, tenaillée par la faim en permanence, a écrit un livre de recettes. J'étais
responsable d'un triangle composé d'une fille de Paris et une
autre du Nord. Les journées étaient de plus en plus
perturbées par les alertes ; les camp des alentours commençaient
à se vider : les déportés étaient ramenés
vers le centre de l'Allemagne, pour un ultime voyage, tristement célèbre
sous le nom de « marche de la mort ». On voyait
passer les wagons près de notre camp : ils s'arrêtaient
pour vomir des cadavres ambulants qui devaient finir le trajet à
pied, ce qui était pratiquement impossible dans leur état.
Les SS étaient de plus en plus odieuses. Pour dormir - enfin, pour
passer la nuit - on nous distribuait des couvertures pleines du sang
des filles de joie françaises, syphilitiques, avec lesquelles
les Allemands avaient couché. La plupart d'entre nous préférait
dormir sans rien, collée pour se réchauffer plutôt
que d'accepter ces couvertures infâmes. Régulièrement
depuis Ravensbrück, on nous faisait des piqûres. À
Holleischen, ce n'était plus en intraveineuse, source de nombreux
abcès et partant de morts. Encore aujourd'hui, on ne sait pas
ce qu'on nous injectait. Toujours est-il que, dès le début,
nos règles se sont interrompues. Les
gamines juives se sont mises à sautiller devant nous en voyant
les partisans arriver. Il y a eu des tirs de mitrailleuse sur les
hommes du mirador. Cinq Polonais sont venus, portant presque le même
uniforme que les SS, mais avec un brassard rouge, tandis que les SS
étaient en train de déjeuner. Ils ont ouvert les portes
de nos baraquements et toutes les filles ont voulu aller chercher
les SS pour les « mazibler », c'est-à-dire
les mettre en pièces. Le Polonais leur a alors dit : « Vous
les jugerez vous-mêmes ». Les filles étaient
véritablement hors d'elles. Les partisans ont emmené
les Russes et les Polonais. Je dois préciser qu'à Buchenwald,
où était mon mari, les hommes se sont libérés
eux-mêmes, les Américains étant restés
aux portes du camp. Quant à nous, on nous a dit de ne pas bouger,
car il y avait des SS dans la forêt. Nous sommes devenues les
« maîtresses du camp ». Il a fallu organiser
le ravitaillement car tout le monde se jetait sur la nourriture de
manière complètement anarchique. Des doctoresses françaises,
qui faisaient partie des déportées, nous avaient mises
en garde : trop manger, c'était mourir sur le champ après
des mois, voire des années de terribles privations. D'ailleurs,
la dysenterie n'a pas tardé à faire ses premières
victimes et ce fut l'épidémie malgré les avertissements. En cas de « marche de la mort », les responsables - dont je faisais partie - avaient dit qu'il ne fallait pas relever les camarades qui s'écrouleraient : nous ne pourrions pas les aider, et cela n'aurait fait qu'augmenter le nombre de victimes. Mon amie, Madame Mathieu, m'avait supplié de le faire, en dépit de cette cruelle règle. Je lui avais assuré que je le ferais, mais au fond de moi, je savais que non. Un
jour, une autre ambulance est arrivée pour Madame Laurency,
l'épouse de l'ancien gouverneur du Tchad. Elle a refusé
de partir en disant : « Vous direz à mon mari que
je suis ici avec 1 500 Françaises et que je ne partirai
pas sans elles ». Trois jours après, on nous a entassées
dans des wagons à bestiaux et on a roulé très
vite, toute la journée. À Wisburg, une ville allemande
aux trois quarts démolie, nous avons été bousculées
par les Américains sur une grande place avec tous les déportés.
Les hommes étaient dans des états lamentables, nus ou
en « rayés ». Il y a eu une distribution
de poudre qu'on a vaporisée sur nos corps dénudés.
Par contre, on ne nous a pas nourris. Le lendemain, à la gare,
on a encore eu droit aux wagons à bestiaux, toujours sans eau
ni nourriture. J'y ai retrouvé cinq Rémoises. J'ai voyagé
une journée, les jambes pendantes hors du train. Mon état
d'esprit pouvait se résumer à ceci : revoir ma petite.
Au cours de ce trajet, nous avons failli basculer dans le Rhin. Jusqu'au
bout, il aura ainsi fallu littéralement s'accrocher à
la vie. Nous sommes arrivés à la nuit tombante à
la frontière française. Nous avons dû attendre
pour l'État civil. On nous a alors distribué une feuille
de rapatriement et 500 francs, autant dire rien du tout à l'époque.
Depuis la gare de Tournes, dans les Ardennes, nous avons voyagé
dans un vrai train, jusqu'à Witry-les-Reims, où on a
continué à pied vers Reims. Là, un comité
d'accueil nous attendait avec du ravitaillement. Le 15 mars 2014, à la Résidence « Les Opalines » d'Athis, Andrée PATÉ a fêté ses 100 ans entourée de sa famille. Hélène Lebrec, présidente de la délégation marnaise Éric Rochette, représentant de Bruno Dupuis, José Guillemein, vice-président de l'AFMD-51 rend hommage à Andrée Paté « 1914-2014, 100 ans !Oui, chère Andrée Paté, vous êtes centenaire ! Et nous sommes venus vous voir pour vous témoigner notre sympathie, notre amitié, nous, vos amis de l'AFMD-51. Nous sommes aussi venus vous honorer, vous qui avez si souvent témoigné de votre résistance et de votre déportation. Après votre enfance dans la Nièvre, vous êtes venue dans la Marne. Vous faites alors partie de la classe ouvrière et tout naturellement vous rejoignez le Parti Communiste Français. La guerre arrive, suivie de l'occupation de la France. Vous décidez rapidement de poursuivre votre engagement en entrant dans l'action clandestine, en imprimant et en distribuant des tracts qui dénoncent la collaboration des autorités de Vichy avec les occupants nazis. Ce sont des gens comme vous qui, avec d'autres, ont fait connaître la Résistance et ont permis qu'elle se développe. Mais, à quel prix ? Car vous connaissiez les risques auxquels vous n'avez pas échappé ... L'arrestation, la Gestapo rue Jeanne d'Arc, la prison Robespierre puis celle de Laon, le fort de Romainville, la gare de Pantin et le transport vers Ravensbrück, l'enfer disiez-vous. Enfin, c'est le kommando d'Holleischen où, avec d'autres camarades, vous réussissez l'exploit de résister dans le camp de concentration en célébrant le 14 juillet. Bon, avec le débarquement de Normandie vous espérez qu'à Noël, comme le dit aussi Yvonne, vous serez rentrée en France... En fait, vous êtes restée concentrationnaire jusqu'à la fin et votre libération n'a lieu qu'au début de mai 1945. Et c'est le retour, et il faudra du temps pour retrouver une vie normale comme avant. Avec la volonté de dénoncer le fascisme et l'horreur concentrationnaire. Vous nous avez donné l'exemple d'une vie de résistance et c'est avec beaucoup d'émotion que nous vous rendons hommage. À Holleischen vous avez connu Madame Michelin (des usines Michelin) et Madame Laurentie ( épouse d'Henri Laurentie, Compagnon de la Libération, nommé gouverneur des Colonies par de Gaulle en 1942, chargé de préparer la Conférence de Brazzaville sur la décolonisation ), des dames de la « haute » et vous disiez d'elles que c'étaient des femmes « bien ». Comme si vous, Andrée Paté, vous n'étiez pas aussi une femme bien ! » Yvonne Châtelain rappelle à Andrée Paté leur itinéraire de déportation Andrée Paté entourée de ses amis de l'AFMD-51 et de l'ONACVG-51 |