Enseigner la mémoire ? > LHistoire et mémoire de la déportation > Georges Simon, avocat rémois déporté à Auschwitz
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Georges Simon, avocat du barreau de Reims
déporté à
Auschwitz par le premier convoi du 27 mars 1942
-
Edmond Abou, son cousin,
déporté à Auschwitz par le même convoi
-
Albertine Simon née Weil, sa mère,
déportée à Auschwitz le 3 février 1944

Un brillant avocat rémois issu d'une famille de juifs alsaciens-lorrains venue s'installer à Reims

Georges Simon sous le coup de la législation antisémite du gouvernement de Vichy

L'arrestation et la déportation de Georges Simon

La déportation de son cousin, Edmond Abou

La déportation de sa mère, Albertine Simon née Weil

Le témoignage de sa nièce, Juliette Bénichou

La mémoire de Georges et d'Albertine Simon à Reims

L'hommage du barreau de l'ordre des avocats de Reims

Sources

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Georges Simon, un brillant avocat rémois

Georges Simon

   Les parents de Georges SIMON étaient des juifs français originaires d'Alsace-Moselle annexée à l'Empire allemand en janvier 1871. Son grand-père avait fait la guerre de 1870. Son père, Paul, était né à Metz le 27 décembre 1871 ; sa mère, Albertine WEIL, était née le 28 avril 1878 à Valff dans le Bas-Rhin. Tous les deux avaient quitté l'Alsace-Moselle devenue allemande pour ReimsPaul s’était installé comme négociant et où ils s'étaient mariés le 10 mai 1898. Leurs deux enfants sont nés à Reims, Renée Fanny Odette le 12 mars 1899, Georges Meyer le 4 novembre 1903.
   À Reims, la famille SIMON a résidé successivement 28, rue Chabaud, puis 84, rue Libergier et enfin 19, rue Thiers.
   Paul SIMON, très marqué par les mesures antisémites prises à la fois par les autorités allemandes d’occupation et par le gouvernement de Vichy, en particulier par le blocage de son compte bancaire, est décédé brutalement à Reims dans la rue le 9 octobre 1941.
   Après des études secondaires au lycée de garçons de Reims, rue de l'Université, puis des études de droit à Nancy, Georges SIMON a été avocat-stagiaire en 1924, puis avocat inscrit au Tableau de l'ordre des avocats de Reims en juin 1930.

Dessin de Georges Simon réalisé lors de la séance du 7 décembre 1934
au cours de laquelle il a croqué quelques collègues du barreau de Reims

(Document conservé dans les archives de Raymond Poupart, syndic de faillites,
déporté-résistant mort en 1944 à Neuengamme, communiqué par sa fille Yvonne)

14 novembre 1937 :  Maître Simon lors d'une séance du tribunal de Grande instance de Reims

   

   En février 1939, Georges SIMON a été élu par ses pairs membre du Conseil de l'ordre.
   Il était par ailleurs membre de la loge maçonnique « La Sincérité » et président de la section rémoise de la Ligue des Droits de l’Homme.

Georges Simon sous le coup
de la législation antisémite du gouvernement de Vichy

    Notable rémois, bien installé, reconnu et respecté, Georges SIMON était membre de la même loge maçonnique que Paul MARCHANDEAU, ancien ministre auteur du décret-loi d'avril 1939 réprimant toute incitation à la haine raciale, et ancien député-maire de Reims, rétabli à la tête de sa ville par le préfet BOUSQUET, puis nommé président de la Commission administrative de la Marne mise en place par le gouvernement de Vichy.
   Georges SIMON a pu se croire un temps à l'abri des mesures prises dès le début de l'Occupation par ce gouvernement contre les juifs et les francs-maçons.
   Grâce aux recherches effectuées par Maître Jean-François CORNU dans les archives du Conseil de l'ordre des avocats de Reims, nous savons très précisément comment Georges SIMON est tombé sous le coup de la législation antisémite du gouvernement de Vichy.
   Après la promulgation le 3 octobre 1940 de la « loi portant statut des juifs » [ 1er statut des juifs ], Georges SIMON présenta au Bâtonnier Maurice SALLE sa démission de membre du Conseil de l'ordre des avocats de Reims. Cette loi, signée par Philippe PÉTAIN, chef de l'État français, Pierre LAVAL, vice-président du Conseil, et Raphaël ALLIBERT, garde des Sceaux, définissait comme juif « toute personne issue de trois grands-parents de race juive », et interdisait aux juifs « l'accès et l'exercice des fonctions publiques et mandats énumérés ci-après [...] ... cours d'appel, tribunaux de première instance, toutes juridictions d'ordre professionnel [...] » :

          Monsieur le Bâtonnier,

   La loi, nouvelle en France, portant statut des juifs, leur interdit  de faire partie d’un organisme  chargé de  représenter notre profession.
   Je n’ai pas l’intention de renier mes origines.
   C’est pourquoi j’ai l’honneur de vous offrir ma démission de membre du Conseil de l’Ordre des Avocats au Barreau de Reims.
   Je suis reconnaissant  à mes confrères qui, en m’appelant par deux fois à siéger à vos côtés, m’ont donné la marque d’une estime que je crois encore mériter.
   Je n’oublierai jamais la bienveillance presque paternelle dont vous n’avez jamais cessé, au cours de mes fonctions, de me donner la preuve. L’une des choses qui me peine le plus est de ne pouvoir plus collaborer avec vous, qui les représentez si hautement, au maintien de nos traditions professionnelles. Vous pouvez être assuré de m’en voir, tant que je resterai avocat, l’observateur fidèle.
   Je vous prie de croire, Monsieur le Bâtonnier, à mon respectueux dévouement.

                                                                                                                                               Georges Simon

   Sa démission fut acceptée par le Conseil de l'ordre qui l'entérina avec regret :

   Maître Simon soucieux du respect de la loi a tenu spontanément à résilier les fonctions que par deux fois ses confrères lui avaient confiées en raison de sa courtoisie, de sa loyauté et de sa probité professionnelle. Le Conseil ne peut qu’enregistrer la démission de Maître Simon en le remerciant de sa précieuse et dévouée collaboration.

    Après l'adoption en juin 1941 du second statut des juifs, fut promulgué le 16 juillet 1941 le décret du Commissariat général aux questions juives « réglementant, en ce qui concerne les juifs, la profession d'avocat », signé par Philippe PÉTAIN, et par le garde des Sceaux Joseph BARTHÉLEMY. Ce décret instaurait un numerus clausus limitant le nombre d'avocats juifs « dans le ressort de chaque cour d'Appel à 2 % de l'effectif total des avocats non juifs inscrits au tableau ou au stage des barreaux du ressort ». Il précisait en outre que leur nombre ne pouvait en aucun cas être supérieur à celui des avocats juifs inscrits avant le 25 juin 1940.
   Le 25 juillet 1941, le procureur de la République demanda donc au bâtonnier SALLE de lui fournir l’état des avocats juifs inscrits au barreau en date du 25 juin 1940.

   Le 27 juillet, Georges SIMON informa le bâtonnier SALLE qu'il tombait sous le coup de la loi du 16 juillet 1941 :

   J’ai l’honneur de  vous déclarer conformément à l’article 3 du décret du 16 juillet 1941, réglementant, en ce qui concerne les juifs la profession d’avocat, que je me trouve au nombre des personnes définies par l’article 1 de la loi du 2 juin 1941, mes quatre grands parents ayant pratiqué la religion israélite.

   Le 29 juillet 1941, le bâtonnier SALLE réunissait le Conseil de l’ordre pour l'informer de la requête du procureur de la République, lui lire la lettre de Georges SIMON et lui exposer le contenu du paragraphe 5 de l'article 1 de la loi du 16 juillet 1941. Cet article stipulait que pourraient être  maintenus dans leur fonction les avocats juifs qui « seraient, à la demande du Conseil de l'Ordre, après avis de la Cour d'Appel délibérant en assemblée générale, et sur la proposition du Commissaire général aux Questions juives, désignés par arrêté du Garde des Sceaux en raison du caractère éminent de leur mérite professionnel ».
   Le Conseil de l’ordre, à l’unanimité des présents
, après en avoir délibéré, décida, mais en vain, de demander au garde des Sceaux, « de bien vouloir, après observations des règles fixées audit paragraphe de maintenir Maître Georges Simon au Barreau de Reims faisant valoir sa probité, sa délicatesse, sa conscience, son talent professionnel » :
   Maître Georges Simon inscrit au Stage le 24 janvier 1924, au Tableau le 30 Juin 1930 a donné depuis son inscription des preuves répétées de sa probité et de sa délicatesse professionnelle.
   Il a rempli les devoirs de sa profession avec la plus grande conscience.
   Sa grande facilité de travail, son talent à la Barre ont fait de lui un auxiliaire très apprécié du Tribunal.
   Par deux fois, ses Confrères l’ont appelé à faire partie du Conseil de l’Ordre où ses avis étaient appréciés.
   Monsieur le Bâtonnier déclare que Maître Dargent bien qu’en congé, a voulu en sa qualité de Membre du Conseil de l’Ordre exprimer son avis très favorable au maintien de Me Georges Simon au Barreau de Reims.
   Il est décidé que copie de cette délibération sera transmise à Monsieur le Procureur de la République.

   Le 2 janvier 1942, il fut notifié à Georges SIMON qu'il figurait sur la liste des avocats juifs qui devaient cesser leur activité.  Le 20 janvier suivant , les membres du Conseil de l'ordre des avocats de Reims, constatant que Georges SIMON ne figurait pas sur « la liste des avocats admis en raison de leurs titres exceptionnels à continuer à exercer leur activité au Barreau », adressa à la Cour d’appel de Paris une requête à laquelle ne fut donnée aucune suite :

         Reims le 20 Janvier 1942.

   À Messieurs les Premier Président, Présidents et Conseillers composant
   La Cour d’Appel de Paris.
   Les Soussignés :
   M.Mes. Maurice Salle, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats au Barreau de Reims.
Eugène Dupont Nouvion – Ancien Bâtonnier,
Ernest Jacquesson – Ancien Bâtonnier,
Maurice Pelthier – Membre du Conseil de l’Ordre –
   Ont l’honneur de vous exposer :
   Que leur Confrère Georges Simon a été admis au Stage le 24 Juin 1924
Et inscrit au Tableau de l’Ordre le 30 Juin 1930.
Qu’en exécution de l’article 7 du décret du 16 juillet 1941, réglementant, en ce qui concerne les Juifs, la profession d’Avocat
Notification a été faite le 2 Janvier présent mois audit Me Georges Simon de la liste établie pour le ressort de la Cour d’Appel de Paris
   Que Me Georges Simon figurant sur cette liste doit cesser l’exercice de la profession conformément à l’article 5 du décret précité, sauf application éventuelle de l’art 1° paragraphe 5 dudit décret.
   Que conformément aux dispositions de cet article 1 paragraphe 5 précité les soussignés croient devoir soumettre à la Cour les motifs qui d’après eux, militent en faveur du maintien de Me Georges Simon au Barreau de Reims.
   Celui-ci exerce sa profession à Reims depuis plus de dix-sept ans avec un dévouement absolu et une correction parfaite.
   Il a fréquemment donné des preuves de son complet désintéressement, acceptant de se charger de la défense des plaideurs sans fortune et défendant leurs intérêts avec un entier dévouement.
   Les preuves données par Me Georges Simon de ces qualités essentielles de l’Avocat étaient si nombreuses et si complètes que par deux fois le 25 février 1939 et le 17 Juillet 1939 ses Confrères l’ont appelé à faire partie de leur Ordre.
   Le désintéressement de Me Simon, le sentiment très élevé qu’il a des devoirs de sa profession et de son devoir social, sa parfaite correction professionnelle apparaissent constituer des éléments qui militent en faveur du maintien de Me Georges Simon au Barreau de Reims par application de l’article 1er paragraphe 5 du décret du 16 juillet 1941.
   Les exposants ont le devoir de signaler que Me Simon réformé pendant son service actif avait contracté un engagement volontaire, lors de l’ouverture des hostilités en septembre 1939, mais qu’il n’avait été admis en raison de son état physique que dans les services auxiliaires.
   C’est pourquoi les exposants demandent à la Cour de bien vouloir dire que Me Georges Simon sera maintenu au Tableau de l’Ordre des Avocats au Barreau de Reims par application des dispositions qui précèdent.
   Ils vous prient de bien vouloir agréer, Messieurs les Premier Président, Présidents et Conseillers l’expression de leurs sentiments respectueux.

   Le 18 février 1942, Georges SIMON lui-même frappé par la législation antijuive du gouvernement de Vichy, se préoccupait du sort de son oncle, huissier à Alger, à qui il écrivait : « La Gazette du Palais de ce matin contient le texte du décret du 3 février. J'espère de tout cœur que tu ne seras pas atteint. Tiens-moi, en tout cas, au courant ». Ce décret publié au Journal Officiel le 11 février 1942, précisait les modalités d'application du second statut des juifs du 2 juin 1941, et en étendait l'application aux juifs d'Algérie. Huit jours plus tard Georges SIMON était arrêté à son domicile par la Feldgendarmerie.

L'arrestation et la déportation de Georges Simon

   Georges SIMON fait partie des 18 otages, 12 militants ouvriers et 6 notables juifs, arrêtés par les autorités allemandes le 26 février 1942 à Reims, Épernay et Châlons-sur-Marne en représailles après des attentats contre les troupes d’occupation à Chalon-sur-Saône et à Montceau-les-Mines.
Les militants ouvriers, presque tous fichés comme communistes, étaient :
      - à Épernay, Alphonse BOUDIN, Albert CHEUTIN, Raymond HARDY, Gaston MARTIN et Ivan THIÉRUS ;
      - à Reims, Marcel GAUTHIER, Jules HUON, René MANCEAU, Félix REILLON, Maurice ROUSSEL, Henri ROY, et Roland SOYEUX.
   Les notables juifs étaient :
      - à Reims, l’avocat Georges SIMON et le docteur Max SÉGAL,
      - à Châlons-sur-Marne, les commerçants André FRIBOURG, Maurice KREMER, Charles LERNER et Marcel WORMS.

   Quelles furent les réactions à ces arrestations ?

   
Robert BADINTER qui a interrogé les archives de la Chancellerie ( C 3970 ) y a bien retrouvé la trace de l'arrestation de Georges SIMON, mais pas le motif de son arrestation : « Selon une lettre du 5 mars 1942 du procureur général au garde des sceaux, Georges Simon fut arrêté par les Allemands, le motif précis de son arrestation n'étant pas connu ».
   
   Il est fait état d'une pétition du Conseil municipal de Reims dans une note datée du 9 mars 1942 conservée dans les archives  du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC, CVIII-44), qui concerne une intervention de Fernand de BRINON, délégué général du gouvernement français en zone occupée à Paris, en faveur du docteur Max SÉGAL. Mais il n'y a pas, à notre connaissance, de trace de cette pétition dans les archives municipales et communautaires de Reims.

   Maître Maurice PELTHIER, un des avocats rémois qui étaient intervenus dès 1941 pour réclamer le maintien de Georges SIMON au sein du Conseil de l'Ordre, puis en janvier 1942 sur le Tableau de l'Ordre des avocats de Reims, a exposé dans une monographie consacrée aux tribunaux allemands à Reims, qu'il était intervenu personnellement, mais en vain, auprès d'un officier allemand, lors de l'arrestation de Georges SIMON :

   [...] Du côté allemand, l'auxiliaire direct des tribunaux militaires était en réalité la Feldgendarmerie.
   L'officier que j'ai connu à Reims était le lieutenant Suhr. Je dois dire que nos rapports ont toujours été parfaitement corrects.
   J'ai même eu l'occasion d'intervenir directement auprès de lui en raison d'arrestations. C'est ainsi que lors de l'arrestation de mon confrère Georges Simon, je me rendis avec sa mère à la feldgendarmerie ; je fus reçu par le Lieutenant Suhr qui m'indiqua que les ordres venaient d'en haut, me laissant néanmoins entendre qu'il était bien obligé de procéder, contre son gré, à des arrestations d'israélites.

    Après un internement à Compiègne, les militants ouvriers rémois ont été déportés par le convoi du 6 juillet 1942 à Auschwitz, alors que les militants d'Épernay ont été libérés..
   Trois otages juifs ont été libérés dès le 26 mars : Max SÉGAL d'une part, et, au titre d’anciens combattants de 14-18, Charles LERNER et Marcel WORMS.
   Quant à Georges SIMON, André FRIBOURG et Maurice KREMER, ils ont été déportés par le premier convoi qui a quitté la France à destination d'Auschwitz le 27 mars 1942. Aucun d'entre eux n'a survécu à la déportation.

   Le jugement déclaratif transcrit le 30 décembre 1946 sur les registres de l'état civil de Reims, en marge de l’acte de naissance de Georges SIMON avec la mention « Mort pour la France », fixe le décès, sans en connaître le lieu, au 31 décembre 1943. C’est cette date que reprend le Journal Officiel n° 129 du 6 juin 2001, qui officialise la mention « Mort en déportation » à porter sur les actes d’état civil. Cependant en marge de l’acte de naissance de Georges SIMON figure une autre transcription, en date du 2 décembre 1949, du jugement déclaratif du tribunal civil de Reims du 10 novembre 1949 rectifiant la date du décès : « décédé le 16 avril 1942 ».
   Quelle est la date exacte de son décès  ?
   La date du 16 avril 1942 correspondrait davantage à l’état de santé fragile de Georges SIMON qui avait été réformé, et à la surmortalité des déportés du convoi du 27 mars 1942, dont beaucoup sont décédés peu de temps après leur arrivée à Auschwitz : 1 008 déportés sur 1 112 sont décédés entre avril et août 1942. Cette date est cependant démentie par le récit d’un juif rémois déporté à Auschwitz, Naphtali GOLDSTEIN, qui témoigne que Georges SIMON, contraint au travail forcé dans les mines de sel, est décédé fin décembre 1943-début 1944.

La déportation de son cousin, Edmond Abou

   Cousin de Georges SIMON, Edmond ABOU, né le 8 août 1919 à Paris, n'a pas connu son père, pharmacien, décédé sans doute de la grippe espagnole le 5 mars 1919 après avoir servi dans une section d'infirmiers militaires pendant la 1ère guerre mondiale.
   À la fin des années 1930, jeune étudiant en pharmacie, membre des Éclaireurs laïcs, il fait le coup de poing avec les Camelots du Roi, organisation de jeunesse rattachée à l'Action française.
   Infirmier militaire au Val de Grâce, il est arrêté en uniforme sur son lieu de travail, le 12 décembre 1941, dans le cadre d'une opération menée par la Gestapo et la Feldgendarmerie, avec l'aide de policiers français, en « représailles à une série d'attentats anti-allemands ». Cette opération aboutit à l'arrestation de 743 « notables juifs », presque tous français, qui sont transférés à CompiègneGeorges SIMON est interné à son tour après son arrestation en février 1942.
   Quelques-uns, chefs d'entreprise, commerçants, ingénieurs, médecins, avocats ou universitaires, sont libérés dans les semaines qui suivent, mais la plupart restent emprisonnés et intègrent ensuite les convois de déportés. C'est ainsi qu'Edmond ABOU est déporté à Auschwitz le 27 mars 1942, par le même convoi que Georges SIMON .

   Edmond ABOU est décédé à Auschwitz le 14 avril 1942. C’est cette date que reprend le Journal Officiel du 28 janvier 1988, qui officialise la mention « Mort en déportation » à porter sur les actes d’état civil.

La déportation de sa mère, Albertine Simon, née Weil

Albertine Simon, née Weil

    Albertine SIMON, très affectée par le décès de son mari, puis par l’arrestation de son fils, devenue très confuse, très démunie aussi sur le plan matériel, n’a pu survivre que grâce à l’aide d’amis fidèles, en particulier celle d'Aimée LALLEMENT. Cette institutrice, militante socialiste et membre de la Ligue des droits de l’homme, avait proposé à Georges SIMON de venir se cacher dans sa maison qui disposait d'une double entrée. Après l'arrestation et la déportation de Georges, elle a accueilli chez elle et caché jusqu'à la Libération un jeune juif, ami de la famille Simon, Jacques PRZEDBORZ.
    Aimée-Marie LALLEMENT qui est décédée en 1988 a été déclarée « Juste parmi les nations »
en 1980.
    Depuis 2011, une rue de Reims porte le nom d'Aimée LALLEMENT dans le Quartier Croix-Rouge.

 

 

   Albertine SIMON a été arrêtée lors des arrestations massives du 27 janvier 1944 qui ont frappé la quasi-totalité des juifs restés dans la Marne.   
   Déportée à Auschwitz par le convoi n° 67 du 3 février 1944, elle a été gazée le 8 février. C’est cette date que reprend le Journal Officiel n° 29 du 11 janvier 2003, qui officialise la mention « Mort en déportation » à porter sur les actes d’état civil.

   En novembre 1944, Juliette BÉNICHOU, écrivait à sa cousine Geneviève BURGARD qui lui demandait des informations sur l'arrestation de sa grand-mère Albertine :

   [...] En vérité, je sais fort peu de choses, car je me cachais dans un petit village de l'Aisne et je n'ai pas pu revenir me rendre compte sur place, car j'aurais certainement été prise aussi.
   L'amie qui est venue me prévenir à l'époque m'a dit qu'elle était très nerveuse le veille de son départ – mais elle l'était toujours depuis la déportation de Georges.
   J'ai eu l'occasion de parler d'elle avec des personnes qui étaient avec elle à Drancy. Là cela allait ; mais depuis le 3 février, date de sa déportation, rien [...]

Le témoignage de Juliette Bénichou, nièce de Georges Simon

   Avant de se cacher dans un petit village de l'Aisne, puis de passer en zone Sud rejoindre sa mère Odette et échapper à la déportation, Juliette BÉNICHOU a vécu à Reims jusqu’en juillet 1942 au domicile de sa grand-mère Albertine et de son oncle Georges SIMON.
    En 1997, elle a publié un récit autobiographique, Comme la paille dans le vent. Une jeune fille juive sous l'Occupation, dans lequel elle donne toute une série d’indications précises, sans toutefois citer les noms de personnes et de lieux ou en les modifiant.

 

   Juliette BÉNICHOU présente sa famille comme « l’une des familles les plus en vue de la ville » qui occupe « toujours une place d’honneur lors des festivités locales ».
   Elle fait allusion à l’aide matérielle et de conseil apportée par son oncle, Georges SIMON, à des juifs allemands réfugiés à Reims dans les années 1930 ou à des juifs polonais qui, en tant qu’étrangers, étaient les premiers visés par la répression.
   Elle décrit Georges SIMON comme étant en 1929 « un jeune et fougueux militant anticlérical », n’allant jamais à la synagogue, alors que sa mère y avait une place marquée d’une plaque de cuivre à son nom dans la tribune réservée aux femmes, « preuve tangible que [la] famille participait généreusement à l’entretien d’un culte qu’elle fréquentait si peu ».

   Elle évoque le projet de Georges SIMON de gagner l’Angleterre avec elle en passant par l’Espagne, projet envisagé pour la fin de l’été 1941 et reporté en raison des problèmes de santé de Juliette qui, admise à l'écrit du bac au printemps 1941, n'a pu se rendre à l'oral, et est restée alitée plusieurs mois sans pouvoir marcher.

   Elle écrit : « Mon oncle a un nouveau souci : sa profession vient d’être touchée par les mesures raciales. Il peut travailler jusqu’à jeudi soir, pas plus », et elle situe son arrestation « fin février ».
   [Georges SIMON a effectivement été arrêté le jeudi 26 février 1942].
   Elle décrit l'arrestation de Georges SIMON par « des soldats allemands » qui disposaient d’« une liste d’une douzaine de noms ; l’un d’eux est déjà biffé ».
   Elle mentionne la visite qu’elle a pu faire avec sa grand-mère à son oncle à la prison « située dans un lointain faubourg » [la prison Robespierre], puis son transfert à la Kommandantur [à Châlons-sur-Marne], et l’annonce par une  lettre de Georges de son internement à Compiègne.
   Elle parle des démarches de sa famille pour faire libérer Georges par l’intermédiaire d’un « ami parisien » de Pierre LAVAL, démarches restées sans suite.
   [Il s'agit de Charles DHOOGHE, un anarcho-syndicaliste d'origine belge né à Roubaix, franc-maçon affilié à la Grande Loge de France, venu s'installer en 1903 à Reims où il a fait la connaissance de Paul SIMON, le père de Georges. Charles DHOOGHE a participé aux congrès de la Fédération CGT du textile et a créé en 1904 Les Feuilles rouges. En 1906, il a fondé l’hebdomadaire La Cravache, édité à son domicile 73, rue Duruy. En novembre 1913, il a été condamné à Reims à trois mois de prison pour incitation de militaires à la désobéissance. Sous l'Occupation, installé à Saint-Étienne, il s'est rallié à la collaboration entre les classes et à l'organisation corporative préconisée par la Charte du Travail mise en place par le gouvernement de Vichy. Il a adhéré au Centre syndicaliste de propagande, organisation rattachée au Rassemblement national populaire, un des principaux partis collaborationnistes créé par Marcel DÉAT, ancien député socialiste de la Marne. Le 4 avril 1942, il est revenu à Reims pour y donner une conférence appelant les syndicalistes à adhérer à la Charte du Travail. À la Libération, il a échappé à l'épuration et a été blanchi pour services rendus à la Résistance].

   Juliette BÉNICHOU ne fait aucune mention de démarches auprès du préfet BOUSQUET qui pourtant a été sollicité par d’autres familles et qui est intervenu en faveur de la libération de Max SÉGAL, de Charles LERNER et de Marcel WORMS.   Selon elle, les Allemands auraient refusé de libérer Georges SIMON – « N’importe qui, mais pas lui » – en arguant de « papiers compromettants qu’on aurait trouvé sur lui ».

    En 2010, Juliette BÉNICHOU expliquait ce refus par le fait qu'en juillet 1939 Georges SIMON avait contribué à faire arrêter et expulser Otto ABETZ, devenu en juin 1940 l'ambassadeur du IIIe Reich à Paris.
   [Professeur de dessin, à la tête d'une organisation de jeunesse à Karlsruhe, Otto ABETZ a milité à la fin des années 1920 pour le rapprochement franco-allemand dans les milieux intellectuels. Marié en 1932 à une Française secrétaire de Jean LUCHAIRE, il est devenu à partir de 1934 la cheville ouvrière du Comité France-Allemagne où l'on retrouvait de nombreuses personnalités françaises dont le marquis Melchior DE POLIGNAC, PDG de la maison de champagne Pommery qui, sous l'Occupation, a été le président d'honneur du Groupe Collaboration de Reims].

   Julette BÉNICHOU dit avoir découvert « un dimanche matin » [sans doute le 29 mars 1942] dans la boîte aux lettres un message de son oncle jeté en gare de Reims, trouvé et acheminé par un cheminot : « Nous avons passé toute la nuit en gare. On nous emmène vers l’Allemagne. Je pense bien à vous deux. Je vous embrasse ».
[Le convoi du 27 mars 1942, le seul convoi de déportation constitué de wagons de troisième classe, est parti de la gare du Bourget à 17 heures avec 565 détenus de Drancy, puis a embarqué 547 détenus à Compiègne dont Georges SIMON ; le convoi est passé à Laon, puis il est resté, après l’évasion réussie de Georges RUEFF, immoblisé en gare de Reims, wagons verrouillés, toute la nuit du 27 au 28 ; il est arrivé à Auschwitz le 30 mars].
   
   Elle déclare avoir eu en mai-juin 1945 la confirmation de la mort en déportation de Georges SIMON par un « rapatrié » [il s'agit de Naphtali GOLDSTEIN].

La mémoire de Georges et d'Albertine Simon à Reims et à Paris

   Dès le 31 août 1944, au lendemain de la libération de la ville de Reims, le Conseil de l'ordre des avocats réunissait une assemblée générale au Palais de Justice pour rendre hommage aux membres du barreau de Reims encore prisonniers ou déportés en Allemagne.

   En octobre 1946, de brèves notices biographiques ont été publiées dans le journal L'Union à la rubrique " Les Héros de la Résistance " : " Georges Simon, de Reims " le 11 octobre, " Mme Vve Simon, de Reims " le 23 octobre.

   Les noms de Georges et d’Albertine SIMON sont inscrits à Reims sur la plaque apposée par la Ville de Reims en 1947 sur la façade de leur maison 19 rue Thiers,  sur la stèle élevée en 1949 à l'entrée de la synagogue, rue Clovis, et sur la dalle dédiée aux Victimes civiles du Monument des Martyrs de la Résistance et de la Déportation érigé en 1955.

À Reims

19, rue Thiers

Sur la façade la Synagogue, rue Clovis

Sur le monument des martyrs de la Résistance et de la Déportation

   Le nom de Georges SIMON ne figure pas sur la plaque commémorative apposée en hommage « Aux morts pour la France 1939-1945 » dans le hall de l'ancien lycée de garçons de Reims, rue de l'Université, devenu Collège Université. Mais il est bien inscrit sur la plaque en mémoire des anciens élèves du lycée de garçons de Reims morts pour la France pendant la 2e guerre mondiale, apposée dans le hall du lycée Clemenceau, le nouveau lycée inauguré en 1958.

Au Lycée d'État de garçons Georges Clemenceau de Reims

La plaque érigée dans le hall du bâtiment administratif du Lycée Georges Clemenceau inauguré en 1958

   Le nom de Georges SIMON figure également sur la plaque commémorative apposée dans le hall du Palais de Justice de Reims.

Au Palais de Justice, place Myron Herrick à Reims

 

À Paris, au Mémorial de la Shoah

L'hommage du barreau de l'ordre des avocats de Reims

   Le 3 novembre 2008, à l'issue de la cérémonie organisée à Reims pour commémorer le 90e anniversaire de l'armistice de 1918, nous avons fait part à notre ami Maître Daouda DIOP, bâtonnier du Barreau de Reims, de nos travaux de recherche sur les déportés rémois et nous lui avons exprimé notre souhait que la mémoire de Georges SIMON soit un peu mieux honorée à Reims, où aucune rue ne porte son nom, alors que plusieurs rues de la cité portent le nom de Rémois morts en déportation.
   Il nous a immédiatement assurés, qu'il allait, en ce qui le concerne, associer un hommage à Georges SIMON à la commémoration du 60e anniversaire de la Déclaration universelle  des droits de l’homme.

   Le 12 décembre 2008, le Barreau de Reims, à l’initiative de son bâtonnier, Maître Daouda DIOP, a effectivement renduhommage à Georges SIMON, en présence d' Adeline HAZAN, maire de Reims, de Maître GUEYE, bâtonnier de l’Ordre des avocats du Sénégal, de Xavier KEITA, conseil principal à la Cour pénale internationale, de Maître Mario STASI, ancien bâtonnier du Barreau de Paris, ainsi que des jurisconsultes attachés à des ONG ou à la Cour européenne des droits de l’homme :

   Le 12 décembre 2008, le barreau de Reims commémore le 60e anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
    Elle le fait dans l'évocation du souvenir de l'un des siens, Georges Simon Avocat juif mort en déportation.
   Georges Simon était aussi président de la section rémoise de la ligue des droits de l'homme dans une période où l'engagement avait un coût.
   C'est avec fierté et respect que le barreau de Reims rappelle l'histoire de cet avocat républicain qui a estimé qu'il devait après promulgation des lois de discrimination interdisant aux juifs l'exercice de certaines professions dont celle d'avocat, présenter sa démission du barreau de Reims, ce que le Conseil de l'ordre regrettait.
   Par décision du 29 octobre 1941, le Conseil de l'ordre sollicitait le Garde des Sceaux afin qu'il maintienne Georges Simon au Tableau, puis par requête solennelle du 20 janvier 1942, il demandait ce même maintien à la Cour d'appel de Paris. Cette attitude témoignait de la solidarité du barreau envers l'un de ses membres.
   Cet épisode de notre histoire se devait d'être évoqué au travers d'une commémoration toujours actuelle.
   

   En janvier 2009, Maître Jean-François CORNU, ancien bâtonnier du Barreau de Reims, a rendu compte de cet hommage à Georges SIMON dans un article intitulé " Georges Simon, avocat à Reims, juif et franc-maçon, déporté en 1942 ", publié dans La Gazette du Palais :

   [...] Cet hommage rendu à la mémoire de ce confrère, président de la section locale de la ligue des droits de l’homme, victime de la « législation » raciale du régime de Vichy et des ordonnances racistes de l’armée allemande d’occupation s’imposait, tout particulièrement à cette occasion parce qu’il y a urgence : urgence à rappeler les leçons du passé, urgence à réaffirmer en tout temps et en tout lieu l’impérieuse nécessité du respect des droits de l’homme.

Sources

Témoignage de Juliette BÉNICHOU, transmis dans l'ouvrage Comme la paille dans le vent, Une jeune fille juive sous l’Occupation publié en 1997 aux Éditions de Paris.
Témoignage de Geneviève BURGARD, cousine germaine de Georges SIMON.
Archives familiales consultées chez Madame Geneviève BURGARD : photographies et correspondance.
- Archives du Conseil de l'Ordre des avocats de Reims, compte-rendus communiqués en janvier 2009, par Maître Jean-François CORNU, ancien bâtonnier.
Les juifs sous l'Occupation-Recueil des textes officiels français et allemands 1940-1944, CDJC, 1945 ; FFDJF, 1982.
L’Union, 11 et 23 octobre 1946, notices biographiques de Georges et d'Albertine Simon.
Robert BADINTER, Un antisémitisme ordinaire. Vichy et les avocats juifs 1940-1944, Fayard, Paris, 1997.
Maître Jean-François CORNU, " Georges Simon, avocat à Reims, juif et franc-maçon, déporté en 1942 ", La Gazette du Barreau de Reims, n° 2, mars, 2009.
Daouda DIOP, " Hommage à Georges Simon - Commémoration de la déclaration universelle des droits de l'homme ", Bulletin du Bâtonnier - Ordre des avocats de Reims , n° 8, novembre 2008.  
Serge EJNÈS, Histoire des Juifs de Reims pendant la Seconde Guerre mondiale, Reims, 1995.- Pierre GUILLAUME, La Franc-maçonnerie à Reims 1740-2000, thèse de doctorat de l’Université de Reims, 2002.
Serge KLARSFELD , Le Mémorial de la déportation des juifs de France, Paris, 1978.
- Jocelyne HUSSON, La déportation des Juifs de la Marne, Presses universitaires de Reims, 1999.
Jean-Pierre HUSSON, La Marne et les Marnais à l’épreuve de la Seconde Guerre mondiale, Presses universitaires de Reims, 2 tomes, 2e édition, 1998.
Maître Maurice PELTHIER, Les tribunaux allemands à Reims et à Châlons-sur-Marne, 80 pages dactylographiées, témoignage non daté.
Claude SINGER,  " Il y a 60 ans : les grandes rafles de Juifs en France ", Les Chemins de la Mémoire, n° 119, juillet 2002.
R. D., " Dhooghe Charles ", in Sans patrie, ni frontières. Dictionnaire international des militants anarchistes, dossier en ligne, 2007 .http://militants-anarchistes.info/spip.php?article1261

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